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PARTIE II – LA STRATEGIE D’ACTION DES REPRESENTANTS D’ECRIVAINS FACE AU

A. La presse comme public annexe

Nous pouvons émettre l’hypothèse que le but de ces colloques soit de diffuser, à travers la presse (écrite, télévisuelle et radiophonique), les préoccupations et positions de la Scam et la SGDL quant aux questions liées à « l’Europe de culture ». Néanmoins, force est de constater la très faible résonnance médiatique qu’on put avoir ces deux événements. Nous n’avons recensé qu’un article à propos du Forum de la SGDL, paru sur un site dédié à l’actualité littéraire70. Concernant « Auteurs & Co », les seuls articles parus l’ont été sur les sites des partenaires médias de l’événement, à savoir le site d’actualité européenne gratuit EurActiv (sur les versions anglaise, française, allemande, et espagnole du site), le site d’actualité payant dédié au secteur culturel News Tank Culture, le site dédié à l’actualité du secteur médiatique L’Observatoire des [Médias]71, et enfin la radio en ligne WGR72. La Scam a donc cherché à obtenir une certaine résonnance médiatique en faisant la démarche de mettre en place des partenariats avec la presse. Concernant les conditions de mise en place de ces partenariats, nous n’avons pu obtenir des informations que concernant EurActiv73, qui nous semblent néanmoins, a posteriori, le plus abouti. Il est tout d’abord intéressant de noter que ce partenariat a été conclu à l’initiative d’EurActiv, qui a contacté la Scam pour lui proposer directement. Cette dernière ne semble donc pas avoir spécialement cherché à développer d’elle-même la couverture médiatique de son événement. En outre, EurActiv est un média qui ne se destine pas au grand public mais plutôt au public ciblé qu’est l’élite européenne, ce qui semble aller dans le sens d’une cible institutionnelle (cf. infra). Pourtant, la question de l’impact sur la presse semble avoir été pensée. En effet, lors de notre entretien avec le Responsable de l’audiovisuel et de l’Action professionnel de la Scam, qui a activement participé à la réalisation du colloque « Auteurs & Co », celui-ci nous a expliqué que le choix des journalistes animant les tables-rondes avait soigneusement été pesé en amont :

70 Antoine Oury, « "Donner une voix aux auteurs dans ce grand débat européen" (Valentine Goby) »,

Actualitté.com, 26 octobre 2015. URL : https://www.actualitte.com/article/monde-edition/donner-une-voix-aux- auteurs-dans-ce-grand-debat-europeen-valentine-goby/61740 [consulté le 15 février 2016].

71 Dans ce cas il ne s’agissait pas de véritables articles, mais d’une simple publication du programme du colloque. 72 Dans ce cas, il s’agissait d’un enregistrement radiophonique des trois grandes-tables rondes diffusés sous la

forme de podcast.

73 Obtention d’informations rendue possible par notre place de stagiaire au sein du service commercial d’EurActiv

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« On n’a pas choisi les animateurs pour rien. Quand on prend Jean Quatremer pour animer une table-ronde c’est aussi quelque part une façon de sensibiliser un journaliste qui est très connu pour ses papiers sur l’Europe à la question du droit d’auteur. »74

Animaient ainsi les tables-rondes de la Scam : Brice Couturier, producteur sur France Culture et journaliste aux Echos, Isabelle Szczepanski, journaliste pour Electron Libre site payant spécialisé dans le traitement de l’actualité du secteur de l’industrie culturelle et du numérique, et enfin donc, Jean Quatremer, correspondant de Libération à Bruxelles. Les médias privilégiés par ces choix ont donc été la presse écrite généraliste (Libération) et spécialisée (Les Echos), la radio (France Culture), ainsi que la presse en ligne (Electron Libre et le blog tenu par Jean Quatremer sur la plateforme de Libération). Les trois journalistes en question sont a priori déjà sensibilisés aux questions liées au secteur culturel (Brice Couturier de par son travail sur France Culture où une grande partie du temps d’antenne est dédié à des émissions culturelles et Isabelle Szczepanski, qui travaille donc sur l’industrie culturelle) ou à l’Europe (Jean Quatremer et également Isabelle Szczepanski, titulaire d’un doctorat en droit européen), on peut donc douter de l’effet décisif qu’aurait pu jouer le colloque dans leur socialisation à ces thématiques.

La SGDL a quant à elle refusé tout partenariat avec EurActiv. Le seul média lié à l’événement était Web TV Culture, une plateforme de vidéos en ligne, chargée de la retransmission en direct de l’événement. Durant le colloque, sur trois les modérateurs, deux sont journalistes, Cécile Barbière (EurActiv) et Sylvain Bourmeau (producteur sur France Culture après avoir été Directeur adjoint des Inrockuptibles, journaliste chez Médiapart et directeur adjoint de la rédaction de Libération), et le troisième est Professeur des Universités, Jean-Sylvestre Bergé (Professeur de droit à l’Université Jean Moulin, Lyon 3). Notons que Sylvain Bourmeau est également professeur à l’EHESS. Par ailleurs, notre entretien avec la Directrice de la communication de la SGDL nous a confirmé que la presse n’était pas particulièrement visée par le colloque. Elle ne l’a mentionné à aucun moment. Quant au statut de journaliste des modérateurs, ce n’est apparemment pas du tout ce qui a motivé leur sélection :

