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Problématiques

Dans le document La faute de gestion (Page 21-25)

B. Remarques et constatations

2. Problématiques

Comme annoncé, il est temps de tirer des enseignements de l’analyse faite ci-dessus pour tester les postulats initiaux.

a. Identité des notions

Les arrêts traitant spécifiquement de la condition de la faute dans la responsabilité du gérant de fortune sont très rares. Ceci est très certainement dû à deux facteurs décisifs.

126 ATF 124 III 155, consid. 3.

127 Arrêt du TF 4A_140/2011 du 27 juin 2011, consid. 2.1 ; Arrêt du TF 4C.128/2004 du 15 septembre 2014, consid. 2.2.

128 Arrêt du TF 4C.126/2004 du 15 septembre 2004 consid. 2.2 ; ATF 124 III 155, consid. 3a. ; ACJC/60/2008 du 18 janvier 2008, consid. 2.

129 TERCIER/G. FAVRE, N 5126.

130 TERCIER/G. FAVRE, N 5126.

131 ATF 132 III 460, consid. 4.3.

132 ACJC/444/2015 du 24 avril 2015, consid. 3.1.3.

133 Arrêt du TF 4A_168/2008 du 11 juin 2008, consid. 2.5.

134 SCHALLER, N 278 ; GUTZWILLER, 2008, p. 272.

Premièrement, la condition de faute n’est pas analysée, car la plupart du temps, le client se fait débouter avant même que le tribunal ne puisse l’examiner, vu les exigences restrictives de mise en œuvre de la responsabilité du gérant135. De plus, la preuve du dommage est une matière complexe dans laquelle le client devra se faire conseiller sous peine d’échouer dans sa démonstration136.

Deuxièmement, pour les rares cas d’analyse de la condition de la faute, tant le Tribunal fédéral que les cours cantonales se contentent, soit de remarques toutes générales sur la faute comme sa présomption ou son degré, soit de traiter la condition de la faute en juxtaposition de la violation du contrat, sans distinction manifeste137.

Ce rapprochement nous conforte dans le postulat initial d’identité des notions entre la faute et la violation du contrat, à savoir la diligence due. Comme nous l’avons exposé ci-dessus, la diligence attendue par le débiteur se mesure sur la base de critères objectifs138. Or, la notion de faute admise en droit suisse est elle aussi objective139. Partant, comme postulé initialement, les deux notions sont identiques, dès lors qu’elles analysent toutes deux la diligence objectivement due par le débiteur. La difficulté de différenciation est d’ailleurs largement reconnue par la doctrine140 et le Tribunal fédéral n’a jamais admis un manquement à la diligence tout en reconnaissant l’absence de faute141.

Nous l’avons dit, les parties au contrat de gestion peuvent fixer contractuellement le degré de diligence attendu. Sur le plan théorique, cette possibilité permet de fonder une véritable distinction entre la violation du contrat et la faute. La violation du contrat serait constituée de l’absence de la diligence objectivement due. La faute en revanche ne s’apprécierait plus de manière objective, mais de manière subjective, en fonction du degré de diligence convenu. Les deux conditions seraient alors distinctes, car le gérant pourrait violer le contrat sans agir fautivement. Cette possibilité s’inscrit dans le prolongement de la subjectivation de la faute.

b. Présomption de faute

Nous nous étions également posé la question de l’adéquation de la présomption de faute aux obligations de moyens et de la place de la preuve libératoire. L’analyse des arrêts consacrés à

la performance garantie nous a permis d’illustrer le point de vue exprimé dans la phase théorique du travail. La présomption se justifie pour les obligations de résultat mais non de moyens. Il s’agit donc de s’assurer du type d’obligation et non du type de contrat avant d’appliquer le régime de l’article 97 CO.

