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Terrains exploratoires et appareillage théorique : entrelacement et problématique de recherche

2.1. Au prisme de l ’ expérience

La formulation générale d’une problématique de recherche ne peut se faire que dans une construction et un assemblage méticuleux des différents questionnements, champs et dimensions qui la composent39. La démarche revendiquée au sein de ce chapitre consiste à montrer l’articulation entre les observations, entretiens et pistes de recherche pressentis lors des terrains exploratoires (devenus terrains d’enquête de thèse) et les apports des différents champs, courants et théories anthropologiques (et apports complémentaires d’autres disciplines convoquées) afin d’aboutir à la formulation de la problématique générale et à la compréhension de ses différents enjeux.

Même si la problématique d’un travail de recherche en anthropologie connaît inévitablement certaines modifications et ajustements en rapport avec la confrontation ethnographique et au temps passé sur le terrain comme le souligne Jean-Pierre Olivier de Sardan (1995 : 76) où « une problématique initiale peut grâce à l’information, se modifier, se déplacer, s’élargir. L’observation n’est pas le coloriage d’un dessin préalablement tracé : c’est l’épreuve du réel auquel la curiosité préprogrammée est soumise », la réalisation de terrains exploratoires, validés par la suite comme terrains d’enquête officiels de thèse, ont révélé rapidement divers intérêts anthropologiques à focaliser ce travail sur les expériences post-amputation des personnes amputées des membres inférieurs et à le considérer comme le sujet central de la recherche. Comme il va l’être évoqué et précisé dans les pages suivantes, le choix et l’articulation opérés ont été de se focaliser et d’étudier précisément trois variantes indéfectiblement imbriquées à la notion d’expérience post-amputation que sont : l’expérience corporelle, l’expérience de la prothèse et l’expérience du handicap.

Notion centrale, le terme « expérience » doit être impérativement défini en premier lieu.

Ce terme sera entendu et employé en rapport à la signification et à la définition (et dont la seconde partie renvoie plus précisément à l’expérience du handicap) qu’en donnent Isabelle Ville, Emmanuelle Fillon et Jean-François Ravaud (2014 :105) :

[L’expérience est] « l’acte d’éprouver [qui] désigne le produit immanent de nos sens dans une situation particulière […]. L’expérience, c’est également la connaissance issue de la pratique. Elle peut prendre la forme d’un savoir incorporé, acquis dans l’usage, la familiarité, la répétition, lorsqu’il s’agit par exemple

39 Comme l’évoque Patrick Fougeyrollas (2010 : 1), il y a certes un risque à vouloir définir, expliquer, qui peut conduire à figer la recherche. Cependant, comme il le précise, cette démarche est essentielle pour ne pas perdre en précision et cohérence : « les multiples réponses qui peuvent être formulées nécessitent une cartographie, une définition de repères, une précision des angles de vue, des degrés de focalisation, voire de précisions. Explication qui risque de figer tout en définissant, par ailleurs, et ce, même en tendant vers une cohérence qui, en fait, peut être jamais atteinte ».

de la pratique d’un sport, d’un instrument de musique ou encore d’une aide technique comme un fauteuil roulant. Elle renvoie aussi à une connaissance réflexive qui engage une véritable élaboration cognitive. En ce sens, l’expérience de déficiences n’atteint pas seulement l’intégrité corporelle des personnes, elle touche également au sens de soi, de son histoire, aux représentations que les personnes produisent d’elles-mêmes, de leurs relations aux autres et au monde. Qu’il s’agisse d’un savoir incarné peu conscient ou d’une construction cognitive très élaborée ; l’expérience implique une dimension temporelle et singulière, propre à l’individu, constitutive de l’identité ».

Produit immanent de nos sens, savoir incorporé, connaissance réflexive, rapport aux aides techniques, expérience issue de la pratique, construction cognitive, sens de soi, relations aux autres et au monde, cette définition met en lumière les différents degrés et multiples regards que convoque la notion d’« expérience », dont certains éléments (telles « l’incorporation » et

« aides techniques » pour ne citer qu’eux) constituent des axes d’étude. Elle permet de saisir le caractère singulier40, divers, complexe et processuel que recèle intrinsèquement la notion d’expérience et qui seront au cœur de la recherche.

L’entrée par l’expérience comme créatrice de sens et la revendication d’une recherche fondée sur l’ethnographie de l’expérience (Kleinman et Kleinman, 1991 ; Good, 1998) constituent un premier point d’ancrage théorique et réflexif essentiel qui ouvre en ce sens différentes perspectives heuristiques, particulièrement dans ses possibilités à interroger in situ et au regard de l’individu son vécu post-amputation et son cheminement singulier.