« En revanche, là, une des grandes difficultés de monter des forums comme ça, et qui tient lieu aussi de… Qui est source de réussite ou d’échec, c’est la modération d’un débat. Le modérateur d’un débat est quelqu’un de capital dans le bon déroulement d’un débat. (…) Vous pouvez avoir une table-ronde où vous avez réuni un panel avec des intervenants de très grande qualité, vous avez un modérateur qui est absolument pas à la hauteur, du coup vous ne sortirez jamais la

74 Entretien avec Nicolas Mazars, Responsable de l’audiovisuel et de l’action professionnelle de la Scam,réalisé

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substantifique moelle de ces personnes-là et donc cette table-ronde sera complètement ratée. En revanche, vous pouvez avoir des intervenants, qui sont plus ou moins experts ou qui ne sont pas forcément les meilleurs dans leur domaine, ou qui ne sont pas forcément des gens qui ont une parole facile et fluide parce que, être dans une table-ronde il faut aussi savoir s’exprimer, mais si vous avez un excellent modérateur, qui ira tirer une série de questions qui sont vraiment le cœur de la problématique, qui réussira à distribuer à la parole, à faire que le dialogue se fluidifie, il pourra vous élever le débat vers le haut même si vous n’avez pas eu un panel d’intervenants extraordinaires. L’inverse est complètement impossible. Impossible. Parce que quand vous êtes dans une table-ronde, vous êtes censé dialoguer avec vos interlocuteurs, via, justement, une modération, un fil conducteur, et s’il n’y a pas ce fil conducteur, soit la table-ronde tombe dans une anarchie totale et puis, ou les gens ne parlent jamais, ou d’autres, accaparent la parole, donc c’est des questions d’équilibre. Et ça, c’est la chose la plus difficile à réussir dans un forum. »75

Le fait que deux des modérateurs soient journalistes n’a pas du tout été évoqué par la Directrice de la communication. On ne retrouve pas du tout cette volonté de « sensibiliser » le modérateur aux problématiques débattues comme à la Scam. Le modérateur semble être ici un simple rouage du bon fonctionnement du forum. C’est un élément de la mise en scène et non pas une cible. Notons que les modérateurs n’ont pas du tout été évoqués par la Responsable juridique de la SGDL durant notre entretien, contrairement, encore une fois, à notre entrevue avec le Responsable de l’Action professionnelle de la Scam. Deux éléments peuvent expliquer cette différence de traitement de la presse. Tout d’abord, nous l’avons déjà évoqué, les journalistes font partie des auteurs représentés par la Scam, celle-ci a donc une propension naturelle à les prendre en considération. Ensuite, la Scam est une institution répondant à des logiques plus hétéronomes que la SGDL dans le champ littéraire, représentant des auteurs positionnés dans différents champs de production culturelle, et notamment le champ de l’audiovisuel, largement plus soumis aux logiques hétéronomes industrielles que le champ littéraire (bien que ce dernier soit de plus en plus soumis aux logiques de marché76). Par conséquent, la Scam est plus susceptible d’être influencée par des logiques hétéronomes au champ littéraire, notamment celles des champs de l’audiovisuel et du cinéma. Pour la SGDL, la question de la presse semble hors de propos, plus profondément ancrée dans le pôle le plus autonome du champ littéraire, elle est donc plus dans une logique d’entre-soi qui exclut de fait la presse et le grand public.

Le champ journaliste n’est donc pas particulièrement visé par ces colloques, même s’il

75 Entretien avec Cristina Campodonico, op. cit.

76 Voir notamment sur ce point : Gisèle Sapiro et al., « Transformation des champs de production culturelle à l’ère

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est une cible stratégique relative pour la Scam. Ce qui est finalement peu surprenant dans la mesure où les journalistes sont également directement concernés par la réforme européenne du droit d’auteur, beaucoup étant même susceptibles d’être membres de la Scam qui s’occupe également de la gestion de leurs droits (cf. Introduction). Il serait donc étrange de mettre en scène une présentation du champ de production culturelle à destination d’un secteur qui est déjà a priori acquis à sa cause. Concernant la SGDL, comme nous l’avons expliqué, pour la Directrice de la communication, le colloque avait plus pour objectif d’être un moment d’entre- soi que de médiatisation de la SGDL auprès du grand public, ce qui n’est aucunement sa vocation. L’intérêt éventuel pour les journalistes ne semble ainsi s’expliquer en grande partie par leur possible qualité d’adhérent, ce qui ne concerne pas la SGDL. La presse ne constitue donc qu’un « public annexe », envisagé comme une potentielle cible secondaire, une « roue de secours » au cas où la représentation échouerait auprès de son destinataire véritable. Finalement, le véritable public de ces deux colloques est la Commission européenne et particulièrement la DG CONNECT.

B. Les institutions européennes présentes parmi les intervenants et dans le public :

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