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Quelqu’un déclara soudain qu’ici, dans cet hôtel, dans une chambre, on venait de trouver un voyageur qui s’était suicidé et qu’on attendait la police. L’idée d’aller voir le suicidé se fit jour tout de suite. Cette idée-là fut encouragée : nos dames n’avaient jamais vu de suicidé. Je m’en souviens, l’une d’elles dit, à haute voix : « On s’ennuie tellement de tout qu’il n’y a pas à faire de chichis avec les distractions, du moment que ça occupe ». Seules quelques personnes restèrent sur le perron ; les autres, en foule bruyante, entrèrent dans le couloir pouilleux […].

-Dostoïevski,

Les Démons, [1872] 1995

Tout au long de sa disparition progressive qui s’entame immédiatement après l’adoption du Plan d’action, le taxage reste ici et là associé à l’intimidation (voir graphique 2). Or, un renversement de l’importance de l’un et l’autre s’opère au début des années 2000. Progressivement, la formule « le taxage et l’intimidation » est remplacée par « l’intimidation et le taxage ». Loin d’être anodine, cette inversion donne à voir la consécration de l’intimidation comme principale grille de lecture des violences scolaires au Québec. Plus encore, elle est symptomatique d’un élargissement du domaine de l’inacceptable en matière d’agressivité juvénile. La formulation la plus caractéristique de cette inflexion est peut-être formulée par Marie-Claude Girard, journaliste à la Presse qui titre en 2003 : « Le taxage : quand on se fait voler l’estime de soi94 ». Dans ce texte comme beaucoup d’autres de cette période, l’intimidation et le taxage ne

font plus qu’un. La dimension problématique ne tient plus prioritairement du vol ou de la criminalité. Il s’agit d’un problème, à la fois plus large et plus subtil, d’intégrité psychologique des enfants et de l’irréductible reconnaissance individuelle que tout un chacun est en droit d’escompter, dès le plus jeune âge. Par conséquent, la carrière de l’intimidation procède d’une redéfinition des termes du social problématique à l’intérieur de l’économie morale de l’enfance. D’une adolescence dangereuse, la préoccupation publique se reformule dans le registre d’une enfance

vulnérable.

94 GIRARD, Marie-Claude (2003, 25 janv.). « Le taxage : quand on se fait voler l’estime de soi ». La Presse

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Dans ce chapitre, je fais voir comment l’intimidation est consacrée au rang de problème public majeur en accordant un intérêt particulier aux groupes d’acteurs qui s’engagent activement dans des « activités de revendication » (claims-making activities) (Spector et Kitsuse, 1977). Ces « porteurs de revendication » ou « entrepreneurs de morale » (Becker, 1985), œuvrant au sein de groupes organisés hautement légitimes, mènent deux activités solidaires l’une de l’autre : la consolidation de la définition de l’intimidation et la multiplication d’initiatives visant, dans un même mouvement, à légitimer et résoudre le problème. S’ils ne rencontrent pratiquement aucune résistance dans leur croisade, c’est que leur conception du bien-être des enfants – intégrité psychologique, dignité sociale, sécurité et liberté – jouit d’une puissance symbolique très forte et donne au problème toutes les apparences d’un consensus public qui va de soi.

a. Importation du bullying

Au début des années 2000, le school bullying est un enjeu jeunesse largement reconnu et combattu à travers le monde occidental. Suite à la diffusion des recherches et programmes d’intervention de l’équipe de Dan Olweus, la première loi « anti-bullying » est adoptée en Suède en 1994 (Catheline, 2015). En 1999, les enquêteurs de la fusillade de Columbine mettent en cause le harcèlement qu’auraient subi les deux « tireurs fous ». Par la suite, de nombreux cas de suicides et de violences armées sont attribués au bullying, notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni. En 2001, le thème figure à l’ordre du jour de la Conférence Mondiale de l’UNESCO. En l’espace de deux ans, entre 2001 et 2002, pas moins de quinze États américains adoptent des lois relatives au phénomène. Au Canada, le suicide d’une jeune adolescente de 14 ans de la Colombie-Britannique, Dawn-Marie Wesley, crée un précédent. Lorsque le verdict tombe, en 2002, l’une des jeunes filles citées dans la lettre de suicide est reconnue coupable de harcèlement criminel. Le juge déplore vigoureusement le silence des autres élèves, qui auraient laissé les « bullies » agir en toute impunité95.

