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CHAPITRE 3: DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE

3.2 Rigueur scientifique de la recherche

3.2.5 Principaux biais

Cette étude comporte certains biais potentiels qu’il est important de présenter. Ceux-ci concernent la subjectivité de l’étudiante-chercheuse, notamment en lien avec son double rôle, les biais liés aux entretiens et, enfin, ceux liés à l’immersion sur le terrain. Les moyens utilisés pour les minimiser sont également décrits.

3.2.5.1 Subjectivité

Ancrée dans le paradigme constructiviste, cette recherche doctorale s’appuie sur le postulat que la subjectivité et l’intersubjectivité entre le chercheur et son objet d’étude sont des moyens pour atteindre sa compréhension (Creswell, 2013; Merriam, 2002). La subjectivité du chercheur doit être ni niée, ni exaltée, mais contrôlée (Olivier de Sardan, 2008). Aussi, son effet sur les configurations sociales des acteurs doit être reconnu comme une condition de production des données et doit être analysé (Papinot, 2014).

Dans cette étude, la subjectivité de l’étudiante-chercheuse a été impliquée et a servi à informer et à guider le processus de recherche (Appleton et King, 2002). Elle reconnait que ses caractéristiques personnelles et son orientation théorique ont pu teinter sa manière d’interpréter la réalité étudiée. La proximité et la familiarité entre l’étudiante-chercheuse, le terrain et les participants de même que son double rôle d’étudiante-chercheuse et de secrétaire générale de IISF ont pu influencer sa démarche de recherche. Aussi, le double rôle de l’étudiante-chercheuse et des cochercheurs ayant participé à la collecte des données a pu avoir un effet sur le biais de désirabilité sociale des participants (Creswell, 2013). Pour minimiser ce biais et dans un souci de rigueur scientifique, l’étudiante-chercheuse a dès le début du processus de recherche rédigé une réflexion personnelle sur l’influence de ses valeurs, ses croyances, ses expériences sur l’objet d’étude, ses a priori et ses craintes (Hammersley et Atkinson, 2007; Pellat, 2003). Elle a aussi réfléchi à ses rapports personnels et professionnels avec les cochercheurs, à ce qui pouvait favoriser et restreindre leurs échanges dans le cadre de ce projet. La rédaction régulière du journal de bord par l’étudiante-chercheuse a été une stratégie indispensable pour transcrire ses impressions subjectives et ses implications personnelles avec les participants (Olivier de Sardan, 2008). La relecture attentive du journal de bord lors de l’analyse a lié certaines conditions de la recherche (relations sociales, événements, impressions personnelles) à la production des données (Papinot, 2014). De surcroît, les nombreuses discussions de l’étudiante-chercheuse avec son directeur de recherche et avec les cochercheurs, de même que la triangulation des chercheurs ont contribué à contrôler l’effet de la subjectivité de l’étudiante-chercheuse (Casey et Murphy, 2009).

3.2.5.2 Biais liés aux entretiens

L’entretien est une situation artificielle qui tente de s’apparenter à une situation naturelle (Poupart, 1997). Afin de mettre à l’aise le participant, l’étudiante-chercheuse a mis en scène certains éléments pour le gêner le moins possible (moment favorable, habillement décontracté, langage adapté). L’étudiante-chercheuse a pris conscience que sa manière d’interroger et son guide d’entretien, incluant le choix des questions et celles omises ainsi que l’ordre des questions, a eu une influence sur la manière de répondre du participant (Savoie-Zajc, 2009). Ses réflexions personnelles ont été notées dans son journal de bord. Comme le souligne Poupart (1997), ces éléments de mise en scène ont un effet sur les données produites, mais il est difficile de l’analyser.

