• Aucun résultat trouvé

Section 3. Les obligations implicites au contrat

A. Les implied terms in fact

Cette catégorie particulière d’implied terms consiste à dégager une obligation implicite spécifique au contrat en cause, parce que son absence est considérée comme une omission de la volonté des parties, qu’il est nécessaire de corriger pour assurer l’exécution de la convention objet du litige. C’est la raison pour laquelle la doctrine les désigne comme des tacit terms (« clauses tacites »)544 ou comme résultant du mécanisme d’ad hoc gap filing545. Pour déterminer ces clauses « sur mesure », le juge de l’interprétation applique le test de la « nécessité » de telle sorte que l’obligation dont il s’agit sera légitimée parce qu’elle apparaît nécessaire pour donner un sens au contrat.

Une affaire désormais ancienne illustre bien cette idée. Dans l’arrêt The Moorcock546, Il était question d’un contrat conclu entre le propriétaire d’un navire et la société de gestion d’un port lui attribuant un embarcadère sur le quai pour permettre au bateau d’y stationner. Or, au cours du reflux de la marée, la coque du bateau fut endommagée après avoir percuté le fond marin en arête. Il fut jugé, en l’espèce, que les parties avaient bien convenu d’une clause implicite de garantie que l’emplacement était en adéquation avec le gabarit du navire :

« Dans les accords commerciaux tels que celui-ci, l’objectif que poursuit le droit par l’implication

[of terms] est d’accorder une efficacité économique à l’opération telle qu’elle était recherchée en

Les Principes d’UNIDROIT reconnaissent également l’existence d’obligations implicites dans la partie relative au « Contenu du

contrat, droits des tiers et obligations conditionnelles », mais elles recouvrent un domaine plus large que les PDEC et peuvent découler « a) de la nature et du but du contrat ; b) des pratiques établies entre les parties et des usages ; c) de la bonne foi » (article 5.1.2).

539

FAUVARQUE-COSSON Bénédicte, « Les arrêts « Paragon Finance » et « Rice v. Great Yarmouth Borough Council », op. cit.

540

Les implied terms découlant des usages commerciaux ou de la coutume sont, par hypothèse, de plus en plus rares et concernent en particulier des décisions anciennes auxquelles on pourra se référer dans AUSTEN-BAKER Richard, Implied Terms

in English Law, Edward Elgar, Cheltenham, 2011, n °5.01 et suivants ou FURMSTON Michael, Cheshire, Fifoot and Furmston

Law of Contract, 15th ed., Oxford Uni. Press, Oxford, 2007, pp. 172-175.

541 Pour un exposé très complet sur l’ensemble de ces points: F

URMSTON Michael, ibid., pp. 172-191.

542

[1977] AC 239.

543

AUSTEN-BAKER Richard, Implied Terms in English Law, ibid., n° 3.02.

544 C

ARTER John, The Construction of Commercial Contracts, Hart Publishing, Oxford and Portland, Oregon, 2013, n° 3-18.

545

V° Equitable Life Assurance Society v. Hyman [2002] 1 AC 408, opinion de Lord Steyn, p. 459.

546

tout état de cause par les deux parties, qui sont des hommes d’affaires, mais pas de faire peser sur un seul des contractants l’ensemble des risques de l’opération, ou de libérer une partie de l’ensemble de ces risques, mais de donner effet aux obligations de chaque partie, en tout état de cause, dès lors qu’elles ont dû considérer être tenues par ces risques. »547

Le test de nécessité s’est, depuis lors, affiné par la jurisprudence britannique qui a pu considérer qu’une clause implicite devait être reconnue comme obligeant les parties dans deux hypothèses. D’une part, ont été identifiées les clauses reliées au standard « d’efficacité économique » (business efficacity

test), tel qu’isolé dans la décision The Moorcock précitée.

