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Le problème de non-superposition des bassins topographiques et hydrogéologiques

Au Chapitre 1, nous avons brièvement exposé le type de problèmes auquel est confronté l’hydrologue lorsqu’il s’agit de définir son système d’étude. Nous avons vu que cette question duvolume de contrôlepertinent divise les hydrologues en deux écoles :

• d’un côté, les tenants d’une approcheréductionniste, qui tend à privilégier des volumes de contrôle aussi petits que possible de façon à capturer le maximum d’hétérogénéité du système et à le décrire de la façon la plus exhaustive possible,

• de l’autre les tenants d’une approche globale qui ne reconnaissent comme volumes de contrôle pertinents que des bassins versants (ou éventuellement sous-bassins), pri-vilégiant ainsi le caractère fonctionnel des entités plutôt que l’homogénéité de leurs propriétés.

Dans notre cas, le choix d’une approche globale soulève un deuxième problème passé sous silence au Chapitre 1. En effet, le cycle de l’eau ne se limite pas à sa partie superficielle (pluie, ruissellement et évapotranspiration) mais comporte bien évidemment une partie souterraine avec, dans certains cas, des transferts à grande échelle (aquifères des grands bassins sédimentaires par exemple). Le problème fondamental est que rien ne garantit la superposition des bassins versants définis d’après la topographie, avec ceux définis d’après les directions des écoulements souterrains données par le gradient piézométrique. Si la correspondance est à peu près assurée pour les très grands bassins (Seine, Loire, Garonne, Rhône, Rhin, etc.), cette hypothèse peut devenir localement très fausse pour des bassins versants de quelques dizaines à quelques centaines de kilomètres carrés.

La Figure 3.1 illustre le problème. La définition topographique du bassin versant permet d’assurer que sa frontière (ligne de crêtes) est à condition de flux (de surface) nul : on n’a bien sûr jamais vu une goutte d’eau remonter une pente. Il faut noter que, en comparaison des mailles définies dans une approche réductionniste, la donnée de cette condition aux limites est un atout considérable, d’autant plus que sur le même système nous connaissons aussi le débit de surface total (mesuré à l’exutoire) et, approximativement, la pluie. Le problème subsiste cependant, car cette condition de flux nul ne vaut que pour laligne frontière et non pour la surface fictive que l’on obtient par « extrusion » verticale sous la surface du sol. Une partie des précipitations continentales (un quart à un tiers en moyenne mondiale, soit environ 10 000 km3/an, selonMargat, 2008) s’infiltre à travers la zonenon-saturée(dans laquelle les flux sont essentiellement verticaux) vers la zonesaturée, qui permet l’existence de systèmes d’écoulements locaux et régionaux (Tóth, 1963, 1995). Une partie variable de cette recharge peut être restituée de façon différée au cours d’eau (constituant ce que l’on

nommedébit de base) ; une autre partie peut, éventuellement, alimenter des bassins versants adjacents et / ou aval ; enfin, le reste, qui forme les écoulements souterrains à l’échelle des très grands bassins sédimentaires tels que le bassin de Paris, s’écoule vers la mer (un dizième du volume total selonMargat, 2008).

ligne de crêtes

Bassin topographique Bassin hydrogéologique

Ecoulement souterrain

régional Ecoulement

souterrain local

Surface piézométrique Z.S.

Z.N.S.

FIG. 3.1: Illustration du caractère ouvert du bassin versant topographique. Z.N.S. = zone non-saturée ; Z.S. = zone saturée.

Le problème de la non-superposition des bassins versants topographiques et hydrogéo-logiques se pose donc à une grande variété d’échelles : c’est un ensemble de systèmes d’écoulements « gigognes » qu’il faut imaginer, comme le montre la Figure 3.2 (le nombre de niveau n’étant bien sûr pas limité à deux !). L’écoulement de surface apparaît finalement autant comme la résultante de la topographie (ce qui, aux pas de temps qui nous concernent, est le postulat hydrologique de base) que comme sa cause, les formes de relief traduisant souvent la compétition entre les écoulements de surface et les écoulements souterrains.

Celle-ci est essentiellement contrôlée par le climat et la géologie (voir par exempleChorley, 1964 ; Winter, 2001 ; Sanford, 2002 ; Gleeson et Manning, 2008). Qu’on songe au contraste existant par exemple entre les régions crayeuses de la Normandie ou de la Picardie, faites de plateaux très faiblement inclinés, plus ou moins entamés par un réseau de vallées sèches et profondément incisés par les rares cours d’eau importants ; et les régions de socle telles que

le Massif Armoricain ou le Massif Central, aux vallées bien incisées et où les écoulements souterrains, sans être inexistants, sont formés de systèmes très locaux indépendants les uns des autres dont le développement dépend du degré de fracturation et d’altération (Lachassagne et Wyns, 2006).

FIG. 3.2: Continuité hydraulique à l’échelle d’un grand bassin sédimentaire (Van Der Heijde, d’après Tóth, 1963). Le développement relatif des systèmes d’écoulements locaux, intermédiaires et régionaux, ainsi que la morphologie de surface, résultent d’un équilibre dont les contrôles sont essentiellement climatiques et géologiques.

Dans des formations hétérogènes, les effets locaux peuvent être encore accentués par l’existence d’écoulements préférentiels s’organisant indépendamment du réseau de surface : c’est par exemple le cas des aquifères karstiques (cf. 3.2.2.1) ou volcaniques. Ainsi, si l’on veut garder une approche générale et ne pas avoir à se poser systématiquement la question de la superposition des bassins topographiques et hydrogéologiques, il faut considérer que la masse d’eau souterraine (volume bleuté de la Figure 3.1), dans le cas où elle existe, n’appartient pasà notre système, et qu’elle échange avec lui.

Après ce bref aperçu, nous allons dans un premier temps examiner d’où peut provenir cette non-superposition, d’un point de vue des processus : cela constituera l’approchedescriptive du problème. Ensuite, nous verrons quels sont les effets possibles de ces processus sur le régime des cours d’eau, c’est-à-dire leurs conséquencesfonctionnellessur la relation pluie-débit.