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CHAPITRE 1: PROBLÉMATIQUE ET RECENSION DES ÉCRITS

1.2 Recension des écrits

1.2.3 Lacunes des dons de médicaments lors des MMCT

Lors des MMCT, les dons de médicaments circulent sur des trajectoires variées composées de différentes étapes telles que la planification, la sélection, la préparation, la distribution et l’utilisation par les bénéficiaires. Comme tout don de médicaments, ils devraient respecter les Principes directeurs de l’OMS. Or, la littérature fait état de nombreuses lacunes avant, pendant et après les MMCT. Cette section présente une synthèse de ces lacunes avec, le cas échéant, le Principe directeur de l’OMS qui s’y rapporte.

1.2.3.1 Planification et identification des besoins en médicaments

L’un des principes fondamentaux de l’OMS pour les dons de médicaments est : « Il devrait y avoir une coordination et une collaboration efficace entre le donateur et le bénéficiaire, et tous les dons doivent être faits selon un plan formulé par les deux parties » (traduction libre, WHO, 2011, p. 4). De même, les Principes directeurs #1 et #10 stipulent :

Principe 1. Tous les dons de médicaments devraient être basés sur un besoin exprimé, être adaptés au profil épidémiologique du pays bénéficiaire et les quantités devraient être convenues entre le donateur et le bénéficiaire.

Principe 10. Les dons de médicaments devraient être conjointement planifiés et la collaboration entre les donateurs et les bénéficiaires devraient être initiée dès que possible. Les dons de médicaments ne devraient pas être expédiés sans avoir d’abord le consentement du bénéficiaire.

(traduction libre, WHO, 2011, pp. 8 et 11) Les principes de la planification et de la collaboration entre les donateurs et bénéficiaires sont ainsi au cœur des Principes directeurs de l’OMS (WHO, 2011). En contexte de MMCT, les dimensions collaborative et égalitaire du partenariat sont également largement

reconnues comme des principes éthiques et de pratiques exemplaires (voir Cheng et Rodriguez, 2019; Crump et al., 2010; Lasker et al., 2018; Maki et al., 2008; Melby et al., 2016; Roche et al., 2017; Rozier et al., 2017; Stone et Olson, 2016). Il est ainsi recommandé que les dons de médicaments soient planifiés en collaboration entre le donateur et le bénéficiaire et qu’ils respectent les besoins identifiés par les bénéficiaires (Brown et Ferrill, 2012, Chastang, 2008; Scopelliti et al., 2014; WHO, 2011). Or, cette collaboration peut être marquée par des relations de pouvoir asymétriques notamment lorsque l’organisme décide des interventions cliniques à prioriser durant la MMCT (Berry, 2014; Langowski et Iltis, 2011; Lough et al., 2018; Rozier et al., 2017). Ces écrits et études ont mis en évidence que la planification des interventions est surtout déterminée en fonction des intérêts de la MMCT et non du partenaire.

Parmi les « bonnes pratiques », certaines MMCT ont fait une analyse préliminaire des besoins du partenaire et ont appliqué certains des Principes directeurs de l’OMS (Aubé et al., 2015; Brown et Ferrill, 2012; Scopelliti et al., 2014). En outre, si certaines MMCT ont vérifié les questions liées à l’importation des médicaments (Weng et al., 2015), cette mesure demeure peu appliquée par les MMCT (Chapin et Doocy, 2010; Rowthorn et al., 2019). Malheureusement, les démarches pour la planification des dons de médicaments sont peu détaillées dans les écrits portant sur la préparation des MMCT (Kalbarczyk et al., 2019) et dans les études réalisées auprès de MMCT (voir DeCamp et al., 2014; Green et al., 2009; Nouvet et al., 2016).

1.2.3.2 Collecte, sélection, préparation et transport

La qualité des médicaments collectés et sélectionnés pour les dons est centrale aux Principes directeurs de l’OMS. En effet, quatre Principes ciblent ces étapes:

Principe 2. Tous les médicaments donnés ou leurs équivalents génériques doit être approuvée dans le pays bénéficiaire et devraient figurer sur la liste nationale des médicaments essentiels ou, à défaut de liste nationale, sur la liste modèle OMS des médicaments essentiels, à moins que le bénéficiaire n'ait expressément donné des indications contraires et une justification.

Principe 4. Tous les médicaments qui font l'objet de dons devraient provenir de sources fiables et être conformes aux normes de qualité du pays donateur et du pays bénéficiaire. Le système OMS de Certification de la qualité des produits pharmaceutiques entrant dans le commerce international devrait être utilisé.