Au Québec, cette même période correspond à l’importation massive du bullying anglo-saxon et à sa reformulation autour du vocable « intimidation ». Un certain nombre de groupes organisés jouent un rôle décisif dans la consécration du thème en raison de la visibilité et de la

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respectabilité dont ils jouissent. Chacun à leur manière, ils agissent à titre de groupes d’entrepreneurs de morale « professionnalisés », si je puis dire. Ils formulent des griefs, des revendications et des réclamations à l’endroit de conditions qu’ils découvrent problématiques. Parmi ces groupes d’acteurs, on compte d’importantes organisations sans but lucratif engagées envers le bien-être des enfants et adolescents, comme Tel-Jeunes et Jeunesse, J’écoute. On compte aussi des entités publiques et gouvernementales comme Le Conseil Supérieur de l’Éducation et le Ministère de l’Éducation, du Loisir et des Sports. Du côté des groupes professionnels d’experts, L’Ordre des psychologues du Québec et L’Association des psychologues scolaires du Québec jouent tous deux un rôle prépondérant.

La conception du bien-être juvénile de ces groupes est loin d’être figée une fois pour toutes ; elle fait écho aux reconfigurations de l’économie morale de l’enfance qui se diffusent au sein des sociétés occidentales. J’ai suggéré plus haut, à tout le moins pour le cas du Québec, que cette économie morale opère un déplacement de l’intérêt pour l’intimidation du corps enseignant vers l’intimidation des enfants. Pour illustrer une dernière fois ces métamorphoses, un bref retour en arrière s’impose. En 1984, Le Conseil Supérieur de l’Éducation, organisme consultatif, publie un avis intitulé L’école primaire face à la violence (CSE, 1984). Dans le cadre de sa recherche, Le Conseil s’intéresse prioritairement aux abus infligés aux enfants par les adultes, soit « la violence dont l’école est la source » et « la violence dont l’école est témoin ». Secondairement, l’organisme sonde les enfants au sujet des interactions violentes qui se produisent entre eux. Le rapport conclut qu’il s’agit de la forme de violence la plus fréquente et recommande à cet effet « d’aider les élèves à observer leur comportement, à découvrir leurs besoins et à choisir les moyens de les satisfaire dans le respect d’eux-mêmes et des autres » (CSE, 1984, 17). Les huit autres recommandations formulées dans le document concernent la nature des rapports pédagogiques et la violence familiale. Quant à la violence entre élèves, le Conseil la juge en fin de compte peu sérieuse :

Il est une conclusion essentielle à retenir : pour les enfants du primaire, la violence veut surtout dire la chicane96 avec un de leurs proches (amis, frère ou sœur). Est-ce vraiment de la

violence ? Est-ce une étape normale de la croissance des rapports humains ? Le débat reste ouvert sur ce point. Il est cependant clair que la violence observée par les enfants dans cette recherche n’a pas le degré de gravité des cas de mauvais traitements rapportés

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par les Directions de la protection de la jeunesse que nous allons maintenant voir. (CSE, 1984, 6, les auteurs soulignent).

De tels propos seraient aujourd’hui impensables de la part d’une organisation publique. De fait, une quinzaine d’années plus tard, le Conseil a radicalement changé sa position. Dans son avis sur Les élèves en difficulté de comportement à l’école primaire (CSE, 2001), la notion de violence occupe encore une place centrale. Or, sa définition est tout autre. La violence de l’école est passée sous silence alors que la violence familiale est reléguée au second plan. Le problème est désormais celui de la « violence dans l’école », de la « violence chez les jeunes ». C’est l’enfant qui est la source et le porteur de la violence ; tout au plus, lit-on, l’environnement peut contribuer à son développement. Une section complète est destinée au phénomène des « brimades ». Ce dernier vocable, traduction consacrée du bullying en Europe, circule brièvement au Québec avant d’être supplanté par « intimidation ». Au sujet de ce « phénomène de groupe sous-estimé », le Conseil précise :

Jusqu’alors, ce phénomène était perçu comme un problème mineur lié à la dynamique normale des groupes d’enfants. Toutefois, à la suite de suicides d’enfants de niveau primaire et du premier cycle du secondaire, qui étaient victimes de harcèlement par leurs pairs, et du tapage médiatique97, le harcèlement entre élèves est devenu un objet majeur

d’attention. (CSE, 2001, 26).

