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B. Lien entre les connaissances morphologiques et phonologiques

2.2 Le traitement morphologique dans la lecture

2.2.1 L’identification des mots écrits

L’enfant apprenti-lecteur effectue un traitement morphologique lors de l’identification des mots écrits. Laxon et al. (1992) se sont intéressés au traitement morphologique dans les premières étapes de l’apprentissage de la lecture. Leur étude a porté sur des enfants anglophones âgés de 7, 8 et 9 ans, distingués en deux groupes : bons et mauvais lecteurs. Ils ont montré que les enfants anglophones, dès l’âge de 7 ans, effectuent une décomposition morphémique lors de la lecture de mots morphologiquement complexes. En effet, les enfants lisaient les mots affixés (comme par exemple « dancer ») avec une plus grande précision que les mots pseudo-affixés (comme par exemple « dinner »). Cet effet était significatif aussi bien chez les bons que chez les moins bons lecteurs. De plus, les suffixes en –er étaient lus significativement mieux que les suffixes en –ed, ceci par les deux groupes de lecteurs. Les auteurs expliquent cela par le fait que ceux en –er se prononcent toujours de la même façon,

alors que ceux en –ed peuvent avoir plusieurs prononciations différentes. Ce n’est pas le cas chez les adultes. On observe là de nouveau l’interférence avec les éléments phonologiques chez l’enfant. Les résultats obtenus par Carlisle et Addison-Stone (2003) vont dans le même sens, les mots dérivés bi-morphémiques étant lus plus précisément que les mots monomorphémiques (à fréquence et longueurs égales), aussi bien chez les bons que chez les moins bons lecteurs de 3P et de 5P. Cette facilitation engendrée par le traitement morphologique semble quelque peu moins profitable aux lecteurs italophones. En effet, des résultats différents ont été observés dans une étude de Burani, Marcolini, De Luca et Zoccolotti (2008). D’après ces auteurs, chez les lecteurs italiens, une facilitation du traitement morphologique existerait seulement chez les enfants jeunes et les enfants dyslexiques. Les enfants déjà expérimentés en lecture ainsi que les adultes n’auraient pas besoin de la décomposition morphologique, car ils effectueraient un traitement au niveau du mot en entier.

Chez les enfants francophones également, il a été montré que l’apprenti-lecteur tire profit de la structure morphologique des mots écrits pour les lire (Colé et al., 2003 ; Casalis, Dusautoir, Colé & Ducrot, sous presse). Dès la 1ère année primaire, les enfants lisaient plus précisément et plus rapidement les mots préfixés que des mots pseudo-préfixés. De plus, ce traitement morphologique génère un effet de facilitation en lecture. Une tâche d’amorçage a été administrée à des enfants de 1P et 2P. Un mot cible affixé était présenté, précédé d’un mot amorce. Les mots amorces étaient de trois types : reliés morphologiquement au mot cible (par exemple le mot « laitier » est précédé du mot « lait », qui est sa base), reliés orthographiquement mais pas morphologiquement (par exemple le mot « laitier » est précédé par le mot « laitue »), ou n’entretenant aucun lien avec le mot cible (par exemple le mot

« laitier » est précédé par le mot « pomme »). L’amorçage orthographique avait pour but de montrer que l’effet de l’amorçage morphologique n’est pas uniquement dû à la ressemblance orthographique entre la base et le mot affixé. Les enfants devaient appuyer sur une touche dès qu’ils avaient reconnu le mot cible, et le restituer oralement. Les résultats ont révélé des temps de reconnaissance des mots cibles significativement plus courts dans la condition d’amorçage morphologique que dans les conditions d’amorçage orthographique et contrôle.

Cela montre un effet de facilitation morphologique dont bénéficient les lecteurs dès la 1P, et cet effet ne peut être dû à la seule ressemblance orthographique entre la base et le mot affixé.

Casalis et al. (Sous presse) obtiennent des résultats similaires chez des enfants de 4ème année.

Feldman, Rueckl et al. (2002) ont également utilisé l’amorçage, mais dans une tâche de

complétion de mots fragmentés. Leurs résultats montrent également que la tâche est mieux réussie par les enfants dans la condition d’amorçage morphologique que dans les conditions orthographique et contrôle.

2.2.2 Le décodage

La décomposition morphologique faciliterait également la lecture des nouveaux mots (Laxon et al., 1992, Marec-Breton, Gombert & Colé, 2005). Les enfants décomposeraient précocement (dès la 1ère année) les pseudomots en unités morphémiques pour les lire. Dans l’étude de Laxon et al. (1992), les enfants devaient lire des pseudomots soit composés d’une racine réelle (par exemple « deeped »), soit d’une pseudo-racine (par exemple « neeted »).

Aussi bien les bons que les moins bons lecteurs lisaient mieux les pseudomots avec racine réelle que les pseudomots avec pseudo-racine. Ces résultats vont dans le sens d’une décomposition morphémique effectuée par les enfants, décomposition qui faciliterait la lecture des nouveaux mots. La facilitation de l’extraction d’informations morphologiques dans la lecture de mots inconnus a aussi été démontrée chez des apprentis lecteurs francophones, et ceci dès la 1P, par Marec-Breton et al. (2005). Les auteurs ont souhaité vérifier si les résultats de Laxon et al. (1992) étaient applicables aux enfants francophones. La moyenne d’âge des enfants était de 7,3 ans (inférieure à celle de Laxon et al. (1992) en raison d’un apprentissage de la lecture plus précoce en français). Les enfants étaient séparés en deux groupes (bons et mauvais lecteurs) et devaient lire des mots et des pseudomots à haute voix.

Les résultats attestent que les enfants effectuent une extraction d’informations morphologique qui leur facilite la lecture de mots inconnus.

Les apprentis-lecteurs italophones effectuent également un traitement morphologique qui leur facilite la lecture de mots nouveaux (Burani, Marcolini et Stella, 2002 ; Burani et al., 2008).

Cette facilitation est profitable aussi bien aux lecteurs jeunes ou dyslexiques qu’aux lecteurs expérimentés ou adultes (Burani et al., 2008). Les résultats à une tâche de lecture à haute voix ont montré que les pseudomots composés d’une base et d’un suffixe dérivationnel étaient nommés plus précisément et rapidement que les pseudomots non composés d’unités morphologiques (Burani, 2002). Les premiers étaient des pseudomots composés d’une racine et d’un suffixe réels (par exemple « donn -», racine de « donna » qui signifie « femme » et

« ista », suffixe réel en italien, le pseudomot résultant étant « donnista »). Les deuxièmes étaient des pseudomots ne comportant pas d’unités morphologiques réelles (par exemple

« denn » qui n’est pas une racine réelle en italien et « osto », qui n’est pas un suffixe réel, ce

qui donne le pseudomot « dennosto »). Une tâche de décision lexicale a montré des résultats similaires, puisque les pseudomots composés d’une base et d’un suffixe dérivationnel étaient désignés plus fréquemment comme étant des mots possibles que les pseudomots qui n’étaient pas composés d’unités morphologiques.

En conclusion, les résultats de ces recherches font l’objet d’un relatif consensus sur le fait que le traitement morphologique représenterait une alternative au traitement phonologique dans la lecture, ce qui n’était pas envisageable quelques années auparavant.

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