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Tout au long des articles qui composent ce volume, j’avance des affirmations sans preuves sur certaines pratiques sociales qui ont lieu à certains moments et parmi des gens de divers types. Je tiens cette description par postulat comme un mal nécessaire. Au lieu de généraliser absolument ou statistiquement, j’affirmerai qu’une pratique donnée a cours parmi un ensemble d’individus « habituellement » ou « souvent » ou « occasionnellement ». Ainsi, je me permets de manquer de faits établis tout en feignant la précision.

-Erving Goffman,

La présentation de soi, 1956

L’un des principaux pièges du constructivisme social est d’entretenir une confusion entre la chose et son concept. Une étude intitulée « la construction sociale de l’intimidation » aurait introduit un flou entre les conditions violentes objectives et les efforts de définition collective qui portent sur elles. De la construction de quoi aurait-il alors été question ? De l’existence du harcèlement entre enfants ou de sa récente mise en récit collective ? Pour éviter cet écueil, j’ai choisi de m’intéresser au second aspect de cette réalité30. Mon analyse s’attache à l’aspect

proprement collectif du problème de l’intimidation, c’est-à-dire sa carrière publique. Cela requière de porter une attention soutenue aux aléas discursifs du problème, c’est-à-dire la trajectoire par laquelle le phénomène est introduit, désigné, défini puis combattu dans les « arènes de la discussion publique » (Cefaï, 1996).

Pour ce faire, j’ai déployé une méthode d’analyse documentaire transversale. J’entends par là que les données analysées prennent diverses formes communicationnelles, servent des fins diverses, s’adressent à des publics variés et sont produites par des groupes distincts. Il ne s’agit donc

30 Cette ingénieuse distinction entre la chose et son concept ne règle évidemment pas tout. Comme le rappelle

encore Hacking (1999), il est évident qu’en sciences sociales l’une et l’autre interagissent et se déterminent réciproquement. Dans le cas de l’intimidation, en particulier, on pourrait soutenir l’idée suivante : « ways of classifying human beings interact with the humain beings who are classified » (Hacking, 1999, 31). La réalité de l’intimidation n’est sans doute pas vécue de la même manière dans les écoles, et ailleurs, depuis que divers groupes la présentent comme un mal à vaincre et développent des dispositifs psychosociaux pour l’éradiquer. Il serait pertinent, si les ressources le permettaient, d’investiguer ces questions dans une recherche ultérieure – doctorale, par exemple – qui s’intéresserait à la manière dont la production du thème, ici étudiée, interagit avec la réalité telle qu’elle est vécue par les acteurs et actrices concernés au premier chef par ce récit collectif.

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pas, à proprement parler, d’une « revue de presse », d’une « revue de la littérature » ou d’une « analyse de discours » aux sens usuels, mais d’une analyse de contenu des activités publiques des

entrepreneurs de morale de l’intimidation. Dans ce chapitre, j’expose les réflexions

méthodologiques sur lesquelles s’appuient cette enquête et les techniques d’analyse qui l’ont rendue possible. Les matériaux du corpus seront exposés au chapitre suivant. Mais avant, je précise ma question de recherche au regard des développements précédents.

a. De question en question

Mon objet d’étude est le problème public de l’intimidation scolaire. Jusqu’ici, j’ai parlé plutôt indistinctement de problème « public » ou « social ». Cette dernière appellation a l’avantage de trouver écho autant du côté du champ de la sociology of social problems que chez les lecteurs moins familiers avec ces discussions académiques. Or, en fonction de ce qui précède, il ne fait aucun doute que j’aborde moins l’aspect social de l’intimidation que sa dimension proprement

publique. Pour éviter les ambigüités, je désignerai dorénavant de « problème social » ce qui relève

d’une lecture autoréférentielle, soit les conditions objectives désignées problématiques. Inversement, je qualifierai de problème public les activités et revendications des entrepreneurs de morale qui font exister l’intimidation sur les « arènes publiques » (Cefaï, 1996).

