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Chapitre 4 Développement professionnel

2. La prise en compte de l’apprentissage

Dans ses travaux Bandura développe la théorie de « l’apprentissage social » (Bandura, 1976) qui s’appuie sur la mise en relation de trois formes de processus, les processus vicariants, les processus symboliques (l’utilisation de symboles pour se représenter les autres et le monde, pour analyser ses propres expériences, pour communiquer, créer, prévoir l’avenir, etc.) (Marcel, 2005) et les processus autorégulateurs qu’il nommera plus tard l’ « agentivité humaine » (s’appuyant sur notre « capacité à nous diriger nous- mêmes ») comme précisé dans le chapitre 2 (Marcel, 2005). « L’autorégulation débute

par l’anticipation des résultats matériels, symboliques et sociaux, mais elle s’applique également à l’auto-évaluation des résultats à partir des standards personnels progressivement construits depuis les résultats obtenus » (Carré, 2004).

Parmi les formes d’apprentissage, nous nous intéressons à l’apprentissage vicariant (parfois appelé modelage) ainsi qu’à la place de l’expérience et des apprentissages formels et informels.

2.1. L’apprentissage vicariant

Pour Bandura, l’apprentissage ne peut se réduire à des essais et des erreurs. Il explique que les individus peuvent acquérir des savoir-faire nouveaux en observant, et ils sont également capables de les reproduire dans des situations différentes. Il va plus loin dans son explication, en indiquant que les personnes sont également en mesure de se faire une représentation de l’observation effectuée de manière à en reproduire un savoir-faire plus élaboré (Bandura, 1980).

Appelé également le modelage, l’apprentissage vicariant est différent d’une reproduction mimétique. « On entend par modelage tout un travail d’observation active par lequel, en extrayant les règles sous-jacentes aux styles de comportement observé, les gens construisent par eux-mêmes des modalités comportementales proches de celles qu’a manifestée le modèle et les dépassent en générant de nouvelles compétences et de nouveaux comportements, bien au-delà de ceux qui ont été observés » (Carré, 2004). Le processus d’apprentissage vicariant est constitué par quatre composantes :

- Une attentionnelle : si l’observateur porte de l’intérêt au modèle observé, il y aura donc une attention toute particulière de même que les conditions de l’observation ou de la situation font partis de cette composante.

- Une de rétention ou de mémorisation : elle repose sur un processus de sélection de l’information qui va être encodée, stockée et organisée.

- Une de reproduction motrice : l’observateur est capable de reproduire ce qu’il a observé dans la mesure des deux composantes précédentes ainsi que de l’individu et du contexte.

- Une motivationnelle : « ce n’est pas seulement le comportement du modèle qui est appris….ces attentes ou expectations de résultats sont véhiculés par le modèle au même titre que résultats » (Fenouillet, 2003).

Ce processus d’apprentissage semble se retrouver dans les situations de stage durant l’année de formation initiale des enseignants. En effet, les enseignants sont affectés avec des enseignants expérimentés qu’ils doivent observer pour petit à petit ou encore de manière progressive pour prendre la place du « modèle ». Dans ce processus, nous pouvons penser que les enseignants en formation vont réinvestir une partie de leurs observations.

2.2. L’expérience mobilisée vectrice de nouveaux apprentissages

L’expérience est consubstantielle au sujet et à son activité qui le reflète au moins en partie, ainsi Ricoeur précise que « le soi au sens de l’identique dans le changement se construit dans le vécu de l’activité du sujet. Il est le produit chez le sujet de sa propre activité : il a un statut pré-sémantique et pré-discursif […] « Le « moi » du soi-même se construit comme le résultat des actions de pensée sur « soi » du sujet sur lui-même et pour lui-même, il peut être présenté comme le produit de l’élaboration d’expérience [… ] « Le « je » se construit dès lors que le « moi » fait l’objet d’une communication adressée à autrui ou à soi-même. Il est en écho direct avec la communication d’expérience et permet d’articuler la face subjective avec la face sociale de l’expérience […] Comme le vécu, l’élaboration et la communication de l’expérience, les constructions du « soi », du « moi » et du « je » s’investissent mutuellement dans la construction des sujets, à la manière dont la pensée et le langage s’investissent mutuellement chez Vygotsky. Elles sont consubstantielles » (Ricoeur, 1990).

Pour développer de nouveaux apprentissages, l’expérience vécue des enseignants paraît nécessaire à mobiliser (Lindeman, 1926, Knowles, 1970). Ce présupposé est toujours vrai aujourd’hui et se perçoit au travers par exemple de l’intérêt porté notamment sur les dispositifs de validation des acquis de l’expérience.

Selon Zeitler et Barbier, le concept d’expérience peut se définir selon deux registres de signification : « ce qui arrive au sujet et ce qui arrive à l’environnement dans leur rapport réciproques par la médiation de l’activité ». Ce qui permet à l’enseignant de construire des ressources propres mobilisables dans le travail et de manière plus étendu dans le cadre social (Zeitler, Barbier, 2013). Selon ces mêmes auteurs ce point de vue renvoie « au succès culturel actuel du paradigme constructiviste qui lie transformation des sujets, des activités et des environnements ».

