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Le contrôle des entrées de capitaux

justifi-cations :

D’une part, certains pays souhaitent limiter la part du capital productif qui est sous contrôle étranger. Les limitations portent alors sur les investis-sements directs. Par exemple, la Corée du Sud, bien que très ouverte aux prêts bancaires étrangers, menait avant la crise récente une politique extrê-mement restrictive dans le domaine des investissements directs étrangers.

Cette volonté de conserver sur place le contrôle de la quasi-totalité des entreprises s’explique généralement par un mélange de considérations pu-rement politiques — indépendance nationale — et de considérations plus économiques — éviter que le pays ne perde ses sièges sociaux pour ne devenir qu’un lieu de production à faible valeur ajoutée. Cette méfiance n’est pas toujours sans fondements : on peut s’interroger sur les bénéfices des investissements directs dans un pays émergent quand ils signifient le passage sous contrôle étranger d’une grande entreprise qui aurait eu les moyens de se développer par elle-même. Mais il ne faut pas sous-estimer tous les avantages qu’ils présentent du point de vue de la croissance écono-mique dans les situations de loin les plus fréquentes où ils ne menacent ni l’indépendance nationale, ni le développement des entreprises locales les plus prometteuses. C’est particulièrement le cas dans le secteur bancaire où la présence de grandes institutions financières internationales contribue à améliorer les pratiques en matière de contrôle des risques et d’orientation des financements vers les investissements les plus rentables.

Le contrôle des entrées de capitaux

Annexe 2

D’autre part, limiter les entrées de capitaux peut répondre au souci de freiner l’appréciation du taux de change dans les phases hautes de la conjoncture. Au début des années quatre-vingt dix, le Chili, comme d’autres pays d’Amérique latine, était ainsi confronté à de fortes entrées de capitaux dans un contexte de taux d’intérêt élevés. Laisser s’apprécier le change aurait dégradé la compétitivité du secteur exportateur, alors que celui-ci constitue probablement le principal facteur de développement dans une perspective de moyen-long terme. Les autorités chiliennes ont ainsi intro-duit en 1991 l’obligation de constituer des réserves non-rémunérées auprès de la banque centrale en contrepartie des prêts reçus de l’étranger. La non rémunération de ces dépôts s’apparente à une taxation des entrées de capi-taux. De 1991 à 1997, cette obligation a été étendue à la quasi-totalité des entrées de capitaux, à l’exception des crédits commerciaux et des investis-sements directs(1). Le montant de ces réserves non rémunérées en propor-tion des entrées a fortement varié : de 30 % entre mai 1992 et juin 1998, il a été ramené à 10 % en juin 1998, puis l’obligation a été suspendue en septembre 1998 dans la mesure où sur la période la plus récente le Chili n’a pas souffert d’entrées excessives de capitaux mais plutôt de sorties comme la totalité des autres pays émergents. Au total, cette politique de taxation variable des entrées de capitaux, sur laquelle nous reviendrons, a principa-lement été motivée par des considérations de nature macroéconomique : redonner des marges de manœuvre à la politique monétaire pour stabiliser la conjoncture sans compromettre la politique de stabilisation du taux de change(2).

Le contrôle des entrées de capitaux peut également avoir pour objectif de protéger l’économie considérée contre les risques systémiques liés à un retournement brutal du marché international des capitaux. Dans ce domaine, il faut distinguer les risques portant sur les investissements de portefeuille de ceux pesant sur les crédits bancaires internationaux. Les investissements de portefeuille dans les pays émergents sont très volatils et souvent assez peu stabilisateurs : les périodes de hausse tendent à faire boule de neige et à attirer une épargne nouvelle qui exagère cette hausse, notamment du fait d’un gonflement des souscriptions de fonds communs de placement spécialisés. Inversement, les périodes de baisse peuvent initier un cercle vicieux de liquidation. Ceci dit, en ce qui concerne les investissements de portefeuille, l’évolution des cours boursiers joue un rôle efficace

d’amor-(1) Voir FMI (1998b), Annex IV, « Chile’s Experience with Capital Controls ».

(2) Pour éviter l’appréciation du change en période de taux d’intérêt élevés, il est également possible d’intervenir sur le marché des changes, c’est-à-dire d’accumuler des réserves en devises en contrepartie des entrées de capitaux. Il y aura « stérilisation » de ces inter-ventions si les taux d’intérêt sur le marché monétaire restent inchangés, c’est-à-dire si la Banque centrale retire par d’autres canaux (open market, politique d’escompte...) les liqui-dités qu’elle a injectées sur le marché monétaire en se portant acheteuse de devises étrangè-res. Cette politique de constitution de réserves peut être coûteuse pour les finances publi-ques, dans la mesure où le taux d’intérêt servi sur les devises étrangères est inférieur au taux d’intérêt domestique.

tisseur en matière de sorties de capitaux : les ventes nettes par les non-résidents ne sont possibles que si les non-résidents trouvent les cours attractifs et se portent acheteurs. Les principaux perdants de ces cycles sont ainsi les investisseurs étrangers eux-mêmes qui ont tendance à acheter cher et à revendre bon marché. La situation est sensiblement différente en matière de crédits bancaires à court terme. Le pays débiteur n’a aucune protection contre la décision éventuelle des banques créancières de ne pas renouveler leurs lignes de crédit. La fermeture de l’accès au crédit peut intervenir en réponse à une dégradation de la solvabilité des débiteurs du pays considéré ou dans le cadre d’un mouvement de panique mal contrôlé : comme nous l’avons vu, quels que soient les « fondamentaux économiques », il est rationnel pour une banque de réduire son exposition si elle pense que les autres vont agir de même.