De nombreux auteurs constructivistes (Blumer [1971] 2004 ; Cefaï, 1996 ; Spector et Kitsuse, 1987 ; Critcher, 2003 ; Best, 2007 ; Frau-Meigs, 2010) ont tâché de définir les contours d’une « histoire naturelle » des problèmes publics, voulant dire par là qu’ils sont produits selon des

schémas séquentiels réguliers. Selon la première définition donnée de ce concept, elle serait : « a

common order of development through wich all social problems pass, consisting of certain temporal sequences in their emergence and maturation » (Fuller et Myers, [1941] 1995, 100). Cette étude m’a conduit, en la comparant à d’autres, à la conclusion qu’il n’y avait pas une « histoire naturelle », mais bien des histoires. Il demeure tout de même pertinent de s’intéresser aux « procès de publicisation des problèmes publics », soit aux « phases typiques de leur "carrière" ou de leur "trajectoire" » (Cefaï, 1996, 57). Les manières par lesquelles ils sont construits et institutionnalisés en dévoilent beaucoup sur les scènes publiques qui en sont le théâtre, en plus de jeter un nouvel éclairage sur le contenu même de ces « histoires ».

L’objet plus particulier de ma recherche est la carrière publique de l’intimidation scolaire au Québec. J’entends par là l’itinéraire que le problème a connu, depuis sa définition jusqu’à son

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institutionnalisation en passant par sa condamnation morale. Je n’ai pas voulu tester, de manière hypothético-déductive, un « modèle d’explication » (Frau-Meigs, 2010) des problèmes publics ou un autre en le confrontant à mes données. Je ne prétends pas non plus que les résultats ici dégagés soient généralisables, par induction, aux problèmes publics en général ; je conclus toutefois que certaines trajectoires présentent des similitudes et des divergences qui s’avèrent instructives. Ces questions seront explicitées au moment de l’analyse des résultats où je comparerai certains aspects de la carrière de l’intimidation avec des travaux constructivistes portant sur d’autres problèmes « jeunesse » (Vienne, 2009 ; Best, 2007 ; Critcher, 2003) ou expressément sur le bullying (Cohen et Brooks, 2014 ; Winton et Tuters, 2014 ; Clarke, 2018).

Comment s'est constituée l’intimidation comme problème public au Québec ? Voici la question qui loge au

cœur de ma démarche. Celle-ci entraîne avec elle une multitude de questions secondaires sur lesquelles je reviendrai tout au long de l’analyse des résultats. Mon ambition est d’identifier les ramifications de sens qui débouchent sur l’apparente unité de cette violence nouvellement identifiée. La chose est-elle aussi consensuelle qu’il n’y paraît à prime abord ? Ou assiste-t-on à « contre-discours » ou des luttes pour la « propriété du problème social » (Gusfield, 2012) ? Qui sont les groupes d’acteurs impliqués ? Quelles stratégies utilisent ces « entrepreneurs de morale » (Becker, 1985) pour mettre au jour ces conditions qu’ils découvrent inacceptables ? Au nom de quoi agissent-ils ; sur quels principes trouvent-ils appui pour mener à bien la démarche qu’est la leur ? Qu’est-ce qui exactement pose problème dans l’intimidation, telle que comprise par ceux et celles qui la mettent en forme par leurs « activités de revendication » (Spector et Kitsuse, 1977) ?

b. De l’analyse de contenu ....

J’ai trouvé quelques réponses méthodologiques à ces questions du côté de l’analyse de contenu. J’ai mobilisé un certain nombre de ces techniques, notamment du point de vue de l’analyse catégorielle et du traitement des dimensions et propriétés du contenu analysé. Comme le propose Bardin (2013), il est utile de distinguer deux grandes fonctions de l’analyse de contenu. La première est heuristique, c’est-à-dire qu’elle vise à enrichir la compréhension d’un ensemble de textes en favorisant la découverte d’éléments qui seraient « cachés » à la lecture usuelle. Pour reprendre une distinction canonique, elle permet de faire le pont entre le message « manifeste » et « latent » d’une communication. D’une certaine façon, c’est ce que j’ai fait dans