Une des origines de l’apprentissage expérientiel provient des travaux de Kolb qui proposait de le décliner en un modèle (Kolb, 1984). Il a décomposé cet apprentissage en différentes phases que sont l’expérience concrète, la compréhension de cette situation et une conception qui était généralisable à d’autres situations. Bien que ce modèle soit éclairant, d’autres travaux en ont montré les limites notamment en soulignant sa réduction à une suite d’opérations, qui ne laisse pas la place à des apprentissages se déroulant de manière symbolique ou non prédicatives (Petitmengin, 2001). Dans d’autres travaux tels que l’énaction (Varela, 1989) et la cognition située (Suchman, 1987), le terme d’apprentissage n’apparait pas. Cependant, dans ce cas le processus d’apprentissage expérientiel est vu comme une série de constructions et de transformation de connaissances situées (Sève, Saury, Theurau, Durand, 2002). Ces travaux mettent en avant la transformation des « habitudes d’interprétation » par la personne dans le cadre d’apprentissage expérientiel, qui sont alors nommés « apprentissage interprétatif » (Zeitler, 2011). Dans le cadre des théories de la didactique professionnelle, cet apprentissage expérientiel est perçu comme une transformation des éléments du schème (Coulet, 2010). Dans la théorie de la clinique de l’activité, l’apprentissage expérientiel se déroule dans l’interaction entre plusieurs acteurs sur des gestes professionnels réalisés dans une situation habituelle pour les acteurs. Le modèle proposé par Kolb (1984), ne prend pas en considération les aspects collectifs et sociaux pourtant incontournables pour appréhender l’apprentissage expérientiel. L’expérience peut être aussi définie comme le résultat non pas d’un processus d’apprentissage basé sur l’activité mais davantage comme le résultat d’un travail réalisé sur l’activité elle-même (Pastré, 2013).

Selon Barbier et Thievenaz, il convient de définir les zones sémantiques des usages du mot « expérience » (Barbier et Thievenaz, 2013). L’auteur en distingue au moins trois. Tout d’abord, le niveau préréflexif de l’expérience, c’est celui dans lequel sont décrites la personne et les transformations de l’environnement. Ensuite, le niveau de l’élaboration de l’expérience, c’est la construction de sens et les opérations mentales réalisées par la personne à partir et sur l’activité. Enfin, le dernier niveau, la communication de l’expérience, c’est une forme de narration permettant à la personne de partager ce qu’elle vit, par rapport à sa propre activité. La communication de l’expérience va induire des opérations mentales de construction ou de reconstruction et

sera certainement un élément déclenchant participant à la modification de l’activité. Ainsi, « l’activité et l’expérience passées construisent des cadres pour l’activité future. Ces cadres ont un statut fonctionnel ; ils sont investis dans l’activité et transformés par l’activité ; pour les désigner on peut utiliser des construits tels que les concepts d’habitude (au sens de Dewey), de schèmes (au sens de Piaget), de pattern (au sens culturaliste). Ce n’est pas un hasard si la définition que Bourdieu (1980) donne des habitus, lie explicitement passé et futur : structure structurée prédisposée à fonctionner comme structure structurante » (Bourdieu, 1980).

2.3. Les liens entre savoir et expérience

Le développement professionnel comme nous l’avons vu est souvent abordé sous l’angle de l’apprentissage à vie. L’enseignement est une profession qui implique des prises de décisions complexes et contextualisées. Un des objectifs du développement professionnel est donc de soutenir les enseignants dans la construction de connaissances professionnelles sur lesquelles ils pourront baser leur jugement. Le développement professionnel vise également la création de liens entre la théorie et la pratique pour que les connaissances théoriques acquises puissent être employées pour influencer leurs prises de décisions en contexte de pratique. « Le développement professionnel doit, d’une quelconque façon être connecté à la pratique authentique à laquelle la théorie doit être reliée » (Butler, 2005). Le développement professionnel est lié au concept d’autorégulation de l’apprentissage en ce sens qu’il vise à provoquer et accompagner des changements dans la pratique. L’autorégulation est souvent pratiquée dans les communautés de pratiques et s’appuie sur la construction et la contextualisation des connaissances dans la pratique. L’apprentissage y est ancré dans la réflexion sur l’action. Déjà, Dewey stipulait qu’il existe un lien étroit entre l’expérience vécue et l’apprentissage (Dewey, 1938). Désormais plusieurs auteurs admettent que l’adulte apprend à partir des réflexions issues de son expérience quotidienne et que cette expérience occupe donc une place centrale dans l’éducation des adultes (Boutinet, 1995; Knowles, 1990). Courtois et Pineau parlent même d’un nouveau paradigme en formation, celui de l’apprentissage expérientiel (ou apprentissage par l’expérience) (Courtois et Pineau, 1991). À partir de l’étude des récits, Mandeville fait ressortir six dimensions importantes quant aux expériences qui sont source d’apprentissage et de

