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La traduction manuscrite d’Hubert Kerssan nous a semblé davantage inviter à une édition critique qu’à une édition diplomatique dans le cadre d’un projet de maîtrise dont l’objectif premier est de rendre accessible à un public – provenant d’horizons disciplinaires variés et travaillant potentiellement sur différentes questions au sein des études érasmiennes, des études sur la Renaissance ou, plus largement, des études sur la réception et la traduction – cet important témoin de la transmission de l’œuvre d’Érasme, ainsi que de prévoir les potentiels problèmes de lecture, de souligner les points importants et de proposer une réflexion sur les enjeux liés à la traduction de la Paraphrase aux Romains. En tant qu’éditrice, nous nous sommes positionnée comme médiatrice veillant à accompagner le lecteur à la fois entre les différents états de texte, c’est-à-dire entre la Paraphrase latine originale et l’adaptation française de Nivelles, et à la fois entre la traduction éditée et le lecteur visé par la présente édition. Le choix de ce type d’édition a cependant nécessité une longue réflexion :

La grande dispute entre ceux qui favorisent l’édition imitative ou diplomatique à l’édition interprétative, ou l’édition du meilleur manuscrit, style Bédier, à l’édition stemmatique ou critique, styles Lachmann ou Ménard (qui ne sont pas identiques), est toujours en cours. Ce que l’on oublie parfois en débattant, c’est que le but de nos efforts est la compréhension des textes […].123

L’établissement d’une édition, y compris diplomatique, est toujours orientée, puisque l’éditeur fait nécessairement des choix à mesure qu’il interprète le texte, souvent inconsciemment. Il est sans cesse amené à intervenir, ne serait-ce que de manière minimale et ponctuelle. Dans ce contexte, l’essentiel est donc de choisir le type d’édition qui sied le mieux à un manuscrit particulier. En somme, notre volonté a été de « donner à lire un texte »124, autrement dit de permettre à un lectorat non

123 Frankwalt Möhren, « Édition, lexicologie et l’esprit scientifique », dans David Trotter (dir.),

Present and Future Research in Anglo-Norman. La recherche actuelle et future sur l’anglo-normand. Actes du colloque d’Aberystwyth, juillet 2011, Aberystwyth, Anglo-Norman Online Hub, 2012, p. 1.

124 Madeleine Tyssens, « Philologie chevronnée, nouvelle philologie », Revue de linguistique

spécialiste de donner sens au texte de Kerssan, ce qu’une édition diplomatique stricte serait moins aisément parvenue à faire. Nous devons garder à l’esprit que le projet d’Érasme était justement de clarifier les textes bibliques pour les rendre accessibles au plus grand nombre. Voyons maintenant en détail les principes qui ont été adoptés tout au long de ce projet.

Graphie

Conformément aux pratiques éditoriales courantes en matière de textes renaissants, nous avons opéré la dissimilation des u et des v, de même que celle des i courts (i) et des i longs (j), selon l’usage moderne. Kerssan emploie systématiquement le caractère u pour les lettres u et v à l’intérieur des mots (par exemple : ouuertures pour

ouvertures [f. 1r], reuiuifiiés pour revivifiiés [f. 5v]), mais le caractère v lorsque l’une de ces

deux lettres se trouve en tête d’un mot (par exemple : vniversele pour universele [f. 2v]). Il est toutefois à noter que, comme le traducteur agglutine les mots élidés (principalement les articles le, la, les et les prépositions de et des) avec le mot suivant, nous trouvons par exemple vsance [f. 9v], mais l’usance [f. 1r], et vne [f. 2v], mais d’une [f. 1v]. Pour ce qui est des i et des j, il ne les utilise pas de manière systématique, de sorte que le texte présente de nombreuses variantes de graphie (par exemple : tantôt jl [f. 1r] et tantôt il [f. 1r], tantôt Iherusalem [f. 2r] et tantôt Jherusalemz [f. 3v] pour la ville de Jérusalem).

