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Le rôle du Commonwealth dans le droit britannique

Section 2. Le juge : chef d’orchestre secondaire de l’interprétation

A. Le rôle du Commonwealth dans le droit britannique

L’actuel territoire du Royaume-Uni regroupe le United Kingdom of Great Britain, lequel est constitué de l’Angleterre, l’Écosse, le Pays de Galles, et la Northern Ireland179. Or, cette entité ne comporte pas de système juridique unifié dans la mesure où, si, au sein de la Grande Bretagne, l’Angleterre et le Pays de Galles partagent un même droit, l’Écosse et l’Irlande du Nord, en revanche, disposent de leur propre système juridique180. Le Royaume-Uni présente pour trait distinctif, on l’a dit, de ne pas être un pays de droit écrit disposant d’un corpus de règles abstraites gravées dans la stèle omnisciente de la loi. Le droit civil et commercial est donc fixé par quelques lois sectorielles et circonstanciées appelées les Statutes, ainsi que la jurisprudence. Si le droit d’Irlande du Nord reprend un grand nombre de traits essentiels de celui qui s’applique en Grande Bretagne, le système juridique écossais, en revanche, est le fruit d’une fusion originale d’un système civiliste et de la Common Law181. En particulier, le Scotland Act (1998) opère un processus de dévolution au bénéfice du Parlement écossais de l’édiction du droit privé et du droit pénal (dans la limite des compétences du Parlement de Wesminster et du droit de l’Union européenne). Au demeurant, la Scottish Law Commission, très active, est à l’origine de multiples projets de codification du droit, à l’instar des États de tradition civiliste. Par extension, l’Écosse dispose de son propre système judiciaire.

Le Royaume-Uni fut naguère le chef d’un ancien Empire colonial qui s’étendait jusqu’aux confins de la terre. Nonobstant la vague d’indépendances accordées au cours du XXe siècle, un grand nombre d’anciennes colonies conserve des liens forts avec la métropole de jadis. La seule exception notable est évidemment celle des États-Unis, lesquels se sont entièrement désolidarisés de l’ancien colon. À ce titre, la Reine d’Angleterre est encore le chef d’État officiel de seize États, dont le Canada, l’Australie ou encore la Nouvelle Zélande. De nos jours, l’Empire est devenu une alliance réunissant plus de 53 pays, appelée le

Commonwealth of Nations (ci-après le « Commonwealth »). Son origine tient à plusieurs conférences de

ministres du Royaume-Uni et des colonies autonomes qui eurent lieu en 1887 et 1897et se poursuivirent par la suite182.

À la différence de zones régionales d’intégration juridique comme l’Union européenne ou les États- Unis d’Amérique, le Commonwealth n’est pas une structure juridique ou un système judiciaire édictant des règles contraignantes pour ses membres183. C’est la raison pour laquelle le droit appliqué par les États

179 Cet ensemble territorial sera désigné comme le « Royaume-Uni » ou l’ « Angleterre » de façon indistincte dans la présente

étude.

180

SMITS Jan M. (ed.), Elgar encyclopedia of comparative law, Cheltenham, Edward Elgar Publishing, 2012, p. 294.

181

Qualifiée de mixed jurisdiction, pour le double apport de son système juridique, mâtiné de mécanismes provenant tant de la tradition civiliste que de celle de Common Law, cette originalité s’explique par des facteurs historiques : l’Écosse n’a rejoint le Royaume-Uni qu’en 1707 et disposait déjà de son propre droit, nettement influencé par le continent. En particulier, tel est le cas du droit des contrats écossais, qui n’applique pas la doctrine de la consideration et se montre bien plus favorable à la specific

performance (exécution en nature du contrat) que son homologue anglais. V° not. CARTWRIGHT John, Contrat Law: an

Introduction to the English Law of Contract, op. cit., p. 10.

V° également, pour un historique à ce sujet : SMITS Jan M. (ed.), Elgar encyclopedia of comparative law, op. cit., pp. 789-792.

182

Pour un bref rappel historique portant sur le Commonwealth : CANE Peter, CONAGHAN Joanne, The New Oxford Companion

to Law, Oxford Uni. Press, Oxford, 2008 (v° "Commonwealth of Nations", pp. 175-176).