2.2.Corps, corporéité, expérience corporelle 2.2.1.Phénoménologie du corps

Le corps est omniprésent lorsque l’on évoque l’amputation : corps amputé, corps traumatisé, corps accidenté, corps mutilé, corps endeuillé, corps rééduqué, corps redressé, corps appareillé… La liste est longue et non-exhaustive. Comme noté lors des premiers temps de terrains exploratoires, l’amputation comme objet d’étude amène fatalement à questionner et étudier le corps, ses bouleversements, ses transformations et son devenir. D’un point de vue

40 Nous complétons cette définition de l’expérience donnée par Isabelle Ville, Emmanuelle Fillon et Jean-François Ravaud par les propos de Christophe Niewiadomski (2013 : 36) sur l’expérience dans lesquels il souligne son caractère singulier : « Il importe de souligner ici combien l’expérience constitue toujours le fait d’un sujet singulier engagé dans une action finalisée ouvrant une construction de sens permettant d’établir des liens entre l’action et les conséquences éprouvées de l’action. Dans cette perspective, l’expérience est toujours processuelle et doit être clairement distinguée du "produit" que constitue par exemple l’acquis de l’expérience. Si ces derniers peuvent éventuellement être mobilisés, évalués et transmis, l’expérience en tant que telle reste irrémédiablement celle d’un sujet singulier ».

théorique et anthropologique, la focalisation sur le corps amputé confronte à une question primordiale : de quels corps parle-t-on ? Autrement dit : quel(s) corps41 amputé(s) étudier ?

La notion de corps est complexe, disparate, difficilement saisissable de par la multiplicité des sens et définitions auxquels elle renvoie. Au sein des sciences humaines et sociales, le corps se définit comme une nébuleuse hétérogène (Brohm 42 , 2017). L’anthropologie, par l’intermédiaire de multiples travaux et enquêtes ethnographiques, est une des disciplines révélatrices, en première ligne, de la grande variabilité culturelle des dénominations et représentations que peut revêtir la notion de corps (Erny, 1997 ; Le Breton, 2005). Loin d’être un obstacle épistémologique infranchissable, la prise en compte de cette hétérogénéité et complexité du corps ouvre à différents regards et pistes d’analyses.

Le corps comme corps biologique (ou matériel), qui renvoie au domaine et à la définition biomédicaux, est la signification donnée et l’approche communément entendue culturellement au sein des sociétés occidentales contemporaines (auxquelles renvoient les terrains d’enquête étudiés) lorsque l’on parle du corps. De par le traumatisme et les retentissements physiques au niveau du corps biologique suite à l’acte chirurgical d’amputer, l’approche biomédicale du corps sera inévitablement convoquée et servira de premiers éléments d’analyse et de réflexion sur lesquels cette recherche ne peut faire l’impasse. Encore très peu analysés dans une approche ethnographique, c’est tout un ensemble de transformations du corps biologique post-amputation et son apprentissage, particulièrement en rapport au moignon, qui invitent à être nécessairement questionnés.

Pour autant, au risque d’être réducteur, l’étude du corps biologique n’est pas suffisante.

De nombreux chercheurs, de différentes disciplines dont fait partie l’anthropologie, soulignent le caractère protéiforme du corps qui n’est pas un, mais multiple (Mol, 2002). Il existe « plusieurs corps dans le corps même […], susceptibles, malgré tout, de se conjoindre, à la condition de donner aux structures porteuses leurs vraies dimensions, leur complexité, leurs charges historiques » (Dagognet, 1992 : 11). Dans cette optique, l’approche phénoménologique du corps constitue une seconde porte d’entrée à la compréhension de l’expérience corporelle vécue et narrée par les personnes amputées.

41 Quel Corps ? était le titre d’une revue interdisciplinaire (sociologique, anthropologique, philosophique…) paru entre 1975 et autodissoute en 1997.

42 « Le corps n’est pas une réalité homogène, univoque et délimitée, comme peuvent l’être des choses parfaitement identifiées, mais une nébuleuse hétérogène d’une extrême complexité, ce qui est d’ailleurs le cas de toutes réalités humaines, comme l’a si souvent souligné Edgar Morin » (Brohm, 2017 : 28).