D’autre part, le juge anglais a été amené à reconnaître l’existence de clauses dites de l’ « officious

bystander »548, c’est-à-dire les obligations tellement évidentes qu’il semble même superflu de les préciser au contrat. Elles ont été désignées comme telles à la suite d’une décision Shirlaw v. Southern Foundries549 et correspondent aux stipulations qui :

« sont suggérées dans n’importe quel contrat et n’ont pas besoin d’être exprimées

[expressément], de telle sorte qu’elles sont tellement évidentes qu’elles paraissent aller de soi ; en

sorte que si, lorsque les parties négociaient le contrat, un témoin attentif (« officious bystander ») suggérait de les préciser dans le contrat, elles [les parties] lui rétorqueraient un banal "bien sûr !" »550

La jurisprudence plus récente s’est efforcée de rationaliser les critères d’édiction de terms implied

in fact. C’est tout le sens d’un avis du Privy Council, BP Refinery (Westernport) Pty Ltd v. Shire of Hastings551, qui proposa les cinq critères à l’admission de ce type particulier d’obligations implicites :

« (1) [L’implication] doit être raisonnable et équitable ; (2) elle doit être nécessaire pour donner une efficacité économique au contrat de telle sorte qu’aucune clause ne serait implicitement identifiée si le contrat est effectif en son absence ; (3) elle doit être tellement évidente qu’elle va de soi ; (4) elle doit être susceptible d’une expression claire et précise ; (5) elle ne doit pas contredire une autre quelconque clause du contrat. »552

Toutefois, la récente décision Attorney General of Belize v. Belize Telecom Ltd553 est venue préciser deux choses : d’une part, le test de l’implication n’est pas subordonné à la démonstration de la « nécessité » de la clause, mais à son caractère « raisonnable et équitable ». D’autre part, l’apport de l’avis

BP Refinery ne devait pas être compris comme une liste de tests autonomes analysés sur un mode itératif,

mais plutôt comme une énumération de directives par lesquelles le magistrat recherche ce que le contrat veut signifier en recourant à la clause implicite554. Lord Hoffmann développait l’idée suivant laquelle le juge de l’interprétation n’est pas compétent pour ajouter une clause au contrat qui n’a pas été envisagée par les parties. Aussi, l’implication est nécessairement une opération par laquelle le juge exprime ce qu’ont voulu les parties, mais n’ont pas spécifié à l’écrit555. En d’autres termes, était affirmée l’idée que l’implication of terms in fact n’était qu’un des aspects spécifiques du travail plus général d’interprétation

547

Ibid., opinion de Lord Bowen, p. 68.

548 Il n’existe pas de traduction exacte en français. Cette expression s’entend du « témoin » ou du « passant » attentif qui

donnerait un avis, en tant que tiers, sur une situation qu’il observe.

549

[1939] 2 K.B. 206.

550

Ibid., opinion de Lord MacKinnon, p. 227.

551 [1977] 180 CLR 266; [1977] 16 ALR 363. 552 Ibid. 553 [2009] UKPC 10 ; [2009] 1 WLR 1988. 554

Ibid., opinion de Lord Hoffmann, n° 27.

555

des contrats. Les chroniqueurs ont donc un temps questionné l’idée suivant laquelle, par une telle solution d’absorption des implied terms in fact par l’interprétation du contrat, le droit anglais ne s’était pas aligné sur les systèmes continentaux556.

Les décisions ultérieures n’ont pas dissimulé leur embarras sur la confusion des moyens et des critères557. Aussi, un arrêt récent de la Supreme Court est venu clarifier ces bouleversements pour marquer un retour vers plus d’orthodoxie. Par l’arrêt Marks & Spencer plc v. BNP Paribas Services Trust Company

(Jersey) Ltd558, la Supreme Court a non seulement réaffirmé l’articulation plus classique des tests traditionnels559, mais également les rôles respectifs de l’interprétation, comme exercice préalable à l’implication, afin que les deux fondements ne se confondent pas560.

* * *

En recherchant un implied terms in fact, le juge demeure circonscrit au schéma contractuel entre les parties. Il analyse la convention pour en rechercher les termes que dictent l’évidence la plus élémentaire, ou l’efficacité économique. D’une certaine façon, il se rattache bien à un exercice interprétatif, quoi que divinatoire voire sophiste. Il est patent d’ailleurs que les Principes d’UNIDROIT réservent une place

aux lacunes du contrat écrit, en tant qu’elles sont des « omissions »561, distinctes des « obligations implicites » précitées. Dans les systèmes civilistes comme celui de la France, l’ad hoc gap filling va entretenir une idée relativement proche du bon sens de la clause qu’ont nécessairement signifié les parties mais ont omise. Cette idée participe également du principe de bonne foi contractuelle, de telle sorte que chaque partie est amenée à considérer l’intérêt de son cocontractant562 ; idée qui n’est pas totalement absente des considérations qui ont présidé à l’élaboration du droit des implied terms in law.