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Chapitre Le léninisme et le marxisme : l’État, le parti, les soviets

Chapitre 1 Les problèmes politiques et théoriques

Poser la question de savoir quelle est l’interprétation de la Révolution d’Octobre chez Castoriadis, Lefort et Sartre et en quoi précisément ils se rapprochent ou s’éloignent des témoignages historiques, c’est aussi s’interroger sur les fondements philosophiques et politiques de leurs démarches interprétatives. La spécificité des approches de Castoriadis, de Sartre et de Lefort consisterait sans doute en ce qu’ils se proposent de révéler la signification philosophique de la Révolution russe pour l’histoire universelle de la lutte ouvrière et pour le monde moderne, le monde où vivent des êtres pensants et agissants. Cette signification est à la fois très positive et très négative, comme on le voit dans le discours de Castoriadis :

«On n’a pas fini de parler de la Révolution russe, - affirmait-il, - de ses problèmes, de sa dégénérescence, du régime qu’elle a finalement produit [...] « En elle se combinent de toutes les révoltes de la classe ouvrière, la seule victorieuse, et de tous les échecs, le plus profond et le plus révélateur. […] la Révolution russe nous oblige à réfléchir non seulement sur les conditions d’une victoire du prolétariat, mais aussi sur le contenu et le sort possible de cette victoire. » ...« Elle nous oblige à réfléchir sur la nature du pouvoir des travailleurs et sur ce que nous entendons par le socialisme »... « Le régime qu’elle a produit est devenu la pierre de touche de toutes les idées en cours, du marxisme classique sans doute, mais des idéologies bourgeoises tout autant […] Le monde où nous vivons, où nous réfléchissons, où nous agissons a été mis sur ses rails en Octobre 1917 par les ouvriers et les bolchéviks de Petrograd». 262

Remarquons que les critiques faites par Rosa Luxemburg et Boris Souvarine font preuve d’une attitude plutôt favorable de la gauche européenne à la Révolution d’Octobre, surtout puisque ces auteurs croient que cela sera le début de la révolution mondiale. La figure de Lénine et d’autres leaders bolcheviques ne portent pas chez ces auteurs de traits caricaturaux, ils ne sont pas présentés comme des prédécesseurs d’un autoritarisme terroriste, comme l’ont souvent fait les historiens.

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Castoriadis, Le rôle de l’idéologie bolchévique dans la naissance de al bureaucrtie, in L’Expérience du mouvement ouvrier, 1974, SouB, N..., p. 39

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La seule chose qu’on peut reprocher à Lénine au début de la Révolution, comme le montre Rosa Luxemburg, c’est d’avoir raté son projet de construction d’une démocratie appuyée sur les soviets. Il semble qu’il ait aboli la Constituante pour le faire, mais la révolte de Cronstadt a démontré l’impuissance de son projet. Comme l’écrit H. Arendt, le Parti a tué les soviets.

Les décisons anti-démocratiques prises par Lénine s’expliquent également par le contexte historique, mais aussi par la méfiance à l’égard de la démocratie à l’Ouest. Les prises d’ôtages et la terreur rouge sont autant des erreurs des bolcheviques que des événements ayant contribué à leurs malheurs. Il ne faut pas oublier qu’à l’Ouest la critique de la démocratie était très répandue. La logique des événements qui, en Russie, ont amené à la « bolchevisation » des partis communistes européens a été bien montrée par Souvarine. Souvarine défend sur une position ferme l’idée de la révolution prolétarienne mondiale. Il critique le bolchevisme qui s’est isolé en Russie et qui a surtout complètement identifié le marxisme avec ses programmes. C’étaient les raisons pour lesquelles Souvarine défendait les positions révolutionnaires de Trotski et critiquait les débuts de la dérive staliniste.

Maintenant, essayons de résumer quelques problèmes politiques qui sont à notre avis prépondérants pour l’époque postérieure à la Révolution, jusqu’à la mort de Lénine :

1) Le dévoiement des promesses de la Révolution

Il est évident que les bolcheviques n’ont pas su tenir leurs promesses quant à la révolution prolétarienne mondiale, ni quant à la construction du socialisme en Russie, qui a été remplacé par le capitalisme d’État.

