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Titre I : Les similitudes observables entre les différents soutiens aux insurrections

Section 1 Les modifications automatiques du rapport de force en présence

Au-delà d'un premier effet général sur la balance des pouvoirs en place, l'introduction de la puissance aérienne occidentale dans un dispositif de conflit interne entre une force insurgée et un gouvernement va apporter plus spécifiquement ses atouts au service du groupe armé soutenu. Au-delà des modifications du rapport de force qui en résultent, c'est la structure même du conflit qui se trouve bouleversée par l'intervention étrangère. Ces trois éléments doivent donc être pris en compte pour permettre de définir au plus près le phénomène commun au différents cas d'études.

1. Du rééquilibrage du rapport de force consécutif à l'arrivée de la puissance aérienne.

L'intervention occidentale dans un conflit interne produit inévitablement un apport corrélatif au profit de la force soutenue. Ainsi, l'introduction de l'acteur tiers aux côtés de la force locale inverse ou modifie au moins le rapport de force initial, au bénéfice du groupe armé soutenu.

frappes aériennes que ces diverses formes d'aide ont été décisives dans l'inversion du rapport des forces et de la victoire de l'insurrection, qui n'aurait pu se produire sans elles96».

Ce rééquilibrage des forces est un phénomène logique, induit par le fait que la puissance occidentale vienne renforcer un groupe armé irrégulier. En effet, les Occidentaux possèdent des moyens supérieurs à ceux de la force soutenue. On a ici l'idée d'un apport du fort au faible. Cela est d'autant plus vrai que la force régulière combattue, à savoir les forces du gouvernement ennemi, possèdent également des moyens inférieurs à ceux de l'acteur tiers intervenant.

D'ailleurs, au Kosovo, on voit ce phénomène s'exprimer au travers de l'évolution du groupe armé ALK, qui devient une menace militaire réelle pour les Serbes à partir du moment où il obtient le soutien de l'OTAN97, selon Venesson Pascal. A ce titre, on a clairement l'idée d'une inversion des rapports de force pouvant intervenir avec l'arrivée de la puissance aérienne étrangère dans ce type de conflit, et notamment au Kosovo :

« Malgré son impact limité sur Milosevic en 1999, la puissance aérienne peut être

particulièrement efficace en contrebalançant la balance des pouvoirs, laissant un adversaire vulnérable pour un autre adversaire extérieur. 98»

En Afghanistan, grâce à l'utilisation de la puissance aérienne99, les forces occidentales intervenantes obtiennent vite un avantage asymétrique sur les Talibans. Puisque l'acteur tiers soutient l'Alliance du Nord, le groupe armé local va bénéficier de cet avantage asymétrique, rétablissant alors l'équilibre dans le rapport des forces initialement défavorable à ce dernier. Cela peut même, dans une vision maximale, produire une supériorité.

En Libye, on espère que l'aide délivrée par la puissance aérienne occidentale à la force locale « compensera sa faiblesse militaire et lui permettra de reprendre l'initiative

des opérations100». Le processus qui se met en place est donc le même dans ce dernier cas,

96 ANDREANI Gilles et HASSNER Pierre (dir), op.cit., p403. 97 VENESSON Pascal, art. cit., p382.

98 BYMAN David L., WAXMAN Matthew C., art. cit., p31. Citation originelle : « Despite its limited

impact on Milosevic un 1999, air power can be particulary effective in shifting the local balance of forces, leaving an adversary vulnerable to another external adversary. » p 31.

99 Director of Defence Studies, Royal Air Force. Understanding air power: the Royal Air Force’s

contribution to the defence and security of the United Kingdom. Shrivenham: DDefS, RAF, 2010, 28

pages.

favorisant finalement le groupe local à l'origine inférieur.

Ce rééquilibrage du rapport de force est accentué par la capacité classique de l'arme aérienne à augmenter le potentiel d'une force au sol.

2. De l'effet « multiplicateur de force » de la puissance aérienne profitant aux insurgés soutenus.

Par principe, l'emploi de la puissance aérienne permet d'obtenir un effet multiplicateur de force. Effectivement, son utilisation crée un effet multiplicateur d'efficacité au profit de l'effort combiné aéroterrestre101. On note d'ailleurs que l'emploi plus spécifique du Close air support est un facteur important de cet effet :

« Les unités aériennes comme aéromobiles se sont révélées de véritables multiplicateur de force capables de « façonner » (shape) le champ de bataille à l'avantage de ceux qui les possèdent. Le développement du « push CAS » notamment, c'est-à-dire de l'emploi de l'aviation comme véritable traction avant d'un dispositif offensif, dépasse de loin la simple notion d'appui aux forces et en fait un outil dimensionnant pour le succès opératif 102».

Elie Tenenbaum ajoute que le Close Air Support est parvenu à s'imposer comme un véritable multiplicateur de force et une pièce centrale du dispositif opérationnel occidental103.