La différence entre les deux documents, produits par le même organisme à dix-sept années d’intervalle, est frappante. À elle seule, elle donne à voir l’inflexion de la sensibilité qui s’opère en quelques années à propos des phénomènes d’harcèlement et d’exclusion qui ont cours chez les enfants. Pour qu’un thème devienne un problème, il ne lui suffit pas d’être observé ; il doit être reconnu anormal ou déviant, c’est-à-dire résulter d’un écart entre la norme admise – ou plutôt désirée – et les faits interpellés. Si l’intimidation est jugée plus problématique en 2001 qu’en 1984, c’est parce qu’elle contrevient à une certaine conception de ce qui est jugé souhaitable ou « normale » pour le bien-être des enfants. Sur le terrain de l’économie morale

97 Il est ironique de remarquer que le Conseil explique la préoccupation pour les brimades par le « tapage

médiatique » entourant certains suicides. Par-là, il fait référence aux récents évènements survenus aux États-Unis et au Canada, où le bullying est déjà bien problématisé. Au Québec, par contre, l’escalade médiatique survient à la suite de la prise de parole du Conseil et d’autres groupes d’acteurs, et non avant. Pour que des suicides soient utilisés pour exemplifier le problème, il faut d’abord qu’il fasse l’objet d’une reconnaissance dans la société québécoise. Cette posture est toutefois typique de certains documents du corpus qui, plutôt que d’affirmer une montée de la violence entre enfants, soulignent qu’il s’agit d’un phénomène longtemps ignoré qu’il faut désormais prendre au sérieux.

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contemporaine de l’enfance, l’intimidation froisse les valeurs et sentiments d’intégrité psychologique, de dignité sociale ou reconnaissance individuelle, de liberté et de sécurité. C’est bien cette conviction qui motive Le Conseil à recommander au Ministère, aux commissions et aux établissements scolaires de prendre les brimades au sérieux : « à l’école, elles touchent à des valeurs et des principes fondamentaux : le droit de se sentir en sécurité à l’école et d’être à l’abri des humiliations répétées. Il est donc important de s’en occuper et de mettre en place des mesures pour intervenir auprès des victimes autant qu’auprès des bourreaux » (CSE, 2001, 28). Mettre de l’avant un problème social, même chez les acteurs comme Le Conseil qui sont parmi les moins « alarmistes » du corpus, est toujours un acte en partie moral.

La même année, l’Ordre des psychologues du Québec lance une « campagne de lutte contre l’intimidation ». La Presse canadienne, faisant un compte-rendu de son lancement, résume admirablement bien les efforts d’élargissement du champ des comportements inacceptables : « l’intimidation chez les jeunes n’est pas que le "taxage", mais aussi les menaces, les insultes et les tentatives organisées pour isoler une personne, la rejeter, monter les autres contre elle98 ».

La campagne prévoit diverses initiatives visant à faire reculer le problème, contribuant par le fait même à légitimer la catégorie à l’échelle de la province. En plus de la mise sur pied d’une ligne d’écoute gratuite ouverte au public, l’Ordre s’associe avec les commissions scolaires pour diffuser une « cassette vidéo » de sensibilisation destinée aux jeunes ainsi qu’une brochure à l’intention des parents. Signe que l’intimidation s’installe durablement parmi les « problèmes sociaux du moment », plusieurs organisations sans but lucratif emboîtent le pas à la même période. C’est notamment le cas de la fondation Tel-Jeunes qui, en 2002, lance la campagne « Intimider, c’est dépassé » qui propose des ateliers de formation en milieu scolaire. Ce slogan est d’ailleurs fort instructif quant au caractère performatif des normes. Ici, la désignation de nouveaux comportements problématiques s’accompagne de l’affirmation de leur caractère suranné, de manière tout à fait comparable à ce qui a été observé plus haut au sujet de la délégitimation de la discipline corporelle (le chroniqueur de l’Enseignement primaire qui célébrait la mort du dicton biblique « qui aime bien châtie bien », voir chapitre 2). Affirmer que

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l’intimidation est « dépassée », c’est formuler un souhait ou une injonction morale comme un état de fait.

