Nous donnons dans cette section la preuve du Th´eor`eme 2.4.6. Rappelons que f : X → X est une application m´eromorphe dominante d’une va-ri´et´e complexe lisse connexe compacte dans elle-mˆeme et que T := T (f ) = limj→∞ρ−j(f∗)jα est un courant de Green associ´e `a une forme (1, 1) lisse ferm´ee α satisfaisant f∗{α} = ρ{α}. On a la propri´et´e d’invariance f∗T = ρT .
Soit z ∈ X t.q. ν(z, T ) > 0 et supposons que z 6∈ I(f∞). On cherche une contradiction.
Notons L(z) l’ensemble limite de z et appliquons le point 2. du Th´eor`eme 2.5.14. L’ensemble analytique L(z) est invariant f (L(z)) = L(z), et quitte `a remplacer z par un de ses it´er´es, et f par un de ses it´er´es on peut supposer que L(z) est irr´eductible, que z∈ L(z) et que O(z) = L(z) pour la topologie de Zariski. Notons que par invariance de T et par le Corollaire B.1.4, la propri´et´e ν(z, T ) > 0 est preserv´ee pour tous les it´er´es de z.
L’ensemble analytique L(z)⊂ X peut ˆetre singulier. Nous consid´ererons donc les notions de fonctions psh, de courants positifs ferm´es de bidegr´e (1, 1) et leur nombre de Lelong associ´e sur des espaces singuliers (voir [De85]). Nous d´etaillerons quelques points `a la fin de cette section pour la conve-nance du lecteur. En particulier, nous d´emontrerons le lemme suivant (voir Corollaire B.1.4):
Lemme 2.6.1. Soit g : Y → Y une application m´eromorphe dominante d’un espace analytique singulier irr´eductible compact dans lui-mˆeme et S ∈ C1+(Y ) admettant localement en tout point un potentiel psh. Alors il existe une constante C > 0 t.q. pour tout z6∈ I(g) on a l’in´egalit´e
ν(z, g∗S)≤ C × ν(g(z), S) entre nombres de Lelong.
Notons g := f|L(z), c’est une application m´eromorphe dominante de L(z) dans lui-mˆeme. On a z 6∈ I(g∞) ⊂ I(f∞) donc L(z) 6⊂ I(f∞). Par 2.4.3 la fonction de Green de T n’est pas identiquement−∞ sur L(z). On peut donc d´efinir S := T|L(z) ∈ C1+(L(z)). Ce courant v´erifie l’´equation d’invariance g∗S = ρS et admet localement un potentiel psh en tout point par construction.
Notons F := {j ∈ N, fj(z) ∈ Sing(L(z)) ∪ C(g)}. De la Proposition B.1.5 et du Lemme 2.6.1, on tire l’estimation pour tout j ∈ N:
ν(gj(z), g∗S)≤ (
e(gj(z), g)× ν(gj+1(z), S) si j, j + 16∈ F, C× ν(gj+1(z), S) sinon.
l’invariance de S, on en d´eduit que 0 < ν(z, S) = ρ−kν(z, (g∗)kS)≤ ρ−k k−1Y j=0 eC(gj(z), g) × D
avec D := supx∈L(z)ν(x, S) < +∞. Comme g est dominante, on a eC(x, g) = 1 pour tout point hors de l’ensemble critique de g, qui est une sous-vari´et´e stricte de L(z). Mais alors eC∞(z, g) ≥ ρ > 1 = eC
∞(L(z), g), ce qui contredit la seconde assertion du Th´eor`eme 2.5.14 car L(z) est irr´eductible. Q.E.D.
Fonctions psh sur un espace analytique singulier.
Nous ne ferons ici que les d´efinitions ad-hoc qui nous sont utiles dans la preuve pr´ec´edente sans chercher `a donner un traitement syst´ematique de la question. Notre r´ef´erence est [De85].
Soit Y un espace analytique complexe (r´eduit) de dimension pure n. On notera Sing(Y ) l’ensemble de ses points singuliers et Yreg := Y \ Sing(Y ).
Les notions que nous consid´erons sont locales, on peut donc supposer que Y s’identifie `a un sous-ensemble analytique ferm´e d’un ouvert Ω⊂ CN
au moyen d’un plongement.
On veut tout d’abord d´efinir la notion de courant sur Y .
Une (p, q)-forme α ∈ Cp,q∞(Yreg) est dite de classe C∞ sur Y si elle est restriction d’une forme lisse sur Ω. On d´efinit C∞
p,q(Y ) l’espace des (p, q)-formes de classe C∞ sur Y que l’on munit de la topologie induite par celle de Cp,q∞(Ω). On v´erifie que ces d´efinitions ne d´ependent pas du choix du plongement.
