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Prime de risque obligataire et nature des incertitudes économiques

Cinquième partie. Primes de risque et instabilité du marché des actions et des obligations

4. Prime de risque obligataire et nature des incertitudes économiques

On peut reposer la question de la prime de risque sur les obligations dans le cadre de la théorie financière moderne. Celle-ci souligne que volatilité et risque sont deux concepts très différents : un actif peut avoir un prix très volatil sans être risqué, si ce prix évolue généralement en sens inverse du prix des autres actifs détenus par les ménages. Dans ce cas, la détention de cet actif offre une sorte de protection contre les fluctuations sur les autres marchés. Dans ce cadre, que dire des obliga-tions ? Une baisse des taux d’intérêt à long terme, qui fait monter le cours des obligations, est-elle en général associée à de bonnes nouvel-les ou de mauvaises nouvelnouvel-les pour le ménage moyen, compte tenu de l’ensemble de ses risques (chômage, placements financiers) ? On peut soutenir que la réponse diffère radicalement selon la nature des chocs qui affectent l’économie. Quand les chocs sont des chocs de producti-vité et de croissance, la nature des corrélations est claire : la baisse des taux longs est associée aux périodes de ralentissement économique et de faible croissance des salaires et des profits, c’est-à-dire que la baisse des taux longs est plutôt associée à de mauvaises nouvelles (comme on le voit depuis un an). Si c’est le cas, il est normal que la prime de risque sur les taux longs soit négative : la détention d’obligations offre une assurance contre les mauvaises surprises économiques (les cours mon-tent quand le chômage monte, les profits baissent….). En revanche, les économistes de marché semblent se placer par principe dans une situa-tion où se sont les chocs inflasitua-tionnistes, et non les chocs réels, qui do-minent. Dans ce cas, la détention d’obligations est particulièrement ris-quée : la hausse des taux longs, c’est à dire les pertes en capital sur les portefeuilles obligataires, n’est plus associée à de bonnes nouvelles (croissance et productivité en hausse), mais à plutôt à de mauvaises surprises (hausse du prix du pétrole, pertes de crédibilité des autorités monétaires…). On voit que du point de vue des concepts de la finance moderne, la question du risque obligataire est une question particuliè-rement complexe, même si des considérations de ce type sont très rare-ment prises en compte sur les marchés.

À ce stade, il ne s’agit que de conjectures, mais il nous semble que la réduction structurelle du risque obligataire contribue, avec bien sûr la crise des pays émergents, à expliquer à la fois le faible niveau actuel des taux longs et la dynamique de marché. On voit se dessiner une certaine défiance pour l’analyse « fondamentale pure » qui n’avait généralement pas su anti-ciper la force de la demande pour les obligations et le recul des taux longs.

Cela profite aux autres méthodes de valorisation(51).

Notons d’ailleurs de façon générale que le succès de l’approche contrarian peut s’expliquer en partie par les erreurs de tarification du ris-que souvent commises par les « fondamentalistes purs ». Rappelons ris-que le contrarian vend les actifs bénéficiant d’un consensus favorable et achète ceux qui semblent délaissés. De façon non formalisée, le contrarian fait exactement ce qui a été fait cet été dans le cadre de la préparation de ce rapport : un sondage pour savoir si la moyenne des investisseurs anticipe un rendement élevé (actif à la mode) ou faible (actif délaissé). Derrière un aspect un peu paradoxal, cette méthode a une certaine rationalité économique : l’actif qui ne trouve son équilibre que grâce à l’an-ticipation de rendements élevés souffre par définition de fortes primes de risque (voir le cas du dollar contre le yen signalé dans l’annexe). Il n’est pas absurde pour le contrarian de le vendre en faisant le pari que cette forte prime de risque, quelle qu’en soit l’origine, aura échappé à la vigilance des autres investisseurs. L’expérience prouve que c’est souvent le cas.

On pourrait soutenir l’idée selon laquelle les contrarians ont mieux com-pris que la grande majorité des « fondamentalistes purs » à quel point il était important d’étudier la dynamique des primes de risque et les condi-tions fines d’équilibre entre l’offre et de la demande. Ceci dit, les contrarians, comme les « chartistes », sont cependant en un sens des « parasites » des marchés. Ils profitent des lacunes des méthodes de valorisation de la plu-part des « fondamentalistes purs », mais une fois sapée la confiance des marchés en leur propre rationalité, ils n’ont pas de véritables méthodes alternatives de valorisation à proposer. Comme il a déjà été souligné, des marchés peuplés de contrarians deviennent très instables et totalement dé-connectés des « fondamentaux économiques ».

(51) Il ne s’agit pas ici de faire des prévisions sur les tendances des marchés obligataires, car de nombreux autres facteurs que la « prime de risque » devraient être pris en compte. La dynamique des taux longs en Europe dépendra avant toute chose de la croissance et des anticipations portant sur la politique monétaire de la zone euro. Par ailleurs, sans entrer dans les détails, soulignons qu’il existe des risques structurels souvent méconnus sur le marché obligataire européen : les compagnies d’assurance-vie, principaux investisseurs en obliga-tions, peuvent se trouver en situation difficile si les taux remontent très fortement compte tenu de la structure de leur passif. Dans des scénarios extrêmes, heureusement peu vraisem-blables à horizon de quelques années, il est possible d’imaginer les contours d’un krach obligataire partant de compagnies d’assurance-vie en situation de stress financier. D’une certaine façon, le recul des taux longs américains sur des niveaux historiquement bas relati-vement aux taux courts semble reposer sur des fondamentaux financiers plus sains (importance des fonds de pension, excédent budgétaire).

