• Aucun résultat trouvé

Titre I : Les similitudes observables entre les différents soutiens aux insurrections

Section 1 Les problématiques principales survenant du couplage avec une force

Du point de vue de la morale et de l'éthique, comme de la technicité, de la planification et de l'opérationnalité, des faiblesses ressortent de chacune des applications du phénomène de soutien à l'insurrection. Il est possible de regrouper les problématiques principales qui émergent face au couplage produit entre la force aérienne occidentale et le

groupe insurgé. Cela permettra de rendre plus lisible les difficultés prioritaires pour ainsi faire naître des solutions supplémentaires d'efficacité.

1. L'acceptabilité fragile des interventions de couplage.

Le premier problème qui se pose au regard des différentes applications du phénomène de soutien à l'insurrection concerne l'acceptabilité des interventions au regard du droit international comme des opinions publiques et de la morale. Sans reprendre les faiblesses détaillées de la partie descriptive des opérations, les grands enjeux et inconvénients relevant des interventions où ont eu lieu les couplages seront mis en lumière de manière synthétique.

Les cadres d'intervention, comme vu dans la première partie de notre étude, ont parfois été contestés du fait qu'ils ne respectaient pas les conditions de recours à la force conformes au mécanisme de sécurité collective. Le manque d'autorisations claires et préalables pour de telles actions coercitives fait en effet défaut deux fois sur trois. Ce problème est majeur à notre époque, dans la mesure où il tend à décrédibiliser les actions militaires des grandes puissances occidentales et de l'OTAN. Les interventions menées sont de ce fait contestées, critiquées et mettent à mal les arguments avancés pour les justifier. Cela pourrait même conduire à contrebalancer les grands principes évoqués, menaçant dans une perspective extrême le droit lié à la sécurité collective. La légitimité donnée aux opérations est, elle aussi, l'objet d'une fragilité.

Le questionnement est également applicable à la morale et à l'éthique. Soutenir des groupes rebelles, souvent considérés comme « gênants » en amont de l'opération, pose un problème de conscience et de crédibilité des puissances occidentales. En effet, leur jugement sur certains groupes d'opposition a changé parfois au gré des besoins ressentis, afin de mener à bien l'opération de couplage avec une force rebelle. De ce revirement opportuniste peut émerger l'obsolescence des condamnations morales habituellement prononcées par les puissances occidentales au sein des organisations internationales ou de manière unilatérale. En effet, ce type de revirement, à répétition, peut entraîner une superficialité des condamnations morales occidentales, puisqu'elles deviennent provisoires et évolutives en fonction des circonstances. La qualification du groupe comme un acteur terroriste notamment, au Kosovo avant l'opération, est une illustration probante de ce processus peu fiable et dangereux pour la légitimité apportée aux interventions aux côtés

de groupes insurgés contre un gouvernement.

Une fois la question de l'acceptabilité abordée, un deuxième élément s'érige en obstacle à l'efficacité du couplage. C'est celui de l'interopérabilité.

2. L'interopérabilité limitée entre les deux forces.

Dans le cadre d'une action d'appui feu mise en place entre deux forces distinctes luttant contre un même adversaire, un problème principal né du couplage. Cet enjeu, c'est celui de l’interopérabilité limitée existante entre les deux acteurs. La dualité des forces dans la manœuvre d'appui-feu entraîne une difficulté majeure, dans un contexte de coordination et d'efficacité dans l'emploi de la puissance aérienne.

« L'interopérabilité, […] constitue désormais, sans pour autant s'apparenter à la

standardisation otanienne des années 1950-1960, une des conditions indispensables à la conduite des opérations aériennes, menées en commun par les alliés depuis les 20 dernières années290. »

Si l'interopérabilité semble bien prise en compte entre les alliés occidentaux opérant communément sur de nombreux théâtres, elle n'apparaît pas opérationnelle dans le cas de couplage d'une force régulière avec une force irrégulière. De l'appui délivré par une puissance occidentale à une autre, ou à un allié planifié, aucun obstacle d'envergure n'est à soulever. L'anticipation et les efforts menés pour rendre les forces interopérables permettent ce type d'action duale. Cependant, lorsque la force soutenue par le feu est de nature irrégulière, le schéma est différent.

« Le degré de coordination exigé par une telle intégration des feux est bien entendu compliqué par l’emploi de troupes étrangères 291».

Le manque de coordination dans un cadre irrégulier, du fait de la dualité des forces employées dans le couplage, met à mal l'existence et la réussite d'un appui-feu rapproché.

« Force est en effet de constater que l'appui-feu rapproché depuis la troisième dimension dans un cadre irrégulier pose immédiatement beaucoup plus de questions, suscite beaucoup plus de méfiance et engendre bien davantage de débats que le transport

290 FACON Patrick, op. cit., p95.

ou le renseignement.292 »

A ce titre, on trouve deux types de difficultés principalement rencontrées par la puissance aérienne. Elles sont présentées comme suit par Olivier Zajec : tout d'abord l'obstacle technico-culturel, impliquant les risques de tirs fratricides et la difficulté de coordination persistante. Puis vient l'aspect contextuel, ou l'inadaptation de l'aviation au théâtre de nature irrégulière et de nature compliquée293.

