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PRESENCE DIACHRONIQUE DU FORMANT /J/ DANS LES FORMES FAIBLES D’IMPERATIF

2. OPPOSITIONS MORPHÉMATIQUES PROPRES AUX FORMES FAIBLES D’IMPÉRATIF : ÉTUDE MORPHOLOGIQUE ET SÉMANTIQUE

2.1 PRESENCE DIACHRONIQUE DU FORMANT /J/ DANS LES FORMES FAIBLES D’IMPERATIF

Le concept de « formant » a été forgé par Maurice Molho, qui s’en explique dans au moins deux articles135. Dans le premier, plaidoyer théorique en faveur du principe très guillaumien de la confiance a

priori envers le signifiant, il caractérise les formants comme « des cellules signifiantes en travail dans

l’organisation du tissu systématique constitué par l’indissociation du physisme et du mentalisme»136

. Il précise cette image dans le second article, et formule notammment le trait différentiel spécifique qui permet de définir le formant :

C’est précisément <un> signifié propre, si général soit-il, qui fait la différence du formant et du phonème phonologique. Même si le formant se présente (...) sous l’espèce d’un phonème, il n’appartient pas à la même articulation du langage : le phonème ne signifie qu’au négatif, par opposition ; le formant, quant à lui, est porteur d’un signifié positif, intrinsèque, générateur par voie d’analogie d’un champ de signifiance dont il est la cause diffluente.137

Ce concept, à la charnière de la phonétique et de la sémiologie, a été récemment repris et élargi par Christiane Marchello-Nizia pour rendre compte du constituant -i- qui apparaît dans des morphèmes grammaticaux d’ancien français a priori aussi divers que il, li, cist, cil, si ou ci138

. Olivier Soutet l’évoque

135

Notamment Molho, 1986, p. 49-50 et Molho, 1988.

136

Molho, 1986, p. 50.

137

Molho, 1988, p. 292.

avec prudence à propos du parallélisme sémiologique entre les couples se/si et ne/ni en ancien français139, et de façon plus affirmative à propos du /j/ d’origine palatale qui intervient dans les formes subjonctives anciennes sachiez et veuilliez : concernant les formes d’impératif, qui, comme on sait, se distingueront des formes du subjonctif en devenant historiquement sachez et veuillez, il en vient même à parler de « soustraction de formant »140.

Nous souhaitons précisément approfondir ici cette dernière question dans le détail de notre diachronie. Nous considérerons nous aussi que ce /j/ qui apparaît puis disparaît dans les formes faibles d’impératif est un formant, c’est-à-dire, en diachronie, un phonème apparemment non signifiant à l’origine, mais appelé à devenir morphème.

Nous examinerons d’abord le premier tiers de notre période (XII-XIIIe siècles), qui constitue comme on verra une synchronie significative et cohérente. L’élément /j/ apparaît en ancien français dans certaines bases verbales seulement, et il concerne toujours la syllabe tonique des formes faibles, dont l’accent porte sur la désinence. On distingue ainsi, dès le terminus ad quem de notre période, des formes faibles sans /j/ :

Cligès 1829, Seignor, fet il, sanz contredit, / Se vos volez m’amor avoir, / Ou face folie ou savoir, / Creantez moi ma volanté.

Renart 506, Qar, sire Brun, vos ne savez, / L’en dit a cort : « Sire, lavez » / A riche home, quant il i vient.

Roland 1976, Sire cumpaign, a mei car vus justez !

Et des formes faibles qui voient se développer, entre la base et la désinence, un /j/, le plus souvent orthographié « i » :

Le Charroi 659, Sire Guillelmes, por Dieu, ne vos targiez.

Guillaume 1234 - Ha ! fait il, bele douce amie, / Por Dieu, ne vos despisiés mie, / Ne çou ne recuidiés vos pas, / Que rien vos aie dit a gas.

Renart 1837, Sire, dist Ysengrin au roi, / Por amor Deu, bailliez le moi, / Et j’en prendrai si grant venchance / Qu’en le saura par tote France.