D´efinition 2.6.2. On d´esigne parDp,q l’espace des (p, q)-formes `a support compact muni de la topologie limite inductive. Un courant T ∈ D′p,q est par d´efinition un ´el´ement du dual deDp,q.
On d´efinit les op´erateurs d, dc, ∂, ∂ de mani`ere analogue au cas lisse ainsi que la multiplication par une forme lisse.
D´efinition 2.6.3. Un courant T de bidegr´e (p, q) est dit positif si le courant de bidegr´e (n, n),
T∧ iα1∧ α1∧ · · · ∧ iαn∧ αn
est une mesure positive pour tout choix de (1, 0) formes (α1,· · · , αn) de classeC∞ sur Y .
On s’int´eresse `a l’espace C1+(Y ) des courants positifs ferm´es de bidegr´e (1, 1) sur Y . On introduit la notion suivante de fonction psh.
D´efinition 2.6.4. Soit v : Y → R ∪ {−∞} une fonction qui n’est pas identiquement −∞ sur aucun ouvert de Y . On dit que v est psh si elle est restriction d’une fonction psh sur Ω pour un plongement Y ֒→ Ω.
On v´erifie que cette d´efinition ne d´epend pas du choix du plongement. Toute fonction psh sur Y est localement int´egrable par rapport `a la mesure d’aire sur Y (Proposition 1.8. de [De85]). Elle d´efinit donc un courant de bidegr´e (0, 0). On v´erifie alors que T := ddcu est un courant positif ferm´e de bidegr´e (1, 1).
Si f : Y → Y est une application m´eromorphe dont l’ensemble critique ne contient aucune composante irr´eductible de Y , et si T ∈ C1+(Y ) admet localement en tout point un potentiel psh T = ddcu, on peut d´efinir le pull-back f∗T comme dans le cas lisse. En tout point o`u f est holomorphe, on a localement f∗T = ddc(u◦ f). On v´erifie que la d´efinition ne d´epend pas du potentiel local choisi.
Remarque: R´eciproquement pour S ∈ C+1(Y ) donn´e, il n’existe pas en g´en´eral de fonction psh u sur Y t.q. S = ddcu (voir D´efinition 1.9. de [De85] et les remarques suivantes).
Il est important de noter cependant que dans la preuve du Th´eor`eme 2.4.6, le courant S est d´efini comme restriction d’un courant T positif ferm´e d´efini globalement sur X. Si T = ddcu, on a S = ddc(u|Y). On adopte pour nos besoins la d´efinition suivante du nombre de Lelong d’une fonction psh.
D´efinition 2.6.5. Soit u ∈ PSH(Y ) et p ∈ Y . Fixons π : bY → Y une d´esingularisation de Y . On d´efinit
ν(u, p) := inf
q∈π−1(p)ν(u◦ π, q) le nombre de Lelong de u en p.
V´erifions que la d´efinition ne d´epend pas du choix de la d´esingularisation. D´emonstration. Il suffit de prouver que pour toute modification propre π : Y1→ Y2avec Y1, Y2lisses, pour toute fonction u∈ PSH(Y2) et tout point p∈ Y2, on a l’´egalit´e
ν(u, p) = inf
q∈π−1(p)ν(u◦ π, q).
Le probl`eme est local, on peut donc supposer que Y1 = Y2 = B la boule unit´e de Cn. Le nombre de Lelong augmente par pull-back (voir Corollaire B.1.4) donc ν(u, p)≤ infq∈π−1(p)ν(u◦ π, q).
Choisissons L un sous-espace lin´eaire de dimension 1 passant par p t.q. ν(u, p) = ν(u|L, p) (voir [De93]). Comme π est une modification propre, la restriction de π `a la transform´ee stricte π•(L) de L induit une application holomorphe bijective. Comme L est lisse, il s’ensuit que π : π•(L)→ L est un biholomorphisme et que π•(L) est lisse. Posons q := π•(L)∩ π−1(p). On a l’´egalit´e
donc
ν(u, p)≤ ν(u ◦ π, q) ≤ ν(u ◦ π|π•
(L), q) = ν(u, p). Il s’ensuit infq∈π−1(p)ν(u◦ π, q) = ν(u, p).
On est maintenant en mesure de d´emontrer le Lemme 2.6.1.
Lemme 2.6.6. Soit g : Y → Y une application m´eromorphe dominante d’un espace analytique singulier irr´eductible compact dans lui-mˆeme, et S∈ C1+(Y ) admettant localement en tout point un potentiel psh. Alors il existe une constante C > 0 t.q. pour tout z6∈ I(g) on a l’in´egalit´e
ν(z, g∗S)≤ C × ν(g(z), S). entre nombres de Lelong.