2) Le Parti a tué les Soviets

Comme on l’a vu, les bolcheviques proclamaient leur but de transmettre le pouvoir aux Soviets, mais finalement les soviets ne sont devenus qu’un organe formel voire fictif, soumis au Parti. Le Parti communiste devint une caste de cadres d’administration, déracinée des masses.

3) La bureaucratie

Selon les uns, les bureaucrates remplacèrent les révolutionnaires, mais d’autres, comme Lefort le montre en parlant de Trotski, considèrent que ce sont les révolutionnaires eux-mêmes qui sont devenus des bureaucrates. L’avant-garde du Parti se transforme en Appareil d’État.

Ces problèmes politiques sont liés aux difficultés théoriques du marxisme en Russie. En effet, comme on l’a vu, les bolcheviques se considéraient comme des marxistes et, après d’avoir

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fait la Révolution, ils se sont posé la question de la théorie marxiste et de la construction d’une nouvelle société. On sait qu’à part Lénine et Boukharine, il n’y avait pas parmi eux de théoriciens brillants. Par contre, les leaders bolcheviques, comme le soulignaient souvent Lénine et Trotski, n’étaient concernés par la création de théories de longue durée, mais étaient attachés aux solutions politiques concrètes.

Selon l’esprit de l’époque, il aurait fallu réfléchir aux lois de l’Histoire, montrer scientifiquement la nécessité historique de la Révolution. A la place de cela, Lénine et Trotski ont préféré agir et surmonter les contraintes extérieures, jour après jour. Il n’est pas fortuit qu’au début des années 1920, la philosophie était oubliée, et il y avait même un célèbre adage : « la philosophie « par dessus-bord ». C’est seulement à partir de la deuxième moitié des années 1920 que les soviétiques commencent à se trouver une place dans l’histoire de la philosophie matérialiste, et il y eut, par exemple, des congrès spéciaux d’intellectuels soviétiques consacrés à Spinoza.

Les problèmes théoriques que nous formulons ici ne sont pas spécialement ceux des bolcheviques, mais ceux qui, à notre avis, peuvent nous éclairer sur la situation que décrivent les intellectuels français:

1) Les masses et les idéologies

On peut résumer, de façon très générale, que Rosa Luxemburg, Boris Souvarine, Anton Pannekoek, Cornélius Castoriadis et d’autres, reprochaient aux bolcheviques de « craindre les masses », c’est-à-dire d’utiliser des méthodes autoritaires de gestion des « masses », au lieu de donner la liberté aux organes de l’auto-gestion ouvrière.

On peut resumer ce problème sous la forme du paradoxe suivant : ce ne sont pas les masses qui sont mûes par des idéologies, mais c’est la crainte des masses qui crée une idéologie dominante.

La question se pose : quelle idée les bolcheviques eux-mêmes se faisaient-ils en effet des masses ?

En 1894 Lénine écrivit son premier ouvrage fondamental Qui sont «les amis du

peuple » ? consacré à la polémique avec les populistes, et où il formule son idée des masses. Les

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villages russes il n’y a pas de classes, qu’il n’y a pas de prolétariat et que la manufacture artisanale pouvait devenir la base de l’économie russe. Lénine, de son côté, affirmait que la lutte des classes est présente partout et que même dans le village il y a un clivage social, avec la bourgeoisie et le prolétariat. Donc, en polémique avec les populistes, Lénine élabore la conception du prolétariat russe.

Lénine propose aussi son interprétation de Marx : les populistes affirment que seule une personnalité éminente est capable de se révolter contre les lois de l’histoire. Lénine répond à cela que le rôle du marxiste est de comprendre cette nécessité historique et que le rôle historique du prolétariat russe (les ouvriers et les paysans) est de se réunir pour la lutte contre l’autocratie. En interprétant Marx dans sa polémique avec les anarchistes, Lénine formule son concept d’idéologie, qu’il comprend comme une sorte d'aliénation de la conscience des ouvriers et des paysans, sous l'effet de la religion, de la tradition, du patronat.