Par un bref détour historique, il est important de rappeler que les travaux philosophiques et précurseurs de Maine De Biran43, parus au XIXe siècle, sur la nécessité de concevoir l’incarnation du corps comme source de compréhension de la subjectivité et ceux développés par d’Edmund Husserl, au début du XXe siècle, sur la distinction essentielle entre le Körper (corps biologique ou matériel) et Leib (chair, corps vivant, corporéité charnelle44) ont posé des jalons fondamentaux à la phénoménologie du corps. À la suite de ces travaux pionniers et de ces premières distinctions, Maurice Merleau-Ponty (1945) développe une réflexion heuristique sur le corps phénoménal (corps propre) comme source et point de départ de notre appréhension et compréhension du monde. Pour cet auteur, le corps n’est pas une simple étendue géométrique, une somme de parties sans intérieur ; il se construit par le vécu. Via le concept de corps propre, il développe une approche d’un corps qui est subjectif, sensible, mouvant, percevant, intentionnel, conscience corporelle à l’espace-temps, intersubjectif et comme lien au monde. Cette pensée du corps phénoménal développée par Maurice Merleau-Ponty met ainsi en exergue le caractère subjectif de l’expérience du corps et donc la pluralité des expériences et des perspectives.

Dans son précieux travail philosophique et anthropologique sur l’ontologie du corps, Jean-Marie Brohm (2017 : 65) souligne l’obstacle et l’ambiguïté épistémologiques que constitue le corps. Il poursuit la déconstruction de l’illusion d’une seule définition et approche du corps en repartant de l’approche phénoménologique. Il décrypte trois manières d’appréhender le corps : le corps en première personne (le corps pour soi) en tant que « corps vécu, subjectif, singulier, propre à chaque individu selon son histoire personnelle, son sexe, son âge » ; le corps en seconde personne (le corps pour autrui) « en tant que corps perçu, évalué, désiré, étudié, manipulé par autrui » ; enfin le corps en troisième personne (le corps en soi) en tant que « réalité objective et objectivée, abstraite et anonyme ». La déclinaison en trois variantes offre une grille de lecture et d’analyse plus précise du/des corps qui va être particulièrement utile à l’ethnographie et à la réflexion anthropologique du corps amputé et les multiples perceptions qu’il revêt et suscite.

43 Cf. l’ouvrage de Michel Henry « Philosophie et phénoménologie du corps. Essai sur l’ontologie Biranienne » (1987 : 11).

44 Comme le souligne Jean-Marie Brohm (2017 : 39), Edmund Husserl emploiera au fur et à mesure de ces travaux différents termes pour évoquer ce qu’il nomme chair : « La subjectivité transcendantale ne se comprend en effet qu’en fonction de la distinction principielle entre ce qu’il appellera de différentes manières selon les contextes chair, corps de chair, corps propre, corporéité vivante, corps vivant, corporalité propre, corporéité charnelle, corporéité de la chair ».

Déjà sollicité dans de nombreuses recherches sur le handicap (Murphy, 1990 ; Barnes, Mercer, et Shakespeare, 1999 ; Ancet, 2008 ; Lapierre, 2011 ; Moyse, 2010 ; Scully, 2008, Winance, 2007a, 2010), le courant phénoménologique est un apport essentiel car il invite à questionner l’expérience du corps amputé bien au-delà du corps biologique. Il invite à re-questionner et approfondir, en lien avec les spécificités de l’approche ethnographique (observations et entretiens), différents travaux et recherches phénoménologiques, déjà cités au sein de la revue de littérature45, les expériences corporelles post-amputation, particulièrement en rapport au membre fantôme et à l’incorporation de l’objet prothétique (Merleau-Ponty46, 1945 ; Murray, 2004, 2005, 2009 ; Vivan Sobchack, 2006, 2010 ; Cassandra Crawford, 2014).

2.2.2.Éléments de définition

Dans un souci de clarté et de cohérence du cadre théorique, il est essentiel de préciser l’emploi de certains termes en rapport au corps qui seront utilisés au cours de ce travail. Pour éviter un amalgame dans l’usage de différents termes (mais aussi afin de souligner et renforcer leur complémentarité), une distinction doit être mise en place concernant l’usage différencié des deux termes « corps » (corps objectivé-biologique) et « corporéité » (vécu corporel). En nous appuyant de nouveau sur les propos de Jean-Marie Brohm (2017 : 59), l’emploi du terme

« corporéité » renverra dans ce manuscrit au corps phénoménal, corps-sujet, corps vécu : « synonyme de corps propre, notamment dans les courants phénoménologiques, elle (la corporéité) désigne la sphère du vécu corporel, subjectif et intersubjectif ».

