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Chapitre II. Saint-Lazare hier : approche historique historique

2. Une gare à plein régime : 1880 à 1899

2.1 Presser le pas aux abords de la gare

A travers les transformations opérées jusqu’à 1880, la gare Saint-Lazare s’est agrandie. L’organisation fonctionnelle du voyage lui-même s’en trouve affectée. Prendre le train est devenue, en 1882, une pratique courante et quotidienne pour beaucoup de parisiens et de banlieusards : « Dans les années 1880, le trafic ferroviaire quadruple et atteint 201 millions de départs et d’arrivées dans toutes les gares parisiennes »280. La gare ne peut faire face à cet afflux toujours croissant de voyageurs pressés, exigeants et encombrés de paquets. La saturation est évidente, les voyageurs grognent et s’entassent sur des quais et dans des trains bondés, les retards s’accumulent, les cours sont pleines et les rues avoisinantes bloquées. « La fin du XIXe siècle a augmenté la circulation urbaine. Toujours plus de chevaux pour une capitale toujours plus riche et affairée : cent vingt mille circulent, quarante mille dorment en banlieue. Toujours plus de bétail. Toujours plus de foin, de paille, de poussière, celle de l’usure des chaussées, des grands travaux, des chantiers »281. Les abords de la gare et les rues avoisinantes semblent saturés, bruyantes, stressantes. Elles ont été aménagées en 1870. La période 1871-1891 a vu apparaître la nécessité « d’améliorer les conditions de mise en œuvre et d’entretien de chaussées sollicités par une circulation déjà exceptionnellement dense »282. Les voies empierrées couvraient à la fin du Second Empire presque la moitié des rues de Paris. Ce revêtement, doux et peu sonore, était d’un entretien très onéreux et très inconfortable au piéton. « […] Les voies pavées en échantillons posés sur sable ou sur béton (en cas de circulation exceptionnelle) ont la préférence des ingénieurs»283. Elles sont les plus résistantes et les plus économiques pour l’époque. De plus, à partir de 1873, les tramways ont eu pour fonction de compléter le réseau des transports urbains sur rails,

280 SAUGET S., « Des nouveaux embarras au rêve automate : les gares parisiennes (1880-1914) », in

Société et Représentations, n° 17, 2004, p. 99.

281 GUILLERME A., LEFORT A., JIGAUDON G., op cit, p. 228.

282 LANDAU B., op cit, p. 40.

mais lenteur et insuffisance caractérisent leur développement284. Le quartier est métamorphosé. D’autres sons apparaissent. Le mouvement et le transport s’entendent plus qu’avant. Les conditions de circulation piétonne ou de transport mécanisé sont remises en cause.

Traverser ces ambiances pour accéder à la gare Saint-Lazare est une véritable épreuve. Dans les années 1880, les voyages sont de plus en plus désorganisés, les usagers se disputent les places dans des trains peu nombreux par rapport au flux de voyageurs. Les compagnies devaient satisfaire aux compartimentages sociaux pour les fumeurs, les dames seules, la poste, la gendarmerie, etc. Le désordre renaît inévitablement aux moments d’affluence. Des voyageurs encombrés de valises, de paquets, anxieux n’ayant qu’un seul but, trouver leur train ou gagner la sortie, obligés d’avancer sur des quais toujours trop étroits, qu’ils doivent partager à chaque foulée avec les chariots remplis de bagages. Du point de vue des compagnies de chemins de fer, il leur semble nécessaire de procéder à des réaménagements face à cette nouvelle situation désorganisée, surtout quand les sorties se confondaient avec les départs. Le témoignage suivant souligne les problèmes de desserte aux abords de la gare, dont la configuration date de 1867 :

« Tout le monde a pu se rendre compte s’il n’en a été lui-même victime, des encombrements qui se produisaient dans la rue d’Amsterdam, c’était au moment du départ des trains de grandes lignes, un double courant de voitures montant le bas de cette rue pour conduire à la gare les voyageurs et leurs bagages et redescendant à vide, après un stationnement d’une certaine durée, obstruant une seconde fois le passage. Aux abords de la cour d’arrivée, c’était encore une rencontre de courants contraires. De même dans la cour d’arrivée, et dans les rues y aboutissant : dans un sens les voitures amenant les messageries ou venant prendre soit des voyageurs, soit des marchandises ; dans l’autre les fourgons à messageries sortant après déchargement ou chargement et les voitures chargées de voyageurs et de bagages. » 285

Le constat établi par Mr Lefevre, l’ingénieur chargé d’évaluer le fonctionnement de la gare (sur trois décennies 1850-1880), établit une relation claire entre les départs et les arrivées des trains, le transport des bagages et la présence

284 RABAULT-MAZIÈRES I., op cit, p. 11.

285 LEFEVRE P., Revue générale des chemins de fer : Agrandissements de la gare Saint-Lazare, PL.XX T.XII, 1er sem N°6, Juin 1889.

rythmée des voitures stationnant à l’extérieur de la gare. Les indications sur les mouvements des trois acteurs concernés (personnes, bagages et voitures), concourent à temporaliser l’ambiance autour de la gare.