Principe 5. Des médicaments qui ont été délivrés aux patients puis retournés à la pharmacie ou à d'autres officines, ou qui ont été distribués aux membres des professions de santé sous forme d'échantillons gratuits, ne devraient pas faire l'objet de dons.

Principe 6. A leur arrivée dans le pays bénéficiaire, tous les médicaments faisant l'objet de dons devraient être encore valables au moins une année.

(traduction libre, WHO, 2011, pp. 9 et 10) Les processus de collecte des médicaments et de leur sélection sont peu mentionnés dans les écrits consultés. Parmi les méthodes de collecte citées, on retrouve la sollicitation auprès des pharmaciens ou des organismes fournisseurs de médicaments humanitaires ainsi que l’achat de médicaments en vente libre en pharmacie (Brown et Ferrill, 2012). Les préoccupations concernent principalement la prévision d’un budget et de temps suffisant pour acquérir les médicaments et préparer la MMCT (Brown et Ferrill, 2012, Caldron et al., 2016; Rovers et al., 2016). De même, peu de MMCT respecteraient les lois et réglementations concernant l’exportation de médicaments et celles sur l’importation dans le pays d’accueil (Rowthorn et al., 2019).

Dans les Principes directeurs de l’OMS, trois concernent la présentation des médicaments, soit le dosage et la forme pharmaceutique des médicaments, la conformité aux normes de qualité, le refus des médicaments retournés à la pharmacie et des échantillons et l’étiquette libellée dans une langue comprise par les bénéficiaires :

Principe 3. La présentation, le dosage et la forme pharmaceutique des médicaments donnés devraient, dans la mesure du possible, être analogues aux médicaments communément utilisés dans le pays bénéficiaire.

Principe 7. Les étiquettes de tous les médicaments devraient être libellées dans une langue comprise par les professionnels de la santé du pays bénéficiaire. L'étiquette figurant sur chaque emballage individuel devrait mentionner au moins la dénomination commune internationale (DCI) ou le nom générique, le numéro de lot, la forme pharmaceutique, la teneur en principes actifs, le nom du fabricant, la quantité contenue dans l'emballage, les conditions de conservation et la date de péremption.

Principe 8. Les médicaments donnés devraient être conditionnés en paquets adaptés pour le bénéficiaire et approprié pour le contexte dans lequel ils seront distribués ou dispensés.

Certaines MMCT sélectionnent les médicaments à partir d’une liste fournie par la structure d’accueil (Aubé et al., 2015; Brown et Ferrill, 2012; Scopelliti et al., 2014). Or, lorsque les MMCT ne s’appuient pas sur une telle liste, les médicaments sélectionnés peuvent ne pas faire partie de la LNMPE (Gorske, 2009; Nouvet et al., 2016).

Les dons d’échantillons commerciaux et de médicaments personnels sont aussi critiqués (Gorske, 2009; Hawkins, 2013; Seager et al., 2010). Toutefois, ils sont courants lors des MMCT (Buchman, 2007) comme cela a été constaté par l’étudiante-chercheuse lors d’expériences de MMCT. En effet, les coopérants laissaient leurs médicaments personnels avant de quitter le milieu en disant « je n’en n’aurai plus de besoin, autant que ça serve ici ». Dans le même sens, les dons de médicaments périmés sont fréquents. Par exemple, l’enquête de Chapin et Doocy (2010) révèle que 11 % des MMCT ayant fait des dons de médicaments ont donné des médicaments expirés. Ces dons inappropriés peuvent s’appuyer sur des croyances erronées de la part des donateurs. D’ailleurs, Solheim (2007) mentionne que certains pays, sans préciser lesquels, acceptent que les médicaments peuvent être donnés jusqu’à six mois après leur péremption. Toutefois, ces dons sont dénoncés dans les recommandations internationales (WHO, 2011).