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cette étude en explicitant la signification des activités de revendication constitutives de la carrière publique de l’intimidation. Plus spécifiquement, j’ai croisé le récit chronologique du problème public avec son récit catégoriel (Strauss et Corbin, 2004), dévoilant aussi bien la manière dont la catégorie s’est constituée dans le temps que les thèmes qui lui ont donné sa consistance. Pour évoquer une autre distinction classique, mon analyse est aussi bien « interne » qu’« externe » (Duverger, 1963). La première repose sur l’interprétation du contenu même des documents : « il s’agit de dégager les lignes fondamentales du document, à rattacher à celles-ci les aspects secondaires, à saisir la liaison des idées » (Durverger, 1963, 128). Mon analyse est aussi externe en ce sens qu’elle prête une attention importante au contexte de production des communications étudiées. Cet aspect est tout particulièrement important lorsqu’il s’agit, comme ici, de lier les activités de certains groupes d’acteurs à des tendances historiques plus vastes comme la condamnation morale de la violence chez les enfants.

Par analyse externe, il est aussi entendu l’étude du « retentissement du document » (Duverger, 1963), à savoir la portée de la communication et sa « réception » auprès des destinataires. Cet aspect est ici laissé de côté puisque la méthode retenue ne permet pas d’appréhender le « comportement de l’audience » ou l’influence de la communication sur « l’opinion publique », comme cela se fait classiquement, avec d’autres stratégies méthodologiques, en sociologie des médias (Rieffel, 2010). Les documents du corpus sont analysés pour leurs significations intrinsèques et pour ce qu’ils dévoilent à propos de la croisade morale qu’ils cadencent. La deuxième fonction de l’analyse de contenu (Bardin, 2013), beaucoup plus éloignée de ce qui est proposé dans cette étude, est celle « d’administration de la preuve ». Cette forme plus systématisée d’analyse s’appuie sur des hypothèses ou une grille thématique qui sont systématiquement confrontées au corpus selon une démarche hypothético-déductive. Comme cela sera expliqué à la prochaine section, j’ai plutôt choisi de mener une analyse de contenu

inductive. Pour Leray et Bourgeois (2016), « l’analyse de contenu suit une démarche précise afin

d’assurer la rigueur et la fiabilité des résultats obtenus » (427). Ainsi comprise, cette méthode met de côté l’interprétation du chercheur pour favoriser la production de « résultats fiables et reproductibles ». La tradition américaine, par exemple, s’est largement investie dans une approche quantitative qui consiste à identifier des « unités de sens » et en calculer la fréquence d’apparition. Qu’elle soit ou non quantitative, l’analyse de contenu, selon sa définition usuelle,

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devrait être menée suivant une démarche systématisée. Leray et Bourgeois (2016, 431-432) présentent ainsi les phases successives de cette approche :

1. Déterminer le type de contenu à analyser; 2. Constituer le corpus;

3. Élaborer un plan d’analyse (grille thématique); 4. Choisir une méthode (qualitative ou quantitative); 5. Coder et interpréter les données.

Cette approche linéaire m’est apparue inappropriée à maints égards pour la question de recherche qu’est la mienne. De fait, l’univers de matériaux de mon objet d’étude n’est pas donné a priori. Il aurait pu l’être si je m’étais demandé, par exemple, quelles étaient les représentations sociales de l’intimidation dans tel média ou tel magazine pour telle période. Un corpus fermé se serait ainsi offert d’emblée à l’analyse. Une autre possibilité aurait été de proposer une analyse sectorielle d’un champ particulier d’activité, en se limitant par exemple à ce qu’en disent les lois ou les politiques publiques. Si la masse de données avait rendu ardue ou impossible une analyse systématique de leur intégralité, il m’aurait fallu former un échantillon représentatif de l’ensemble (par quotas, aléatoire, etc.).

Toutes ces avenues ont été sérieusement envisagées avant d’être écartées l’une après l’autre. Il m’était en effet impossible de déterminer, préalablement, où chercher les ramifications de sens ayant mené à la définition collective de l’intimidation au Québec. Pour comprendre comment s’est constituée une telle catégorie publique, il me fallait envisager autrement mon objet qu’à la manière d’un univers de données aux frontières préalablement définies. Mon objet m’est alors apparu comme une pelote de laine non pas formée d’un seul fil enroulé sur lui-même, mais d’une multitude qui s’entremêleraient pour ne former, à l’œil nu, qu’un objet singulier et distinct : « un fait social autonome ». Se demander comment cette balle s’est constituée nécessite de déceler les nœuds de significations qui la font tenir ensemble. Une fois ces nœuds identifiés, il faut encore pour démêler les fils suivre le tracé par lequel ils s’entrecroisent pour former l’unité qu’on lui reconnaît.