En réalité, l’ambiance n’est pas déterminée par la simple présence ou juxtaposition de ces trois acteurs, mais réside dans les relations qu’ils entretiennent. Premièrement, les mouvements et les flux des voyageurs, ainsi que les rythmes et temporalités de ces flux, dessinent des fragments d’espaces intensément habités, pratiqués et parcourus. Deuxièmement, l’extérieur de la gare reflète son intérieur et inversement. On peut caractériser la gare par cette capacité de donner à percevoir un renvoi d’ambiances permanent selon une logique de prisme. Aux abords de la gare, on assiste à l’aboutissement d’une chaîne d’opérations qui commence sur les quais : arrivée de voyageurs, transport de bagages et disparition dans les rues avoisinantes (ou dans les autres modes de transports). Troisièmement, à l’intérieur de la gare, les quais de départs sont le point d’arrivée des parcours qui commencent à l’extérieur : arrivée en voiture à cause de la surcharge de bagages et leur transport par des chariots jusqu’aux quais.

Mais revenons dans les années 1880 pour consulter les sources qui rendent compte de l’entourage de la gare Saint-Lazare. A l’entrée, le parvis accueille un rythme continuel de mouvements produits par toutes sortes d'équipages : des carrosses aux portières armoriées, des charrettes à bras, des carrioles de maraîchers et des fardiers (planche 42). Mais le tableau reste incomplet. Les flux augmentent avec l’amélioration des conditions de transports dans la ville. Le tramway (apparu en 1873), puis l’arrivée massive des bicyclettes (engendrant des problèmes de

stationnement aux abords des gares encore au XXe siècle), et par la traction

mécanique pour les marchandises. Un article de la Revue Touring-club permet de se

faire une idée de l’importance du phénomène à la fin du XIXe siècle286. On y parle de

comptages faits dans certaines gares parisiennes, notamment à Pâques, ou au 14 Juillet où l’on aurait vu défilé, tant au départ qu’à l’arrivée, jusqu’à trois mille

bicyclettes par jour. A la fin du XIXe siècle, et pour les voyageurs amateurs de bicyclettes, cette dernière ne donnait pleine satisfaction que « si le parcours principal se faisait en chemin de fer, qu’elle soit utilisée comme moyen d’excursion ou de promenade »287. Aussi, la bicyclette était fort appréciée pour « ses qualités potentielles d’auxiliaire du train dans la conquête touristique du pays »288. Pour répondre à ces loisirs cyclistes, des fourgons spéciaux sont incorporés dans les trains

à partir de 1898289. Quant aux bicyclettes utilisées comme moyen de transport, des

garages sont mis en place dans toutes les gares de Paris pour que les cyclistes venant

pour prendre le train puissent les retrouver à leur rentrée.290

Planche 42 : Louis-Emile Durandelle, La gare Saint-Lazare en 1885. Source : coll. V.B Ouest

287 Par exemple, en 1900, Le Guide cycliste des villes d’eaux de France, indique avec la présentation du lieu, l’itinéraire proposé, la station de chemin de fer. On y trouve de nombreuses mentions invitant à prendre le chemin de fer pour raccourcir ou faciliter une excursion.

288 ANGELIER M., op cit, pp. 172-173.

289 Idem

Devant la gare, des charrettes attendent les voyageurs291. On remarque que la cour servant de terrain de stationnement est bien séparée de la voie limitrophe qui supporte des rails de tramways (à gauche sur l’image). Les limites ne sont matérialisées que par une grille métallique. Il n’y a pas une rupture visuelle ou sonore avec les abords de la gare et le quartier environnant. Au niveau du matériau de revêtement du sol, les pavés de pierre contribuent à sonoriser le roulement des charrettes et des sabots. Par rapport à l’auditeur, cet impact sonore diffère de celui des pavages en bois ou en asphalte. « Entre 1886 et 1923, le pavage en bois (apparu en 1881), se développe considérablement jusqu’à couvrir plus de 2 500 000 m2. Il fut progressivement remplacé en 1905 par les asphaltes comprimés puis par les pavés mosaïque »292.

Quittons le parvis de la gare. Sous un autre angle de vue, la gravure (planche 43) montre la gare par l’arrière avant les grandes transformations des années 1885-1889 : une succession de six halles enjambant les voies à l’arrière plan du pont de l’Europe, construit en 1867.

Planche 43 : Auguste Lamy, Pont construit sur l’emplacement de la place de l’Europe au chemin de fer de l’Ouest, 1886, gravure sur bois. Source : Musée Carnavalet, Paris

291 A cette époque, des animaux sont très présents dans le paysage urbain.

292 LANDAU B., op cit, p. 42

1867 1851

On saisit l’étendue du sol, la concentration des mouvements ferroviaires, la porosité sonore du site par rapport à la ville (la vaste étendue n’a pas de limite constante, continue). Au deuxième plan, on aperçoit à gauche la halle de la gare telle qu’elle était en 1843, et à droite, les autres halles correspondantes aux différentes compagnies de chemins de fer, construites en 1854, et en 1867. A gauche, la plus grande halle, celle de la compagnie de Versailles et peinte par Claude Monet. A présent, la gare Saint-Lazare s’est beaucoup agrandie. Il n’y a pas seulement un hangar à machines soufflant la vapeur épaisse, mais une grande esplanade de trains en mouvement, avec leurs bruits et leurs fumées. Les trains sont présents partout, il semble que leur mouvement et leur nombre soient plus importants que les fiacres sous le pont de l’Europe. Qu’en est il à l’intérieur des halles ?