Ces campagnes contribuent toutes au double mouvement annoncé plus haut : d’un côté, l’intégration de nouveaux comportements dans le champ du social problématique ; de l’autre, l’importance croissante de la prévention et de la sensibilisation dans la gestion des risques juvéniles. Autre exemple : en 2003, dans la foulée de son Plan d’action gouvernementale contre le

taxage, le Ministère de l’Éducation, du Loisir et des Sports organise à Montréal un « colloque

sur le taxage et l’intimidation99 ». À peine le plan gouvernemental lancé, les discussions sont

dominées par l’argument que le taxage est une cible trop restreinte. Le colloque s’organise autour de trois objectifs : « 1) dresser le portrait de la situation dans nos écoles et sur la scène internationale ; 2) mettre en valeur les nombreux projets de prévention dans nos écoles publiques ; et 3) encourager une mobilisation de toutes les écoles et de la société à l’égard des phénomènes du taxage et de l’intimidation100 ».

Parmi les chercheurs et acteurs du milieu scolaire présents, le secrétaire de l’Association des psychologues scolaires du Québec, cité par Le Devoir, soutient que « l’intimidation, cette "violence propre" qui, parce qu’elle est moins visible, est plus sournoise que le taxage […] C’est une "violence propre", l’intimidation, c’est-à-dire que ça ne dérange pas les adultes du tout. Les enfants ne saignent pas, l’école est "clean", les enfants ne brisent rien.101 ». C’est bien

ce qui se joue dans l’économie morale de l’enfance : une part de plus en plus grande du « propre » bascule du côté de « l’impropre » et « l’invisible » est révélé au grand jour. Même lorsque l’école est « clean », les risques persistent. Pour nettoyer ces nouvelles impuretés du tissu social, la répression ne suffit plus. Non pas qu’elle disparaisse, bien sûr. Elle se combine plutôt à d’autres formes de coercition, de surveillance et de contrôle qui s’inscrivent dans la continuité

99 Ici, le taxage précède l’intimidation dans l’énumération. En 2003, cette formule reste dominante dans le champ

politique qui vient tout juste de mettre en branle un chantier expressément consacré au taxage. À cette même époque, les autres groupes, et les médias en premier lieu, accordent la primauté à l’intimidation. Comme cela apparaîtra bientôt, le gouvernement québécois emboîtera le pas devant les revendications de plus en plus nombreuses faisant de l’intimidation une violence spécifique et autonome, conduisant à la disparition publique du taxage.

100 GUÉNETTE,GILLES (2003,1fév.). « Taxage à l’école : une autre campagne nationale de sensibilisation », Le

Québécois libre (Montréal), http://www.quebecoislibre.org/030201-4.htm [consulté le 8 août 2017].

101 CHOUINARD, Marie-Andrée (2003, 22 janv.). « Un enfant sur dix est victime de "violence propre" ». Le Devoir

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du projet disciplinaire identifié par Foucault (1975), projet caractérisé par une volonté de normalisation par l’intériorisation des normes et le dressage des corps insoumis. S’inscrivant dans la logique de la gouvernementalité néolibérale, l’éviction de l’intimidation requiert des dispositifs disciplinaires plus subtils destinés à la production d’enfants « responsables », « autonomes » et « civilisés » ; des enfants « sages », selon l’acception actuelle de cette expression. Lors de l’analyse des discours experts au prochain chapitre, je discuterai du contenu de ces dispositifs psychosociaux.

