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La socialisation et le développement professionnel collaboratif

Chapitre 4 Développement professionnel

4. La socialisation et le développement professionnel collaboratif

Comme nous venons de le voir, le concept de développement professionnel s’est orienté progressivement vers la notion de socialisation en intégrant la place du collaboratif dans le développement individuel. Ainsi, depuis environ deux décennies, la recherche sur le développement professionnel a adopté un nouveau paradigme qui prône des méthodes d’apprentissage plus collaboratives misant sur les relations interpersonnelles et les activités entre enseignants (plutôt que le modèle individuel). C’est au travers des interactions sociales (Lave, 1991), par le partage d’informations et de perspectives, le questionnement sur la pratique ainsi que par l’élaboration de nouvelles idées que sont favorisées de nouvelles pratiques et l’instauration d’innovations pédagogiques. Ainsi

peut-on parler d’« engagement conjoint des enseignants dans une démarche d’amélioration de leurs pratiques pédagogiques quotidiennes. Cet engagement doit partir d’un questionnement des enseignants formulés à partir de leurs pratiques actuelles pour que le développement professionnel les rejoignent dans leurs préoccupations les plus profondes. Ce développement professionnel correspond donc à une posture d’apprenant que l’enseignant adopte dans sa pratiques quotidienne à l’intérieur de laquelle il clarifie sa vison de soi comme apprenant, il transforme ses pratiques pédagogiques grâce à l’aide que lui procurent ses collègues, et il affine ses compétences réflexives et métacognitives » (Dionne, 2003). L’idée d’un espace de médiation s’est imposé car il « constitue ce lieu où il devient possible de transcender la pratique, processus difficilement réalisable dans l’unique espace de collaboration entre les enseignants, qui leur permet de s’exprimer et d’échanger sur leur pratique, certes, mais qui ne procure pas le recul nécessaire pour objectiver réellement et pour évaluer de façon critiques les schèmes d’action. Les conversations avec la chercheure rendent possible cette réelle distanciation avec la pratique » (Dionne, 2003). L’espace de médiation est vu en tant que lieu d’approfondissement de la collaboration et de rapprochement entre la pratique et la recherche (médiation des savoirs comme un rapprochement pratique-théorie) qui permet d’améliorer le développement professionnel des enseignants. Dans l’espace de médiation le chercheur joue à la fois le rôle de facilitateur, de guide, de médiateur en établissant un lien entre le milieu de recherche et le milieu de la pratique par une expansion de la zone de dialogue et d’échange, zone interprétative, d’encouragement de la collaboration et d’autoréflexivité sur la pratique. Quatre principes permettent d’éclairer le développement professionnel collaboratif celui de clarification, d’ouverture, d’authenticité et celui de réciprocité.

Ainsi les systèmes de soutien efficaces visant l’apprentissage professionnel prennent en considération la dynamique existante entre les dimensions individuelles et collectives de l’apprentissage. Le développement professionnel se construit à partir de relation supportante de l’amélioration de l’estime de soi et du partage et de la reconnaissance des expériences professionnelles (Prada, 2001). Le développement professionnel collaboratif se base par exemple sur la participation à des recherches actions ou à des réseaux d’enseignants qui permettent la création de relations de soutien et d’entraide.

Pour Day, le développement professionnel peut être favorisé par le partenariat entre enseignants et tuteurs (Day, 1999). La notion de partenariat désigne la relation existante entre différentes personnes qui partagent un travail vers des objectifs communs. Il existe différentes conceptions de l’apprentissage allant d’un apprentissage centré sur les processus individuels à un apprentissage centré sur la médiation et le social (socially- mediated). Sont facteurs de développement professionnel, la prise de conscience de ces conceptions, le repérage de nouvelles idées dans la pratique à partir des connaissances théoriques et le fait de réviser ses connaissances à partir de la réflexion sur la pratique. Ainsi, « toute nouvelle information apportée aux enseignants ne sera réellement intégré que si elle peut servir de ressources pour la prise de décisions en contexte réel d’enseignement » (Butler, 2005).

