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244. Seront examinés ci-après les arguments TDF relatifs à la durée de la procédure (1) et au respect du principe du contradictoire et de l’exercice des droits de la défense (2).

1. SUR LA DURÉE DE LA PROCÉDURE

a) Arguments de TDF

245. TDF soutient que la durée de la procédure a excédé le délai raisonnable prescrit par l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après CEDH). Elle fait valoir que cette durée lui a causé des préjudices importants et a porté une atteinte personnelle, effective et irrémédiable à ses droits de la défense, dans la mesure où les personnels susceptibles d’apporter les explications nécessaires ont quitté l’entreprise avant l’envoi de la notification de griefs et où elle n’a pu présenter les preuves matérielles utiles en raison du démontage d’un nombre important d’actifs avant la désignation de l’expert, intervenue tardivement. Elle ajoute qu’elle est confrontée aux mêmes difficultés pour contester l’existence du ciseau tarifaire.

b) Le droit applicable

246. Aux termes d’une jurisprudence constante, le délai raisonnable prescrit par l’article 6-1 de la CEDH doit s’apprécier au regard de l’ampleur et de la complexité de l’affaire. La sanction qui s’attache à la violation par l’Autorité de l’obligation de se prononcer dans un délai raisonnable n’est pas l’annulation de la procédure, mais la réparation du préjudice résultant éventuellement du délai subi, sous réserve, toutefois, que le délai écoulé durant la phase d’instruction, en ce compris la phase non contradictoire, devant l’Autorité n’ait pas causé à chacune des entreprises, formulant un grief à cet égard, une atteinte personnelle, effective et irrémédiable à son droit de se défendre (voir les arrêts de la Cour de cassation du 23 novembre 2010, Beauté Prestige International, n° 09-72031, de la cour d’appel de Paris du 26 janvier 2012, Beauté Prestige International, n° 2010/23 945, p. 19 et du 11 octobre 2012, Entreprise H. Chevalier Nord, n° 2011/03298, p. 30).

247. En ce qui concerne l’appréciation du caractère raisonnable de la durée de la procédure au regard de l’ampleur et de la complexité de l’affaire en cause, la cour d’appel de Paris a précisé que « nonobstant les exigences de rapidité de la vie des affaires, l’application des règles de fond de droit de la concurrence exige toujours une lourde mise en œuvre des normes de la légalité économique largement indéterminées, nécessitant pour leur application technique l’élaboration de critères précis passant par une appréciation des effets économiques des pratiques contestées et requérant une analyse économique en profondeur des marchés concernés » (arrêt de la cour d’appel de Paris du 26 janvier 2012 précité).

248. Par ailleurs, en ce qui concerne les atteintes alléguées à la possibilité pour les entreprises de se défendre utilement contre les griefs notifiés compte tenu de la durée de la procédure, la cour a précisé que « la réalité d’une telle violation s’apprécie nécessairement à l’aune du devoir général de prudence incombant à chaque opérateur économique qui se doit de veiller à la bonne conservation de ses livres et archives comme de tous éléments permettant de retracer la licéité de ses pratiques en cas d’actions judiciaire ou administrative » (même arrêt).

249. S’agissant plus particulièrement de la question de la conservation des preuves, la Cour de cassation a jugé que les entreprises incriminées par l’Autorité de la concurrence « sont responsables de la déperdition éventuelle des preuves qu’elles entendaient faire valoir tant que la prescription (…) n’était pas acquise » (arrêt de la Cour de cassation du 12 janvier 1999, n° 97-13125). En vertu d’un devoir général de prudence, il incombe en effet aux entreprises mises en cause de conserver toute preuve de nature à établir la licéité de leurs pratiques jusqu’à la fin de la prescription fixée par l’article L. 462-7 du code de commerce, dont le délai a été porté de trois à cinq ans par l’ordonnance du 4 novembre 2004 (arrêts de la cour d’appel de Paris du 26 janvier 2012 précité et du 11 octobre 2012 précités, p. 32).

c) Application au cas d’espèce

250. En l’espèce, TowerCast a déposé une plainte assortie d’une demande de mesures conservatoires au Conseil le 16 février 2007, et complété sa saisine par ses observations du 4 juin 2007. Le Conseil a pris une décision relative à une demande de mesures conservatoires n° 07-MC-05 le 11 juillet 2007. La notification des griefs a été envoyée le 13 novembre 2013.

