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PARTIE II – LA STRATEGIE D’ACTION DES REPRESENTANTS D’ECRIVAINS FACE AU

A. Le CPE comme leader de la transnationalisation

Avant que la Commission Juncker ne fasse de la réforme du droit d’auteur un des axes de la mise en place d’un marché unique numérique européen, la SGDL avait mené quelques

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actions en coopération avec des sociétés d’auteurs d’autres Etats membres dans une optique de défense transnationale des droits des auteurs de l’écrit. En effet, le 23 octobre 2013, elle a signé conjointement avec deux associations d’auteurs allemandes, une association d’auteurs autrichienne, une association d’auteurs suisse ainsi que le CPE (qui n’était pas ici instigateur de l’action), « La déclaration de Bâle des auteurs », dans laquelle elles affirmaient des positions communes sur divers sujets dont « l’affirmation du droit d’auteur comme garant de la création »217. Quelques jours plus tard, le 23 octobre, la SGDL publiait un communiqué commun avec l’Union des écrivains allemands (Verband Deutsher Schriftsteller - VS) association d’auteurs allemande, signataire de la Déclaration de Bâle et également membre de l’EWC. Ils y appelaient « les gouvernements français et allemands à élaborer, sur la base des points essentiels mentionnés et en concertation avec tous les acteurs européens du secteur, une stratégie de développement de la culture européenne du livre, qui soit ancrée dans le programme de travail de l’Union européenne. », les points essentiels étant : « le prix fixe du livre », « un taux réduit de TVA sur le livre numérique », « une fiscalité équitable » et « la reconnaissance et la consolidation du droit d’auteur au cœur du droit européen de la propriété intellectuelle »218. Deux actions qui s’inscrivaient essentiellement dans le cadre des négociations commencées en juin sur le Traité de libre-échange transatlantique, et qui ont précédé une « Consultation publique sur la révision des règles de l’Union européenne en matière de droit d’auteur » lancée par la Commission du 5 décembre 2013 au 5 mars 2014 (cf. Annexe 1). Une tentative d’action transnationale qui marquait plus une tentative d’alliance franco-allemande des auteurs de l’écrit qu’une action paneuropéenne. Depuis, tout comme il a repris le flambeau en termes d’action européenne, le CPE est le nouvel instigateur de cette tentative transnationale, dans une perspective cette fois plus ambitieuse.

Nous l’avons déjà dit à plusieurs reprises, depuis l’investiture de la Commission Juncker et l’intention de cette dernière de réformer le droit d’auteur considéré comme un obstacle au marché unique numérique, le CPE est devenu un acteur central dans la représentation des auteurs de l’écrit français à Bruxelles. Faute de Fédération européenne à laquelle se raccrocher, celui-ci, avec le soutien de la SGDL, ne se contente pas de représenter les auteurs français, mais a entrepris la construction d’un réseau transnational européen :

217 SGDL, « La déclaration de Bâle des auteurs », communiqué de presse, 15 octobre 2013, sgdl.org. URL :

http://www.sgdl.org/sgdl/infos/2464-la-declaration-de-bale-des-auteurs [Consulté le 9 juin 2016]

218 SGDL, « Les auteurs français et allemands veulent une stratégie européenne du livre », communiqué de presse,

23 octobre 2013, sgdl.org. URL : http://www.sgdl.org/sgdl/infos/2444-les-auteurs-francais-et-allemands-veulent- une-strategie-europeenne [Consulté le 9 juin 2016]

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« Mais ensuite c’est association par association et là Cécile vous en parlera très bien, dans chaque pays européen il y a des associations, en Italie, en Espagne, en Allemagne qui est très active, en Suisse, en Suisse c’est les auteurs et autrices de Suisse, toutes ces associations-là, chacune dans leur pays milite, et on essaye de fédérer ça, et le plus difficile c’est de fédérer une action commune de ces associations justement. »219

Cette tentative de fédération s’est d’abord faite à travers l’action de la Lettre ouverte des auteurs du livre européens (cf. Annexe 4), pour laquelle la Vice-présidente du CPE a cherché à obtenir le soutien d’associations d’auteurs à travers toute l’Europe :

