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4. Etudier l’explication en classe de français langue seconde

4.4 Procédure analytique

4.4.1 Principes méthodologiques

La recherche s’ancre dans le cadre de l’AC tout en s’inspirant de l’approche dite écologique (Pallotti 2002, aussi appelée holistique, cf. p.ex. van Lier 1988) de l’apprentissage des L2. Ponctuellement, elle s’inspire de travaux ancrés dans d’autres approches, notamment en analyse du discours. Les principes méthodologiques qui sous-tendent la recherche sont les suivants :

- La démarche analytique est strictement empirique. Les analyses portent sur des données authentiques recueillies en contexte non-expérimental. Les données sont recueillies de manière à minimiser autant que possible l’influence des enregistrements sur le déroulement des interactions afin qu’ils soient « écologi-quement valides » (Pallotti 2002 : 166).

- L’objet de l’analyse est l’organisation des interactions telle que les participants la gère pas-à-pas, et non telle qu’ils pensent ré-trospectivement l’avoir gérée : la triangulation des données (uti-lisation d’entretiens rétrospectifs ou de questionnaires) n’est donc pas nécessaire.

- Les analyses portent uniquement sur des phénomènes directe-ment observables dans les données. Dans cette perspective, une affirmation du type ‘je ne comprends pas’ apparaissant dans les données sera traitée comme mise en scène (en anglais display) plutôt que comme indication d’un problème de compréhension, l’observation des données ne permettant pas de déterminer si le problème de compréhension est ‘réel’ ou feint par le locuteur. - Les analyses sont menées dans une perspective émique,

c’est-à-dire qu’elles visent à documenter les orientations locales des participants telles qu’elles sont déployées publiquement dans l’interaction (socially situated cognition, Schegloff 1991). L’identification des séquences d’explication repose sur des re-pères dégagés à partir des orientations des participants.

- Les critères de catégorisation sont explicites et les analyses transparentes, de sorte que le lecteur puisse refaire les analyses lui-même, ce dont dépendent la validité et la fiabilité de la re-cherche5.

- L’analyse détaillée de séquences-clés est complétée par des descriptions quantitatives6 permettant de dégager des tendances

5 L’intégralité des transcriptions ainsi que des tableaux présentant l’intégralité des collections sont annexés dans Fasel Lauzon (2009). Les enregistrements audio et vidéo ne sont pas accessibles au public pour des raisons de confidentialité. 6 Les chercheurs en analyse conversationnelle, bien que prudents face à la

quanti-fication (Schegloff, 1993), n’y sont pas forcément opposés. Ils s’opposent sur-tout aux quantifications a priori (codages précédant l’analyse et basés sur des critères étiques).

générales et d’avoir une vue d’ensemble des collections analy-sées. L’analyse de microphénomènes est mise en relation avec les contextes d’interaction dans lesquels ces microphénomènes apparaissent de manière à identifier des associations entre les ressources mobilisées par les élèves pour expliquer, les catégo-ries d’explication, les contextes dans lesquels les explications prennent place et les cultures de communication en classe.

4.4.2 Etapes des analyses

La méthodologie de l’AC peut se décrire en trois étapes :

1) Analyses exploratoires (unmotivated examination). Pomerantz

et Fehr (1997 ; cf. aussi Schegloff 1996) proposent de commen-cer par sélectionner une séquence, d’en repérer les délimita-tions, puis d’en caractériser les actions (les caractérisations sont provisoires, les analyses pouvant amener à les reconsidérer). Il s’agit ensuite de dégager les méthodes employées par les parti-cipants pour accomplir ces actions en procédant à une analyse séquentielle détaillée (mettant en œuvre la next-turn proof

procedure7). L’analyse doit répondre à la question « why that

now ? [pourquoi ceci maintenant ?] » (Schegloff/Sacks 1973 : 299) ; elle peut commencer par être intuitive, mais l’intuition doit ensuite être confrontée aux données et surtout aux orienta-tions mises en scène par les participants :

Surely you start with an intuition. Then the first question you ask yourself is : What is it in the data that made me think that it was doing such and such ? Now the key phrase in that question is what in the data […]. Then the next question is : Is there any evidence that anybody other than you understands the talk in question in that way ; most importantly, is there any evidence that this is something that is not idiosyncrasic to that speaker ? So now you look

7 « Procédure de preuve par le tour suivant ». Cela signifie qu’en regardant le tour qui suit celui qui est au centre de l’analyse, on a accès à la manière dont ce tour a été interprété par le coparticipant lors du déroulement de l’interaction.

for other instances of that candidate phenomenon. (Schegloff, dans Wong/Olsher 2000 : 118)

[Certainement vous commencez avec une intuition. Ensuite la première ques-tion que vous vous posez est : Qu’est-ce qui dans les données m’a fait penser qu’il s’y passait ceci et cela ? Les mots clés dans cette question sont dans les

données […]. La question suivante est : y a-t-il des preuves que quelqu’un

d’autre que vous comprend le discours en question de la même manière ? Ce qu’il y a de plus important, c’est : y a-t-il des preuves que cela ne soit pas quelque chose d’idiosyncrasique ? Vous devez donc vous mettre à chercher d’autres occurrences du phénomène.]

2) Elaboration d’une collection de phénomènes dans le but de

comparer plusieurs occurrences. La taille de la collection n’est pas importante en soi : il est surtout important que la description du phénomène soit ‘stabilisée’, de sorte que tout nouvel exem-plaire ajouté à la collection s’insère dans la description (ou vienne l’affiner en apportant des détails supplémentaires) sans la remettre en question. Les ‘cas déviants’ permettent de tester la robustesse de la description : si le cas déviant vient remettre en question la description, c’est que celle-ci doit être retravail-lée, voire abandonnée. Les cas déviants qui ne remettent pas en cause la description sont révélateurs de la norme sous-jacente dont ils s’écartent, car les participants traitent eux-mêmes ces cas comme s’écartant de la norme de référence pour le phéno-mène en question. L’analyse procède donc de manière induc-tive, cumulainduc-tive, jusqu’à ‘saturation’, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’il ne soit plus possible de trouver des items qui apportent quelque chose de nouveau à la description.

3) Mise à jour des méthodes sous-jacentes au phénomène étudié,

c’est-à-dire des régularités que les participants produisent et vers lesquelles ils s’orientent de manière systématique et normative. Le but final est de faire émerger un ensemble de ‘règles’8 ou de principes, autrement dit la logique endogène de l’interaction.

8 La notion de règle en AC est utilisée pour désigner des pratiques, des usages vers lesquels les participants s’orientent de manière normative.

Après avoir passé en revue les données et sélectionné l’explication comme phénomène à analyser, une collection de séquences d’explication a été élaborée (cf. chapitre 5 pour une description de la manière dont la collection a été élaborée et une présentation de la col-lection). La totalité des séquences de la collection a fait l’objet d’une analyse détaillée, de manière à dégager des régularités et des

singula-rités. Les séquences ont été décrites sur le plan de leur organisation

séquentielle (chapitre 6) et sur le plan des méthodes mises en œuvre par les élèves pour demander (chapitre 7) et pour donner (chapitre 8) des explications. La dernière étape de la recherche a consisté à décrire les opportunités d’apprentissage pouvant émerger de la participation des élèves aux séquences d’explication (chapitre 9).