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1. ARGUMENTS DE TDF

268. TDF conteste l’application de l’article 102 du TFUE, dès lors que selon elle, le commerce entre États membres n’est ni affecté de manière sensible ni susceptible de l’être, en raison de la taille limitée des marchés et de la valeur des accords concernés, inférieurs au seuil de minimis de 40 millions d’euros fixé par la Commission européenne.

2. LE DROIT APPLICABLE

269. L’article 102 TFUE dispose qu’« est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci ».

270. La jurisprudence de l’Union comme celle des juridictions internes prévoit, comme le rappelle la communication de la Commission européenne portant lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité (JO 2004, C 101, p. 81 et suivantes), que trois éléments doivent être réunis pour établir que des pratiques sont susceptibles d’affecter sensiblement le commerce entre États membres : l’existence d’échanges entre États membres portant sur les produits ou les services en cause, l’existence de pratiques susceptibles d’affecter ces échanges et le caractère sensible de cette possible affectation.

271. En ce qui concerne le premier critère, les lignes directrices précitées précisent que la notion de commerce « n’est pas limitée aux échanges transfrontaliers traditionnels de produits et services, mais a une portée plus large qui recouvre toute activité économique internationale, y compris l’établissement » (point 19). En outre, « les articles 81 et 82 sont également applicables dans des cas concernant une partie d’un État membre, à condition toutefois que l’affectation du commerce soit sensible(point 21). « L’application du critère de l’affectation du commerce est indépendante de la définition des marchés géographiques en cause, car le commerce entre États membres peut également être affecté dans des cas où le marché en cause est national ou subnational » (point 22).

272. S’agissant du deuxième critère, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt France Télécom du 31 janvier 2012 que les termes « susceptibles d’affecter » énoncés par les articles 101 et 102 TFUE « supposent que l’accord ou la pratique abusive en cause permette, sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de droit ou de fait, d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États membres, sans que soit exigée la constatation d’un effet réalisé sur le commerce intracommunautaire » (Cass. com. 31 janvier 2012, n° 10-25.772, 10.-25.775 et 10-25.882, p. 6).

273. Pour apprécier le critère de l’affectation du commerce entre États membres, il n’est pas a fortiori nécessaire de calculer le volume de commerce intracommunautaire affecté par la pratique (point 27 des lignes directrices).

274. Les lignes directrices précisent que : « L’appréciation au regard du critère de l’affectation du commerce résulte de la réunion de plusieurs facteurs qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants. Les facteurs pertinents sont la nature de l’accord ou de

la pratique, la nature des produits concernés par l’accord ou la pratique, et la position et l’importance des entreprises en cause » (point 28).

275. Pour s’assurer de l’affectation du commerce entre États membres, il peut également y avoir lieu de prendre en considération les conditions concrètes de fonctionnement du marché et les effets réels ou potentiels des pratiques en cause sur la structure de la concurrence dans la Communauté. En effet, comme la Commission l’a indiqué dans ses lignes directrices,

« la notion de commerce englobe aussi les cas où des accords et pratiques affectent la structure de la concurrence sur le marché. Ainsi, les accords et pratiques qui affectent cette structure à l’intérieur de la Communauté en éliminant ou en menaçant d’éliminer un concurrent qui y opère peuvent tomber sous le coup des règles communautaires de concurrence » (point 20). Il en est d’autant plus ainsi lorsque le ou les concurrents sont originaires d’autres États membres, dans la mesure où leur éviction actuelle ou potentielle est susceptible d’aller à l’encontre de la réalisation du marché unique, qui constitue un objectif des règles de concurrence communautaires (voir l’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 10 juin 2009, GlaxosmithKline Services/Commission, point 61).

276. Ainsi, la Cour de justice des Communautés européennes a jugé que le commerce entre États membres peut être affecté par une mesure qui empêche une entreprise de s’établir dans un autre État membre pour y fournir des services sur le marché en cause (voir arrêt du 25 octobre 2001, Ambulanz Glöckner, C-475/99, Rec. p. I-8089, point 49). Dans une décision n° 07-D-08 du 12 mars 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l’approvisionnement et de la distribution du ciment en Corse, le Conseil de la concurrence, approuvé par la Cour d’appel de Paris par un arrêt du 6 mai 2008, a de même, considéré que des pratiques dont l’objet et l’effet étaient d’évincer du marché corse les cimentiers européens, notamment grecs et italiens, au profit des deux cimentiers français, étaient susceptibles d’affecter le courant des échanges intracommunautaires.

277. Concernant le troisième critère, les lignes directrices de la Commission précitées rappellent que : « Si la position dominante couvre une partie d’un État membre qui constitue une partie substantielle du marché commun et si l’abus de cette position rend plus difficile aux concurrents d’autres États membres l’accès au marché sur lequel l’entreprise est dominante, le commerce entre États membres doit normalement être considéré comme susceptible d’être affecté de manière sensible » (point 97). Elles précisent les conditions auxquelles le commerce intracommunautaire pourrait ne pas être susceptible d’être affecté : « (…) il est possible que le commerce ne soit pas susceptible d’être sensiblement affecté si l’abus de position dominante est purement local ou ne concerne qu’une partie négligeable des ventes de l’entreprise dominante » (point 99).

