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Le confort en gare : le noyau des préoccupations actuelles

Chapitre I. Saint-Lazare aujourd’hui : approche in situ

1. Le confort en gare : le noyau des préoccupations actuelles

Dédiée aux transports publics, la gare resterait ce pour quoi elle a été conçue, tout en s’adaptant à l’évolution de la société : un bâtiment public urbain, pôle d’échanges de transports, de services et de commerces, mais aussi une porte vers le monde. La synthèse architecturale d’un rêve et d’un besoin. Les conceptions des gares contemporaines, avec leurs diversités, suivent des logiques semblables mais ajustables selon le cas : il s’agit d’examiner l’échelle globale de l’aménagement du territoire et de la ville, puis le projet d’architecture et enfin la qualité des aménagements intérieurs et du mobilier. Suivant le cas : gare TGV de Poitiers-Parc du Futuroscope (1999), gare TGV de Valence (2001), gare TGV d’Avignon (2001), l’innovation proposée est le résultat, d’une part, de l’étude très fine des éléments architecturaux et techniques et leurs articulations, et d’autre part, de la prise en compte partielle des attentes du public qui se personnalisent selon les circonstances. Un éclairage performant et maîtrisé, une ambiance thermique adaptée, une signalétique simplifiée, des messages sonores intelligibles, tous ces éléments sont à maîtriser et constituent les mots d’ordre quand on parle aujourd’hui d’une gare « contemporaine ».

En dix ans, AREP106 a étudié et réalisé, en France et ailleurs dans le monde,

de nombreux aménagements urbains et édifices de transport ferroviaire. L’agence met en œuvre le même savoir-faire interdisciplinaire pour trouver des solutions modernes et conviviales aux situations spatiales les plus complexes, notamment à

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travers l’inscription d’interventions résolument contemporaines dans des bâtiments anciens. L’équipe « Patrimoine Historique » de l’AREP a pour mission d’étudier les gares historiques avant leur restructuration : histoire, analyse architecturale, contexte de la construction et des interventions ultérieures, diagnostic sanitaire des ouvrages. La démarche globale se traduit par une biographie technique de la gare à travers des diagnostics et des relevés relatifs à la structure bâtie. L’équipe « Patrimoine Historique » d’AREP prend en charge les chantiers de restauration des édifices ferroviaires (façades, toitures, décors, etc.), de même qu’elle initie des projets culturels visant à mieux faire connaître ce patrimoine au public (expositions, publications). Trois directions de travail sont envisagées : la restructuration, la revalorisation et la restauration des gares. La restructuration des gares telle qu’elle est exprimée à l’AREP, appelle à une utilisation « actuelle » du patrimoine existant, à intégrer les nouvelles données du voyage (nombre de voyageurs, fluidité, confort physique et psychologique, sécurité, rentabilité, etc.) dans des espaces conçus au

XIXe siècle ou au début du XXe siècle. Comme exemples, on peut citer : la Gare de

Paris Nord, la Gare de Paris Saint Lazare et la Gare de Versailles. La revalorisation des gares consiste à retrouver l’architecture du XIXe siècle dissimulée derrière les ajouts des années 1960-1970, comme pour la Gare de Paris Austerlitz ou la gare de La Rochelle. La Restauration ou le réaménagement des gares est une opération très délicate. Il s’agit d’entretenir une gare et la restaurer à l’identique. Les enjeux sont très importants, il s’agit de traiter les halles métalliques des gares de façon à maintenir trois grands atouts :

-La part poétique : le rêve du voyage, l’histoire des chemins de fer, le départ vers l’ailleurs.

-L’objet culturel : un patrimoine de grande valeur.

-Le côté utilitaire : le confort de l’espace toujours adapté aux voyageurs modernes.

La restauration des grandes halles métalliques est financée et mise en œuvre par plusieurs acteurs : la SNCF, des investisseurs (promoteurs), les bureaux d’études centralisés, les régions SNCF locales, etc. Cette mosaïque d’acteurs ne facilite pas les prises de décisions et ne favorise pas la rapidité des travaux. Le projet de restauration

doit tenir compte des normes actuelles, de la sécurité incendie et de celle du personnel d’entretien, de la constante circulation des trains sous le chantier, des avis du Ministère de la Culture lorsqu’elles sont inscrites à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques. Pour citer des exemples de restauration : Paris Saint

Lazare107, Bordeaux, Lille Flandres, Limoges, la gare du Nord (restauration de la

halle existante, repose à l’identique d’une halle et une restitution moderne d’une halle démolie en 1960). D’une manière générale, les orientations et les méthodes de travail d’AREP considèrent la gare comme un « espace-transport » où l’objectif .d’une efficacité fonctionnelle est associé à d’autres recherches : sur l’identité du lieu, sur l’image urbaine et, depuis quelques d’années, sur le confort acoustique, lumineux, thermique, et olfactif.