La notion de communautés d’apprentissage s’est progressivement imposée dans cette mouvance, avec un objectif d’aide de chaque individu à réussir en construisant une base de connaissances et en prenant en compte l’environnement. Le développement professionnel est ainsi lié au processus de socialisation secondaire (Berger et Luckmann, 1996). Pour certaines recherches (Cordingley et al. 2005, Pedder et al., 2005; Bolam, Weindling 2006), le développement professionnel efficace est collaboratif, centré sur la classe et basé sur les résultats de la recherche. Ce type de développement implique donc de laisser une certaine indépendance professionnelle à l’enseignant et de valoriser le développement de sa pensée critique. Le développement professionnel collaboratif peut aussi se définir comme « toute forme d’apprentissage professionnel dans lequel les enseignants s’engagent librement à l’intérieur de groupe de collaboration. Ces formes d’apprentissages professionnels rejoigne le concept d’enseignant-apprenant et sont de nature à développer une vision personnelle des habiletés de recherche en lien avec une pratique pédagogique renouvelée, des habiletés de collaboration et une capacité de réflexion critique (…) le processus de collaboration est lié à la présence de qualité relationnelle et de communication » (Dionne, 2003). Le développement professionnel en adoptant le principe de la collaboration entre pairs, considéré comme un mode efficace, est associé au socio constructivisme. Le développement professionnel collaboratif emploie plusieurs stratégies comme le dialogue professionnel, le développement curriculaire, la recherche action. Ainsi, « la croissance personnelle et le développement professionnel des enseignants seraient

tributaire d’un engagement dans divers processus d’autonomisation (Kranton 1996). Le développement professionnel est lié à la vision personnelle de l’enseignant et de son rôle, la vision personnelle se définit ici comme « cette vision qu’à l’enseignant de lui- même et de sa tâche d’enseignement en fonction d’un futur désirable » (Fullan, 1993). Le processus de collaboration analysé selon la théorisation ancrée, pose comme condition de la collaboration les liens aux ressources et au travail (buts et objectifs communs) ainsi qu’au contexte. Deux principales propriétés sont dans ce cas déterminantes de développement professionnel, d’une part le sens et d’autre part la collaboration. Nous pouvons ainsi dire que « l’espace de collaboration est associé à une zone d’échange et de dialogue dans laquelle les enseignants s’affirment en toute liberté et égalité » (Dionne, 2003). Six étapes du cycle de collaboration sont proposées, la scénarisation du projet pédagogique, l’objectivation ou retour réflexif, la planification, la recherche et la découverte de solutions, la négociation et la prise de décisions et enfin le partage de tâches qui renvoie à une structuration cognitive et méthodologique.

4.1. Une forme de socialisation : les communautés de pratique

Parmi ce courant du développement professionnel collaboratif associé à la socialisation, une part importante des recherches a porté sur la place des communautés de pratiques. Parmi ce courant on trouve la notion de partenariat consultatif qui désigne toutes formes d’aides fournies par le consultant quant au contenu, processus ou structure d’une tâche. Les quatre fonctions des consultants selon Steele sont le rôle d’enseignant (agent du savoir), le rôle de talisman, (sécurité et légitimité plus à l’aise pour expérimenter), le rôle de coup de fouet, (réduction du sentiment de stress), le rôle de gestion du temps (Steele, 1975). Lorsqu’il agit à court terme le consultant doit mettre l’accent sur le support moral et sur l’autonomie de l’enseignant afin d’éviter une relation de dépendance. Si à plus long terme, le consultant peut agir comme ami critique et comme informateur et fournir un support et moral et intellectuel, cela mènera à une interdépendance à court terme et à une indépendance à long terme.

Les groupes d’enseignant permettent, par le partage de la réflexion, d’élargir le répertoire de connaissances des différents membres du groupe. Day émet cependant quatre points de vigilance quant au réseau d’apprentissage que sont la nécessaire

collaboration et coopération (collaboration décision conjointe confiance et négociation, coopération relation de pouvoir maintenu pas d’apprentissage mutuel, c’est l’expert qui veille au développement professionnel), l’autonomie professionnelle, les différences entre école et enseignant, les rôles et relations entre les écoles et le supérieur. Les facteurs qui favorisent l’efficacité des groupes d’enseignants sont la réflexion et le partage d’expériences, la nécessité de temps, la relation de confiance, l’environnement favorable, l’implication de tous les membres et la responsabilité partagée. La collaboration est souvent perçue comme un moyen de favoriser le développement professionnel des enseignants, notamment par le biais de communautés d’apprentissage afin d’aider les enseignants à améliorer leurs pratiques (McLaughlin et Talbert, 2001; Cobb et al., 2003, Nelson et Slavit, 2007). Lorsque les deux parties s’apportent des bénéfices mutuels, la psychologie organisationnelle parle d’avantage collaboratif (collaborative advantage) (Kanter, 1994; Huxham, 1996; Huxham et Vangen, 2000). Le développement professionnel est associé à l’apprentissage collaboratif et à la communauté professionnelle d’apprentissage. En contexte d’isolement, l’apprentissage est limité : « New information and ideas emanate not only from individual learning, but also from interaction with others. Moreover, collaboration creates a culture in which further learning is stimulated and supported ». (Ibid)

