• Aucun résultat trouvé

Une problématique autour de l’accompagnement et de l’étayage en VAE

Chapitre 3 - Problématique et hypothèses : développer la pensée, le langage,

3.4. Une problématique autour de l’accompagnement et de l’étayage en VAE

Pour compléter ce cadre d’analyse d’une compréhension du développement des adultes engagés dans un parcours VAE, il convient de s’appuyer aussi sur la troisième constellation « Accompagnement-Étayage-Collaboration». En effet, il faut considérer que le développement de chaque candidate dépend nécessairement, et en premier lieu, de sa propre activité et de son engagement dans le dispositif VAE, des moyens personnels développés au fil du temps et de l’expérience, notamment les ressources conceptuelles et pragmatiques développées à partir des situations qu’elle a été amenée à rencontrer. Son développement dépend ainsi de la qualité des médiations dont elle bénéficie et de l’aide qu’elle reçoit de son environnement : l’intérêt ici est d’examiner comment ces fonctions de tutelle se spécifient et s’expriment dans le cadre de cet accompagnement spécifique à la VAE CAP Petite Enfance.

A partir de l’ancrage théorique développé dans cette troisième constellation, comment se pose alors, spécifiquement pour nous, chercheure et praticienne, la question des enjeux, des modalités et des pratiques d’accompagnement à la professionnalisation par l’écriture sur leur

112

expérience des candidates à la VAE CAP Petite Enfance ? Quelles sont les conditions et les médiations qui permettent le développement de ces adultes en VAE ? Comment l’accompagnement peut-il favoriser, lors des différentes productions langagières, la réélaboration par les candidates de leur expérience et un retour réflexif ? Quelles situations de passage et quel étayage en ZDP est-il souhaitable de proposer, qui puissent leur permettre d’ancrer les concepts scientifiques issus du référentiel au cœur des concepts quotidiens issus de leur expérience, et d’utiliser plus tard ces mêmes concepts scientifiques pour faire évoluer leurs concepts quotidiens par leur formalisation et leur théorisation dans le livret II ?

L’étayage en VAE concerne le guidage et l’orientation, à la fois d’une action présente et d’une action future, mais aussi des décisions à prendre, et donc, des voies à explorer par rapport à des problèmes, ou des écarts par rapport aux attentes. Ces conditions ne sont évidemment que très rarement réunies, notamment dans des situations sociales n’ayant pas de visées de formation formelle. Dans cette perspective c’est la médiation d’autrui, mais aussi celle des objets du cadre social et institutionnel avec ses normes et ses règles, et les outils-instruments mis en place dans l’accompagnement qui peuvent avoir un effet formateur.

Comment étudier le développement des adultes (ces candidates) sans prendre en compte en effet les médiations constituées par une situation sociale emblématique (le dispositif VAE) qui regroupe un grand nombre de caractéristiques ? Comment étudier ces caractéristiques telles que la médiation d’autrui (en particulier l’étayage effectué), telles que la présence d’un système de contraintes et de ressources, la présence d’un référentiel validé et reconnu, la micro-culture sociale conçue par l’institution pour amener des individus à réaliser une activité nouvelle pour eux à partir de leur expérience ?

3.4.1. Un accompagnement en ZDP dans le dispositif VAE ?

Nous avons vu précédemment, dans l’introduction que l’accompagnement est présenté institutionnellement comme un appui méthodologique. Or l’un des buts de cette recherche est de montrer en quoi l’accompagnement en VAE peut être davantage un dispositif de tutelle et d’étayage (Bruner, 2002) en zone de développement potentiel (ZDP) (Vygotski, 1997) qu’un simple appui méthodologique. En effet, en instituant la fonction d’accompagnement, le législateur a institué un cadre social dans lequel il est déjà accepté voire encouragé qu’une personne puisse faire avec une aide, quelque chose qu’elle ne pourrait au départ faire seule, et ainsi progresser dans la préparation du livret II de VAE.