Sur le plan acoustique, les gares et les stations de métro du XIXe siècle font

l’objet d’aménagements plus ou moins sophistiqués, conçus par des

architectes-acousticiens comme Bernard Delage108 (projets pour le trottoir roulant de la gare

Montparnasse et pour la SNCF), ou des musiciens-designers comme Louis Dandrel. Longtemps négligée, la sonorisation s’impose aujourd’hui comme une composante essentielle de toute étude portant sur la construction ou rénovation d’une gare. Les techniques de modélisation permettent déjà de juger « sur papier » du résultat acoustique des solutions proposées. Par sonorisation de gare, on entend un système de transmission de l’information sonore. Dans les gares, cette information peut être de différentes natures. Elle peut être liée à la circulation des trains, à la recherche de personnes, à la sécurité, et accessoirement à la musique. Des recherches sont actuellement menées pour tenter d’adapter automatiquement, et en temps réel, le niveau de diffusion des annonces aux fluctuations du bruit ambiant. Contrairement à la procédure suivie par le passé, où le « comportement » acoustique des espaces à sonoriser n’était pratiquement pas pris en compte, des acousticiens interviennent

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Inscrite par Arrêté à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques le 14 Décembre 1979.

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Dans ce dispositif aléatoire, interactif et ludique, il a requalifié un parcours considéré comme banal et ennuyeux en y introduisant des événements sonores hors contexte, en délocalisant le passant et en le transférant dans un monde sonore exotique.

désormais en amont des projets109. Deux écoles s’affrontent. L’une consiste à multiplier le nombre des haut-parleurs de façon à ce que le voyageur soit toujours dans le champ direct d’une source sonore, c’est la bonne répartition de la production sonore qui est recherchée par ce dispositif. L’autre école préconise de limiter le nombre des hauts parleurs de façon à réduire la réverbération générale.

Qu’en est-il des préoccupations lumineuses, thermiques, olfactives?

D’après les éclairagistes de l’AREP, l’objectif principal de la composante lumineuse dans une gare, est d’offrir « un sentiment de sécurité pour les voyageurs, et surtout pour que les gens qui travaillent à la gare soient dans des conditions confortables »110. Aujourd’hui, les moyens et les outils sont limités pour développer

des réflexions approfondies sur « ce que va être l’ambiance lumineuse »111. Les deux

procédés actuels sont la simulation et les essais in situ.

Le recours aux logiciels de simulations est systématique. Avec le concours du CSTB, l’AREP expérimente depuis quelques années le logiciel Fanny. Ainsi, la mise en lumière de la façade de la gare de Strasbourg a été réalisée à l’aide de ce logiciel. La simulation a porté sur le calcul des reflets sur la verrière qui couvre la façade, et la quantité de lumière qui pénètre à l’intérieur de la gare, à travers cette même verrière : « dans ce projet on a installé une transparence sur une façade historique, et pour prédire, on était obligé de modéliser et simuler, c’est un bon point en terme de communication pour pouvoir le vendre au maître d’ouvrage et pour discuter du concept avec les architectes »112.

En revanche, les essais sur site semblent être le moyen le plus utilisé pour choisir un éclairage adéquat. Sur les quais de la gare d’Austerlitz, des relevés photométriques ont été effectués sur place en changeant l’emplacement des

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Les futurs utilisateurs sont loin d’être un paramètre important dans la récolte des données en amont du projet.

110

Extrait de l’entretien avec Florence Serre, éclairagiste à AREP, Février 2005.

111

Idem

112

projecteurs. Finalement, et après l’accord de l’architecte, des mats ont été rajoutés pour suspendre les projecteurs. En général, la mise en place des essais dans des gares

en chantier reste une démarche lourde, « C’est le retour d’expériences »113 des gares

précédemment conçues qui guide les éclairagistes d’AREP dans leurs réflexions.