Il nous semble que pour les bolcheviques, les masses étaient tout d’abord porteuses d’une idéologie. Le système de l’idéologie soviétique a été construit pour éduquer et instruire les masses dans l’esprit du marxisme.

Marx et Engels appellent idéologie une conception épistémologique idéaliste, mais aussi une conception sociale de certains intellectuels, selon laquelle les idées sont indépendantes par rapport aux classes.263 La conception du monde des « idéologues » se fait sans doute consciemment, mais avec une conscience fausse. En effet, selon Marx et Engels, l’idéologie est une conception illusoire de la vie sociale, dépourvue de toutes les contradictions réellement existantes. Les analyses marxistes de l’idéologie montrent que l’idéologie n’est pas la suite d’une erreur, mais qu’elle dépend des processus sociaux et d’une classe dominante. Marx et Engels n’utilisaient pas la notion d’idéologie pour caractériser leur propre système.

Lénine en vient à la conclusion que le marxisme est une idéologie scientifique. Sa notion de la science est pourtant spéciale : la science va de paire avec la révolution. L’idéologie communiste existe en opposition et en lutte permanente avec l’idéologie bourgeoise, il n’y a pas de compromis entre elles. Selon le léninisme, tous les domaines de la superstructure, qu’ils soient scientifiques, artistiques, éthiques, politiques, religieux, philosophiques, ou autres, constituent la scène de la lutte idéologique.

On peut alors conclure que la lutte pour gagner les masses, aux yeux des bolcheviques, est surtout la lutte pour la superstructure, la lutte idéologique. Par contre, pour eux, il n’est pas

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En 1845-46 ils écrivent l’ouvrage intitulé Idéologie allemande où il y a question de l’idéologie, mais ils analysent aussi ce phénomène dans les ouvrages et articles ultérieurs.

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question de l’action spontanée des masses, comme c’est le cas pour plusieurs intellectuels de gauche en Occident.

2) Les masses et les cadres

Une autre question débattue en Occident à propos du « socialisme réel », est celle de la domination des cadres sur les masses. En Russie soviétique il y eut un clivage entre les spécialistes qualifiés hautement payés et les simples ouvriers payés modestement. Ce problème à un lien fort avec celui des masses et des idéologies.

Le premier paradoxe consiste en ce que l’avant-garde du Parti « craignait » les masses et essaya les « dompter » avec une idéologie. Il s’agit donc du même problème que celui de la « crainte des masses », mais de la part des masses elles-même, car les des ouvriers eux-mêmes faisaient toujours plus confiance aux spécialistes (techniciens, administrateurs, ingénieurs, et autres) qu’à leurs propres représentants.

3) Les lois de l’histoire et la Révolution

Il s’agit d’un problème classique.264 Si l’on accepte que l’histoire ait des lois, on sera obligé de se demander si l’on a le droit aux révolutions, car la révolution suppose qu’on doive « forcer » les gens et changer le cours des événements. D’autre part, si la Révolution a eu lieu, on doit démontrer sa nécessité historique, car sinon, elle doit être qualifiée comme un acte volontariste et, finalement, nuisible à l’affaire de la classe.

La solution théorique des bolcheviques est largement connue : les lois de l’histoire sont dialectiques. Mais il est important que les premières critiques de cette solution aient été politiques et pas philosophiques. La conséquence pratique de cette théorie des lois fut que les actions spontanées des masses ont été déconsidérées par les leaders soviétiques, tandis que la stagnation bureaucratique fut vue comme un « développement progressif ».

4) Liberté et responsabilités

Selon Castoriadis et Lefort, la Révolution d’Octobre aurait dû devenir une Révolution mondiale, mais elle a subi la dégénérescence bureaucratique. Ces philosophes pensent que les principaux responsables de cette dégénérescence sont les leaders bolcheviques, qui ont remplacé le projet révolutionnaire par le culte de l’histoire-détermination. La liberté consiste, dans ce sens, à continuer à suivre radicalement le choix initial de la révolution, sans faire de concessions aux circonstances, ni aux opportunistes.