En outre, nous avions conclu que sur le plan théorique, le débiteur ne peut apporter que la preuve de son incapacité de discernement142. Or l’apport de cette preuve est extrêmement compliqué et il ne rencontre que peu de chances de succès143. Ce postulat est d’ailleurs confirmé, car la production d’une preuve disculpatoire n’a jamais rencontré de succès dans les arrêts analysés. À ce titre, le Tribunal fédéral a d’ailleurs laissé la question ouverte des chances de succès de l’apport de la preuve disculpatoire en lien avec les obligations de moyens144. Nous avions fait la distinction entre preuve disculpatoire et libératoire. Au travers de la jurisprudence analysée, il ressort que sur le plan pratique les preuves libératoires potentiellement admissibles sont notamment : les nouvelles instructions du client et la ratification des opérations. Cette dernière est souvent admise, vu les clauses de banque restante qui permettent, sous réserve de l’abus de droit, d’opposer au client la ratification des opérations suite à une fiction d’acceptation145. Toutefois, comme nous l’avons souligné, la preuve libératoire démontre l’absence du lien de causalité, mais non l’absence de faute.

c. Esquisse de solution

La conclusion inévitable que l’on peut tirer de ces postulats et de l’analyse de la jurisprudence est que le régime de l’article 97 CO ne devrait pas s’appliquer au mandat de gestion de fortune puisque l’objet du contrat consiste en la diligence du gérant et qu’il s’agit dès lors d’une obligation de moyens. Or, l’article 97 CO ne vise que les obligations de résultat.

Sans proposer une solution idéale, nous avons identifié trois alternatives à l’application de l’article 97 CO.

Tout d’abord, dès lors que la violation du contrat comme manquement à la diligence et la faute sont des notions conceptuellement identiques et qu’il appartient au client de démontrer conformément à l’article 8 CC le manquement à la diligence due par le gérant, alors la condition de faute n’a plus sa place dans l’analyse. Tout le régime de responsabilité bascule. En effet, l’effacement de la condition de faute mue le régime de responsabilité contractuelle pour faute

142 Cf. supra II B 1.

143 THÉVENOZ/BRETTON-CHEVALLIER, N 10.84.

144 Arrêt du TF 4C.186/1999 du 18 juillet 2000, consid. 3.

145 Par exemple : ACJC/528/2009 du 24 avril 2009, consid. 3.2 ; GUGGENHEIM/ GUGGENHEIM, N 360.

en responsabilité objective146. En pratique, telle est déjà la situation, puisque la combinaison d’une présomption de faute à l’impossibilité d’apporter une preuve disculpatoire conduit immanquablement à engager la responsabilité du gérant si les autres conditions sont remplies.

GUTZWILLER apporte un point de vue différent en concluant que le régime de responsabilité pour manquement à la diligence (Sorgfaltshaftung) s’apparente au régime de responsabilité délictuelle147. Comme il le souligne, l’application du régime de l’article 41 CO à un contrat paraît contradictoire148. Ce d’autant plus qu’à notre avis, seule la problématique de la présomption est éliminée, puisqu’elle n’existe pas en matière délictuelle. Néanmoins, la distinction entre la violation du contrat comme manquement à la diligence et la faute reste toujours imprécise, de sorte qu’il faudrait redéfinir le concept différemment.

Enfin, une dernière approche pourrait être de créer un nouveau mécanisme de responsabilité sanctionnant les manquements à la diligence lorsqu’elle est objet du contrat.

Quoiqu’il en soit, passer par l’article 97 CO ou par une responsabilité objective conduit au même résultat. C’est pourquoi la doctrine considère à juste titre que la question de l’applicabilité de l’article 97 CO aux obligations de moyens n’a qu’une importance académique149. Le CO 2020 résout d’ailleurs cette problématique par l’abandon de la condition de faute, tout en conservant la possibilité pour le débiteur de se libérer en cas de circonstances non imputables (art. 121 CO 2020)150.

146 CHK OR FURRER/WEY, ad. CO 99 N 6.

147 GUTZWILLER, 2008, p. 241 ; WERRO, 1989, p. 280.

148 GUTZWILLER, 2008, p. 241.

149 CHK OR FURRER/WEY, ad CO 97 N 57.

150 CO 2020 MÜLLER-CHEN, ad. CO 2020 118-134, N 13.

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