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CHAPITRE 5 – DISCUSSION

5.4 La problématique de l’accès à la PrEP

L’accès sera sans doute un enjeu central lors de l’implantation de la PrEP. Plusieurs aspects en lien avec l’accès aux soins et services de santé pour les HARSAH ont été mentionnés par les participants. Les soins et services de santé en lien avec le VIH, soit le dépistage, le traitement et le suivi, sont offerts gratuitement pour tous en Côte d’Ivoire. Ces services sont disponibles dans les milieux de soins publics comme les hôpitaux et les dispensaires, mais aussi au sein de certaines ONG. Il semble que la plupart des HARSAH préfèrent fréquenter les ONG qui offrent des soins adaptés aux populations marginalisées plutôt que les services publics puisqu’ils s’y sentent davantage à l’aise. Les HARSAH qui fréquentent les milieux de soins publics y cachent souvent leur orientation sexuelle, limitant ainsi les opportunités de counseling et de dépistage adaptés. Bien que les services publics soient théoriquement offerts équitablement à tous, sans égards aux pratiques sexuelles, il semble que certains HARSAH y aient déjà vécu de la stigmatisation de la part des professionnels de la santé. Ces expériences négatives poussent ces hommes, ainsi que leur réseau d’HARSAH auquel ils se confient, à ne pas utiliser les services publics par crainte de stigmatisation ou d’exclusion. Cette faible utilisation des services de santé publics par les HARSAH a également été décrite dans d’autres études menées en Afrique subsaharienne, notamment en Afrique du Sud (Duby, Nkosi, Scheibe, Brown, & Bekker, 2018), en Zambie (Pilgrim et al., 2019), au Zimbabwe (Hunt, Bristowe, Chidyamatare, & Harding, 2017) et au Ghana (Kushwaha et al., 2017). Également, l’importance de se sentir à l’aise dans le contexte des soins de santé a été relevée dans d’autres études portant sur la PrEP. Dans une revue des études

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qui rapportaient les barrières et facilitateurs à l’utilisation de la PrEP, la confiance en son professionnel de la santé était un facilitateur important et le sentiment d’être jugé par celui-ci était une barrière (Hannaford et al., 2018). Le manque de confiance envers le système de santé et les professionnels de santé était un élément central d’une étude qualitative menée auprès d’HARSAH aux États-Unis sur les barrières à l’utilisation de la PrEP (Peterson, Nowotny, Dauria, Arnold, & Brinkley-Rubinstein, 2019). Plusieurs HARSAH préfèrent donc fréquenter les différentes ONG qui offrent des soins et des services de dépistage du VIH. Les hommes qui fréquentent ces endroits rapportent s’y sentir à l’aise et acceptés. Ces endroits deviennent en quelque sorte un havre pour eux. Ils y passent beaucoup de temps et n’y viennent pas que lorsqu’ils ont des besoins de santé. Toutefois, tous les HARSAH de Bouaké ne fréquentent pas ces ONG. Il semble que plusieurs HARSAH n’y vont pas par peur d’y être vus et d’être étiquetés comme homosexuels. Ces hommes qui vivent leur homosexualité de façon complètement cachée risquent fortement de ne pas être rejoints par les programmes de PrEP si ces programmes sont déployés seulement dans les ONG qui offrent des soins et services de dépistage du VIH.

Les discussions avec les informateurs-clés ont permis de soulever le fait que les ONG qui offrent des services adaptés à la population d’HARSAH ne sont pas présentes dans tout le pays. Ces ONG sont situées presque exclusivement dans les centres urbains, en grand nombre à Abidjan (principale ville du pays) et en plus petit nombre dans les autres villes comme Bouaké. Quelques-unes de ces ONG offrent certains services dans les villages à proximité, mais l’offre de soins adaptés aux HARSAH y est minimale et ne couvre que quelques villages qui ne sont pas trop éloignés. Pourtant, 50 % de la population ivoirienne vivait en zone rurale en 2017 selon les estimations de la Banque Mondiale (World Bank Group, 2017). Toutefois, il est observé à plusieurs endroits dans le monde une migration des HARSAH des milieux ruraux vers les milieux urbains (Grey et al., 2016; Mi et al., 2016). Bien qu’aucune donnée sur ce type de migrations et sur la proportion d’HARSAH dans les milieux ruraux en Côte d’Ivoire ne soit disponible, il est probable que davantage d’HARSAH résident en milieu urbain. Malgré cela, un certain nombre d’HARSAH vivant en milieu rural n’ont actuellement pas accès à des services de prévention et de traitement du VIH adaptés à leurs réalités. Lorsque la PrEP sera disponible, ces derniers ne pourront s’en procurer via les ONG adaptés à cette population. Leur accès à cette méthode est donc compromis. Les services offerts par les ONG pourraient donc être étendus en dehors des villes pour rejoindre les HARSAH résidant dans les villages.

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Le coût du médicament est un autre enjeu important qui aura un impact sur l’accès à la PrEP pour les HARSAH. La plupart des participants considéraient que la PrEP devrait être offerte gratuitement, sans quoi plusieurs ne pourront pas s’en procurer, et ce, même si le prix est très faible. Le coût est une barrière à l’utilisation de la PrEP qui revient fréquemment dans la littérature (Bauermeister, Meanley, Pingel, Soler, & Harper, 2013; Eisingerich et al., 2012; Galea et al., 2011; Hannaford et al., 2018; Koechlin et al., 2017; Yi et al., 2017). Afin de permettre un accès équitable à la PrEP, il semble que la gratuité soit en effet l’option la plus logique. Si la PrEP devait être payante, cela pourrait creuser les écarts entre les différentes strates sociales et prédisposer davantage les HARSAH de faible statut socio-économique à contracter le VIH. La réduction des inégalités sociales de santé étant un objectif important dans le domaine de la santé publique, cette situation serait alors regrettable.

Finalement, l’approvisionnement en médicament pourrait également être un enjeu. Il semble que la Côte d’Ivoire a fait face par le passé à des problèmes d’approvisionnement en ARV. Les informateurs- clés ont donc soulevé la possibilité que cela survienne avec la PrEP également. Une situation de rupture d’approvisionnement engendrerait évidemment un problème d’accès temporaire à la PrEP, mais possiblement aussi un désintérêt de la part des HARSAH envers cette méthode. Il serait donc important de mettre en place un système de distribution efficace pour assurer un accès constant à la PrEP et maintenir l’intérêt des HARSAH.