Pour le confort thermique, la démarche de l’AREP est une recherche de « confort global, une démarche adaptée au respect des objectifs de confort »114. Cette démarche est un processus en six étapes : l’étude climatique, l’étude de l’enveloppe et l’analyse des inconforts (dans le cas de gares existantes), le choix des modes de diffusions, des modes de distributions, et finalement, des modes de productions. « Les projets que l’on fait conditionnent la vie des voyageurs. C’est de notre responsabilité qu’ils soient appropriables et non subis par ces utilisateurs »115. Le confort thermique est annoncé comme le facteur essentiel dans cette appropriation. Les ingénieurs de l’AREP nous apprennent que pour les gares existantes, c’est l’étape « Analyse des inconforts » qui est la plus importante. Pour les nouveaux projets de gares, le choix de l’enveloppe est déterminant. Dans ce cas, et pour aboutir à un confort optimum, la démarche de projet doit favoriser les échanges et les débats entre tous les membres de l’équipe : architectes, designers, ingénieurs, et économistes. « Seul ce type de démarche permet de garantir la cohérence et la pertinence des réponses et de maîtriser des ambiances construites objectivement »116.

Depuis plusieurs années, diverses recherches sur l’olfaction117 sont réalisées à

la SNCF. Des enquêtes sont menées pour classifier les nuisances olfactives et analyser leur impact sur la perception du confort en gare. Les résultats révèlent que les voyageurs gardent en mémoire des odeurs de matériel ferroviaire, de poussière, d’alimentation et d’exaltation humaine, odeurs qui contribuent à forger l’identité olfactive d’une gare. Une fois les nuisances traitées, la SNCF pourra songer à créer

113

Idem

114

Extrait de l’entretien avec Mathieu Pihouee, thermicien à AREP, Février 2005.

115

Idem

116

Idem

117

GUERRAND S., « vers un marketing olfactif ? Point de vue n°4 », Rail et recherche n°23, 2e trimestre 2002.

une ambiance olfactive dans un souci de contribution au confort. En 1985, les

premières expériences d'odorisation118 des gares furent menées à Paris. En intégrant

dans la programmation de ses bâtiments la façon dont l’usager rencontre les odeurs tout au long de son parcours dans la gare, la SNCF tente de maîtriser son image

olfactive119. Des réponses architecturales peuvent être apportées : des sas thermiques

plus longs qui prémélangent l’air extérieur et l’air intérieur pour éviter le phénomène d’irruption, ou des cheminements pensés de façon à prévoir les diverses rencontres olfactives.

Le parti pris scientifique de l’ensemble des organismes travaillant sur l’espace gare prend en compte le confort perçu dans chacune de ses composantes.

AREP précise120 que trois thèmes illustrent une démarche concourante entre

concepteurs : le confort thermique (procédés actifs innovants), le confort acoustique (identité sonore de l’espace et intelligibilité des messages) et le confort visuel (scénarii lumière en fonction des lieux et des usages). Aucune orientation ne figure sur une démarche qui garantit la cohérence des réponses apportées. Actuellement, une coordination bien structurée constitue la base de la recherche technico-architecturale sur les espaces ferroviaires. Il s’agit de la SNCF, l’AREP et le

CSTB121. Les recherches portent essentiellement sur le confort sonore, lumineux,

thermique, et olfactif dans l’espace-gare, et sont menées en parallèle avec des expérimentations sur le matériel roulant. Au final, nous pouvons affirmer que la démarche de l’AREP repose sur l'intégration de données disparates, une collection de savoirs étanches. Ici, la production d’une ambiance résulte de la juxtaposition d’ambiances (l'une thermique, l'autre acoustique, etc.), selon le découpage impératif pratiqué par les sciences physiques : acoustique d'un côté, éclairage de l'autre. C’est la réalité mesurable qui guide le projet.

118

Des aménageurs avaient testé des odeurs de viennoiserie et de farine Francine près des points de vente de pâtisserie pour gonfler les ventes. Plus récemment, des senteurs marines avaient été testées gare Montparnasse, pour mieux souligner qu'elle était la Porte de l'Atlantique de la capitale.

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BALEZ S., « vers un marketing olfactif ? Point de vue n°8», Rail et recherche n°23, 2e trimestre 2002.

120

Idem

121

Au niveau du CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment), on cherche à comparer les mesures physiques du confort thermique ou lumineux pour trouver des critères de confort (2002), et on essaye d’élaborer des ambiances lumineuses propres aux marques ferroviaires.

Attachés à la pertinence du vécu et du qualitatif dans le recueil d’informations en amont du processus de conception architecturale, et pour avancer dans la saisie de l’ambiance d’une gare existante et trouver des outils adaptés au processus de son réaménagement architectural, il nous faut trouver ce qui en fait le « ciment ». L’immersion dans le lieu nous a semblé être une étape primordiale.

Ce chapitre examine d’abord le projet actuel du réaménagement de la gare Saint-Lazare, c’est-à-dire, l’intervention architecturale contemporaine (le projet est d’ailleurs en cours au moment où nous écrivons ces lignes). Nous évoquerons ensuite le vécu actuel de la gare, en narrant notre immersion dans le lieu et nos enquêtes in situ.