251. En premier lieu, la durée de la procédure n’apparaît pas excessive au regard des circonstances de l’espèce, eu égard à la complexité et aux caractéristiques techniques du dossier.

252. Les pratiques qui ont fait l’objet de la notification de griefs portent sur deux marchés, distincts et très spécifiques. En effet, le marché de l’appel d’offre du renouvellement de la convention d’occupation du domaine public du site de la Tour Eiffel lancé par la Ville a été créé en raison du choix effectué par celle-ci d’ouvrir à la concurrence un secteur jusque-là occupé par TDF, l’opérateur historique en situation de monopole. C’est pourquoi, une analyse juridique, économique et technique approfondie a été conduite par les services d’instruction. Elle a donné lieu en particulier à la mise en œuvre d’une procédure d’expertise, décidée le 6 décembre 2011 pour évaluer précisément et contradictoirement les actifs que TDF était susceptible de céder. Par ailleurs, sur le marché de gros amont des services de diffusion radiophonique en mode FM depuis le site de la Tour Eiffel, l’évaluation des différentes variables permettant de conclure à l’existence d’une pratique

de ciseau tarifaire a constitué une tâche particulièrement technique et induit de très nombreux calculs économiques pour traiter l’ensemble des données communiquées.

253. En outre, la nature des pratiques reprochées aux griefs 1 et 2, à savoir la fourniture tardive et partielle d’informations indispensables au concurrent pour se positionner sur les marchés concernés, a impliqué une analyse très détaillée de la chronologie et du contenu précis des très nombreux échanges, surtout épistolaires et téléphoniques, entre la Ville, TDF et TowerCast, dans un dossier comportant environ 20 000 cotes.

254. En second lieu et en tout état de cause, TDF ne saurait se prévaloir d’une déperdition de preuves ou du départ des dirigeants opérationnels pouvant témoigner à décharge à la date de la notification de griefs, ni plus généralement d’une atteinte à son droit de se défendre.

255. En effet, compte tenu de la procédure de demande de mesures conservatoires introduite concomitamment à la procédure au fond par la saisine de TowerCast, TDF savait, immédiatement après les résultats de l’appel d’offres, qu’elle aurait besoin de se défendre y compris sur le fond, des allégations de pratiques anticoncurrentielles de TowerCast. Dans le cadre de l’instruction des mesures conservatoires, TDF a reçu plusieurs questionnaires, les 16 mars, 6 avril, 26 juin, 1er juillet et 2 juillet 2007. Elle a également été entendue le 2 avril 2007 sur les différents aspects du dossier par les services d’instruction. Elle ne pouvait donc ignorer qu’elle devait conserver toute preuve de nature à éclairer l’Autorité sur les pratiques dénoncées jusqu’à l’expiration du délai de prescription, et notamment jusqu’à la fin de la procédure ouverte devant le Conseil puis l’Autorité.

256. Il est à noter qu’en ce qui concerne la valorisation de ses actifs, TDF a fait réaliser une expertise privée par M. Z... en février 2008 pour laquelle elle a réuni les informations nécessaires à la valorisation de ses équipements sur le site.

257. En outre, TDF se borne à affirmer que les salariés ayant quitté l’entreprise bien avant la notification de griefs ne sont plus à même d’apporter au dossier des éléments à décharge sans le justifier. À cet égard, plusieurs des personnes énumérées par TDF ont effectivement été entendues dans le cadre de l’instruction. C’est le cas par exemple de M. Gérard A..., Mme Emmanuelle B..., M. René C..., le 2 avril 2007. De même, M. Jacques D... a été entendu le 12 juillet 2011 (cote 3945 VNC, 07/0017F) et a assisté, aux côtés de TDF aux réunions d’expertise, en particulier celle du 16 décembre 2011 (cote 5518, 07/0017F).

