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3.2 Nanocalorimétrie

3.2.1 Principe de la nanocalorimétrie

Les travaux expérimentaux de nanocalorimétrie ont été initiés par Haberland [9, 74]. Cette technique a été développée afin de mesurer les courbes caloriques d’agrégats libres et sélectionnés en masse. Elle permet notamment d’observer les variations des propriétés thermodynamiques avec la taille. Les points clés de la nanocalorimétrie sont les suivants : – la température initiale des agrégats est fixée (donc leur énergie interne) et connue ; – il y a un apport contrôlé d’énergie à l’agrégat ;

– la dissociation, le spectre de fragmentation, permet de définir un état final d’énergie interne de référence, utilisé pour déterminer la variation d’énergie interne de l’agrégat associée à une variation de température.

La spectrométrie de masse est utilisée pour sélectionner en taille les agrégats et pour observer la dissociation ; par conséquent, la nanocalorimétrie se fait nécessairement sur des agrégats chargés, positivement ou négativement.

Schématiquement, la déduction de la courbe calorique E(T ) en nanocalorimétrie peut se faire de la façon suivante : les agrégats ont une énergie interne initiale E0(T ) que l’on impose en contrôlant T . On transmet à ces agrégats une quantité d’énergie ∆E qui est connue et contrôlée pour amener les agrégats à un état final Ef que l’on est en mesure

de déterminer par le biais du taux de dissociation. L’énergie interne finale correspond à

Ef = E0(T ) + ∆E. On peut déduire l’énergie interne initiale à la température T , E0(T ) en faisant varier T et en adaptant ∆E pour arriver au même état final. On est alors en mesure de reconstruire la courbe E0(T ).

Figure 3.4 –Illustration du principe de la nanocalorimétrie. L’énergie interne initiale de l’agrégat

E0 est fixée par sa température T , on apporte une quantité d’énergie ∆E, portant l’agrégat à un état d’énergie interne Ef identifiable par son taux d’évaporation.

Il existe trois techniques, basées sur le principe que nous venons d’énoncer, permet- tant de réaliser des mesures de nanocalorimétrie, une méthode développée à Fribourg par l’équipe de Haberland, une à Bloomington par l’équipe de Jarrold, et la dernière est notre dispositif de Toulouse. La différence principale entre les trois techniques est la méthode d’apport d’énergie aux agrégats que nous allons discuter.

Nous allons voir ici comment de façon générale les trois points clés de la nanocalori- métrie sont établis. La première étape qui consiste à fixer la température des agrégats est similaire dans toutes ces expériences.

Thermalisation des agrégats

Après leur formation, les agrégats sont thermalisés en traversant une zone régulée en température contenant un gaz tampon. Les collisions avec le gaz tampon permettent d’amener les agrégats à la température T des parois de la cellule de thermalisation. Cette

3.2. NANOCALORIMÉTRIE

étape de thermalisation a été décrite dans le chapitre 1. Pour notre expérience le gaz tampon est de l’hélium.

Nous fixons la température T des agrégats dans un bain thermique, la distribution d’énergie interne E des agrégats présente donc une distribution canonique PT(E). La

probabilité d’occupation d’un état d’énergie E est proportionnelle au facteur de Boltzmann

e−E/kBT. Ensuite, les agrégats, dans la partie de vide secondaire, peuvent être considérés comme des systèmes isolés avec une énergie interne bien définie. Les agrégats évoluent alors dans l’ensemble microcanonique. Lors de la détection, on réalise une moyenne sur les différentes énergies internes des agrégats isolés, et on retrouve la distribution initiale canonique des énergies internes. Pour la discussion qui suit nous allons considérer que la valeur moyenne de la distribution canonique est E0(T ).

Apport contrôlé d’énergie

Nous avons donc un agrégat d’énergie interne moyenne initiale fixée par sa température,

E0(T ), auquel une quantité d’énergie contrôlée ∆E est apportée, suffisamment élevée pour mener à la dissociation unimoléculaire (ou évaporation thermique). Cet apport peut se faire par différents processus.