Ces formes sont à rattacher aux étymons tardicatis, despicetis141, cogitatis, bajulatis : toutes ces

bases, du fait de leur composition consonantique, se sont palatalisées dans l’évolution phonétique, ce qui a induit ensuite une modification en ié du timbre de la voyelle désinentielle à tonique conformément à la loi de Bartsch. N. Andrieux et E. Baumgarnter142, considèrent que -ié ou -é sont des morphèmes qui marquent

139 Soutet, 1992b, p. 240. 140 Soutet, 1997, p. 120. 141

Cette forme, qui ne relève pas de la première conjugaison latine, a été soumise en ancien français à de forts effets analogiques. Voir Fouché, 1967, p. 171.

spécifiquement que le verbe relève de la première conjugaison (-ier < -are) ; elles interprètent ainsi la présence ou l’absence du /j/ (marquées respectivement à l’écrit par -ié ou -é) dans les formes verbales de l’ancien français :

A l’infinitif, au participe passé et au passé défini P6, c’est, selon les verbes, ou é ou ié qui apparaît, aucune alternance ne se produisant entre ces deux formes pour un verbe donné. D’où la question : é et ié sont-ils deux morphèmes différents ou deux réalisations d’un même morphème ? L’opposition é vs ié est toujours corrélée à celle de ez vs iez à P5 des indicatif et subjonctif présents, à celle de ons vs ons//iens à P4 du subjonctif présent. Cette convergence répond au phénomène phonétique dit « loi de Bartsch » où s’opposent l’évolution en /je/ du /a/ latin accentué et libre derrière palatale et celle du même phonème en /e/ ailleurs.

De ce fait, l’hésitation ne semble pas permise quant à l’interprétation du i notant /j/ dans ié : /je/ étant l’aboutissement phonétique du seul /a/ latin, origine commune donc à /e/ et /je/, le /j/ noté i est un constituant du morphème ié. Il serait, d’autre part, non seulement inutile de supposer que i graphique note le trait palatal de la consonne finale de la base, mais faux, comme suffit à le prouver la forme en iens qui, ne s’opposant pas à *ens, ne peut s’analyser en B + ens.é et ié sont deux réalisations d’un même morphème, variantes combinatoires l’une de l’autre. Elles sont toujours en distribution complémentaire, ié s’adjoignant aux bases à finale palatale, é aux autres.Ces formes sont toujours toniques.

Nous devons adapter à l’impératif cette analyse pertinente pour les formes d’infinitif, de participe ou de la P6 de passé simple. Les groupes graphiques finaux d’impératifs faibles -(i)ez ou -ons, iens ne peuvent être tenus, comme (i)é, pour des morphèmes démarcateurs du type de conjugaison, ceci pour deux raisons. Tout d’abord, ces groupes finaux incluent des désinences de P4 ou de P5 communes à tous les types : sans négliger la solidarité phonétique historique qui lie dans ces formes le /j/ à la voyelle qui suit, nous devons toutefois le distinguer analytiquement de la désinence, -ons ou -ez, morphèmes généraux dans les paradigmes de présent. D’autre part, la « corrélation » universelle ou la « convergence » évoquées ci-dessus entre l’apparition du /j/ dans les formes quasi-nominales et son apparition dans les formes verbales personnelles n’est pas bilatérale. Lorsqu’il apparaît synchroniquement dans les terminaisons de formes faibles -iens ou -iez de l’impératif, /j/ en est en effet le seul constituant non universel, particulier à certains verbes. Il n’est pas pour autant toujours corrélé (même si l’inverse est vrai) au morphème spécifique -ié dans les formes d’infinitif, de participe passé et de passé défini P6 du même verbe ; malgré une origine mécanique commune et l’évidente parenté phonologique, il ne joue donc pas dans le système sémiologique de la langue exactement le même rôle de « morphème démarcateur » du sous-groupe particulier de verbes palatalisés à infinitif en -ier au sein du premier type de conjugaison. En effet, on retrouve cet élément /j/ dans des formes faibles personnelles qui correspondent à d’autres types143

de conjugaison. Il apparaît en fait tout à fait mécaniquement dans tous les paradigmes impératifs dont les désinences de formes faibles sont susceptibles d’avoir été soumises historiquement à l’effet de Bartsch. Et cette condition phonétique est

