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Privatisations et déréglementation : poursuite de l'agenda néolibéral sous les Libéraux

3.2 La récession de 1981-82 et le virage néolibéral du gouvernement québécois

3.2.3 Privatisations et déréglementation : poursuite de l'agenda néolibéral sous les Libéraux

En septembre 1982, le journal Les Affaires déplore la sous-représentation des gens d'affaires dans les conseils des ministres, tant à Québec qu'à Ottawa, soulignant qu'« au-delà de 80% des ministres n'ont jamais travaillé dans un entreprise privée à quelque titre que ce soit »77. Dans les années

1960, il avait semblé normal, voire souhaitable, que la majorité des élus soient des intellectuels issus du milieu académique. En vertu des transformations dans les valeurs québécoises explorées plus haut, sans parler de la tendance internationale, il apparait désormais nécessaire pour certains qu'un plus grand nombre de politiciens proviennent du milieu entrepreneurial. Malgré cela, en 1985, le gouvernement sortant, maintenant dirigé par le jeune et populaire Pierre-Marc Johnson, défend un bilan économique acceptable. Selon un sondage interne de Les Affaires, le milieu des affaires est plutôt satisfait du travail du gouvernement des quatre dernières années78. Toutefois, Robert Bourassa, redevenu maître du Parti

libéral après une traversée du désert de près de dix ans, s'entoure d'une équipe de gestionnaires aguerris79. Même si le PQ a déjà entrepris une importante rationalisation de l'État et promet de

poursuivre la démarche, les électeurs québécois estiment que l'équipe libérale de candidats issus du monde des affaires est mieux placée pour orchestrer cette transformation80.

Le nouveau gouvernement mise sur le désir très répandu dans la société québécoise de voir considérablement réduite l'intervention du gouvernement dans l'économie81. Il reprend le nationalisme

économique et l'attitude pro-commerce du PQ, mais en cherchant à en modifier l'esprit pour l'arrimer aux objectifs politiques libéraux et profiter du contexte de stabilité et de sécurité économique assuré par le fédéralisme canadien82. Tôt dans son mandat, il institue trois comités spéciaux afin d'examiner le rôle

de l'État, sur la privatisation des sociétés d'État, sur la dette publique et sur la déréglementation83. Le

gouvernement compte même un ministre d'État chargé spécifiquement des dossiers de privatisation et de déréglementation84. Selon Jean-Paul Gagné de Les Affaires, si la nouvelle administration veut tenir

ses promesses électorales, elle doit :

77 « La sous-représentation des milieux d'affaires: problème sans issue? », Les Affaires, samedi le 11 septembre 1982, p. 2. 78 « Sondage exclusif auprès de 200 abonnées du journal Les Affaires, Parti québécois : 41%; Parli libéral : 28%; indécis :

28%; autres partis : 3% », Les Affaires, samedi le 16 novembre 1985.

79 Dont Paul Gobeil, ancien vice-président de Provigo, Pierre MacDonald, ancien vice-président de la Banque de Montréal, John Ciaccia, conseiller juridique pour l'épicier Steinberg's, Robert Dutil, entrepreneur beauceron frère de Marcel Dutil, président de Canam-Manac et Gilles Rocheleau, homme d'affaires de la région d'Hull, pour n'en nommer que quelques-uns. Julien Brault, Robert Bourassa : biographie. Montréal, Éditions Les Malins, 2010, p. 211.

80 Le Parti Libéral obtient une victoire éclatante aux élections du décembre 1985 : il obtient 99 des 122 sièges avec 55,99% du vote populaire, contre 23 sièges et 38,69% du vote populaire pour ses adversaires péquistes.

81 Linteau, Durocher, Robert et Ricard, Histoire du Québec contemporain, p. 730. 82 Fraser, Quebec inc., p. 6.

83 Dickinson et Young, A Short History of Quebec, p. 354.

[…] compresser les dépenses bien au-delà des 400 M$ prévus par le gouvernement sortant et avoir recours à des rentrées de fonds extraordinaires provenant par exemple de la vente de sociétés d'État […]. M. Bourassa devra également mieux étayer la position du Québec, cadre [sic] de la négociation d'un nouvel accord commercial avec les États-Unis […]. Et par-dessus tout, stimuler l'investissement et l'entrepreneurship québécois […] : alléger le fardeau fiscal des individus, diminuer la parafiscalité des entreprises, déréglementer, éliminer les sociétés d'État, simplifier le code du travail85.