183

adhérents n’est pas uniforme et peut même compter une certaine disparité. À titre d’illustration, l’Afrique du Sud dispose d’un système juridique mixte empruntant ses règles à la Common Law, comme au droit hollandais d’inspiration civiliste184. Curieusement, l’indépendance n’a pas incité une vingtaine d’États185 à rompre les liens juridiques avec la Couronne britannique. Aussi, s’ils disposent chacun d’un système et d’une hiérarchie judiciaires qui leur sont propres, Brunei, la Jamaïque et Singapour, parmi d’autres186, disposent d’une voie de recours ultime auprès du Judicial Committee of the Privy Council (« Comité judiciaire du Conseil privé de la Reine »). En pratique, il s’agit d’un recours par lequel le justiciable d’un des États en question saisit la Reine elle-même, après épuisement des voies de recours locales, pour solliciter une solution à un litige. Or, le monarque anglais ne tranche pas seul le litige : il fait appel au Comité judiciaire de son Conseil privé, dont le rôle est de « conseiller humblement sa Majesté » sur les suites à donner au contentieux. Non seulement la Reine suit systématiquement cet avis, mais la composition de ce comité187, bien qu’il ne soit pas un organe judiciaire, lui confère une réelle autorité pratique.

S’agissant des autres États membres du Commonwealth, l’influence des décisions du Privy

Council, et l’impact durable de la Common Law anglaise sur les droits nationaux, éclairés par les solutions

jurisprudentielles d’outre-manche, ont naturellement encouragé ces États à rechercher une uniformité avec les précédents rendus par le juge métropolitain, qui s’observe encore à l’époque contemporaine188. L’exemple le plus emblématique est celui d’une décision de la Supreme Court australienne rendue dans les années 1940 à propos d’une solution du droit national contraire à la jurisprudence britannique. Face à cette contradiction, le juge australien fit le choix de l’alignement sur le précédent anglais :

« Quand une question générale est posée, la présente juridiction devrait se garder d’introduire en droit australien une solution inconciliable avec celle consacrée en Angleterre. La Common law est administrée dans de nombreux États, et sauf à ce que chacun d’eux évite les solutions divergentes inutiles, son uniformité est en péril. »189

Cette interconnexion des systèmes juridiques et judiciaires n’est pas que verticale, dans un rapport exclusif avec l’ancienne métropole, mais également horizontale (chaque État s’intéressant possiblement aux solutions juridiques de l’ensemble des autres). Un auteur y voit ainsi une « conversation » plus qu’un « monopole » entre États du Commonwealth qui donne à cette structure particulière une véritable coloration d’un droit harmonisé190.

La présente étude se concentrera sur le droit applicable au Royaume-Uni, conçu comme référence dans tous les pays du Commonwealth, mais n’aura aucunement la prétention de dresser un exposé complet sur le droit de l’interprétation dans l’ensemble des États qui en relèvent191.

184

Andrew Hutchison in MONATERI Pier Giuseppe (dir.), Comparative contract law, op. cit., p. 452.

185 La Nouvelle Zélande n’a abandonné ce recours qu’en 2003. Pour une liste complète, Ibid., v° "Commonwealth law", p. 174. 186 V° la liste complète dans C

ANE Peter, The New Oxford Companion to Law, ibid.

187

Constitué de juges de la Supreme Court anglaise et de 15 hauts magistrats de juridictions de pays du Commonwealth.

188 Traduction de C

UNIBERTI Gilles, Grands systèmes de droit contemporains, 3e ed., LGDJ, Paris, 2015, n° 113 et suivants.

Pour un exposé très complet sur l’influence exercée par la Common Law britannique dans chaque État ou aire géographique notable de l’ancien Empire, v° ZWEIGERT Konrad, Introduction to comparative law, op. cit., pp. 218-237.

189

Waghorn v. Waghorn [1941-42] 65 CLR 289, 297 (traduction de CUNIBERTI Gilles, Grands systèmes de droit contemporains,

op. cit., n° 114).

190

CUNIBERTI Gilles, Grands systèmes de droit contemporains, op. cit., n° 115.

191 Certaines décisions d’États du Commonwealth pourront toutefois être incidemment relevées pour les besoins de la