Il est également important de souligner en lien avec les apports du courant phénoménologique vis-à-vis du corps vécu et la démarche d’exploration du corps et de la corporéité post-amputation, l’usage fréquent qui sera fait du terme « expérience corporelle ».

Pour cela, basées sur une ethnographie de terrain en milieu hospitalier, les recherches en sociologie d’Eve Gardien, sur l’apprentissage du corps accidenté (2008) et le cadre théorique

45 Cf. Chapitre n°1.

46 Peggy Tessier dans son ouvrage Le corps accidenté. Bouleversements identitaires et reconstruction de soi (2015 : 152) synthétise le positionnement développé par Maurice Merleau-Ponty : « La perception phénoménologique par laquelle Merleau-Ponty étudie ce phénomène du membre fantôme nous offre en quelque sorte une définition générale de l’identité corporelle. Il le fait notamment par l’intermédiaire du concept du

"refoulement organique", contre l’idée d’un schéma corporel défendu par les neurophysiologistes. Le "corps"

actuel mutilé continue de faire vivre, sous forme d’habitudes gestuelles, un corps disparu d’avant la mutilation.

Chez Merleau-Ponty, la dimension temporelle est très importante pour comprendre ce qui se joue dans ce phénomène. Pour le « corps actuel » amputé, le corps sain n’est pas un passé dépassé par l’accident. Il n’est donc pas un souvenir. Sa présence en tant que fantôme exprime un refus, celui du manque et celui d’abandonner un corps intègre et en « bonne santé ».

et les notions qu’elle utilise, reprenant la distinction entre corps objectivé/vécu pour traiter cette question du corps concernant les personnes blessées médullaires, sont des bases et éléments opératoires repris dans ce travail. Cette chercheuse s’appuie sur différentes notions et déclinaisons concernant le corps47 qu’elle développe et articule les unes aux autres en rapport au procès du corps (objectivé/vécu) blessé. Il est dès à présent essentiel de définir deux de ces notions, « état corporel » et « expérience corporelle », qui permettent de saisir la distinction qui sera faite et qui explicitent ou éclairent le sens donné à l’usage d’expérience corporelle :

« Le corps objectivé est une représentation, située dans le temps, produite par un ou des acteurs visant une connaissance rationnelle. Le corps objectivé est une représentation éphémère, plus ou moins durable, d’un corps quant à lui bien réel. La connaissance dudit corps, dans la mesure où elle est réactualisée au fur et à mesure des transformations somatiques est un continuum d’objectivations. Ces dernières seront convoquées sous le terme "d’état corporel" »48 (Gardien, 2008 : 23).

« L’état corporel est à différencier de l’expérience corporelle qu’en fait l’individu. Cette expérience corporelle ne saurait néanmoins être comprise comme sans lien avec ledit état, mais elle est essentiellement de nature subjective et sociale. En effet, le corps est initialement donné à la conscience non pas en tant que catégorie de l’entendement mais en tant que vécu ». (Gardien, 2008 : 24).

Dans la continuité des premières précisions théorico-sémantiques entre corps/corporéité, cette seconde disjonction/précision entre état corporel/expérience corporelle permet d’affiner encore les significations et distinctions opérées lors des usages respectifs des termes au sein de ce travail.

Un dernier élément à clarifier concerne le recours et l’usage restreint de deux concepts transversaux à différentes disciplines (philosophie, psychologie, anthropologie, psychiatrie, psychanalyse, sciences cognitives et neurosciences) que sont le schéma corporel et l’image du corps. Appréhendé par Paul Schilder (1935) comme vécu sensori-moteur intuitif, plusieurs approches et définitions du schéma corporel ont été données au cours du XXe siècle (par exemple : Head, 1911 ; Schilder, 1935 ; Merleau-Ponty, 1945 pour ne citer qu’eux) ; elles ne font pas nécessairement consensus et génèrent des critiques entre les disciplines et au sein même de certaines disciplines49. Dans le cadre de notre analyse, le schéma corporel ne sera pas abordé en tant qu’objet d’étude spécifique et central de la recherche mais il y sera fait référence en rapport à certaines analyses précises de l’expérience post-amputation tels que les degrés

47 L’appareillage théorique d’Ève Gardien (2008) s’articule sur les notions d’état corporel, potentiel corporel, processus corporel, expérience corporelle, situation corporelle.