L'appui partagé par le gouvernement et les milieux privés (ainsi qu'environ 48% de la population sondée86) à la privatisation est le résultat de la montée de l'idéologie néolibérale, mais aussi

des déboires financiers des nombreuses sociétés d'État québécoises : en janvier 1986, Les Affaires estiment à 900 millions $ les pertes accumulées des 21 sociétés d'État87, dont les plus mal en point

étaient Sidbec, qui a absorbé 652,8 millions $ en subventions dans les vingt années précédentes88, et la

Société nationale de l'Amiante, qui accumule des pertes à chaque exercice financier depuis qu'elle a été achetée en 1977, pour plus d'un demi-milliard de dollars89. De nombreuses autres sociétés d'État ou

entreprises fortement subventionnées dont Québecair, MIL Davie, Domtar, Donohue, Culinar, les alumineries Bécancour et Alouette, les manufacturiers Éthyles et Pétromont, la SDI, REXFOR, la sucrerie de Saint-Lantic et la Soquip éprouvent d'importantes difficultés. À l'été 1986, le comité spécial sur la privatisation remet son rapport au ministre d'État à la privatisation Pierre Fortier, qui recommande la liquidation immédiate de dix sociétés d'État québécoises90. Voulant éviter de causer trop

de réactions en effectuant une vente de feu, le gouvernement Bourassa vend plutôt progressivement ses actifs, en commençant par la Raffinerie de sucre de Saint-Lantic et le bloc d'action de Provigo que détenait la Soquia91.

Au courant des années 1980, l'idéologie néolibérale fait une entrée marquée dans le discours et l'action du gouvernement québécois, indépendamment du parti au pouvoir. Cela est dû à une multitude de facteurs, dont les plus saillants sont l'influence du climat politique international, la transformation des valeurs de la population québécoise, les effets de la récession de 1981-1982 et les déboires financiers du gouvernement et de ses sociétés d'État. Il n'existe pas de frontières entre ces facteurs : ils sont en corrélation, se renforcent mutuellement et provoquent une importante réorientation des priorités

85 Jean-Paul Gagné, « Les enjeux du gouvernement Bourassa », Les Affaires, samedi le 7 décembre 1985, p. 6. 86 « Près de la moitié des Québécois appuient la privatisation », Les Affaires, samedi le 23 août 1986, p. 2,

87 « 21 sociétés d'État québécoises ont accumulé 900 millions $ de pertes », Les Affaires, samedi le 4 janvier 1986, p. 2 88 Idem.

89 La société sera vendue par Bourassa en 1992, pour l'infime somme de 34 millions $. Balthazar et Hero, Le Québec dans

l'espace américain, p. 130.

90 La SGF, la Soquia, la Soquem, la Soquip, REXFOR, Sidbec, la Société québécoise des transports, la Société nationale de l'Amiante, Madelipêche et la Société des établissements de plein-air du Québec. « La privatisation, un appui dans détour », Les Affaires, samedi le 5 juillet 1986, p. 6.

et stratégies gouvernementales. Dans la prochaine partie, nous verrons de quelle manière cette transformation idéologique s'exprimera spécifiquement dans le domaine d'action gouvernementale qui est l'objet de ce mémoire, soit les relations internationales.

3.3 Le virage néolibéral dans les relations internationales du Québec

Dans cette partie, nous verrons de quelle manière l'idéologie néolibérale intégre l'action internationale du gouvernement québécois au courant de la période 1981-1994. Cela peut s'observer d'abord par les actions concrètes posées par les gouvernements au pouvoir en matière de relations internationales, mais aussi par la manière que ceux-ci définissent l'activité internationale elle-même. En effet, au courant de la période, le gouvernement du Québec publie deux livres blancs de relations internationales qui constituent les premières formulations officielles des assises et des objectifs de la politique internationale du gouvernement québécois92.