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La pratique : compétence des juges (civils) du fond

Section 2. Le juge : chef d’orchestre secondaire de l’interprétation

B. La pratique : compétence des juges (civils) du fond

Dès les premiers temps du Code civil, la Cour de cassation a posé le principe d’une règle toujours de droit positif : l’interprétation du contrat relève de l’appréciation souveraine des juges du fond dans l’exercice d’une analyse factuelle des pièces soumises aux débats. Cette règle originelle a été consacrée par l’arrêt Lubert, rendu en 1808170. Cette appréciation souveraine trouve toutefois un garde-fou dans le rôle que s’est attribuée la Cour de cassation quelques décennies plus tard.

Par extension, qui dit compétence du juge du fond tend à exclure celle du juge des référés, qui n’est que le juge de l’évidence171. Ce pouvoir des juridictions du fond étant « souverain »172, leur appréciation est insusceptible, par principe, d’être contestée devant la Cour de cassation, à l’exception notable du contrôle de dénaturation qu’elle exerce173. Le contrôle de cassation ne se justifie que dans la

168 Il s’agit de l’article relatif à l’interdiction de discrimination : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente

Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ».

169

CEDH., 13 juillet 2004, Pla et Puncernau c/ Andorre, n° 69498/01.

170

Cass. Ch. réunies., 2 février 1808 (reproduit dans TERRE François et LEQUETTE Yves, Les grands arrêts de la jurisprudence

civile, 11e ed., Dalloz, Paris, 2000, n° 159).

171

FAGES Bertrand, Droit des obligations, op. cit., n° 317.

V° également Cass. 1ère Civ., 4 juillet 2006, n° 05-11.591 ; Bull. Civ. I, n° 337 : « Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a dû

interpréter les clauses des contrats, a tranché une contestation sérieuse et violé les dispositions [de l’article 873 al. 2 du Code

de procédure civile] ».

Dans le même sens : Cass. Com., 23 septembre 2014, n° 13-11.836 ; Bull. Civ. IV, n° 140.

Pour un rappel récent de ce principe par une cour d’appel : « Que l’interprétation desdites clauses contractuelles, dès lors

nécessaire à la définition du champ de la confidentialité, relève du seul juge du fond, comme l’a à juste titre retenu le premier juge [tribunal de commerce de Paris saisi en référé] » (CA Paris., 29 avril 2014, n° 13/14437).

172

Pour une illustration du pouvoir souverain du juge du fond pour interpréter un contrat soumis à la diligence de sa lecture, une décision de la Cour de cassation validant l’appréciation du juge du fond du contenu d’un nouveau contrat, non écrit, comme reproduisant celui du précédent : « Mais attendu qu'ayant constaté que, postérieurement à la résiliation du contrat de plein droit

au 30 novembre 2005, date d'expiration du délai imparti au liquidateur pour opter pour la continuation du contrat d'exercice liant la clinique à M. Y..., ce dernier avait continué à travailler dans la clinique dans les mêmes conditions, qu'il s'agisse de son activité de praticien ou des honoraires qui lui ont été versés, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la volonté des parties, rendue nécessaire par l'absence d'expression écrite de celle-ci, que la cour d'appel a retenu que ce nouveau contrat d'exercice avait le même contenu que le contrat précédent, et en a déduit que sa résiliation était soumise aux dispositions de l'article 17 de la convention d'exercice soumettant la rupture par l'une ou l'autre des parties à un préavis d'un an, et la rupture à l'initiative de la clinique au versement d'une indemnité égale à une annuité d'honoraires, quelles que soient les circonstances entourant la rupture et ses conséquences » (Cass. Com., 11 avril 2012, n° 10-20.505, Bull. Civ. IV, n° 80).

mesure où il existe une règle de droit dont l’application doit être harmonieuse sur l’ensemble du territoire. La Cour de cassation se contente de veiller, par conséquent, à ce qu’une juridiction de degré inférieur ne réécrive pas le contrat pour lui donner un sens qui n’était pas recherché par les parties174.

Lorsqu’un contrat se caractérise par des dispositions rédigées en des termes clairs, il n’y a nul lieu de faire œuvre créatrice pour faire peser des obligations supplémentaires à la charge de l’un des contractants. Ainsi par exemple d’un arrêt d’appel, censuré pour avoir conclu à la violation d’une obligation de moyens d’une société de forage et donc au remboursement du client pour ne pas avoir procédé à des analyses préalables de faisabilité :

« Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté qu'en vertu des stipulations que le client avait approuvées, la société, qui était exclusivement chargée de travaux de forage, ne garantissait pas la présence d'eau dans le sous-sol du terrain de sorte qu'il ne pouvait lui être fait reproche d'avoir manqué à une obligation qui ne lui incombait pas. »175

Par ailleurs, le contrôle de dénaturation de l’interprétation d’un document par la Cour de cassation suppose des diligences élémentaires de la part des parties : pour invoquer un tel grief devant la haute juridiction, encore convient-il d’identifier clairement l’acte dont les juges du fond auraient méconnu et réinterprété les termes clairs et précis. Tel n’est pas le cas lorsque le plaignant se contente de viser une série d’emails sans désigner le message litigieux176. Enfin, un plaideur qui omet de soulever un moyen en dénaturation d’une convention conclue entre les parties, par la juridiction de première instance, devant les juges d’appel, ne saurait valablement l’invoquer pour la première fois devant la Cour de cassation. Cette règle de bon sens est, par exemple, rappelée dans une décision récente qui conclut à l’irrecevabilité de la demande, selon les règles de droit commun de la procédure civile :

« Mais attendu que les demandeurs au pourvoi n’ayant pas soutenu devant la cour d’appel que les premiers juges auraient dénaturé les mentions portées sur le certificat d’authenticité litigieux, le moyen, nouveau, mélangé de fait, partant irrecevable, ne peut être accueilli. »177

Une telle décision apparaît intimement liée à la tradition française de la compétence de la Cour de cassation. Parce que le droit anglais considère l’interprétation du contrat comme une question de droit et non de fait178, l’identification du juge compétent apparaît comme une considération élémentaire.

§2. Le juge britannique

Comprendre le droit des contrats anglais suppose de faire le bilan de certaines caractéristiques du système de Common Law. En effet, le juriste civiliste peut être décontenancé par les pratiques de la jurisprudence comme la doctrine britanniques qui se réfèrent volontiers au droit applicable dans des États aussi divers que le Canada, la Nouvelle Zélande ou encore Singapour, tant le droit a vocation à s’appliquer dans le ressort géographique de la puissance qui l’édicte. Cette spécificité anglaise provient de la

174

V° not. un arrêt ancien : Cass. 3e Civ., 1er mars 1989, D. 1989, IV, 100.

175

Cass. 1ère Civ., 3 mars 2011, n° 09-70.754, Bull. Civ I, n° 43.

176

« Mais attendu que n'est pas recevable le grief de dénaturation portant sur un ensemble de documents, sans que soit précisé celui ou ceux des documents qui en font l'objet ; que le moyen qui se borne en l'espèce à alléguer la dénaturation des échanges de « mails » entre les parties est irrecevable » (Cass. 1ère Civ., 16 avril 2015, n° 14-10.257 ; Bull. Civ. I, n° 97). 177

Cass. 1ère Civ., 9 avril 2014, n° 12-22.520.

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construction historique du Commonwealth, qui explique le regard multilatéral porté par le juge du Royaume-Uni lorsqu’il rend une décision (A). Quant à son organisation judiciaire purement interne déterminant les règles de compétence du juge de l’interprétation, celle-ci n’appelle que de brèves remarques (B).