Mener cette analyse « par la voie du comptage et de la comparaison de mots ou de propositions déjà établis comme significatifs avant même que l’analyse définitive soit menée » (Paillé, 1994, 151) m’aurait sensiblement éloigné de ma question de recherche, pour la simple et bonne

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raison qu’il est impossible de dire comment s’y prendre pour dénouer la balle de laine avant de s’être affairé à la tâche. Je me suis alors tourné du côté de la grounded theory qui permet d’aller plus loin que l’analyse systématique d’un corpus prédéfini. Parce que si nous savons d’emblée ce qu’est l’objet de notre investigation et où le trouver, pourquoi cherchons-nous ?

c. … À la théorisation ancrée

L’approche dite de la grounded theory31 renvoie aux travaux fondateurs de Barney G. Glaser et

Anselm L. Strauss (1999). Elle se veut inductive, c’est-à-dire qu’elle propose de produire de la théorie à partir de la réalité plutôt que de confronter des propositions théoriques au réel. Elle se caractérise par une plus grande fluidité dans l’articulation entre la récolte et l’analyse des données. C’est là l’un de ses intérêts majeurs au regard de la présente recherche.

Pour bien comprendre la pertinence de cette approche, il n’est pas inutile de resituer le contexte disciplinaire dans lequel s’inscrivent les auteurs. Ceux-ci déplorent qu’autour des années 1930, la sociologie américaine se soit figée autour de grandes œuvres théoriques qui se sont imposées comme des « écoles » aux frontières plutôt rigides. Les sociologues de l’époque ont en effet considéré que les « pères fondateurs » avaient laissé un grand nombre de propositions théoriques, mais que celles-ci souffraient d’un manque de validation empirique. Partant, soutiennent Glaser et Strauss, l’essentiel de la recherche américaine du XXe siècle

consiste à confronter les grands modèles théoriques existants à des données récoltées à cette fin. Le développement et la démocratisation des techniques quantitatives aidant, la vaste majorité des étudiants et chercheurs s’affairent à voir si l’une ou l’autre de ces théories résistent à « l’épreuve des faits ».

S’il est vrai que certains contemporains ont réussi à mettre de l’avant leur propre échafaudage théorique (Talcott Parsons et Robert K. Merton en tête de liste), cela ne modifie en rien la structure d’ensemble du champ sociologique qui se fractionne, selon les mots des auteurs, entre « capitalistes » de la théorie et « prolétaires » de la validation empirique. Glaser et Strauss proposent de désacraliser la théorie en faisant voir comment celle-ci peut être efficacement

31 Tantôt traduite « théorie enracinée » (Strauss et Corbin, 2004), tantôt théorisation ancrée (Paillé, 1994).

J’utiliserai pour ma part surtout la deuxième traduction en cela qu’elle reflète mieux le processus qu’est la grounded

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produite à partir des données que récolte le sociologue. Ainsi, étudiants et chercheurs peuvent proposer une interprétation rigoureuse et stimulante des phénomènes qu’ils étudient plutôt que d’être réduits à tester celle enseignée par leurs professeurs ou « maîtres à penser ».

Bien sûr, Glaser et Strauss soulignent que la production et la vérification de la théorie sont deux tâches essentielles de la sociologie. Il serait farfelu de produire de la théorie sans jamais la vérifier, l’amender et la préciser. Il ne s’agit pas de promouvoir l’un des procédés au détriment de l’autre. Ils veulent plutôt décloisonner une partie importante des travaux sociologiques qui restent empêtrés dans la validation de théories préexistantes produites par raisonnement hypothético-déductif : « verifying a logico-deductive theory generally leaves us with at best a reformulated hypothesis or two and an inconfirmed set of speculatiions; and, at worst, a theory that does not seem to fit or work » (Glaser et Strauss, 1999, 29). En vérité, création et confirmation d’une proposition théorique sont deux moments d’un même mouvement dans la mesure où la théorie est construite par l’interaction entre le chercheur et ses données plutôt que par spéculation.