Comment comprendre la nature de cette accompagnement sous l’angle de la ZDP en faisant l’hypothèse que l’aide proposée n’est pas simplement une aide qui ferait produire systématiquement du développement ? En quoi l’aide peut être aussi entendue aussi dans ses dimensions historico-culturelles où les formes culturelles, le langage et l’interaction avec d’autres contribuent au développement de l’expérience et de passer d’une expérience vécue à une nouvelle expérience à vivre et d’un chemin parcouru à une nouvelle trajectoire?

Quels sont les modalités et processus d’accompagnement qui permettent aux candidates d’acquérir la ou les méthodes pour décrire et analyser leurs expériences dans la rédaction de leur livret II dans les termes attendus par le jury ? En effet, quelle que soit la durée de l’accompagnement (dans les cas que j’ai analysés, la durée moyenne de l’accompagnement en

113

face à face est de 22 heures), les candidates devront aussi travailler seules : alors comment se poursuit cet accompagnement en ZDP, à distance, hors du face à face ?

3.4.2.Quant aux situations d’accompagnement

Dans la VAE, les questions de diversité, de variabilité et d’extensivité des situations tirées de l’expérience sont à la fois objet d’analyse et organisateur de l’activité des différents acteurs. En effet, tous les acteurs impliqués dans le processus VAE doivent faire face à la série de questions suivantes :

- Comment rendre compte des situations rencontrées par les candidates dans la conduite de leurs activités, les identifier, les analyser ou les évaluer ?

- Comment choisir d’intégrer au dossier VAE une situation plutôt qu’une autre ?

- Comment construire une situation plutôt qu’une autre pour agir avec chaque candidate ? En fonction de quels critères ? Ces situations partagent-elles des traits communs ? Si oui, est-il possible de les organiser, de les regrouper, de montrer les continuités ?

- Comment rendre compte, analyser, évaluer le niveau et le contenu des raisonnements réalisés lors de leur mise en œuvre?

L’étude d’une part, de l’activité en VAE avec l’aide d’autrui comme activité de tutelle ou d’étayage et d’autre part, du développement des adultes par l’écriture sur leur pratique professionnelle, me semble très féconde pour la recherche en formation d’adultes, par l’élargissement du cadre conceptuel de la didactique professionnelle. Elle questionne le rôle de ces situations d’accompagnement, susceptibles de générer du développement, que je nommerai dès lors situations médiatisantes mises en place par l’accompagnatrice, et le rôle d’autrui, et des productions langagières dans ce développement.

- Quelles en sont alors les modalités d’étayage ? Autrement dit, comment mettre en correspondance accompagnement des adultes à l’élaboration de leur expérience par l’écriture, situations de médiation et développement ? Quelles sont les activités des différents protagonistes pour agir avec ces situations médiatisantes ? Quels sont les apprentissages effectivement induits par le dispositif dans ces différentes étapes, notamment lors des séances d’accompagnement ? Quelle est la nature du développement effectué et comment le caractériser ? Comment démontrer également que cette liaison intime entre description et analyse de l’activité et apprentissage conceptuel est bien prise en compte dans le cadre de la didactisation, par l’accompagnatrice, du contexte et des ressources dans des situations médiatisantes ?

- En effet la conception par l’accompagnatrice de situations médiatisantes avec des outils pour l’action (référentiel de validation, écrits au format du livret II, etc.) transformés en

outils-instruments (carnet de bord, enquête, métaphores, auto-évaluation et lettres de motivation…), permet-il d’une part le développement des pratiques langagières orales et écrites des candidates et d’autre part une transformation de leur rapport au savoir ?

114

3.4.3. Quant aux outils-instruments de la médiatisation

La médiation est au cœur des situations médiatisantes, et pour chaque candidate, avec les aides apportées pour agir. Ces situations médiatisantes se construisent en fonction des outils et des instruments mis en place par l’accompagnatrice. Je propose de nommer outils-instruments ces entités fondamentalement mixtes constituées, d’une part, du côté de l’objet, d’un artefact, voire d’un ensemble d’artefacts matériels ou symboliques (ici les différentes ressources mises à disposition des candidates à la VAE par l’institution ou l’accompagnatrice en vue de leur faciliter l’écriture du livret II), et d’autre part, du côté du sujet, d’organisateurs de l’activité pour s’approprier ces artéfacts et agir.