Autre grand constat de ce colloque académique tenu à Montréal : comparativement aux États- Unis et à l’Angleterre, par exemple, le Québec est en « retard » en matière de lutte contre l’intimidation. Pour longtemps, ce sentiment agira comme motivation et argument pour les entrepreneurs de morale : « le Québec doit encore faire des pas de géant » ; « on en est encore aux balbutiements, mais les choses sont en train de changer102 ». Aux côtés des campagnes

d’envergure, les initiatives locales se multiplient rapidement. Les écoles mettent en branle des mesures pour combattre le phénomène que relaient les quotidiens locaux. Les maisons des jeunes et autres organisations à caractère psychosocial travaillant auprès des enfants et adolescents emboîtent le pas. Signe que le problème se diffuse, les élèves s’engagent eux aussi dans des initiatives et dénoncent le problème dans des mots très similaires, sinon identiques, à ceux de leurs aînés. Dans les pages de L’artisan réservées à des textes d’élèves de Repentigny, une adolescente du secondaire informe les lecteurs : « crainte, extorsion, menace, martyre,

bullying, tous des mots faisant partie du champ lexical de l’intimidation103 ».

Les parents ne sont pas en reste, loin de là. Les groupes de parents s’intéressent à l’enjeu et organisent des ateliers de formation ou produisent des outils de sensibilisation. Mais les parents ne sont pas seulement porteurs de revendications, ils sont aussi et surtout les destinataires des groupes organisés. Outre la couverture médiatique qui atteint des sommets (43 documents recensés seulement en 2003, voir graphique 1), de nombreux guides, ouvrages, dépliants et conférences leur sont destinés en ce début de XXIe siècle. Cela tombe bien parce que

102 Ibid.

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l’intimidation, ça concerne aussi les parents104 » et « être parent, ça s’apprend ! »105, lit-on dans

différentes publicités de « sensibilisation ».

Ainsi, entre 2000 et 2008, l’intimidation est consacrée comme problème public, c’est-à-dire comme fait social autonome problématique faisant l’objet d’une reconnaissance collective. Durant cette période, les dénonciations, revendications et initiatives engagées à son sujet sont si nombreuses qu’il est impossible d’en faire ici l’inventaire complet. Cette phase d’ébullition correspond très exactement au moment où se cristallise la définition du problème. Ce résultat doit être souligné car il interroge certains présupposés de la sociologie des problèmes publics. De fait, de nombreuses perspectives constructivistes comme celle de Blumer ([1971], 2004) distinguent la phase de « légitimation » de celle de la « mobilisation ».

Dans le cas de la carrière publique de l’intimidation, il est clair que ces deux activités sont solidaires l’une de l’autre. Voilà pourquoi j’ai préféré parler de la consécration de l’intimidation. Il m’apparaît impossible de distinguer la légitimation du problème de la mobilisation des groupes d’acteurs autour de celui-ci, précisément parce que c’est cette mobilisation qui hisse le problème au rang des phénomènes de société dignes d’intérêt. Le caractère intrinsèquement problématique du phénomène est formulé dans le même souffle que les appels à l’action ; les groupes qui mettent au jour le problème sont ceux-là mêmes qui réclament ou développent des remèdes. À peine le problème dénommé, le sursaut discursif l’entourant est tout orienté vers sa résolution. À tel point que je constate que l’intimidation existe en tant que problème collectif dans la mesure où l’on s’efforce de le résoudre ou de le contrôler.

Pour les principaux groupes d’acteurs rencontrés dans le corpus, à tout le moins, l’indignation et la mobilisation sont indissociables ; les deux activités sont solidaires l’une de l’autre autant sur le plan temporel que, si je puis dire, sur le plan logique. Pour comprendre cette spécificité de la carrière de l’intimidation, il suffit d’interroger la nature de ces groupes d’acteurs que nous venons de rencontrer. Pour la plupart, leurs paroles bénéficient d’ores et déjà d’une importante respectabilité : psychologues, consultants et agents du milieu scolaire, spécialistes en intervention sociale, journalistes, etc. Contrairement à d’autres, le problème de l’intimidation

104 SANS MENTION (2006, 25 fév.) « Chronique municipale ». La Seigneurie (Boucherville), 26. 105 SANS MENTION (2004, 11 sept.) « Être parent, ça s’apprend ! ». La Seigneurie (Boucherville), 22.

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n’émerge pas à la suite de revendications issues de groupes de la « société civile » qui devraient