Le couplage n'est alors plus nécessairement anticipé, ce qui oblige une réactivité et une adaptation rapide. Évidemment, ce schéma donne lieu à des erreurs et à des risques294. Il induit des difficultés sur le terrain en termes de communication et d'incompatibilité technique, qui sont néanmoins évitables ou limitables. Ces difficultés sont accrues par la variable de l'imprévisibilité qui s'ajoute.

3. L'imprévisibilité du couplage avec une force irrégulière.

Le couplage avec une force irrégulière vouée à l'insurrection, confronte les forces occidentales à des aléas. Du fait de leur nature distincte, de leur appartenance à deux entités propres, la coopération entre elles se trouve limitée. Les objectifs communs au cours d'une bataille ne donnent pas nécessairement lieu à des buts finaux recherchés identiques ou en tous points concordants. La marge de manœuvre qui existe entre les deux objectifs, l'un tactique, l'autre stratégique, crée parfois des revirements spontanés de la force locale. Cela met à mal le couplage en place et la mission en cours. Le problème sous- jacent est celui de l'imprévisibilité des forces insurgées.

Si le couplage entre deux forces entraîne déjà, à l'origine, un risque similaire, il est accru lorsqu'il s'agit d'une liaison avec une force irrégulière. L'absence de netteté de ses ambitions, son organisation souvent précaire ainsi que ses intérêts propres sont autant de facteurs d'incohérences entre les deux acteurs du couplage. La force irrégulière est parfois peu disciplinée, profitant de l'appui mais pouvant remplir des fonctions en dehors de la 292 ZAJEC Olivier, « L'appui aérien dans le cadre de la guerre irrégulière » in COUTAU-BEGARIE Hervé

(dir), Stratégies irrégulières, Paris, Economica, 2010, pp477-490, p483. 293 Ibid., p483.

294 TENENBAUM Elie, Entre ciel et terre. Le débat air-sol et les défis de l'appui-feu, op. cit., p 27. Voir dans ce sens l'anecdote de la bataille de Bai Beche en Afghanistan, où un manque de coordination se fait sentir entre les hommes locaux et la puissance aérienne américaine, et fait prendre un grand risque aux deux éléments.

coalition improvisée. Ce phénomène est ce que Joseph Henrotin appelle la « discipline

tactico-opérative de la coalition » et qui ne semble pas être si évidente295. La compatibilité des objectifs entre les deux acteurs apparaît délicate, voire clairement limitée. La tendance à privilégier des conflits limités par les puissances occidentales se trouve d'ailleurs malmenée par ce type de situation296, surtout lorsque le couplage avec la force insurgée empêche toute négociation avec la force gouvernementale adverse.

Cette imprévisibilité fait peser un risque important en matière de légitimité pour la puissance intervenante. En effet, la puissance occidentale coopérant avec les insurgés au sol devient dépendante des actes de la force locale. Les opinions publiques étrangères et locales les assimilent du fait qu'elles se soutiennent mutuellement. Elles sont considérées commue luttant contre une cause commune, comme associant leur effort dans une même direction. Ainsi, en cas de revirement comportemental de la force insurgée, la puissance intervenante sera assimilée aux actes commis sur le terrain par les locaux.

« Se pose également la gestion éthique de cette coalition : que les liens entre

coalisés soient importants et que son segment irrégulier commette des exactions et la force « principale » en sera immanquablement accusée. Dans le contexte d'une information aussi libre que manipulable, cette question est importante dans la mesure où elle peut saper la légitimité de l'engagement d'un Etat dans une opération. 297»

Toujours dans cette idée de risques liés à la coordination et au besoin de compatibilité des buts poursuivis face à l'imprévisibilité de la force locale, l'auteur constate que le couplage entre deux forces entraîne souvent l'adoption par la force dite principale, c'est à dire la force occidentale, des rationalités stratégiques de la force insurgée298. Le danger pour la puissance intervenante est alors accru, s'associant à une logique qui n'est pas la sienne (autorisant notamment des pertes ou une longueur dans le conflit, qui peuvent ne pas être comprises et acceptées par les opinions publiques).

L'imprévisibilité du couplage, finalement, car il est parfois peu anticipé voir non- anticipé, se traduit par son apparition tardive et soudaine. La décision de couplage 295 HENROTIN Joseph, « Après la parenthèse Afghane. Les forces terrestres face à la mutation de

l'adversaire », art. cit., p2. En ce sens, il ajoute que « En 2001, les américains ont été surpris de constater

que l'alliance du nord engageait une offensive vers Kaboul sans leur assentiment. De facto, derrière quelque couplage que ce soit se cachent des intérêts propres [...]», p2.

296 Ibid., p2. 297Ibid., p2. 298Ibid., p2.

nécessite alors une grande réactivité et une planification rapide. Le manque d'anticipation devient le problème majeur dans la prise des décisions consécutives, dans la réalisation de l'action ainsi que la mise en place de la coordination entre les forces. Ces problématiques pourraient rapidement être dépassées en adoptant des principes simples.

• Section 2 : Des conditions nécessaires pour une efficacité du