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Contrairement à ceux pour lesquels le projet révolutionnaire des bolcheviques fut un échec, Sartre estime que les bolcheviques n’ont pas oublié leur projet révolutionnaire et l’ont suivi jusqu’au bout, en se rendant responsables de tout ce qui en est arrivé.

Ainsi, nous avons mis en évidence préalablement quelques sujets à développer, en nous basant sur les textes des philosophes étudiés.

Chapitre 2 : L’anti léninisme de Pannekoek. Débats entre C. Castoriadis

et A. Pannekoek sur la nature de la Révolution d’Octobre

Anton Pannekoek (1873-1960) fut le célèbre révolutionnaire et astronome hollandais, l’inspirateur du conseillisme hollandais, qui se retira en 1921 de la vie politique et fonda la même année l’Institut d’astronomie de l’université d’Amsterdam. Pendant la Deuxième guerre mondiale il rédige son ouvrage fondamental Les Conseils ouvriers, qui ne sera achevé qu’en 1946 et qui devint l’« un des principaux manifestes du mouvement conseilliste ». 265266

Nous avons vu que l'opposition entre « conseils » (Soviets) et Parti est l'une des graves difficultés rencontrées, qui a été résolue par l'écrasement des «conseils». La position et les critiques de Pannekoek s'expliquent très bien par sa conception de la nature et du rôle des conseils dans une révolution et dans l'instauration du socialisme.

L’anti léninisme de Pannekoek.

Avant d’analyser la polémique entre Pannekoek et Castoriadis, nous allons voir comment le révolutionnaire néerlandais s’engagea dans la critique du bolchévisme. Pannekoek essaie de démontrer que la Révolution d’Octobre en Russie n’a pas été une révolution prolétarienne et socialiste, mais bourgeoise et anti-féodale. À notre avis, c’est en 1938 que Pannekoek a essayé de démontrer que la dérive stalinienne a pour origine les erreurs de Lénine, qui avait confondu en théorie et en pratique les deux approches : bourgeoise et prolétarienne.

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Voir Bourseiller, op. cit. p. 140

266On n’a pas ici à considérer ses méthodes conseillistes élaborées dans cet ouvrage, mais elles certifient d’une

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Dans son œuvre Lénine philosophe (1938) Pannekoek indique que dans ses tentations d’aborder la philosophie, Lénine retrouve Mach et Avénarius267, devenus populaires grâce à Bogdanov268, chez les révolutionnaires russes. La thèse de Pannekoek à propos de la philosophie de Lénine est que celle-ci est éclectique, polémique, donc plutôt superficielle. Au lieu d’analyser systématiquement les oeuvres de Mach et d’Avenarius, Lénine leur impute une série de sophismes qui, selon Pannekoek, sont étrangers à ces deux philosophes.

Nous partons de l’hypothèse que c’est comme cela que Pannekoek essaie de nous montrer que bien que la Révolution russe se soit déroulée sous la bannière du marxisme et même grâce au marxisme, il a toujours existé un abîme d’incompréhension des idées fondatrices du marxisme chez Lénine.

La conception du marxisme chez Pannekoek consiste en ce que le marxisme n’est pas un dogme immuable, mais une théorie vivante. Il estime qu’il faut que le marxisme prenne en considération le développement de la société, le développement du capitalisme et que les anciennes formes de pensée et de lutte soient remplacées par de nouvelles formes.

Pourtant, Pannekoek ne nie pas qu’à l’époque de Kienthal et de Zimmerwald, le Parti bolchevique s’est montré être un parti authentiquement marxiste, ni que « lors des controverses doctrinales, les penseurs bolchevique figuraient en bonne place, au côté des membres des écoles marxistes dites autrichienne et hollandaise, au nombre des défenseurs du marxisme intransigent ».269

Pannekoek écrit :

« Lors de la Révolution, les bolchéviks, après avoir adopté le nom de parti communiste, purent l'emporter parce qu'ils avaient choisi comme principe directeur la lutte de classe des masses ouvrières contre la bourgeoisie. Ainsi Lénine et son parti se révélaient, en théorie comme en pratique, les représentants les plus éminents du marxisme. »270