Wenger, McDermott et Snyder identifient quatre stades de développement des communautés de pratique, le stade de potentiel (potential) : découverte de besoins communs et identification d’un leader. Le stade d’union (coalescing) : recrutement de nouveaux membres, lancement de la communauté, création d’espaces pour la communauté. Le stade de maturité (maturity) : définition d’un agenda d’apprentissage, définition du rôle de la communauté, accent mis sur l’innovation. Le stade d’intendance (stewardship) : développement d’un nouveau leadership, mentorat de nouveaux membres (Wenger, McDermott, et Snyder, 2002). La communauté permet de vaincre l’isolement personnel et professionnel en favorisant la collaboration interdisciplinaire et les échanges quant à l’apprentissage des étudiants. Elle encourage la prise de risques et le soutien mutuel entre formateurs d’enseignants et favorise ainsi l’instauration de changements dans les pratiques. En outre, ces communautés favorisent la création d’un sentiment d’appartenance envers l’école (Kruse, Louis, et Bryk, 1995) et le soutien mutuel entre enseignants (Louis, 1992).

4.2. Les différents modes d’accompagnement dans les processus de socialisation

Il parait utile de préciser les termes employés pour désigner les différents acteurs du développement professionnel collaboratif. Les formes de développement professionnel qui correspondent généralement à ces critères et qui apportent un impact positif sur la performance des enseignants et la réussite des élèves sont la recherche (Arthur et al. 2006; MacBeath et al. 2007), la collaboration (Warwick et al. 2004; Cordingley et al.; Arthur et al. 2006; Makopoulou and Armour 2006; McNicholl and Noone 2007), le coaching et le mentorat (Harrison et al. 2005; Hobson et al. 2007), l’observation (Boyle et al. 2004; Cordingley et al. 2005; Pedder et al. 2005; Dymoke et Harrison 2006; Hodkinson, 2006) et les réseaux d’enseignants (Hakkarainen et al. 2004; Veugelers, O’Hair 2005; McGregor et al. 2006; McCormick et al. 2007).

Le coach d’instruction (instructional coach) est un « leader » enseignant, qui veille à favoriser l’apprentissage chez ses collègues. Le « coaching » n’a pas une fonction d’évaluation, en ce sens que les coachs n’adoptent pas une position d’autorité et de supervision, mais plutôt un rôle de soutien auprès des autres enseignants (Mangin et Stoelinga, 2007; Neufeld et Roper, 2002). Le rôle de coach inclut l’observation de l’enseignant en classe, la démonstration de modèles de pratique et la formation incluant pré et post conférences auprès des enseignants. Selon la littérature, les coachs doivent trouver des enseignants à « coacher », identifier les interventions appropriées pour favoriser l’apprentissage des enseignants, modéliser l’enseignement, collecter des données au sein des classes et engager les enseignants dans un dialogue quant à la classe et aux pratiques d’autrui (Knight, 2006). Le coach doit posséder des habiletés quant à la communication, à la gestion du changement, à la création de liens et au leadership quant au développement professionnel des enseignants. À ce stade, en tant que coach, il approuve le travail de consultant auprès de ses collègues, mais il n’a pas encore mis en place de stratégie de coaching, telles que le co-enseignement, la co-planification ou la rétroaction. Ainsi, pour que le coaching soit efficace, il ne s’agit pas seulement de reproduire les idées suggérées par la réforme ou modélisées par un expert, mais

également de se les approprier, de les transformer dans le contexte de sa propre pratique et enfin de les partager avec autrui.

Différentes initiatives permettent aux enseignants expérimentés d’assumer des rôles de leadership (rôles et responsabilités additionnels, par exemple : responsable de département, leaders dans un domaine du curriculum, coach auprès des collègues, etc.) (Kardos et Johnson, 2007, Katzenmeyer et Moller, 2001, Margolis et Deuel, 2009, Reeves, 2007, York-Barr et Duke, 2004).