développement, on pourrait aussi dire qu’il s’agit de six conditions pour un apprentissage expérientiel dans la formation continue (Mandeville, 1998). Le premier est que l’expérience est en continuité transactionnelle avec l’environnement. « Selon les récits, la continuité-transactionnelle de l’expérience suppose un processus concret, indissociable du contexte, progressif et à long terme dans lequel un événement peut devenir un déclencheur propice au changement » (Mandeville, 1998). Ainsi, les expériences vécues s’inscrivent dans le cheminement et le contexte de vie de l’individu et on peut constater que l’expérience constitue un cheminement progressif (continuité entre ce qui précède l’expérience, ce qui se déroule pendant l’expérience et ce qui suit l’expérience). Il ressort de cette composante que la démarche expérientielle est longue et progressive. Le deuxième est que l’expérience est signifiante pour la personne qui l’a vécue. La troisième est que l’expérience est une forme d’engagement. La quatrième est que l’expérience implique une relation significative d’assistance. L’individu établit un lien significatif avec une personne importante pour lui (proche, pair, personne- ressource) qui agit comme un facilitateur de la démarche expérientielle. La cinquième est que l’expérience est une occasion d’autoréflexion et enfin la sixième est que l’expérience est une possibilité de reconnaissance de l’accomplissement. Mandeville élabore donc différentes conditions d’utilisation d’une méthode d’apprentissage expérientiel en formation continue, en lien avec les six dimensions énoncées précédemment qui sont la continuité transactionnelle avec l’environnement : puisque l’apprentissage expérientiel se produit lorsqu’il y a interaction entre l’apprenant et son environnement, cela réitère l’importance de l’expérience sur le terrain (Mandeville, 1998).

Il y a de plus en plus d’écrits qui tentent de différencier le développement professionnel selon l’expérience ou l’expertise atteints par l’enseignant. Par exemple, dans le cadre d’une recherche effectuée aux États-Unis, Boyle, Lamprianou, and Boyle (2005) ont montré que les besoins des enseignants débutants et des enseignants expérimentés en termes de développement professionnel sont différents, les enseignants expérimentés préférant généralement des activités de développement professionnel qui favorisent le partage d’expériences (observations des collègues, partage des pratiques, etc.). De même, les expériences de partenariat école/université où des enseignants expérimentés œuvrent auprès d’enseignants stagiaires sont souvent bénéfiques pour le développement

professionnel des deux parties impliquées (Sandholtz, 2002). Mais ce modèle du soutien dans la pratique pour le développement professionnel sous-tend qu’il y a deux modes d’acquisition des savoirs, le premier est que la production de savoirs peut se faire en dehors de leur contexte de production, et le deuxième mode de production des savoirs est lié au fait de savoir le créer dans son contexte d’application (Gibbons, et al. 1994).

2.4. L’apprentissage formel et informel

Comme nous venons de le voir, le développement professionnel constitue l’amélioration continue du savoir et des compétences professionnelles tout au long de la carrière. Il inclut tous les types d’apprentissages professionnels effectués par les enseignants à partir de la formation initiale (Craft, 2000). Considérer le développement professionnel comme un processus continu implique la prise en compte des activités d’apprentissage formelles et informelles. Dans l’enseignement aussi, le développement professionnel est considéré comme un apprentissage qui s’effectue tout au long de la carrière, c’est pourquoi l’on parle de développement professionnel continu. (Anderson, Olsen 2006, Christie, Kirkwood 2006). L’idée du développement professionnel continu repose sur la philosophie de Condorcet quant à la perfectibilité de l’esprit humain. En effet, Condorcet stipulait que l’instruction devait concerner tous les âges (Condorcet, 1793), idée que l’on retrouve en éducation puisqu’on vise l’actualisation des compétences des enseignants tout au long de la carrière (lifelong learning).

Le développement professionnel inclut donc des activités d’apprentissage formelles et informelles qui permettent aux enseignants d’améliorer leurs pratiques. Les opportunités d’apprentissages informels ne suivent pas un curriculum spécifique et ne sont pas restreintes à un certain environnement (Desimone, 2009). Elles comprennent des activités individuelles (lectures, observations en classe) et collaboratives (discussions avec les collègues, mentorat, réseaux d’enseignants, groupes d’études). La participation à de telles activités est généralement volontaire et les enseignants ont une grande liberté quant à l’organisation de leurs apprentissages et aux objectifs à poursuivre. Les activités informelles prennent souvent place dans le contexte de la classe ou de l’école, ce qui aide les enseignants à réfléchir à leurs pratiques et à apprendre de leurs collègues (Putnam et Borko, 2000). La collaboration peut être considérée comme une pratique d’apprentissage informelle, qui comprend les

discussions et le partage de savoirs entre collègues (Lieberman, 1995; Putnam et Borko, 2000) et l’apprentissage à partir de l’expérience d’autrui (Putnam et Borko, 2000). Cette relation à autrui interroge les processus de socialisation dans le développement professionnel.