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Les incidences ambiantales de la deuxième extension : 1851

Chapitre II. Saint-Lazare hier : approche historique historique

1. De l’embarcadère au monument ferroviaire : 1835 à 1880

1.3 Les incidences ambiantales de la deuxième extension : 1851

A partir de 1842, la gare commence à montrer les signes d’un surpeuplement, d’un trafic intense, de situations d’attente agitées (planche 30). La gare Saint-Lazare a alors connu de nombreuses adaptations.

Tout fut modifié : le site précis des bâtiments, la forme des installations et l'architecture des lieux. Il est frappant de constater que de nombreux contemporains, auteurs de guide ou de Tableau de Paris, s'accordent à ne plus reconnaître les embarcadères initiaux. Ainsi, l’embarcadère de Saint-Germain décrit par Texier

comme étant autrefois « un vaste et bel hôtel » sans caractère particulier qui, une fois l'heure du départ arrivée, laissait les voyageurs exposés dans la gare à toutes les intempéries de l'atmosphère, leur semble illisible :

« Vous arriviez dans une voiture à l’embarcadère de la rue Saint-Lazare ; votre billet pris, on vous introduisait dans de belles salles ornées d’un nombre considérable de colonnes, où vous vous reposiez quelques instants sur de larges banquettes de velours bien rembourrées. Mais, l’heure de départ arrivée, les portes ouvertes, il vous fallait quelque temps qu’il fit, par le soleil de midi, par la pluie, par le vent, par la neige, gagner à pied, sur un trottoir humide ou brûlant, le convoi qui devait vous emmener, et qui était presque

toujours éloigné du palais de MM. Les administrateurs. »239

Ce constat date du tout début du second Empire. Protéger les voyageurs en chemin de fer des conditions climatiques est la préoccupation de l’époque. Dans Le journal des chemins de fer du 29 avril 1843, l’administration de la compagnie de l’Ouest communique les recommandations suivantes :

« Doivent être couverts :

-les cours : cela facilite beaucoup le bon entretien des voitures et des chevaux qui amènent ou attendent les voyageurs, et préserve les voyageurs eux-mêmes des intempéries de l’air.

-Les trottoirs : nécessité de couvrir sur leur largeur les trottoirs ; les endroits couverts, trottoir devant le bâtiment des salles d’attente, trottoir opposé (quand les deux voies sont entre deux trottoirs) ; l’ampleur de la couverture (toute la largeur du trottoir), sa hauteur (pas trop élevée car alors, elle ne protège pas d’une pluie oblique).

Couvrir les trottoirs et les voies, c’est tout à la fois garantir les voyageurs et protéger le matériel de transport qu’on est obligé de laisser stationner sur les voies. Il y a deux possibilités, les marquises ou les combles, et bien sur, une combinaison des deux. »

La cause ne tarde pas à être entendue. En 1851, les compagnies pensent de plus en plus à protéger leurs voyageurs et décident de réaménager l’embarcadère (planche 31).

Planche 31

C’est en 1851 que commence le deuxième projet d’extension de la gare Saint-Lazare. Les extensions du bâtiment voyageurs résultantes du développement conséquent du trafic des années 1850, comportant un nouveau vestibule, de nouvelles salles d’attente, de nouveaux locaux pour l’enregistrement des bagages, des installations complémentaires pour le service des messageries, s’implantent en retrait de la rue Saint-Lazare et des maisons qui la bordent, utilisant les terrains vides en cœur d’îlot que la gare peut facilement acquérir. Bloquée à l’est par l’alignement de la rue d’Amsterdam, la gare, comme le faisceau des voies, s’est ainsi étendue progressivement vers l’ouest. La presse en rend compte. L’Illustration, en 1852, décrit les travaux en chantier autour de la gare Saint-Lazare, travaux liés au raccordement de la gare Pereire avec la gare Montparnasse :

« De grands travaux étaient nécessaires pour terminer l'embarcadère du boulevard Montparnasse et pour développer celui de la rue Saint-Lazare [...]. Trois ateliers principaux sont établis entre Paris et Versailles. Le plus important est celui de la gare de Paris. Le périmètre de la gare de Paris va presque doubler : il était avant le commencement des travaux de 6627 m2. Lorsque tout sera terminé, il en comprendra 12700. Les 6173 m que l'on va ajouter, il faut les conquérir à la pointe de la pioche, le niveau de la gare étant de 9 mètres environ en contre-bas du sol des terrains environnants. Puis il faut percer un tunnel parallèle à celui qui existe déjà [...]. Mais les propriétaires voisins refusent d'entrer en arrangement. Le jury doit être assemblé pour se prononcer souverainement [...] Le square de l'Europe résiste. » 240

Cette extension contestée pour sa lourdeur et son impact paysager, a été confiée à l’ingénieur Eugène Flachat. Son intervention n’est pas connue dans sa totalité, mais on sait qu’il a réalisé, en 1853, la grande halle de 40m de portée qui a servi à couvrir les lignes d’Auteuil et de Versailles (planche 32). Tous les traités et revues, à commencer par un article du Moniteur des architectes paru en 1858, lui en

attribuent la paternité241. Les couvertures des quais et des trottoirs par des charpentes

métalliques suscitent l’admiration :

«Là, tout se passe à couvert, nulle part le voyageur ou ses bagages ne sont exposés aux intempéries des saisons ; il n'est pas jusqu'au wagon de lait qui ne vienne se décharger à couvert, et qui nous le donnerait pur, si, avant son départ, il n'avait reçu le baptême du bon chrétien »242.