48 Elle précise également que « le terme « état » est choisi pour ce qu’il suggère d’impermanent. Contrairement à ce que son étymologie laisse supposer de statique (par opposition au mouvement) d’arrêt ou de repos, ce vocable sera compris dans son acception la plus large : manière d’être momentanément, plus ou moins durable » (Gardien, 2008 : 23)

49 Je remercie Jérôme Goffette pour ces précieux conseils et références concernant le schéma corporel et l’image du corps.

d’incorporation de la prothèse50. La définition ci-dessous (Grison et Rosselin, 2006 : 457-458) du schéma corporel et les précisions apportées par les auteurs concernant cette notion serviront de base à l’emploi de ce concept au cours du travail. Selon eux, le schéma corporel se définit comme une :

« Représentation en trois dimensions, conscientisée ou conscientisable à des degrés divers, que se fait l’individu de lui-même. Il s’agit ici non seulement de la vision qu’a le sujet de son corps, de sa posture et de sa position spatiale, mais d’une synthèse multimodale des données sensorielles […] Le caractère plastique du schéma corporel permet d’intégrer des éléments matériels extérieurs au corps perceptif, comme le suggèrent les écrits de Head, Merleau-Ponty, et ceux récents, de Ramachandran et Warnier, récusant l’idée d’une opposition radicale entre extériorité et intériorité, mais aussi entre objets et sujets ».

À cette première définition, s’ajoutent les apports de Patrick Haggard et Daniel Wolpert (2005).

Ils y soulignent les sept propriétés fondamentales du schéma corporel : codé spatialement, modulaire, adaptable, supramodal, cohérent, interpersonnel, constamment mis à jour par le mouvement.

Enfin, quant au concept d’image du corps, il renvoie quant à lui, à plusieurs niveaux d’intelligibilité (Brohm, 2017 : 399) :

« L’image du corps propre, à la fois associée au schéma corporel et distincte de lui, renvoie en fait à plusieurs niveaux d’intelligibilité. En simplifiant, on pourrait dire qu’elle concerne les niveaux conscients, préconscients et inconscients du corps agissant (schèmes sensori-moteurs et psychomoteurs), du corps vécu (ressentis psychosomatiques, cénesthésie), du corps connu (savoir du corps), du corps reconnu (images spéculaires), du corps représenté (figuration du corps), du corps imaginé (fantasmes, idéalisation et utopies) ».

Au même titre que les débats et discussions sur le schéma corporel, cette définition de l’image du corps montre la densité et la diversité des approches et références qui balaient aussi bien aux niveaux neurocognitif, kinesthésique, psychomoteur, psychanalytique mais aussi philosophique ce concept. Dans le cadre de cette recherche anthropologique qui se revendique d’une approche ethnographique, le terme « d’image du corps » sera quant à lui entendu dans la définition donnée par Myriam Winance (2003) et basé sur une synthèse des différents travaux en sociologie de la santé sur l’expérience d’une maladie chronique ou d’un traumatisme (Bury, 1982 ; Charmaz, 1983, 1995 ; Kelly, 1992, 1996). À partir d’une différenciation des notions de

« soi »51 (ou d’identité subjective), « d’identité sociale »52 et « d’image du corps », elle définit

50 Cf. Chapitre n°1.

51 Selon Myriam Winance (2003 : 6), en s’appuyant sur la définition donnée par Michael Kelly (1992), la notion de « soi » se réfère « à l’image (idée ou représentation) que chaque individu forme de lui-même à partir de ses expériences, de ses sensations, de ses actions et de ses interactions quotidiennes ».

52 De même, Myriam Winance (2003 : 6) définit la notion « d’identité sociale » et se réfère « à la représentation ou à l’idée que les autres forment du sujet, lors de leurs interactions, à partir des attributs possédés par ce sujet ».

Le terme d’identité sociale sera abordé dans la partie suivante en rapport à la théorie de la stigmatisation développée par Erving Goffman.

(2003 : 6) cette dernière comme « l’image que l’individu se forme de son corps tout au long de son histoire, à partir de la manière dont il perçoit et ressent son corps, mais aussi à partir des représentations et des significations sociales et culturelles du corps ». Le choix de cette définition repose sur les caractères expérientiel, psycho-social, social et culturel et qui seront sollicités dans le cadre de ce travail.

Du cadre phénoménologique à la définition de l’expérience corporelle, le travail réflexif

Du cadre phénoménologique à la définition de l’expérience corporelle, le travail réflexif