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C-   La théorie des ordres juridique de Santi Romano 50

2.   Principaux rapports entre les ordres juridiques 55

Santi Romano a consacré tout le chapitre II de son livre à la « pluralité des ordres juridiques et leurs relations »111. Sans rentrer dans les détails de ses analyses, nous examinerons les rapports qui seront particulièrement utiles pour l’étude que nous avons entreprise.

Dans la section consacrée aux principes présidant aux relations des ordres juridiques (Section 33), le premier principe invoqué établit une distinction entre les institutions originaires et les institutions dérivées112. Les institutions originaires « réalisent un ordre juridique non établi par

d’autres institutions » alors que pour les institutions dérivées, « leur ordre est établi par une autre institution ». À titre d’exemples, on trouve dans l’organisation syndicale des syndicats qui se sont constitués sans qu’un ordre externe préside à leur naissance, alors que d’autres sont constitués en vertu d’une charte accordée par une centrale syndicale.

Un second principe distingue les institutions simples et les institutions complexes113. Les institutions complexes comprennent plusieurs institutions qui leur sont subordonnées à divers

110 G. ROCHER, préc., note 3, p. 132.

111 Il s’agit du titre de ce chapitre II (p. 77-163) qui occupe la plus grande partie du volume et qui le termine. 112 S. ROMANO, préc., note 99, p. 103.

degrés. Ce n’est pas le cas des institutions simples. À titre d’exemples, des centrales syndicales comprennent plusieurs syndicats affiliés et même des fédérations de syndicats. Il s’agit d’institutions complexes alors que le syndicat qui regroupe exclusivement le personnel enseignant d’une Commission scolaire est une institution simple.

Santi Romano propose « de distinguer, au sein de certaines entités très complexes, tel notamment l’État, plusieurs institutions qui considérées ensemble en font une »114. Ainsi « on a des institutions formant des parties d’une autre, les ordres juridiques qui sont les premières entrent dans la composition de l’ordre juridique plus large qui les comprend : elles sont donc des ordres juridiques internes par rapport à celui-ci »115. Nous reviendrons sur ces principes importants en considérant les ordres juridiques étatiques.

Le principe le plus important de la théorie de Santi Romano est la relevance116. Pour qu’il y ait relevance, « il faut que l’existence, le contenu ou l’efficacité d’un ordre soit conforme aux conditions mises par un autre ordre ». La relation peut être de pure domination. C’est sans doute ce qui se produit pour certaines chaînes d’établissements commerciaux. Dans bon nombre de cas, il existe un lien de présupposition : « [...] un ordre peut-être présupposé par un autre, institution complexe, et cela, même en lui demeurant subordonné »117. Les institutions complexes comme les fédérations ont leurs membres pour présupposés. C’est le cas des centrales syndicales. Santi Romano mentionne la communauté internationale. On pourrait ainsi donner à ce sujet l’exemple de l’Organisation internationale du travail dans laquelle les États membres sont les présupposés. La relevance des ordres juridiques extra-étatiques peut être très limitée face au droit étatique comme Gurvitch l’a mis en lumière dans sa typologie du droit social (deuxième catégorie); nous rappelons un extrait du texte déjà cité :

[...] C’est dans cette catégorie que se regroupe une multitude d’ordres juridiques de type particulariste, reposant sur des groupes structurés qui se passent de la contrainte inconditionnelle et fonctionnent généralement sans contact soutenu avec l’organisation

114 Id., p. 160. 115 Id., p. 161. 116 Id., p. 106. 117 Id., p. 108.

étatique (syndicats, corporations professionnelles, clubs sociaux, associations diverses…). Dans le cas de conflit avec l’ordre étatique, ils doivent cependant s’incliner. [...].

Il s’agit de situations de relevance mais l’autonomie est prévalente; il faut noter que même en cas de conflit, l’ingéniosité juridique des acteurs (juristes et non juristes) au service d’institutions non étatiques complexes peut contourner ou aplanir bien des difficultés.

Autre cas de relevance à l’égard du droit étatique abordé par Gurvitch dans sa typologie, la troisième catégorie : « Le droit social annexé par l’État mais autonome [...].

C’est la sphère décentralisée du droit « public » : collectivités locales, corporations professionnelles obligatoires, services publics décentralisés [...].

Dans notre société québécoise contemporaine, il faut, au premier chef, inclure dans cette sphère décentralisée du droit public, les universités publiques, les municipalités, une société publique comme Hydro-Québec, institutions qui sont de grandes productrices de droit habituellement hors du contrôle de l’État.

En ce qui a trait à la sphère centralisée du droit public, là où Gurvitch (quatrième catégorie) offre une approche globale qui risque de susciter des simplifications et des réductions, Santi Romano, comme nous l’avons vu, introduit avec la notion d’ordre juridique interne des principes d’analyse permettant d’opérer des distinctions nécessaires. Il importe de bien examiner cet aspect qui, compte tenu de la situation contemporaine de l’État au Canada, pourra être un précieux outil d’analyse. Il cite comme ordres juridiques internes :

[...] les divers organes de l’État (les chambres, les différents ministères, en général chaque administration) […] mais aussi ce qu’on appelle les institutions de l’État, écoles, musées, bibliothèques, établissements, etc. De plus on peut reconnaître une institution dans tout ensemble de tels organes ou entités en tant que ceux-ci sont coordonnés, hiérarchisés et réduits à une unité partant dans chacun des « trois pouvoirs » de l’État, le législatif, l’exécutif et le judiciaire, lesquels globalement envisagés forment cette institution majeure qu’est l’organisation étatique, pour déboucher enfin sur l’institution suprême : l’État, comprenant toutes les institutions mineures dont on vient de parler, donc, outre son organisation proprement dite, les autres éléments dont il se compose. [...] est interne, l’ordre d’une institution comprise dans une autre plus large, par rapport à

l’ordre de celle-ci, et donc aussi le droit d’un service étatique par rapport au droit de l’État envisagé dans son ensemble [...].118

Le droit du travail émerge à l’époque de la publication par Santi Romano de L’ordinamento giuridico119 dans un contexte impliquant de nombreuses institutions du travail et au premier chef les entreprises et les syndicats.

D- L’émergence du droit du travail allemand : l’action collective syndicale et la