Alors que le groupe armé local est généralement sous-dimentionné au regard de la mission qu'il envisage, l'aide de la puissance aérienne va transformer ses capacités. La possible infériorité de la force locale au regard de l'ennemi gouvernemental qu'il rencontre, en terme de capacité et d'effectifs, est un point de fragilité initiale. Le soutien de la puissance aérienne peut bouleverser cet ordre établi en jouant son rôle de multiplicateur de force. Ainsi notamment, la puissance aérienne peut offrir un avantage asymétrique à la force locale, au regard des armées combattues.

101PATRY Jean-Jacques, L'ombre déchirée, la puissance aérienne contre la terreur, Paris, L'Harmattan, 2007, 127 pages, p51.

102TENENBAUM Elie, «Les ailes et le canon : les dilemmes opérationnels de l'appui-feu. », art. cit., p2 103TENENBAUM Elie, Entre ciel et terre. Le débat air-sol et les défis de l'appui-feu, op. cit., p32-33.

Par exemple, ce cas de figure est observable en Afghanistan, compte tenu de l'avantage asymétrique possédé par l'OTAN sur les Talibans grâce à la puissance aérienne104. L'intervention auprès de la force locale, alors Alliance du Nord, permet d'offrir au groupe armé cette capacité dont elle ne dispose pas initialement.

En terme plus général, la puissance aérienne pourrait se révéler être un facteur d'augmentation du potentiel de la force locale irrégulière du fait des atouts de l'arme aérienne. Cette supériorité se traduit de différentes manières. Premièrement par une domination stratégique qui permet d'observer et de dominer les activités dans d'autres environnements et de manœuvrer dans trois dimensions. Deuxièmement, par une faculté d’ubiquité consistant à utiliser l'arme aérienne de manière à faire peser une menace simultanée en différents points éloignés les uns des autres. Enfin, cette domination s’exprime à travers la réactivité de l'arme aérienne, dans une perspective temporelle de vitesse et d'allonge105.

A cela s'ajoute l'idée que la puissance aérienne se révèle être un véritable multiplicateur de la menace produite par la force insurgée. La puissance aérienne a, dans ce sens, pour principal effet d'amplifier la menace provenant d'une troisième partie au conflit et plus précisément des insurgés locaux106.

Cet argument corrobore notre idée précédente, puisque c'est certainement grâce à l'augmentation du rapport de force à son profit que le groupe armé soutenu en devient plus menaçant pour l'ennemi. Néanmoins, l'arrivée de l'acteur tiers transforme plus globalement le rapport général de belligérance, c'est ce qui va véritablement bouleverser l'ennemi.

3. De la transformation du conflit en un conflit inter-étatique suite à l'intervention tierce.

Avec l'intervention d'acteurs tiers dans un conflit interne, opposant un acteur insurgé à une partie étatique, on constate le basculement du conflit vers un rapport « inter- 104Understanding Air Power, the royal air force's contribution to the defense and the security in United

Kingdom, p15.

105DIA-3.3, op. cit.

étatique ». Effectivement, lorsque l'intervention d'un Etat tiers dans une guerre interne se fait contre le gouvernement du pays où a lieu le conflit, la situation devient ainsi celle d'un Etat, d'un gouvernement luttant contre un autre. La puissance occidentale, en soutien de la force insurgée, se retrouve confrontée à la partie étatique locale, mettant en scène ainsi deux Etats l'un contre l'autre.

C'est d'ailleurs l'argumentation juridique utilisée par les partisans d'une application du droit des conflits armés internationaux aux cas d'interventions étrangères en soutien de forces insurgées luttant contre un gouvernement107. Lorsque l'intervention étrangère vient soutenir le gouvernement dans le besoin, l'application juridique doit être celle du droit des Conflits armés non internationaux. A défaut, conjointement au rapport de force qui s'exerce alors, le droit des Conflits Armés Internationaux s'applique. S'en suit alors un combat entre deux principales parties titulaires du droit de la guerre108.

Au-delà des conséquences juridiques, cet état de fait bouleverse le rapport stratégique entre les parties. On se replace en effet alors dans un contexte traditionnel de combat, avec un affrontement « classique » entre deux Etats. Évidemment ce constat général de conventionnalité apparente est soumis à des modérations. En effet, le caractère souvent irrégulier des gouvernements combattus et de leur mode de combat ou logique de guerre asymétrique, enlève au conflit nouvellement inter-étatique son rapport de symétrie normalement possédé109 en termes de structures, de moyens et d'objectifs. Ce constat d'inter-étatisation sera décisif pour la force étatique combattue du pays, qui ne luttera désormais plus seulement contre une force insurgée isolée, mais contre un Etat étranger, le rapport de force étatique dominant celui toujours existant de la force locale, inférieure. La question des avantages retirés par le processus de soutien à l'insurrection doit alors être considérée pour comprendre au mieux cet état de fait.