Le transport des dons de médicaments lors des MMCT est une étape peu décrite par les articles. Ceux-ci indiquent qu’ils sont généralement transportés dans les valises des coopérants (Aubé et al., 2015; Brown et Ferrill, 2012; Solheim, 2007). Bien qu’ils doivent être conditionnés dans leur emballage d’origine (WHO, 2011), certaines MMCT mettent les médicaments en vrac dans des sachets de plastique identifiés par une étiquette manuscrite (Roberts, 2006; Solheim, 2007). De plus, les médicaments peuvent être séparés dans différentes valises, comme avec les effets personnels du coopérant, pour les « sécuriser » en cas de perte (Solheim, 2007). Enfin, l’importance d’avoir un inventaire des dons notamment pour faciliter le passage aux douanes a été souligné (Seager et al., 2010). 1.2.3.3 Donation, prescription et enseignement

Les Principes directeurs ne recommandent rien pour la remise des dons des médicaments. Néanmoins, ceux-ci devraient être remis à des professionnels de santé autorisés à détenir et prescrire des médicaments (Brown et Ferrill, 2012; Gorske, 2009; Seager et al., 2010). Si cette pratique semble être courante, l’enquête de Chapin et Doocy (2010) indique que

certaines MMCT ont remis leurs dons de médicaments à des non professionnels de santé. De plus, lorsque les professionnels locaux peuvent méconnaitre les médicaments remis, des erreurs de prescription peuvent survenir (Currie et Pust, 2006) ainsi que des risques d’interactions médicamenteuses et de surdosages (Gorske, 2009).

L’étape de la prescription des dons de médicaments ne fait pas l’objet de recommandations particulières par l’OMS. Toutefois, la consultation médicale, et la prescription qui s’ensuit, constitue une activité au cœur des MMCT (Chapin et Doocy, 2010). Comme la prescription de médicaments s’inscrit dans le cadre d’une consultation et plus globalement dans une relation de soins, la section ci-dessous décrit les lacunes de la consultation dans sa globalité (acte de prescrire et enseignement de la médication).

Dans le contexte des MMCT, les dons de médicaments peuvent être prescrits par les coopérants et cette activité doit se faire de manière rationnelle1 (OMS, 2017). Au Québec,

l’ordonnance médicale exige une qualification reconnue par un ordre professionnel (Gouvernement du Québec, 2015; 2016). De même, il est nécessaire que les MMCT respectent les normes professionnelles du pays d’accueil (Tazelaar, 2011). Or, des exemples de coopérants-prescripteurs non qualifiés et insuffisamment supervisés ont été décrits (Aluri et al., 2018; Martiniuk et al., 2012). Par conséquent, les coopérants peuvent manquer de connaissances et d’habiletés cliniques menant à une évaluation incomplète puis possiblement à une prescription et à un traitement erronés ou incomplets (Laleman et al., 2007; Langowski et Iltis, 2011; Stone et Olson, 2016). Ces lacunes sont un enjeu pour la qualité des soins offerts aux patients (Lasker et al., 2018; Roche et al., 2017). D’un autre côté, les coopérants peuvent être confrontés à une survalorisation de leurs compétences, par exemple être invités à prescrire alors qu’ils n’ont pas la compétence ou le droit de le faire (Rowthorn et al., 2019). Enfin, une détresse morale peut se manifester chez les coopérants par exemple lorsqu’ils ressentent avoir un trop haut niveau de responsabilités en lien avec la consultation médicale et l’acte de prescrire (Aluri et al., 2018).

1 « L’usage rationnel des médicaments suppose que les patients reçoivent des médicaments adaptés à leur état clinique,

dans des doses qui conviennent à leurs besoins individuels, pendant une période adéquate et au coût le plus bas pour eux- mêmes et leur collectivité » (OMS, 2017, s.p.)

Les coopérants peuvent aussi avoir des pratiques de prescription différentes de l’équipe médicale locale menant à une certaine confusion pour les patients (Prescott et al., 2018). D’ailleurs, il a été documenté que peu de MMCT utilisent les protocoles thérapeutiques nationaux en vigueur dans le pays pour établir les diagnostics et prescriptions (Chapin et Doocy, 2010; Cheng et al., 2019; Dainton et al., 2016) bien que cette pratique soit recommandée (McCurry et Aldulaimi, 2018; Roche et al., 2017). Des écarts et des erreurs de prescription peuvent ainsi survenir (Gorske, 2009; Nouvet et al., 2018; Prescott et al., 2018; Seager et al., 2010). Ces méthodes de prescription différentes peuvent devenir un fardeau pour l’équipe locale après le départ de la MMCT (Roche et al., 2017; Sykes, 2014). En effet, lorsqu’il n’y a pas de dossiers médicaux ou qu’ils ne sont pas remplis par les coopérants, l’équipe locale peut difficilement assurer le suivi sans compter les risques de duplicatas de prescriptions et le manque de médicaments pour poursuivre les traitements (Berry, 2014). La connaissance et le respect des pratiques locales de prescription, ainsi que des protocoles thérapeutiques nationaux et locaux sont recommandés (Dainton et al., 2020; Gorske, 2009; McCurry et Aldulaimi, 2018; Rozier et al., 2017).