L’outil-instrument n’est donc pas uniquement une partie externe au sujet, un donné disponible pour être associé à l’action ; son mode d’appropriation par chaque candidate (ce que Vygotski nomme processus psychologique) est organisateur d’actes instrumentaux spécifiques, dont je reparlerai dans ma parie méthodologique en tant qu’activités psycho-langagières.

A partir des liens existant entre le développement humain individuel et les instruments de la culture dans laquelle il intervient (dont il a été question dans le cadre conceptuel), dans quelle mesure l’accompagnement à l’écriture du livret II peut-il favoriser une médiatisation par les candidates à la VAE CAP Petite Enfance d’outils-instrumentschoisis en ZDP ?

Nous avons vu que la validation des acquis de l’expérience, par les candidates à la VAE CAP Petite Enfance, constitue une activité dont le but est d’abord l’obtention du diplôme, et que ces dernières doivent suivre un parcours jalonné de plusieurs étapes qui ont été décrites précédemment et marqué par l’intervention de plusieurs catégories d’acteurs. Le livret II fait partie d’un système d’instruments du dispositif VAE, que l’accompagnatrice doit réélaborer pour que les candidates puissent se les approprier, car elles sont amenées à produire un écrit à fonction argumentative, dont l’objectif est de répondre aux attentes supposées du jury. Elles doivent en effet trouver les moyens de convaincre les membres dudit jury, qu’à partir de leur expérience passée, leurs compétences, leurs connaissances, leurs aptitudes sont celles attendues et correspondent au référentiel du diplôme. Mais, la plupart du temps, les candidates n’ont encore jamais réalisé la tâche d’élaboration de leur expérience pour une VAE.

Elles doivent donc apprendre à réaliser cette nouvelle tâche par l’utilisation d’outils-instruments psychologiques susceptibles de transformer leurs processus psychiques ; apprendre à développer leur expérience passée ; apprendre à la formaliser par écrit ; et enfin à réussir leur entretien oral, car toute l’activité des candidates VAE est adressée au jury et ne concerne pas seulement l’écriture du livret II.

En effet, les candidates auront à mobiliser leur expérience pour convaincre le jury. Pour y parvenir, elles doivent élaborer cette expérience selon des formes culturellement attendues et en rapport avec le référentiel du diplôme, sans pour autant se perdre dans un auto-formatage et une dépersonnalisation. Il s’est donc agi aussi, dans cette recherche, de questionner cette construction d’outils-instruments par l’accompagnatrice en tant que didactisation de l’accompagnement à l’écrit en VAE.

115

3.4.3.1. Une visée heuristique ?

Pour approfondir le point 3.1.4, il faut nous demander : comment la conceptualisation de l’enquête, marquée par l’action et l’interaction sociale (apports de Dewey), permet-elle d’une part, de mieux comprendre ce travail d’élaboration de leur expérience par les candidates dans le dispositif VAE et sa mise en œuvre par l'accompagnatrice, comme continuité entre leur expérience et les questions pertinentes qu’elles doivent se poser ; et d’autre part de faire se rencontrer en quelque sorte l’enquête de la vie courante et l’enquête scientifique ?

En quoi la réorganisation de l’expérience par sa formulation, sa théorisation et sa généralisation induit-elle une véritable démarche heuristique chez les candidates à la VAE Petite Enfance ? La prise en compte de l’expérience de chaque candidate, dans une approche formative à orientation clinique transforme-t-elle son rapport au savoir et au monde et est-elle une source et une ressource pour son développement individuel et professionnel ?

Comment enfin, la question des modalités d’étayage est-elle prise en compte par l’accompagnatrice comme une sorte de trame d’intervention ou pour utiliser une formule à la Vergnaud « de modèles opératifs » ou à la Pastré de « structure conceptuelle « de la situation sur lesquels elle s’appuie pour questionner les candidates ?