Concernant la relation entre l’étudiante-chercheuse et les participants interviewés, celle-ci reconnait que son langage verbal et non-verbal peut avoir eu un effet sur la relation avec le participant qui peut interpréter des marques d’intérêt ou de désintérêt à son égard (Poupart, 1997). Pour cela, l’étudiante-chercheuse est intervenue le moins possible lors des entretiens et a fait de l’écoute active en exprimant des « ok », « hum hum », en regardant la personne avec un sourire et en hochant de la tête. Puisque l’étudiante-chercheuse est elle-même une infirmière et qu’elle avait réalisé des MMCT au Sénégal, une certaine homologie a été retrouvée naturellement avec les participants, ce qui a permis une certaine proximité et une compréhension plus commune du phénomène. Toutefois, pour maintenir une certaine distanciation, l’étudiante-chercheuse a rédigé dans son journal de bord après chaque entretien ses impressions afin de voir dans quelle mesure les propos pouvaient être influencés par ses interventions, ses attitudes et ses caractéristiques personnelles. Par exemple, lors des entretiens avec les responsables locaux et les membres du personnel du Poste de santé, elle s’est questionnée sur sa perception du rôle du participant (ex : chef de village, président du Comité de santé, etc.), la perception que ce dernier se faisait sur elle (chercheuse, représentante de IISF) ainsi que sur l’influence que ces perceptions ont pu avoir sur le déroulement de l’entretien et sur la relation d’enquête (ex : relation plus distante, exprimer des demandes, etc.) (Savoie-Zajc, 2009).

Concernant le biais de désirabilité sociale, les propos des participants sont empreints de leur compréhension du but de la recherche. Ainsi, ils peuvent s’engager pleinement dans

leur participation, ou ne pas participer activement, en fonction de l’importance qu’ils accordent au projet de recherche (Poupart, 1997). En conséquence, les participants ont pu répondre avec honnêteté, mentir ou omettre des informations s’ils croient que la recherche puisse être à leur désavantage. Pour minimiser ce biais, l’étudiante-chercheuse et les cochercheurs ont clarifié leur rôle ainsi que le but du projet, lequel étant d’améliorer une pratique et que par conséquent, ils souhaitaient comprendre quels étaient les problèmes et les propositions d’amélioration à partir de leur expérience en tant qu’acteur. C’est aussi pour minimiser ce biais que les cochercheurs sénégalais ont participé au recrutement et à la collecte des données auprès des bénéficiaires.

Plus spécifiquement aux groupes de discussion, les participants échangent librement en rebondissant sur des propos qu’ils partagent ou non, il se crée ainsi une interaction affective entre les participants (Boutin, 2007) ainsi qu’un contexte d’intersubjectivité (Leclerc et al., 2011). En accord avec la posture épistémologique constructiviste de cette recherche, on considère que c’est dans cet espace d’intersubjectivité que se co-construira un sens qui évoluera tout au long de l’entretien (Morrissette, 2011). Toutefois, cette intersubjectivité comprend des limites. Par exemple, dans les groupes de discussion réalisés dans cette étude, il y a pu y avoir une influence réciproque entre les participants avec un effet « boule de neige », une coalition ou une recherche de consensus (Baribeau, 2010; Boutin, 2007). Pour saisir le plus possible cette dimension d’intersubjectivité, une personne a pris le rôle d’observateur et a noté les comportements non-verbaux ainsi que certains éléments de la dynamique de groupe. Ces notes ont été discutées avec l’étudiante- chercheuse lors du bilan post-entretien. Enfin, lors de la transcription verbatim, l’étudiante- chercheuse a inscrit certains éléments de la dynamique des entretiens (accélération du débit, interruption, rire, soupir, ton de désaccord, attitude consensuelle, etc.) afin de les considérer lors de l’analyse des données.