Les modèles d’enseignants diplômés (chartered teacher) tels que nous les retrouvons au Royaume-Uni, permettent de reconnaître les enseignants expérimentés (majoration, statut avancé, reconnaissance de l’expertise, salaire plus élevé, etc.) afin de motiver ces enseignants à demeurer au sein des classes. En Écosse, ces enseignants doivent compléter un programme universitaire afin de témoigner de leur statut d’expert et ils peuvent ensuite agir à titre de modèle auprès de leur pair et servir de coachs (rôles de leadership informels) (Ingvarsson, 2009). De même, aux États-Unis, le modèle National Board Certification (NBC) offre une reconnaissance aux enseignants experts et exige une évaluation régulière du portfolio rassemblant de la documentation quant au travail de l’enseignant (Connelly et McMahon, 2007). Encore une fois, les rôles de leadership sont alors informels. Par contre, dans le modèle d’enseignant consultatif (advisory teacher) employé au Royaume-Unis, les enseignants expérimentés se voient confier des rôles de leadership plus formels, tels qu’offrir de la formation continue sur différents projets (Frost et Harris, 2003). De même, le programme Advanced Skills Teacher instauré en Australie et aux Etats-Unis, puis adopté en Grande Bretagne et en Nouvelle-Zélande prévoit un rôle formel pour les enseignants expérimentés : celui de partager leur expertise quant aux compétences de classe et aux différents sujets enseignés (Leaton Gray et Whitty, 2010; Sutton, Wortley, Harrison, etWise, 2000). En bref, les rôles de leadership peuvent contribuer à approfondir l’expérience professionnelle des enseignants expérimentés et ainsi soutenir leur développement professionnel.

Dans les liens entre théorie et pratique liés au développement professionnel, nous trouvons une part importante accordée aux fonctions de mentor ou de tuteur. Le mentorat est une activité de développement professionnel à la fois pour le mentor et pour le mentoré. Il est support de formation initiale. Nous pouvons définir le

mentorat comme un support positif par un praticien expérimenté vers d’autres praticiens ayant besoin de développer des nouvelles compétences, guide interprète, appuyé sur l’enseignement collaboratif la modélisation, l’observation et la discussion. L’instructeur ou coach aide à l’atteinte d’un certain niveau, à la dimension réflexive en mettant l’accent sur l’apprentissage. Donc il s’agit d’un processus complexe à plusieurs facettes, à la fois support personnel et professionnel voire institutionnel visant le développement de compétences. Les habiletés du mentor rassemblent l’observation, le réalisme, le soutien, l’exploitation du contexte, l’écoute, le conseil, la motivation, la définition d’objectifs, la réflexion et le partage d’expérience, la résolution des problèmes et le développement d’une approche commune. Les conditions d’un bon mentorat résident dans le temps, la relation interpersonnelle, le statut. Pour favoriser l’apprentissage il s’agit donc de faire le lien entre théorie et pratique pendant l’observation, d’évaluer les stratégies d’enseignement et d’offrir un feedback constructif et de permettre un travail en équipe. Le mentorat ou soutien par un pair est un guide personnel permettant la planification et la gestion du curriculum, la réduction de l’isolement professionnel, et sert de support de rétroaction pour diminuer le stress (Butcher, 2000). Le tutorat vise la construction de compétences en milieu de travail, il permet une prise de recul par rapport au travail et il implique une identification au tuteur (ce qui favorise la socialisation professionnelle de l’apprenti). Par la nécessité d’explicitation du métier et de justification de sa pratique, le tuteur est placé en situation de développement professionnel. « Reconfigurer son expérience pour l’apprenti est ainsi une occasion de développement professionnel pour soi » (Olry, 2009). Les variations quant au déroulement de l’activité professionnelle constituent un des indicateurs de ce développement professionnel.

Nous retiendrons de cet état de la question sur le développement professionnel et particulièrement sur celui des enseignants que celui-ci est sous-tendu par des positions théoriques et qu’il s’appuie sur différents modèles qui engagent des positions spécifiques pour les différents acteurs impliqués. La place des savoirs en lien avec l’expérience et la place de la réflexivité collaborative, qui nous paraissent particulièrement importantes, nous orientent vers une définition du développement professionnel plutôt ancré dans le socioconstructivisme ou le constructivisme socio- transformatif. Pour nous, le développement professionnel s’appuie sur un processus

socialisant de développement des connaissances situées et contextualisées par des espaces de médiation alliant le monde de la pratique à celui de la recherche. Ces processus doivent permettre aux acteurs d’endosser successivement les rôles d’aide en extériorité et d’autoréflexivité en intériorité dans un mouvement itératif et socialisant. En ce sens il s’appuie également sur différents types de médiateurs qui facilitent le partage des savoirs.