3.4.3.2. Interactions langagières, communauté discursive et communauté de recherche collaborative ?

Mais dans quelle mesure les productions langagières sont-elles aussi des instruments de régulation de l’activité collective et réflexive ? En quoi influencent-elles grandement la coopération, les processus inter et intra psychiques, l’affect, les comportements, les représentations, l’élaboration de l’expérience, la conceptualisation et la pensée de chacune dans les séances d’accompagnement ? En effet cette médiatisation de «signes culturels» proposés aux candidates soulève aussi la question du rôle joué par le collectif et «l’inter psychique sur l’intrapsychique» (Vygotski,), sur les règles du métier, les savoir-faire, les obligations professionnelles. Précisément, quelles situations médiatisantes et étayage installer qui puissent induire un accompagnement de chacune par le collectif, créer une communauté discursive (Bernié, 2002) sur les différentes façons de faire le même métier tout en respectant l’expérience singulière propre à chacune et susciter au travers des possibilités de controverses professionnelles des processus de comparaison-confrontation et de mise en lien (internalisation-externalisation, Vygotski,..) ? Dans ces conditions, comment le collectif issu de la situation d’accompagnement peut-il devenir une ressource et une dynamique, en quelque sorte une communauté de recherche (Lipman, 1995) et permettre à l’expérience de s’élaborer, à la pensée d’advenir, au dialogue interne pour soi de surgir et aux candidates de mieux entrer dans un processus de développement ? En quoi l’accompagnement en VAE suppose la collaboration des différents acteurs dont les uns sont placés en position d’accompagnatrice ou d’accompagnantes et les autres d’accompagnées ?

Comment les interactions dans le contexte de l’accompagnement encadrent-elles les actions des candidates et rendent possible la transformation de leur niveau actuel en relation avec leur niveau potentiel par la pratique collaborative ou la communauté de recherche collaborative ?

116

3.4.5. Entre écriture réflexive et communauté de recherche collaborative ?

Lors des séances d’accompagnement le langage est adressé, il demande une réponse langagière, orale ou écrite qui contraint à dire l’activité, à la réélaborer pour un autre et dans un autre langage que la sémantique de l’action. Chaque candidate se trouve alors en situation de produire un discours sur ses activités (actuelle et passée) dans une situation de forte réflexivité. En outre dans le cadre de la VAE CAP Petite Enfance, la construction du sens attribué à l’expérience personnelle est fortement sollicitée et marquée, du fait qu’elle se constitue au domicile des candidates. Dans quelle mesure, alors, l’accompagnement en VAE serait-il une aide à la conceptualisation par le fait qu’il favorise des interactions verbales et la réflexivité qui consistent bien à analyser les signifiants permettant de définir, d’identifier un concept et ses propriétés ?

Les représentations individuelles sont travaillées et réorganisées, ce qui est précisément le cas quand les candidates en VAE s’emparent des mots des unes et des autres et des concepts du référentiel. L’importance de l’activité d’élaboration de leur livret II est bien d’abord la détermination des problèmes communs, des gestes professionnels différents même si les buts sont identiques ; il est aussi constitué de l’identification et de l’analyse des règles du métier par le collectif de travail que constituent les candidates dans les activités à décrire, plus que la seule résolution du problème d’écriture du livret II.

Mais il est évident que la simple présence d’autrui et de ressources pour l’activité n’est pas suffisante pour que les interventions d’autrui soient considérées comme ayant une fonction d’étayage : elles peuvent produire des effets très différents selon le contexte de l’interaction, leur but, leur contenu, leur forme et leur objet de référence. Comment alors construire un accompagnement collaboratif efficace dont on puisse identifier des formes spécifiques ? Comment amener également chaque candidate, par la mise en place d’une éthique communicationnelle, à être partie prenante de cet accompagnement en déployant elle-même des activités d’étayage et d’évaluation du développement de son processus de pensée, et du rôle des situations et des autres dans ce développement ?

Pour que la VAE soit réellement une opportunité de reconnaissance et de développement individuelle et sociale, quelle éthique proposer dans l’accompagnement pour que soient respectés à la fois les savoirs de l’expérience de chacune des candidates, espace privé et intime et à la fois leur confrontation aux savoirs du référentiel et leur capacité à s’auto évaluer ? Quels outils-instruments et quelles situations médiatisantes fournir aux candidates qui leur permettent de s’auto évaluer et de se co-évaluer tout en leur demandant et leur garantissant une posture éthique impliquant une reconnaissance réciproque et un travail en réel partenariat ?