3. APPLICATION AU CAS DESPÈCE

278. Tout d’abord, les pratiques en cause sont mises en œuvre par TDF, opérateur de diffusion actif dans huit pays européens, jouissant d’une position d’opérateur historique dans plusieurs États membres. A travers ses 16 filiales, TDF fournit des services de diffusion de la TNT par exemple en Allemagne, Finlande, Estonie, Hongrie et en Espagne. Elle indique elle-même être leader européen de la diffusion (cote 9383, 07/0017F) et figurer parmi les plus grands opérateurs de diffusion dans le monde (cote 1047, 07/0018M).

279. En France, TDF est l’opérateur historique de la diffusion des services audiovisuels, anciennement détentrice d’un monopole légal. Son réseau d’infrastructures couvre l’intégralité du territoire national.

280. Elle a conservé, sur les marchés de gros amont de l’accès à la Tour Eiffel, qu’il s’agisse du marché de gros amont des services de diffusion de programmes radiophoniques en mode FM ou de celui des programmes de télévision, une part de marché de 100 %. Elle détenait en outre, jusqu’à la nuit d’entrée en vigueur des nouvelles autorisations de diffusion de programmes radiophoniques en mode FM depuis le site de la Tour Eiffel (3-4 septembre 2007), 93 % des parts du marché de gros aval, exprimées en nombre de clients éditeurs.

Depuis le mois de septembre 2007, elle diffuse l’intégralité des fréquences de radios FM autorisées depuis ce site, qui elles-mêmes représentent 68 % de l’ensemble des radios autorisées à Paris par le CSA, soit 100 % des radios de service public et 86 % des radios commerciales à vocation nationale.

281. Ensuite, le site de diffusion de la Tour Eiffel présente des caractéristiques particulières suffisamment fortes pour être considéré, à l’instar de certains ports ou aéroports, comme couvrant une partie d’un État membre qui constitue une partie substantielle du marché commun.

282. L’importance du site de la Tour Eiffel, au niveau tant national qu’européen, a été soulignée par l’ARCEP, dans son avis du 26 avril 2007 : « Le site de la Tour Eiffel est le principal site français de diffusion hertzienne terrestre analogique et numérique en termes de population desservie, avec plus de 10 millions de personnes. Il constitue également l’un des sites les plus importants d’Europe, en termes de bassin de population couvert, de nombre de services de télévision et de radio diffusés et de concentration d’émetteurs de forte puissance. (…) deux tiers des radios parisiennes sont diffusés à partir de la Tour Eiffel », ce qui représente, comme TDF le reconnaît elle-même, près de 20 % de la population française et l’ensemble des centres de décision du pays pour les principaux services audiovisuels. La population couverte par la diffusion du site de la Tour Eiffel est supérieure à celle de 16 pays de l’Union européenne et équivaut approximativement à celle du Portugal ou de la République tchèque.

283. En outre, les pratiques en litige sont susceptibles d’avoir entravé l’entrée et l’expansion des acteurs sur le marché de l’appel d’offres pour le renouvellement de la convention d'occupation domaniale du site de la Tour Eiffel et sur le marché de gros amont des services de diffusion radiophonique en mode FM depuis le site de la Tour Eiffel. Elles sont ainsi de nature à affaiblir, voire à évincer, des concurrents sur les marchés pertinents identifiés et à rendre plus difficile, voire impossible, l’entrée de nouveaux concurrents provenant notamment des autres États membres de l’Union européenne.

284. À cet égard, TDF a elle-même déclaré dans le cadre de l’instruction de la demande de mesures conservatoires, puis le 12 juillet 2011, que l’opérateur espagnol Abertis était susceptible de déposer une offre à la mairie de Paris pour le renouvellement de la convention d'occupation domaniale (cotes 2060, 07/0018M, 3948, 07/0017F). La circonstance que la société espagnole Abertis ne se soit pas portée candidate à l’appel d’offres ne permet pas de considérer que le critère de l’affectation du commerce entre États membres ne serait pas rempli, dès lors que n’est pas exigée la constatation d’un effet réalisé sur le commerce intracommunautaire (arrêt de la Cour de cassation du 31 janvier 2012, Orange Caraïbe précité).

285. Enfin, l’argument tiré de l’absence du dépassement du seuil de 40 millions d’euros fixé dans la Communication de la Commission concernant les accords d'importance mineure qui ne restreignent pas sensiblement le jeu de la concurrence au sens de l'article 81, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne (de minimis) du 22 décembre 2001(2001/C 368/07), ne peut en tout état de cause qu’être écarté comme

inopérant, dès lors que ladite communication ne concerne pas les infractions notifiées sur le fondement de l’article 102 du TFUE.

286. Il résulte de ce qui précède que les pratiques en cause sont susceptibles d’avoir affecté sensiblement le commerce entre États membres au sens de l’article 102 du TFUE. Ces dernières doivent donc être analysées au regard des règles de concurrence tant internes que de l’Union.