143 Voir cidessus la forme despisiés. C’est de façon générale le cas aussi, indépendamment de leur infinitif, pour les formes en

notamment réalisée aussi dans le cas des morphologies empruntées au subjonctif dont la base s’est palatalisée historiquement et qui relevaient d’un type de conjugaison autre que le premier (la voyelle modale tonique est alors a, support favorable de l’effet de Bartsch) : sachiez <*sapyatis, mais aussi vaingniez,

veuilliez, puissiez, etc. Les occurrences suivantes attestent cette réalité morphologique dans le premier tiers

de notre période :

Perceval 242 - Sire, sachiez bien antreset / Que Galois sont tuit par nature / Plus fol que bestes an pasture.

Erec et Enide 387 Biax sire, fet il, bien vaingniez. Garçon 21, l’aveugle : A ! mere Dieu, veuillié me aidier !

La perspective synchronique mise en œuvre ci-dessus doit en fait, s’agissant du /j/ des formes faibles d’impératif, être complétée par la prise en compte de son destin diachronique : elle seule sera vraiment apte à déterminer quel est réellement son statut sémiologique dans l’économie générale du système. En effet, à la différence de ce qui se passera pour l’infinitif ou le participe passé des verbes à base palatalisée de premier groupe, /j/ ne disparaîtra pas totalement du système des formes faibles des paradigmes de présent dans la langue, mais y acquerra au contraire une signification sémiologique particulière. Nous considérerons donc que ces groupes impératifs finaux -iens, -iez, observables en synchronie, sont constitués analytiquement d’un morphème désinentiel et d’un formant, /j/ : non encore morphématique, /j/ finira par le devenir dans le système d’oppositions modales de la langue.

Avant toutefois de poursuivre en moyen français l’étude diachronique de ce formant, nous devons apporter quelques nuances à cette présentation assez générale de sa distribution synchronique dans les formes faibles d’impératif en ancien français. Ces précisions concernent le rapport entre la réalisation morphologique du formant et sa notation dans les graphies. Les graphies en effet doivent être interprétées, car elles livrent rarement par elles-mêmes leur signification sémiologique. Ainsi, tous les « i » précédant la désinence ne notent pas nécessairement le formant /j/ d’origine palatale. Dans bien des cas, le « i » graphique relève de l’évolution phonétique de la base elle-même :

Roland 1740 Sire Rollant, e vos, sire Oliver, / Pur Deu vos pri, ne vos cuntralïez !

Reis XIV, 41 Saül fist sa ureisun a Deu, si dist : « Sire, Sire, Deu de Israel ! Si tis plaisirs est, fai demunstrance purquei ne respundis jui a ton serf. Si la iniquite est en mei u en mun fiz, ore le mustrez é si ele est el pople, par vostre grace les seintefiez. »

Reis XIV, 36 Ore nus aturnums, é anuit sur noz enemis sudéément nus embatums, é jesque al jur les pursuiums que uns sul pied ne remaigne.

Le critère suffisant de distinction est qu’on peut retrouver dans ces cas la graphie « i » dans la forme forte correspondante : pursui, seintefie, cuntralie, etc. Une deuxième précision concerne la notation graphique du formant derrière les bases palatales pour le terme P4. L’effet de Bartsch s’y est appliqué à l’étymon -amus, qui contient, comme -atis (P5), un a tonique. De même que -atis, dans cet environnement phonétique, est devenu -iez, de même -amus a dû produire mécaniquement -iens ( =*-iems). Or, nos relevés des termes P4 d’impératif à base palatale aux XII-XIIIesiècles n’attestent pas cette morphologie prévisible :

Cligès 1305 Passons le gué, ses assaillons.