L’original ne ligature par les lettres oe ; pour des raisons de lisibilité, nous avons choisi de présenter sous une forme ligaturée les mots cœur, œvre, œl, œil, sœur et

bœuf, afin de les distinguer de loenge, avoec, moeurt (verbe mourir à l’indicatif présent de la

troisième personne du singulier), pooés (verbe pouvoir à l’indicatif présent de la deuxième personne du pluriel), etc.

L’une des marques distinctives de la langue de Kerssan est la grande liberté dont il fait preuve dans l’accord des verbes ainsi que du genre et du nombre. Il ne semble suivre aucune règle précise ; le lecteur se retrouve ainsi régulièrement face à des formes différentes, parfois même dans une seule phrase (par exemple : elle [la loi]

est aviesié et annicillée [f. 21r], au roumains [f. 1r], mais quelques lignes plus loin aux roumains [f. 1r] ou encore ilz fuissent [f. 22r], mais il fuissent [f. 30r]). De façon à

préserver ce trait du manuscrit, nous ne sommes pas intervenue pour régulariser les accords.

Une autre intervention que nous avons pratiquée en ce qui concerne la graphie porte sur les s finaux. Le traducteur, plutôt que d’employer la lettre s usuelle, emploie un symbole similaire à un t (bien que les deux caractères soient parfois difficile à distinguer, le t de Kerssan possède une haste légèrement arrondie, tandis que la haste de ce symbole est droite et attachée à la barre transversale) pour marquer un s en fin de mot. Nous avons remplacé toutes les occurrences de ce symbole par un

s ordinaire.

Par souci de clarté, deux signes orthographiques ont été insérés conformément à l’usage actuel. Nous avons introduit l’apostrophe lorsque nécessaire (par exemple : l’on pour lon [f. 2r], l’apostre pour lapostre [f. 1r], j’ai pour jai [f. 1v]), ainsi que le tiret dans les inversions du sujet (par exemple : at-il pour at il [f. 4r]).

Enfin, il est à noter que devant certaines erreurs évidentes ou encore devant des doublons, nous avons effectué la correction en indiquant la forme du manuscrit en note.

Abréviations

Toutes les abréviations figurant dans le manuscrit de Nivelles ont été résolues. Nous avons donc remplacé les tildes – qui prennent la forme, chez Kerssan, d’une barre horizontale plus ou moins recourbée et parfois attachée à la haste des t lorsque située immédiatement avant cette lettre – par n ou m (par exemple : contempner pour

cōtēpner [f. 22r]). Afin de déterminer si les tildes doivent référer à n ou m, nous avons

vérifié l’origine latine des mots au-dessus desquels ils se trouvent.

Deux types d’abréviation sont quelquefois employés pour remplacer la syllabe

quelq [avec un tilde au-dessus de q] pour quelque [f. 3v]), mais, à l’occasion, un z est

ajouté à la suite de q plutôt que les lettres ue (par exemple : jusqz [f. 8v] pour jusque). Un symbole semblable à la lettre g, mais davantage allongé, est souvent employé pour -us en finale (par exemple : tog pour tous, vog pour vous, nog pour nous, plg pour plus, Saulg pour Saulus [f. 3r], Josephg pour Josephus [f. 3r]). Nous avons restitué les passages abrégés le cas échéant.

Il en va de même pour l’emploi de la lettre p chapeautée d’un tilde qui désigne le préfixe pre- (par exemple : pmier [avec un tilde au-dessus de p] pour premier [f. 1v]). Mais il arrive parfois que la syllabe -pre- soit symbolisée par la lettre p dont l’haste se poursuit en un trait horizontal sous la lettre (par exemple : suphabondé [avec un trait horizontal sous p] pour superhabondé [f. 19r]).

On rencontre en outre la lettre r en exposant pour remplacer les lettres –ur en fin de mot (par exemple : por pour pour [f. 3v], honer pour honeur [f. 2v], jor pour jour

[f. 2v], signer pour signeur [f. 3r]).