« Cette campagne pour la lettre ouverte du coup j’ai écrit aux associations que je connaissais pas, enfin il y a quelques pays où j’ai réussi à joindre personne, pas beaucoup. Il y a eu ceux qui m’ont pas répondu parce que c’était l’EWC et ceux qui m’ont répondu non, mais finalement c’était pas… Je veux dire j’ai quand même eu le soutien de plus de 50 associations. C’est-à-dire que 50 fois on m’a répondu "oui, super", en gros. Parce qu’il y a un besoin aussi. Parce que justement l’EWC fonctionne tellement mal, que les gens étaient contents qu’on vienne les chercher pour ça, vraiment. Les associations, alors j’ai aussi contacté les associations qui faisaient pas partie de l’EWC, etc. Donc, qu’on leur fasse signe, etc. ils étaient… Ils étaient vraiment contents. »220

Le CPE se construit ainsi un réseau de contacts parallèlement à l’EWC, en contactant également des associations qui ne sont pas représentées à Bruxelles ou qui ont également du mal à travailler avec la Fédération européenne. Il se fait ainsi le leader d’un mouvement des représentants d’auteurs marginalisés dans le champ de l’Eurocratie, des agents en quête de capital symbolique, que leur fédération leur conférera. Mais la Lettre ouverte n’était qu’un début, comme l’explique la Vice-Présidente du CPE :

« Tout ça commence puisqu’en fait le CPE, dans son investissement européen, c’est nouveau, c’est un bébé, donc il faut se faire connaître, ce que les gens connaissent, c’est la SGDL, la Scam pour ceux qui s’occupent de gestion collective. Donc et bien c’est aussi pour ça qu’on a fait la lettre ouverte, voilà.

(…)

Et puis bah pour, bon, l’avantage de cette campagne de la lettre ouverte ça a été que j’ai pris contact avec un maximum d’associations d’auteurs en Europe, et bon bah je me suis heurtée à des refus c’est comme ça, mais en revanche on a noué des liens intéressants avec d’autres que je vais

219 Entretien avec Cristina Campodonico, op. cit. 220 Entretien avec Cécile Deniard, op. cit.

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essayer de solliciter pour notre journée du 26, pour les inviter et éventuellement pour voir si ils auraient des auteurs intéressants à nous envoyer pour la table-ronde et pour lire la tribune. »221

La lettre ouverte, outre son but évidemment de défense des intérêts des auteurs de l’écrit, était un moyen pour le CPE de se faire connaître, d’apparaître comme un relais possible dans le champ de l’Eurocratie pour les représentants d’auteurs d’autres pays européens, et de développer son capital social. La seconde étape de cette construction d’un réseau transnational étant la journée de conférences organisée le 26 avril 2016 au Parlement européen sur le thème « L’auteur européen dans le XXème siècle » (cf. supra et Annexe 6). En effet, une fois cette première base de contacts établie, ils ont à nouveau été sollicités par le CPE pour venir participer à cette journée.

Les plus réceptives à ces appels sont les associations italiennes, et particulièrement la FUIS (Federazione Unitaria Italiana Scrittori), une association relativement récente (créée en 2009) et non membre de l’EWC. Simone Di Conza, membre du Directoire de la FUIS, a ainsi lu la Lettre ouverte conjointement avec Valentine Goby, Présidente du CPE, lors du Forum de la SGDL (cf. Partie I/Chapitre 2/II./A.) . La FUIS a également remis la Lettre ouverte à Silvia Costa, la Présidente de la commission culture du Parlement européen en décembre 2015. Il est intéressant de noter que dans son communiqué de presse relatant l’évènement, il est dit que la Lettre ouverte a été conjointement rédigée par le CPE et la FUIS, alors même qu’a priori sa paternité ne revient qu’au premier222. Ainsi, si le CPE parvient à fédérer les nouveaux entrants dans le champ de l’Eurocratie autour d’actions communes, à l’instar de la FUIS, il a plus de mal à rallier les associations disposant d’un potentiel capital symbolique plus important, et notamment les associations allemandes proches de l’EWC :

« Quand on a lancé la lettre ouverte des auteurs du livre européen, on l’a pas lancée en partenariat avec la Fédération, ou ni par son intermédiaire, etc. On les a tenus informés, mais on l’a fait comme une initiative de notre association. Et du coup, ça nous a valu le rejet, enfin le refus de s’associer à cette action de l’association des auteurs allemands, les anglais non plus n’ont pas voulu suivre, les pays du nord… Et les petits pays que l’EWC contrôle très étroitement par l’intermédiaire de son conseil. C’est triste mais c’est comme ça, donc il faut faire avec. Et hum, bon là au printemps on avait envie vraiment de ramener les allemands de notre côté, enfin de