La théorie enracinée dont il est ici question n’est pas cette « grand theory » qui épuiserait la totalité d’un état donné de société, voire plus. Comme l’indique Pierre Paillé, il faut l’envisager avec modestie : « qu’est-ce que théoriser? C’est dégager le sens d’un événement, c’est lier dans un schéma explicatif divers éléments d’une situation, c’est renouveler la compréhension d’un phénomène en le mettant différemment en lumière » (Paillé, 1994, 149). Renouveler la compréhension de l’intimidation, c’est bel et bien ce qui m’occupe. Il ne s’agit pas d’espérer redéfinir l’univers théorique de la sociologie, mais de donner une interprétation neuve et éclairante d’un phénomène à un niveau d’abstraction plus élevé que la description.

Ma recherche ne s’est pas ouverte sur des hypothèses à confirmer ni sur des « unités de sens » qui seraient préalablement définies comme pertinentes au regard de mon objet. Bien sûr, je possédais dès le départ des connaissances théoriques sur mon objet, mais la démarche n’a pas pour finalité de confronter un modèle ou un autre aux données. En outre, pendant le processus, les données ont orienté les lectures théoriques et, réciproquement, la théorie a circonscrit la collecte des données. Dans l’approche par théorisation ancrée, les hypothèses et les concepts émergent des données et évoluent continuellement à mesure que l’analyse progresse. En cela, c’est un processus résolument itératif (Paillé, 1994) caractérisé par un va-et-vient constant entre les matériaux et le cadre conceptuel qui en émerge. La démarche invite à prêter

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plus d’importance au cheminement qu’aux résultats auxquels il sera conduit. Strauss et Corbin suggèrent en ce sens de « se fier au processus sans lui opposer de résistance » (1994, 31). Glaser et Strauss (1999) affirment quant à eux que la pertinence d’une théorie est indissociable du parcours qui y a conduit.

La théorisation ancrée applique la « méthode de comparaison constante » (Glaser et Strauss, 1999). Il s’agit d’abord de procéder à une codification initiale en annotant le corpus par une lecture minutieuse « au ras des pâquerettes ». Mon codage a consisté à interroger les données, « à dégager, relever, nommer, résumer, thématiser, presque ligne par ligne, le propos développé à l'intérieur du corpus sur lequel porte l'analyse » (Paillé, 1994, 154). La règle générale est de comparer « fait par fait » (Glaser et Strauss, 1999).

À mesure que progresse l’analyse du contenu et la comparaison constante de ses éléments, certains codes sont regroupés, d’autres intégrés à des unités d’analyse plus abstraites. Ainsi, des propriétés et dimensions des catégories en émergence se dégagent assez rapidement. L’analyse comparative augmente par le fait même en généralité : « the constant comparative units change from comparison of incident with incident to comparison of incident with properties of the category that resulted from initial comparisons of incidents » (Glaser et Strauss, 1999, 108). Peu à peu, et sans qu’il n’y ait jamais de rupture franche et décisive, on passe ainsi de la codification à la catégorisation (Paillé, 1994) ou ordonnancement conceptuel (Strauss et Corbin, 2004). C’est encore une fois par la comparaison continue entre les éléments entre eux et avec les catégories, leurs propriétés et dimensions qu’un certain ordre se dégage du corpus. Les catégories ne remplacent pas définitivement les codes, elles les amènent seulement à un degré d’interprétation plus large et significatif.

En l’absence de grille thématique figée une fois pour toutes, il n’est pas question de « forcer les données » en les intégrant à des catégories préexistantes, mais de leur « permettre de s’exprimer » (Strauss et Corbin, 2004). Le chercheur engagé dans une telle démarche doit faire preuve de souplesse et d’inventivité ; les catégories sur lesquelles il met beaucoup d’effort se transforment et disparaissent sous ses yeux s’il se prête honnêtement au jeu : « la catégorie est un outil beaucoup plus central que le code. Il faut la clarifier, la détailler, la préciser, éventuellement la revoir, la corriger, la remplacer, l'élargir, la subdiviser, la fusionner, etc. »