258. Sur l’existence d’un ciseau tarifaire, TDF fait état de difficultés pour apporter des éléments à décharge sans étayer cette affirmation. Il est à noter que, pour établir l’existence d’un ciseau tarifaire, la décision se fonde en grande partie, dans une démarche conservatrice, sur les déclarations de TDF elle-même.

259. Au surplus, un contentieux administratif en cours jusqu’en 2012, parallèlement à la procédure instruite devant le Conseil puis l’Autorité, nécessitait également de TDF qu’elle conserve les éléments de preuve dont elle disposait pour faire valoir sa position.

260. Il résulte de tout ce qui précède que la durée de la procédure, qui n’apparaît pas déraisonnable, n’a pas, en tout état de cause, porté aux droits de la défense de TDF une atteinte effective et irrémédiable qui serait seule de nature à justifier une annulation de la procédure.

2. SUR LE RESPECT DU CONTRADICTOIRE ET LEXERCICE DES DROITS DE LA DÉFENSE

a) Observations de TDF

261. TDF soutient que les rapporteurs, en se référant à la durée des pratiques puis à ses effets potentiels, ont retenu, dans l’énoncé des griefs, une durée alternative des infractions l’empêchant d’apprécier, en vue d’exercer ses droits de la défense, la durée des infractions qui lui sont reprochées. Elle ajoute que seuls les effets réels d’une pratique permettent de déterminer la durée d’une infraction.

b) Le droit applicable

262. La jurisprudence définit un grief comme « un ensemble de faits juridiquement qualifiés et imputés à une entreprise » et précise « qu'il faut et il suffit que la formulation des griefs permette d'informer précisément les entreprises poursuivies des pratiques qui leur sont reprochées » (arrêt de la cour d’appel de Paris du 27 janvier 2011, SFR, n° 2010/08945, p. 8).

263. Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que l’appréciation du respect du contradictoire et des droits de la défense, s’agissant de la compréhension des griefs, doit se faire à la lumière non seulement de la lettre des griefs notifiés mais aussi à celle du corps de la notification de griefs dont ils constituent la formulation finale d’accusation (arrêt de la cour d’appel de Paris du 27 décembre 2011, France Travaux, n° 2006/06913, p. 18).

c) Application au cas d’espèce

264. Dans les trois griefs, la notification des griefs précise non seulement la durée de la matérialité de la pratique mais également la durée des effets de celle-ci afin que les droits de la défense de TDF puissent s’exercer de la façon la plus complète possible. Pour les trois griefs, elle précise les dates exactes du début et de la fin des pratiques.

265. Par ailleurs, pour que l’entreprise soit informée de façon précise sur l’étendue de ce qui lui est reproché, la durée des effets potentiels est également précisée dans les griefs : dix ans pour le premier grief, cinq ans pour les deux autres. En effet, le premier grief porte sur le marché de l’appel d’offres pour le renouvellement de la convention d’occupation domaniale, du site de la Tour Eiffel, pour une durée de dix ans. Les deuxième et troisième griefs ont pour conséquence l’impossibilité, pour le concurrent, de présenter une offre de diffusion à destination des éditeurs de radios et la conclusion, par TDF de tous les contrats de diffusion avec les radios dont les autorisations de fréquence étaient à renouveler, d’une durée de cinq ans. Pour ces deux griefs, il est précisé que la décision de mesures conservatoires y a mis un terme. La notification de griefs fournit toutes les explications nécessaires à la compréhension de ces différentes durées.

266. En conséquence, la formulation des griefs notifiés n’a pas porté atteinte aux principes des droits de la défense et du respect du contradictoire.

267. La question relative à la prise en compte des effets réels ou potentiels pour apprécier la durée de pratiques anticoncurrentielles relève de l’appréciation du bien-fondé des griefs et sera traitée aux paragraphes 478 et suivants.