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Le principe : une compétence universelle en matière d’interprétation contractuelle

Section 2. Le juge : chef d’orchestre secondaire de l’interprétation

A. Le principe : une compétence universelle en matière d’interprétation contractuelle

Quatre observations peuvent aiguiller la détermination du juge apte à traiter de l’interprétation d’un contrat en France.

163 Les décisions de justice relèvent du régime juridique dit de l’Open Data, insufflé sur initiative de l’Union européenne depuis la

Directive n° 2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public, amendée par la Directive n° 2013/37/UE du 26 juin 2013. Si les États membres de l’Union européenne demeurent maître de définir les conditions de la mise à disposition des documents publics, ces textes imposent un principe de libre réutilisation de ces mêmes documents. Or les décisions judiciaires n’échappent pas à cette mécanique : « La

publicité de tous les documents généralement disponibles qui sont détenus par le secteur public - non seulement par la filière politique, mais également par la filière judiciaire et la filière administrative - constitue un instrument essentiel pour développer le droit à la connaissance, principe fondamental de la démocratie. Cet objectif est applicable aux institutions, et ce, à tous les niveaux, tant local que national et international » (cons. 16 de la Directive de 2003). En droit français, le nouvel article L. 111-13

du Code de l’organisation judiciaire dispose notamment que : « (…) les décisions rendues par les juridictions judiciaires sont

D’une part, en matière d’interprétation contractuelle, il n’existe pas réellement de « juge naturellement compétent » pour se plier à l’exercice. Aucune règle disposant une compétence d’attribution particulière en matière civile et commerciale ne viendrait limiter le champ des juridictions aptes à connaître d’un contentieux en interprétation. C’est dire si virtuellement, tout juge valablement saisi est susceptible d’exercer ses prérogatives pour analyser un contrat. Ainsi, d’un point de vue matériel, rien ne s’oppose à ce qu’une juridiction pénale analyse un contrat dans le cadre d’un contentieux lui étant déféré. D’un point de vue hiérarchique, le tribunal de grande instance n’a pas vocation à siéger seul en matière de droit des contrats. Il est tout à fait possible au juge d’un degré plus faible, tel que le juge de proximité, d’avoir à connaître d’un contrat dont les termes sont ambigus.

D’autre part, s’il existe bien en France une scission entre les ordres judiciaire et administratif, emportant la compétence du juge administratif en matière de contentieux relatif à des conventions conclues avec des personnes publiques (ou personnes privées investies d’une mission de service public), la pratique démontre que les magistrats de chaque ordre peuvent traiter de l’interprétation de conventions. Plus encore, on observe que les règles d’appréciation sont très semblables pour les juges de chaque binôme. C’est notamment pourquoi le Conseil d’État, en tant que plus haute juridiction de l’ordre administratif, contrôle l’éventuelle dénaturation d’un contrat litigieux (telle qu’un marché public), dont se rendraient coupables les juges inférieurs :

« qu’en jugeant que les dépenses de dépollution exposées par la SAPRR à la suite de la découverte de décharges sur les terrains nécessaires à la nouvelle emprise de l’autoroute, entraient dans le champ d’application de l’accord du 28 janvier 1992, la cour [administrative

d’appel] n’a pas dénaturé la commune intention des parties à cette convention. »164

En troisième lieu, et de façon singulière, même le Conseil constitutionnel est susceptible, dans des hypothèses certes marginales, d’apprécier le sens d’un contrat. En effet, il ne relève pas de ses attributions la faculté d’interpréter un contrat puisque sa mission consiste à contrôler la constitutionnalité de la loi. Toutefois, ce champ de compétence comprend une particularité. Le Conseil constitutionnel peut interpréter un type bien spécifique de contrat : les accords internationaux conclus par la France avec des États étrangers165. Hormis cette hypothèse, le problème interprétatif du contrat peut être soulevé lors du travail d’interprétation de conformité de la loi à la Constitution. En ce sens, lors de la loi relative aux 35h, le Conseil constitutionnel a pu conclure que :

« le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. »166

Aussi, sauf « motif d’intérêt général suffisant »167, le législateur ne saurait « donner à un contrat une portée différente de celle qu’ont entendu lui conférer ses auteurs ».

En dernier lieu, une décision remarquée de la Cour européenne des droits de l’homme a pu illustrer un rôle inattendu de cette juridiction supranationale à propos d’actes juridiques réalisés par des personnes privées. Ce faisant, l’un des garde-fous à « l’arbitraire judiciaire » national tient précisément au

164

CE., 5 avril 2006, n° 267771.

165 D

UTHEILLET DE LAMOTHE Olivier, Droits fondamentaux et interprétation du contrat : le regard du juge constitutionnel, 12 janvier 2007, p. 1 (disponible en ligne :

http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank_mm/pdf/Conseil/20070112.pdf).

166

Décision du Conseil constitutionnel n° 2002-465 DC du 13 janvier 2003.

167 Cette même décision portait sur la loi aménageant les 35h. En l’espèce, le Conseil constitutionnel considère que le motif

d’intérêt général suffisant était vérifié dès lors que la loi améliorait la situation des salariés concernés par des contingents conventionnels d’heures supplémentaires conclus avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, en anticipation de celle-ci, mais non-conformes à la loi ancienne.

contrôle réalisé par ce juge non habituellement appelé à statuer sur des litiges de droit privé ou commercial. Il a ainsi été décidé que cette Cour :

« ne saurait rester inerte lorsque l'interprétation faite par une juridiction nationale d'un acte juridique, qu'il s'agisse d'une disposition testamentaire, d'un contrat privé, d'un document public, d'une disposition légale ou encore d'une pratique administrative, apparaît comme étant déraisonnable, arbitraire ou (…) en flagrante contradiction avec l'interdiction de discrimination établie à l'article 14168 et plus largement avec les principes sous-jacents de la convention. »169

Parce que cette étude se focalise prioritairement sur l’interprétation des contrats commerciaux, elle aura naturellement vocation à privilégier son objet d’analyse sur le juge civil.