Le malheur n’arrive, selon Pannekoek (comme selon Castoriadis), qu’avec la bureaucratisation du Parti. Lénine semble préparer la bureaucratisation, en s’appuyant sur ses

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Ernst Mach (1838-1916) physicien et philosophe autrichien, auteur du principe de l’économie de pensée (la science est « un problème de minimum qui consiste à exposer les faits aussi parfaitement que possible avec la moindre dépense intellectuelle »), Richard Avenarius (1843-1896) philosophe allemand, auteur de

l’empiriocriticisme, théorie basée sur « un concept naturel du monde. »

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Alexandre Malinovski, dit Bogdanov (1873-1928), économiste, écrivain et révolutionnaire russe. En 1903 il rejoint la fraction bolchevique et assaye de créer une synthèse philosophique des travaux de Mach et Avenarius. En 1908 ses idées sont critiqués par ż. Plekhanov dans l’ouvrage intitulé le Matérialisme militant et par Lénine avec son Matérialisme et empirio-criticisme.

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ibidem p. 1

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interprétations relatives au « matérialisme bourgeois ». Pour Pannekoek il existe deux matérialismes, et la différence entre le matérialisme historique (Marx, Engels) et le matérialisme bourgeois (Bûchner), consiste selon lui en ce que, premièrement, le matérialisme historique voit dans les résultats de la science les créations du travail et de l’esprit humains et, que, deuxièmement, il utilise la dialectique qu’il ne faut pas confondre avec l’évolution. C’est ainsi que le matérialisme historique, par exemple, ne mène pas à la guerre directe contre la religion, mais la religion expire par elle-même au début de la révolution prolétarienne.

Il est intéressant que Pannekoek considère la science sociale comme l’arme du prolétariat. La question pour le prolétariat est comment la société « sécrète » des idées, tandis que l’opposition de l’esprit et de la nature, qui selon Engels et Lénine structure l'histoire de la philosophie, est propre à la pensée bourgeoise. Donc, depuis son début, la lutte contre le capitalisme se doublait et se mélangeait en Russie avec la lutte contre la féodalité et l’absolutisme tsariste.

En écrivant Matérialisme et empiriocriticisme271, affirme Pannekoek, Lénine ne partait pas de réflexions basées sur des lectures philosophiques, mais essayait de résoudre des problèmes vitaux liés à la tâche de débarasser la Russie de l’héritage du tsarisme. L’Eglise et la réligion étaient les deux piliers de l’absolutisme. Donc, lorsque Lénine prend pour son point de départ la distinction entre « réaction » et « progrès », il ne fait que suivre les Lumières bourgeoises, et il continue à poursuivre son objectif de lutter contre la religion. Il s’ensuit que selon Pannekoek, la révolution russe a ce caractère double, car elle s’appuyait sur la classe ouvrière, mais visait des objectifs en eux-mêmes bourgeois.

Pannekoek dit notamment :

« Etant donné toutefois que la révolution russe présentait un double caractère - révolution bourgeoise quant aux objectifs immédiats, révolution prolétarienne quant aux forces actives - la théorie bolchéviste devait être adaptée à ces deux fins, puiser par conséquent ses principes philosophiques dans le matérialisme bourgeois, la lutte des classes dans l'évolutionnisme prolétarien. Ce mélange reçut le nom de « marxisme ». Mais il est clair que le marxisme de Lénine, déterminé par la situation particulière de la Russie vis-à-vis du capitalisme, différait de manière fondamentale du marxisme d'Europe occidentale,

271Matérialisme et empiriocriticisme publié en 1908 est l’ouvrage qui est souvent considéré comme contenant la

143 conception planétaire propre à une classe ouvrière qui se trouve devant la tâche immense de convertir en société communiste un capitalisme très hautement développé, le monde même où elle vit, où elle agit. »272

Pannekoek, comme Castoriadis plus tard, voit l’œuvre de Lénine à travers sa postérité, et considère la Troisième Internationale en liaison étroite avec la politique stalinienne273

. La Troisième Internationale a pour but la révolution mondiale et prend pour modèle la révolution russe, mais le régime de la Russie est le capitalisme d’État qui est dirigé par la bureaucratie