La méthode de Fribourg apporte de l’énergie par absorption de photons effectuée par irradiation laser. Elle a été utilisée sur les agrégats de sodium [9, 74] ainsi que sur des agrégats d’eau avec un électron solvaté (H2O)

n [12]. Cette méthode permet un bon contrôle de l’énergie transmise à l’agrégat en identifiant le nombre de photons absorbés, chaque photon ayant une énergie hν. Mais elle n’est pas facilement transposable à tous les types de systèmes, parce que il faut que le système absorbe efficacement les photons et que les longueurs d’onde pour ce faire ne sont pas toujours facile à produire. Le système de Fribourg n’est notamment pas adapté aux agrégats d’eau protonés ou déprotonés.

L’expérience de Bloomington, par l’équipe de Jarrold, apporte de l’énergie aux agré- gats par collisions multiples avec les atomes d’un gaz rare, de l’hélium, pour induire la dissociation des agrégats. Des transitions de phases sur des agrégats d’aluminium [11] et de gallium [93] ont été observées. Cette méthode, légèrement modifiée, a été reprise à Orsay, par Schmidt et von Issendorff, afin d’étudier les agrégats d’eau protonés [13]. Pour cette méthode, l’énergie absorbée lors des multi-collisions avec le gaz rare repose sur un modèle de collision impulsive [94, 95], ce qui implique une connaissance approximative de ∆E (et les énergies déduites ne sont donc pas référencées directement à une échelle absolue).

Finalement notre expérience à Toulouse apporte de l’énergie aux agrégats par des colli- sions réactives, c’est à dire de l’attachement de molécules à l’agrégat. Nous en discuterons en détail dans la section 3.2.2.

Après absorption d’énergie, l’état final atteint est déterminé par la dissociation uni- moléculaire.

Évaporation et énergie interne finale

Les trois méthodes de nanocalorimétrie sont basées sur l’hypothèse qu’il y a une relation bi-univoque entre l’énergie interne et le taux d’évaporation des agrégats.

L’absorption d’énergie par l’agrégat, quelque soit la méthode, peut mener à l’évapora- tion d’une ou plusieurs unités en raison de l’augmentation d’énergie interne de l’agrégat.

Nous avons déjà évoqué dans le chapitre 2 et dans l’annexe A le lien qui existe entre le taux d’évaporation thermique kevap et l’énergie interne de l’agrégat. Pour un agrégat

de l’énergie interne E suivant une loi de type Arrhénius : kevap(n, E) ∝ e

Dn

E . Ainsi en théorie la connaissance du taux d’évaporation peut nous amener à déterminer E.

Le temps d’observation, c’est à dire le temps entre le chauffage et la détection est généralement fixé. Ce temps d’observation fixe le temps de vie des fragments observés. Ce temps de vie est lié au taux d’évaporation, lui même lié à l’énergie interne initiale de l’agrégat. La distribution finale des fragments qui est dominée par l’évaporation, dépend de leur énergie interne avant fragmentation. Pour une quantité d’énergie apprortée ∆E fixée, elle dépend donc de l’énergie interne initiale E(T ).

Les deux équipes de Fribourg et Bloomington déduisent les courbes caloriques E(T ), soit les énergies internes des agrégats en fonction de la température, à partir des distribu- tions des spectres de fragmentation obtenus. La capacité calorifique C peut ensuite être déduite par dérivation de cette première courbe.

Nous utilisons une méthode différentielle afin de déterminer directement la capacité calorifique C(T ). Quand on mesure de l’évaporation, la détermination de l’énergie interne à partir du taux de dissociation nécessite des paramètres tels que les énergies de disso- ciation par exemple. La méthode différentielle permet de s’affranchir de la détermination de l’énergie interne finale pour remonter à l’énergie interne initiale. Il faut juste être en mesure de vérifier l’on a atteint un état final identique. Ainsi connaissant la différence d’énergie apportée aux deux systèmes, on peut remonter à la différence d’énergie interne correspondant à la différence de température initiale.