3.2.5.3 Biais liés à l’immersion sur le terrain

Dans cette étude, l’étudiante-chercheuse s’est retrouvée in situ, c’est-à-dire qu’elle a partagé le quotidien des acteurs afin de vivre cette même réalité (Draper, 2015). Par conséquent, elle a été son propre instrument de collecte de données. La subjectivité de l’étudiante-chercheuse est ici un biais puisque les données ont été sélectionnées, filtrées et

teintées par elle-même (Draper, 2015; Pellat, 2003). Par exemple, elle a pu porter une attention trop sélective sur certains aspects d’une situation et en ignorer d’autres (Martineau, 2005). Pour minimiser ce biais de sélection, elle a discuté avec les cochercheurs pour faire le bilan et identifier d’autres unités d’observation à réaliser. Par exemple, l’étudiante-chercheuse est allée trois jours dans un autre Poste de santé à proximité afin d’observer le fonctionnement de la pharmacie de ce Poste.

Par ailleurs, les terrains ont été réalisés dans un contexte familier de l’étudiante-chercheuse, bien que cette situation peut être un avantage, elle peut aussi soulever une tension liée à sa double identité « insider-outsider » (Allen, 2004). Afin de prendre une distance à l’égard de sa subjectivité, il a été essentiel pour l’étudiante-chercheuse de prendre conscience de ses filtres et de s’auto-analyser en rédigeant son journal de bord (Beaud et Weber, 2012; Pellat, 2003). De même, pour renforcer sa distanciation, elle a conduit des entretiens semi- dirigés hors site et a effectué l’ensemble de son analyse des données hors du terrain. Enfin, la triangulation des chercheurs, notamment par l’implication du comité de recherche dans la validation et l’interprétation des analyses, a minimisé ce biais.

La présence du chercheur et le terrain s’inter-influence. Ainsi, l’étudiante-chercheuse reconnait que sa présence a pu modifier les comportements de ceux qu’elle a étudiés puisqu’elle était un nouvel élément dans leur configuration sociale (Papinot, 2014). La familiarité de l’étudiante-chercheuse avec le terrain et les MMCT de IISF de même que sa présence prolongée sur le terrain ont contribué à minimiser ce biais. D’un autre côté, pour maintenir une certaine distanciation, elle a rédigé ses impressions personnelles dans son journal de bord par exemple lorsqu’elle ressentait une confusion vis-à-vis son double rôle (ex : une responsable de groupe qui lui demande d’intervenir en tant que représentante de IISF).

Selon l’accès accordé au chercheur, il y a un risque « d’encliquage », c’est-à-dire que le chercheur fait partie d’un réseau dans lequel il produira ses données et n’aura pas nécessairement accès à d’autres réseaux à cause de son affiliation ou encore s’enfermera dans ce réseau (Olivier de Sardan, 2008). En conséquence, son regard ne portera que sur ce réseau et ses interprétations seront biaisées car peu diversifiées. Pour minimiser ce biais, l’étudiante-chercheuse s’est engagée dans diverses relations et activités sociales avec les

participants (ex : manger à différentes tables le soir, marcher dans le village, discuter avec le personnel du poste à la fin de la journée) et elle a régulièrement clarifié son rôle auprès des participants. D’ailleurs, plusieurs coopérants lui ont mentionné qu’ils avaient « oublié » qu’elle était avec eux pour un projet de recherche.

En somme, puisque cette recherche est ancré dans un paradigme constructiviste, l’étudiante-chercheuse n’a pas tenté d’éliminer les biais liés à sa subjectivité ou à l’intersubjectivité, mais a considéré comment les dispositifs de collecte de données, la relation avec les participants et le contexte de la recherche ont été susceptibles d’être impliqués dans la production des données (Papinot, 2014). Elle est demeurée vigilante face aux influences qu’elle a subit elle-même, les rapporter et en tenir compte dans sa production, analyse et interprétation des données. Concrètement, lors de la transcription des entretiens et des notes d’observation, elle s’est questionnée sur les biais pouvant avoir eu un effet sur la collecte des données (ex : désirabilité sociale, relation de pouvoir, etc.) et a rédigé ses réflexions dans un journal de bord. Par ailleurs, la triangulation des sources, des méthodes et des chercheurs ont été des stratégies pour renforcer la crédibilité des données (Savoie-Zajc, 2009).