Pour éviter l’accumulation de dettes à court terme et ce risque de crise de liquidité, on peut envisager plusieurs méthodes :

• Très en amont, une politique de change assez souple qui ajuste les parités en cas de besoin constitue un frein à un fort endettement extérieur à court terme en devises. Le risque de change limite en effet les opérations d’arbitrage entre devises.

• Une taxation des entrées de capitaux à la chilienne a le mérite d’être particulièrement pénalisante pour les capitaux les plus courts. La taxe im-plicite est indépendante de la durée de placement : elle n’ampute ainsi que faiblement le rendement d’un placement long, mais elle apparaît dirimante pour un placement très court(3). De fait, la part du court terme dans l’endet-tement extérieur du Chili paraît un peu plus faible que dans les autres pays.

Elle a sensiblement baissé à partir de 1995 quand les exigences en matière de réserves non rémunérées ont été durcies (voir FMI (1998b), Annex 4).

• Une régulation exigeante de l’activité internationale des banques locales peut freiner l’accumulation de dette extérieure. Le Chili, par exem-ple, limite sévèrement les opérations des banques en ce qui concerne leurs prêts et emprunts libellés en devises étrangères. Pour certains observateurs, on trouve là la vraie raison de la résistance chilienne face à l’instabilité financière internationale (voir Edwards (1998)). De façon générale, l’inter-ruption brutale des lignes de crédit a moins de chances d’intervenir si les banques étrangères jugent favorablement la solidité financière des banques locales.

• Enfin, la Banque centrale peut mettre en place de façon préventive des défenses permettant de faire face à une crise de liquidité. Il peut s’agir de réserves de change couvrant approximativement l’endettement à court terme du pays. Pour éviter de supporter le coût de financement de ces réserves de change permanentes, il est également possible de négocier des lignes de crédit mobilisables en cas de difficultés. C’est ce qu’a fait

(3) Rappelons cependant que les crédits commerciaux en sont exonérés.

l’Argentine auprès d’un groupe de grandes banques internationales.

On pourrait d’ailleurs imaginer que l’endettement à court terme de rési-dents auprès de non-résirési-dents ne soit autorisé, au-delà d’un certain mon-tant, que s’il s’accompagne parallèlement d’une ligne de crédit à moyen terme accordé par la banque étrangère concernée au bénéfice de la Banque centrale. Celle-ci pourrait tirer sur ces lignes en cas de besoin. Un tel dispo-sitif mériterait d’être expertisé. Il permettrait à la banque centrale de con-solider l’endettement extérieur du pays en cas de besoin, en faisant parti-ciper de façon automatique les prêteurs étrangers actifs dans le pays.

Au total, il semble que deux instruments méritent de figurer dans la

« boîte à outil » à la disposition des gouvernements dans les pays émer-gents. D’une part, un mécanisme à la chilienne peut permettre d’éviter une appréciation excessive du change dans les périodes de forte conjoncture.

D’autre part, en cas de réserves de change insuffisantes, le risque de crises de liquidité mérite d’être géré grâce à la négociation préalable de lignes de crédit à moyen terme mobilisables en cas de besoin.

Tout ce qui précède ne doit cependant pas inciter à une dangereuse er-reur de diagnostic sur les crises récentes. Le Mexique et la Thaïlande n’ont pas été victimes de pures crises de liquidité par manque de réserves de change. La crise est d’abord partie d’une perte progressive de confiance dans le maintien d’une parité fixe jugée difficile à défendre par les mar-chés. La véritable crise de liquidité, c’est-à-dire le retrait massif des prê-teurs étrangers, n’est intervenue que dans un deuxième temps : quand les devises sont parties en chute libre et qu’il est apparu que les réserves de change avaient presque totalement disparu dans une défense aussi ineffi-cace qu’acharnée de la parité initiale.

De façon générale, les deux exemples précédents rappellent utilement que les crises de financement ne sont pas nécessairement des crises de li-quidité : les sorties de capitaux courts peuvent aussi avoir comme origine l’inquiétude des résidents quant à l’évolution du taux de change. En ma-tière de financement de la balance des paiements, le côté de « la demande »

— la volonté des résidents de s’endetter en devises étrangères — est au moins aussi important que celui de « l’offre » — la volonté des banques étrangères de prêter en devises. Quand les difficultés proviennent principa-lement d’un taux de change surévalué, la solution ne réside pas dans l’uti-lisation aveugle des réserves de change ou de lignes de crédit préalable-ment négociées, mais dans un ajustepréalable-ment contrôlé de la parité.

Au total, l’accumulation de réserves de change ou la mise en place éven-tuelle de nouvelles lignes de crédit, destinées à enrayer les crises de liqui-dité, ne doivent être encouragées que si elles s’accompagnent d’une évolu-tion dans les politiques de change. Dans le cas contraire, elles seraient plu-tôt contre-productives car elles pourraient être détournées de leur objet et ne servir qu’à retarder les ajustements de change quand ceux-ci apparais-sent nécessaires.

Cinquième partie. Primes de risque et instabilité du