D´emonstration.Lemme 2.6.1.
Fixons π : bY → Y une d´esingularisation de Y , et notons bg l’extension `
a bY de g. C’est une application m´eromorphe dominante. Soit bΓ une d´esingularisation du graphe de bg, muni des deux projections naturelles π1, π2 sur chacun des facteur de bY × bY . On a le diagramme suivant
b Γ π2 > > > > > > > > π1 b Y π b g //Yb π Y g //Y
o`u π, π1sont des modifications propres, et π2 est une application holomorphe propre. Ce diagramme est commutatif au sens suivant. Si q ∈ bΓ, on a g◦ π ◦ π1(q) = π◦ π2(q) d`es que π◦ π1(q)6∈ I(g).
Pour tout z ∈ Y , on a par d´efinition du nombre de Lelong donn´ee ci-dessus
ν(z, g∗S) = inf
π◦π1(q)=zν(q, π1∗π∗(g∗S)).
Par le Corollaire B.1.4 appliqu´ee `a π2, on peut trouver une constante C > 0 t.q.
ν(g(z), S) = inf
π(q)=g(z)ν(q, π∗S)
≤ C × inf
π◦π2(q)=g(z)ν(q, π2∗π∗S).
Si z6∈ I(g), la propri´et´e de commutativit´e du diagramme implique π∗2π∗S = π1∗π∗g∗S
dans un voisinage de (π◦ π1)−1{z} ⊂ bΓ et par suite ν(z, g∗S) = inf π◦π1(q)=zν(q, π∗1π∗(g∗S)) ≥ inf π◦π2(q)=g(z)ν(q, π2∗π∗S)≥ 1 C × ν(g(z), S), ce qui conclut la preuve.
Cas de P
2
et P
1
× P
1
.
Introduction
Dans ce chapitre, nous ´etudions le cas particulier des surfaces rationnelles P2 et P1× P1.
A la Section 1, nous d´ecrivons bri`evement la structure des morphismes holomorphes et rationnels de ces surfaces. Dans P2, une application ra-tionnelle est g´en´eriquement holomorphe. Dans P1 × P1 la situation est diff´erente, les applications holomorphes sont toujours produits de fractions rationnelles `a une variable, et sont donc extr´emement rares. A la Section 2, nous reprenons essentiellement les r´esultats g´en´eraux du Chapitre 2 en les pr´ecisant dans ce cadre. A la Section 3, nous discutons le th´eor`eme d’´equidistribution de Russakovskii-Shiffman (voir [RS97]). Celui-ci montre l’existence d’une mesure µf d´ecrivant la distribution des pr´eimages d’un point g´en´erique d`es que f satisfait `a la condition deg(f ) > λ1(f ). Lorsque f est holomorphe, la mesure µf peut ˆetre d´efinie comme produit ext´erieur de courants de Green, et on v´erifie qu’elle est toujours m´elangeante et d’entropie maximale (voir par exemple [Si99]).
Le r´esultat de Russakovski-Shiffman est pour l’instant le seul r´esultat d’existence d’une mesure “int´eressante” valable pour une large classe d’applications rationnelles non holomorphes. Ce r´esultat est cependant tr`es partiel dans la mesure o`u on ne sait en g´en´eral rien sur µf: il est conjectur´e que celle-ci ne charge pas I(f ) et est donc invariante. Le point important (Lemme 3.3.2) est que si l’on peut assurer la condition
µf(C(f)) = µf(I(f )) = 0, (3.1) alors la mesure µf est m´elangeante et d’entropie maximale (voir le Corol-laire 2.3.11). Nous utiliserons ce fait dans notre ´etude des produits crois´es polynomiaux de C2 au Chapitre 5. Nous construirons µf d’une mani`ere alternative et nous montrerons (3.1).
La Section 4 de ce chapitre est consacr´ee `a l’´etude de la compactification `
a P2 ou P1× P1 des applications polynomiales de C2 envoyant l’hyperplan `
a l’infini sur un point superattractif. Nous d´ecrivons le comportement du potentiel du courant de Green `a l’infini. Ce contrˆole sera utilis´e de mani`ere cruciale au Chapitre 5 dans la preuve du Th´eor`eme 5.2.7. On montre qu’aux points de I(f∞) le courant T (f ) admet un potentiel G `a d´ecroissance e-xactement logarithmique. Enfin nous donnons `a la Section 5 deux exem-ples d’applications rationnelles pathologiques. Ces exemexem-ples permettent de mieux cerner la difficult´e des Th´eor`emes 2.4.5 et 2.4.6.