La surévaluation de la bourse américaine

S’il est un marché où l’influence de l’analyse économique fondamen-tale sur les décisions d’investissement a subi un net recul au cours des der-nières années, c’est bien le marché des actions américaines. Les analystes se fondant sur les fondamentaux économiques ont été pessimistes sur l’évo-lution des cours depuis plusieurs années, à part une petite minorité se ba-sant sur des modèles particuliers (voir encadré 5 en fin de partie). Progres-sivement, les investisseurs, qu’ils soient des professionnels ou des ména-ges, ont perdu confiance dans la pertinence des modèles fondamentaux de valorisation.

Il y a un accord assez large pour considérer que ce sont les achats de parts de mutual funds (l’équivalent des OPCVM français) par les ménages qui ont constitué le moteur de la hausse au cours des dernières années alors que les institutionnels, notamment les étrangers, étaient très prudents compte tenu des valorisations très élevées atteintes. L’attention des gestionnaires s’est ainsi progressivement concentrée sur le suivi régulier des investisse-ments des ménages en « mutual funds » spécialisés sur les actions(52).

Tant que les achats des ménages resteront soutenus, il est probable que les professionnels, échaudés par leur expérience des dernières années, ne prendront pas le risque de jouer la baisse du marché. En revanche, l’appa-rition de ventes nettes de la part des ménages pourrait provoquer assez facilement des retraits massifs de la part des gérants. Il est d’ailleurs frap-pant de voir la nervosité avec laquelle les professionnels attendent les sta-tistiques de souscription après chaque correction du marché : la question fondamentale sur les marchés ne porte pas tant sur les niveaux de valorisa-tion atteints que sur la réacvalorisa-tion des ménages face à la baisse des cours. Au total, ce marché central de l’économie mondiale a un mode de fonctionne-ment déconnecté des fondafonctionne-mentaux économiques qui apparaît très inquié-tant. En cas de retrait des ménages, un mouvement de panique peut très facilement se créer.

Une question clef, à laquelle personne n’a de réponse, porte sur les vé-ritables attentes des ménages en ce qui concerne le rendement de leur pla-cement en actions : 2 % — ce que semblent offrir, au maximum, les ac-tions américaines dans une perspective de moyen terme compte tenu des

(52) On trouve ici un exemple d’un phénomène beaucoup plus général. Sur les marchés financiers, la structure de la demande connaît souvent des déformations progressives de nature plus ou moins structurelle : citons par exemple la montée de la demande pour les produits d’assurance-vie en France dans les années quatre-vingt-dix ou la tendance à l’inter-nationalisation des portefeuilles des fonds de pension américains au cours de la même dé-cennie. Ces déformations structurelles peuvent contribuer à l’apparition d’une tendance à la hausse ou à la baisse sur le prix des actifs concernés (taux d’intérêt à long terme, taux de change…). L’existence de ces tendances donne une certaine rationalité aux méthodes

« chartistes » : celles-ci visent précisément à déduire la tendance sous-jacente à partir de la dynamique des prix observée sur un marché donné. Notons cependant que les meilleurs traders ne sont jamais de purs « chartistes » : ils essaient généralement de façon plus ou moins explicite de trouver l’origine économique profonde de la tendance qu’ils mettent en évidence et de juger de sa pérennité.

cours très élevés atteints aujourd’hui — ou 7 % — prime de rendement offerte depuis cinquante ans par les actions – ou 15 % — attente des ména-ges selon certaines enquêtes d’opinion ? On retrouve là la question des primes de risque. On peut avoir le sentiment qu’au début des années qua-tre-vingt-dix, dans un contexte où ils écoutaient encore les analyses de type fondamental, les ménages étaient prudents et investissaient sur la base d’an-ticipations de rendement très modérées. On peut d’ailleurs soutenir qu’il y avait à nouveau une erreur d’analyse des primes de risque de la part des

« fondamentalistes », c’est-à-dire qu’ils surestimaient l’aversion pour le risque actions de la part des ménages et sous-estimaient la demande. En revanche, il semble aujourd’hui que, après quinze années de hausses fortes et régulières, les attentes des ménages en matière de rendement soient de-venues excessives.

Ce sentiment est corroboré par l’analyse du portefeuille des ménages.

Avec 59 % du stock d’épargne des ménages, le total actions plus mutual funds (hors monétaires) occupe une place sans précédent et dépasse le re-cord du milieu des années soixante(53). Obligations et produits monétaires se situent en revanche à un plus bas historique. Cette structure de porte-feuille, qui ne s’est pas révélée soutenable dans les années soixante, traduit probablement les fortes attentes des ménages en matière de rendement, attentes qui semblent incompatibles avec le niveau déjà atteint par les cours boursiers.

(53) Les « mutual funds » sont investis pour environ 70 % en actions.