Un symbole, très présent dans l’ensemble du manuscrit, mais sans être systématique, est également utilisé pour abréger de, à la fois en tant que préposition ou article et comme simple syllabe d’un mot (-de, de- et -de-).

Enfin, les abréviations capt., epte, apte et Jhrlz [avec un tilde au-dessus de rlz] ont

été, dans l’ensemble du manuscrit, développées respectivement par capistre, epistle,

apostre et Jherusalemz.

Accentuation

Dans le but de faciliter la lecture du manuscrit de Nivelles et d’éviter toute confusion sur le plan de l’interprétation, nous avons procédé à l’accentuation de certaines voyelles. Un accent grave a été ajouté sur les prépositions à de manière à les distinguer du verbe avoir à l’indicatif présent de la troisième personne du singulier (a). Dans le même ordre d’idées, nous avons distingué systématiquement là de la, où de ou et dès de des. Le cas de l’expression « à l’encontre » nous a toutefois posé problème.

Certaines occurrences se lisent en un seul mot dans le manuscrit, d’autres non. Nous avons par conséquent respecté la présence ou non d’espace pour indiquer tantôt

alencontre, tantôt à l’encontre.

Il a également été essentiel d’ajouter un accent aigu sur toutes les finales de ce qui serait é en français moderne, autant en ce qui concerne les participes passés que les substantifs (par exemple : a esté conversée pour a este converse [f. 1r], majesté pour majeste [f. 1v], sont succedés pour sont succedes [f. 1v]). Dans un seul cas de figure, nous n’avons pas jugé utile d’ajouter l’accent aigu sur ce qui correspondrait à é en finale. Il s’agit de tous les participes passés dans lesquels Kerssan ajoute un t à la suite de l’e final. Ainsi, dans la formule apres avoir rassemblé et colligiet [f. 3v], nous avons choisi de conserver

colligiet plutôt que de le modifier en colligiét ou en colligié afin de rester le plus près

possible du texte. Dans le cas des verbes accordés à la deuxième personne du pluriel et qui se terminent en –es ou en –ies, de même que dans le cas de l’adverbe assez que Kerssan écrit asses, nous avons opté pour l’ajout d’un accent aigu sur l’e (par exemple :

avés pour aves [f. 3v], soiiés pour soiies [f. 8v], poés pour poes [f. 36v], debvés pour debves

[f. 21v]).

Ponctuation

La traduction des Paraphrases d’Hubert Kerssan présente une certaine forme de ponctuation. Des barres obliques servent à séparer les divers groupes de mots, les propositions subordonnées ainsi que les phrases elles-mêmes. Ce signe de ponctuation – courant aux débuts de l’imprimerie et reprenant un usage manuscrit – est certes très utile, mais pour un lecteur moderne qui ne pratique pas la lecture à haute voix, il est loin d’être suffisant pour bien comprendre le sens du texte. En effet, étant donné la longueur parfois déconcertante des phrases, il devient souvent délicat de déterminer où elles débutent et où elles se terminent, ce qui nuit à l’interprétation.

L’auteur utilise parfois des éléments autres que les barres obliques pour ponctuer son texte. On remarque le soulignement à l’encre rouge du début de certaines phrases ainsi que l’emploi d’une majuscule au premier mot de quelques phrases. Néanmoins, ces deux procédés ne sont pas employés méthodiquement ; ils ne permettent pas d’identifier tous les débuts de phrase et ils se retrouvent parfois ailleurs qu’en début de phrase.

Dans la mesure où la ponctuation du manuscrit ne satisfait pas les habitudes de lecture contemporaines, il nous a semblé tout à fait approprié de proposer une modernisation de la ponctuation, sans transcrire les soulignements et les barres obliques qui se trouvent dans le manuscrit. Afin de rendre avec la plus grande justesse les subtilités dans la signification de chaque phrase, nous avons travaillé à la fois à partir de l’édition Leclerc de l’original latin d’Érasme (LB) et de la traduction anglaise des Collected Works of Erasmus (CWE)125, tout en nous référant ponctuellement à la

traduction française de 1563126.