221 Ibid.

222 FUIS, « FUIS gives the european writers open letter to EU culture commission president Silvia Costa during

the fourth edition of the Stati generali dell'autore », communiqué de presse, 19 décembre 2015, international.fuis.it. URL : http://international.fuis.it/it/articoli97/fuis-delivers-european-writers-open-letter-to-eu-culture- commission-president-silvia-costa.html [Consulté le 9 juin 2016]

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travailler avec eux. Parce qu’en plus il serait vraiment utile au niveau européen, qu’il y ait des prises de positions communes franco-allemandes comme il y en a déjà eu, mais que ce soit les auteurs qui s’expriment ce serait vraiment bien et même Oëttinger, il l’a dit à Berlin, il a dit "mais donnez-moi des positions communes franco-allemandes, parce que quand la France et l’Allemagne s’expriment ensembles, l’Europe est un peu obligée de suivre". Donc on a vraiment tout fait pour inviter les allemands à cette journée du 26 et pour l’instant ça se fait pas. »

On retrouve la concurrence que représente l’EWC évoquée précédemment, mais surtout, transparait ici le poids des logiques du champ de l’Eurocratie dans la stratégie du CPE. En effet, pour peser dans le rapport de force avec la DG CONNECT, la Vice-Présidente du CPE considère qu’une alliance entre association d’auteurs français et association d’auteurs allemands est clé. Elle évoque une injonction qui aurait été faite par Günther Oettinger à mettre en avant une position franco-allemande commune sur le dossier du droit d’auteur. Notons que Günther Oettinger, Commissaire en charge, entre autres, de la mise en place du marché unique numérique européen, est allemand. Avant un premier commissariat européen de 2010 à 2014, il a fait toute sa carrière professionnelle et politique en Allemagne, à des postes fédéraux ou dans les länder223. Que pour cet agent du champ, le couple franco-allemand soit une source importante de capital symbolique est donc peu surprenant. Cette importance donnée aux associations d’auteurs allemands dans la construction du réseau du CPE est donc avant tout un moyen d’acquérir le capital symbolique spécifiquement requis pour faire entendre sa voix dans le champ de l’Eurocratie. Un réseau transnational aussi large soit-il, s’il n’est composé que d’associations positionnées aux marges du champ, ne conférera pas autant de capitaux qu’une relation bilatérale avec des associations mieux dotées. Notons que finalement, malgré les difficultés dont elle fait état dans cet extrait d’entretien, la Vice-Présidente du CPE a semble-t- il réussit à faire venir des représentants d’auteurs allemands lors de sa journée du 26 avril au Parlement européen. En effet, il est fait mention sur le programme (cf. Annexe 6) de la présence de Gerhard Pfenning, le porte-parole de l’Initiative Urheberrecht. Cette dernière est une association similaire au CPE puisque ses membres ne sont pas des directement des auteurs mais des associations et sociétés d’auteurs allemands (trente-cinq en tout), dont est membre VS224, la fameuse association d’auteurs de l’écrit qui avait fait des déclarations communes avec la SGDL mais avec laquelle le CPE ne parvenait pas à travailler en raison de son différend avec l’EWC, et à laquelle la Vice-Présidente fait référence dans l’extrait ci-dessus. En revanche,

223 Commission européenne, « Günther H. Oettinger », ec.europa.eu. URL :

https://ec.europa.eu/commission/2014-2019/oettinger_en [Consulté le 9 juin 2016].

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aucun représentant de la FUIS n’a été prévu au programme. On voit bien ici que la construction de ce réseau reste fortement marquée par la quête de capitaux symbolique et social mobilisables dans le champ de l’Eurocratie.

Le CPE est donc bien dans une démarche de coopération transnationale à travers la construction d’un réseau européen. Toutefois, le CPE est une petite structure, s’appuyant seulement sur un bureau de sept personnes. Son action européenne est en fait menée essentiellement par un seul agent, et lorsque l’on s’intéresse de plus près à la trajectoire sociale de cet agent et à sa position dans le champ, sans tomber dans le piège de « l’illusion biographique »225, on décèle un certain nombre de disposition qui expliquent sa prise de position particulière sur les questions européennes et la propension du CPE à transnationaliser son action.

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