240 BLANCHARD P., « Travaux de raccordement de la gare de Saint-Germain avec le chemin de fer de l'Ouest », Illustration, 3 janvier 1852, pp. 7-10.

241 Tout porte à considérer que c’est pour l’ensemble de l’équipement des compagnies de Pereire qu’Eugène Flachat intervint comme conseiller. Il l’était aussi concernant la gare Saint-Lazare, à commencer par la construction de toutes les halles couvrant les voies.

Planche 32

Sur le plan constructif, les nouvelles charpentes de la gare Saint-Lazare sont de type Polonceau, plus abouties que celles antérieures, comme celles de la première gare de Lyon avec ses arbalétriers en bois. Conçue selon le système inventé en 1837

par Barthélemy Camille Polonceau243, cette ferme à arbalétriers, jambettes et tirants

articulés, est un système économique combinant légèreté et résistance. Elle utilise de la fonte pour les jambettes, du fer sculpté pour les tirants et du bois pour les arbalétriers.

Cette charpente a apporté plus de lumière naturelle. Par rapport à l’embarcadère existant, Eugène Flachat a allégé encore plus la structure pour faire pénétrer la lumière, ce qui a conforté l’apport lumineux comme sous une serre (Cf.

planche 23, p. 135). L’ambiance précédente est poursuivie, mais monumentalisée, ce qui provoquera des réactions dans le milieu architectural. On en reparlera plus loin.

Avec cette extension, de nouvelles réflexions sur l’ensemble des sources

lumineuses artificielles, voient le jour244. Nous n’avons pas de sources de l’époque

concernant le passage de la lumière naturelle diurne à la lumière nocturne par l’éclairage au gaz, et les modalités de sa perception par le voyageur. Pour l’administrateur, c’est la durée de l’éclairage qui compte, (nous en avons déjà parlé, pp.136-137). L’important c’est que l’éclairage nocturne se substitue à la lumière naturelle quand la nuit tombe. Est-ce que l’éclairage donnait une vue précise ou au contraire plus flou des volumes ? Nous n’avons pas d’informations sur ce sujet.

Extension de la gare, nouvelle charpente métallique, changement de l’ambiance lumineuse, comment l’environnement sensible de la gare était-il perçu au-delà de ces premières mutations visuelles ? La nouvelle configuration a permis de distribuer différemment les voyageurs, en proposant deux nouvelles salles de bagages et une nouvelle salle d’attente pour les départs vers Versailles. Mais les témoignages des voyageurs des années 1850 disent encore que c’est le train qui les impressionne. L’engouement pour les trains fait apprécier leur bruit : « Maintenant, qu’est-ce que nos bruits de la ville en comparaison de ces merveilles ?»245. Rien n’était alors plus marquant dans les gares.

« […] Quant au bruit, faites plutôt le procès à l’activité incessante des voitures, diligences, malles-poste, qui affluent aux abords des gares, à tout heure du jour et de la nuit, qu’à la circulation des trains qui, roulant sans cabots, produisent certainement beaucoup moins de bruit qu’une voiture courant avec une grande vitesse sur le pavé […] » 246

Serait-ce que le son des trains ne pose plus de problème ? On peut le penser. En fait, l’attrait pour le voyage gomme sans doute partiellement le bruit des trains, et les

244 Pour limiter les frais de gaz, la Compagnie de l’Ouest avait fait le choix, dès 1851, de l'éclairage à l'huile dans ses stations de banlieue. L’approvisionnement en gaz reste exclusif à la gare Saint-Lazare.

245 BUSONI P., « Courrier de Paris », l’Illustration, 27 Juillet 1850.

stridences ferroviaires, même si elles sont très intenses, ont du merveilleux. Reprenons Busoni :

« Maintenant, qu’est-ce que nos bruits de la ville en comparaison de ces merveilles ? Qu’est ce que nos voyages en chemin de fer à côté de ces expéditions dans le pays des étoiles ? » 247

L’auteur ressentirait-il ce qu’au laboratoire Cresson, nous appelons l’effet Shawaradji, un effet esthétique caractérisant la sensation de plénitude qui se crée parfois lors de la contemplation d’un motif sonore ou d’un paysage sonore complexe, dont la beauté est inexplicable. L’effet Sharawadji survient contre toute attente et transporte l’esprit. Certains paramètres acoustiques semblent favoriser le sharawadji : les critères d’une forte intensité, des sons graves, et l’irrégularité rythmique.

Dans les années 1850, les écrivains cessent de considérer la gare uniquement à travers ses trains, comme un objet isolé qu’il faut accepter ou rejeter. L’attrait particulier des paysages ferroviaires existe, les évocations d’intérieurs de wagons, de halles de gares, les notations relatives au classement des voyageurs et à la vie des cheminots, se font de plus en plus nombreuses. « Une sensibilité commence à se créer, chez les poètes en particulier, la recherche des rythmes coupés, des sons heurtés prend une place de plus en plus importante »248. Le XIXe siècle, obsédé de vers et rythmes, s'est emparé très tôt des trains dans une poésie didactique très abondante dans les années 1840, comme l'a souligné Marc Baroli. Les littératures suivent cet élan de sensibilité, le wagon devint un décor. Maxime du Camp a écrit, dès 1855, « Des hymnes à la vapeur », une poésie dépourvue de toute sonorité humaine.

247 BUSONI P., op cit