Concernant la relation de soins et la communication entre les coopérants et les patients, les barrières linguistiques et culturelles sont un frein connu à la qualité des soins (Chiu et al., 2014; Lough et al., 2018; Olenick et Edwards, 2016; Roche et al., 2017; Rovers et al., 2016; Steinke et al., 2015; Stone et Olson, 2016). D’ailleurs, les coopérants reconnaissent que les barrières linguistiques augmentent le risque d’erreurs, de complications et d’effets secondaires liés à une mauvaise compréhension des médicaments prescrits (Aluri et al., 2018; Rovers, 2016; Watzak et al., 2015). De plus, les coopérants ne prennent pas toujours le temps de faire un enseignement adéquat sur la médication (Gorke, 2009), ne vérifient pas systématiquement la compréhension des patients (Seager et al., 2010) et de son côté, le patient peut avoir une interprétation culturelle différente de sa maladie et des médicaments, influençant son adhérence au traitement (Wall, 2011). Bien que le recours à des interprètes informels ou à des membres de la famille pour communiquer avec le patient soit usuel lors des MMCT (Chapin et Doocy, 2010; Chiu et al., 2014), cette stratégie comporte de nombreuses limites tels que le filtrage des informations, le manque de confidentialité et l’inversion de rôles familiaux (Prescott et al., 2018; Tazelaar, 2011; Vissandjée et Dupéré, 2000). Enfin le manque de sensibilité culturelle à l’égard des patients et des professionnels

locaux a été dénoncé (Lasker et al., 2018; Langowski et Iltis, 2012; Martiniuk et al., 2012). Parce que les barrières culturelles et linguistiques sont inévitables lors des MMCT et que les risques d’erreurs d’utilisation par les patients sont importants, le développement de la compétence culturelle et d’habiletés en communication interculturelle apparaissent essentiels (Chiu et al., 2014; Jesus, 2010), et ce, particulièrement pour l’étape de la prescription et de l’enseignement de la médication.

1.2.3.4 Gestion locale

Les Principes directeurs de l’OMS préconisent d’atténuer l’impact des dons de médicaments sur la gestion locale des bénéficiaires. Deux Principes ciblent cette étape de la trajectoire :

Principe 6. (…) Les grandes quantités de médicaments donnés deviennent des défis logistiques, même s’ils ont une longue durée de conservation.

Principe 12. Les coûts des transports locaux et internationaux, de l'entreposage, du dédouanement, et du stockage et de la manutention dans de bonnes conditions devront être à la charge de l'organisme donateur, à moins qu'il n'en ait été décidé autrement en accord avec le bénéficiaire.

(traduction libre, WHO, 2011, pp. 10 et 12) Lors des MMCT, bien que les dons de médicaments soient le plus souvent aux frais des donateurs et des coopérants, des frais indirects engagés par les bénéficiaires sont à considérer. Par exemple, la structure doit faire l’inventaire des dons de médicaments et assurer leur gestion, cela exige du temps et des ressources humaines (Green et al., 2009). De surcroît, la gestion de la destruction des médicaments inappropriés est une autre source de fardeau (Chastang, 2008).

Après la donation, il peut survenir que les médicaments remis aux bénéficiaires soient utilisés à d’autres escients que ceux prévus initialement (Baxerre, 2013; Egrot, 2015; Laplante, 2004). Les dons peuvent ne pas être utilisés, être redonnés à des membres de la famille, revendus à des fins privées ou se retrouver sur des marchés parallèles (Chastang, 2008; Egrot, 2015). Ces risques de détournements contribuent à un sentiment de méfiance pour les coopérants (Harrisson et al., 2016).

En dernier lieu, bien que l’évaluation soit un principe central des lignes directrices sur les MMCT (Cheng et Rodriguez, 2019; Crump et al., 2010; Lasker et al., 2018; Maki et al., 2008; Roche et al., 2017), l’OMS ne propose pas de recommandations spécifiques sur le suivi postdonation. Effectuer un tel suivi permettrait aux organismes d’évaluer leur pratique et apporter des améliorations (Brown et Ferrill, 2012; Rozier et al., 2017).