Cligès 1833 Chanjons, fet il, noz conuissances, / Prenons les escuz et les lances / As traïtors que ci veons, / Ensi vers la chastel irons, / Si cuideront li traïtor / De nos que nos soiens des lor, / Et quiex que soient les dessertes, / Les portes nos seront overtes.

Dole 843 Tu diz voir, or poignons.

Tristan 65 - Or cevauchom dont, fait il, ensamble, tant que aventure nous face departir.

Les morphologies historiques évoquent en général cette différence d’évolution ou de marquage du /j/ par la langue selon qu’il s’agit d’une forme de P4 ou de P5. Des redistributions grammaticales précoces ont sans doute eu lieu en ce qui concerne P4, nivelant, au moins dans les graphies générales, une nuance morphologique propre aux types de bases, et que P5 conservera plus longtemps (-ez # -iez). Le formant /j/ n’intervient ainsi dans le terme P4 des paradigmes que sous les deux formes génériques -ions (propre au paradigme d’imparfait), et -iens, à l’imparfait, au subjonctif passé pour tous les verbes, ainsi qu’au subjonctif présent des verbes à trois bases, ou en -ier144. Il est donc régulièrement exclu en ancien français de la forme P4 d’indicatif présent, ainsi que de la forme homonyme d’impératif. On ne doit s’attendre à le retrouver dans les formes P4 d’impératif que dans le cas des verbes à trois bases (ou en -ier) qui auront emprunté leur morphologie au subjonctif : veigniens, sachiens, vueilliens par exemple. Nous n’avons toutefois pas rencontré d’attestation de ces formes P4 en ancien français dans notre corpus145

.

Un troisième ensemble de faits vient encore compliquer l’interprétation des graphies. Dans le premier tiers de notre période, le formant /j/, caractéristique en principe des formes faibles des bases à finales palatales, n’est pas toujours réalisé graphiquement, même dans les termes P5. Ces formes, irrégulières par rapport à la distribution synchronique du formant que nous avons décrite de façon générale, ne relèvent pourtant pas toutes du même degré d’irrégularité. Nous pouvons ainsi distinguer un premier

144

Andrieux et Baumgartner, 1983, p. 62. Les verbes à B3 sont caractérisés par une troisième base (B3) propre à la P1 anomale d’indicatif présent et au subjonctif présent.

145 Une caractéristique du terme P4 d’impératif, qui tient au plan du discours, explique cette absence d’attestation sur un corpus limité : il est d’une façon générale le terme le moins représenté dans nos relevés sur l’ensemble de la diachronie.

ensemble de bases palatales impératives non suivies graphiquement de /j/, mais qui présentent cette particularité (cette régularité intrinsèque) de ne jamais apparaître autrement dans le même texte :

Roland 520 Co dist Marsilies : « Guenes, par veir sacez, / En talant ai que mult vos voeill amer. » Roland 1130 Seignurs baruns, Carles nus laissat ci ; / Pur nostre reidevum nus ben murir. / Chrestïentet aidez146 a sustenir !

Roland 1925 Ferez, seignurs, des espees furbies, / Si calengez e voz cors e voz vies, / Que dulce France par nus ne seit hunie !

Adam 870 Fors en issez147 de bon aürté : / Ne vus falt mais faim ne lasseté, / Ne vus falt mais dolor ne paine / A toz les jors de la semaine.

Reis XXI, 15 Laissez148 le tost aler, mar vendrad mais devant mei ! Renart 1705 Bien sachez149 tuit, se Renart vit, / Tel conperra qui nel vit.

Comme on le voit, ces formes proviennent toutes de la coupe synchronique du XIIe siècle. La

Chanson de Roland est le texte qui exclut le plus régulièrement derrière les bases palatales la marque

graphique du /j/ systématiquement réalisée ailleurs à la même époque. Dans les autres textes, postérieurs, le /j/ n’apparaît jamais dans ces formes verbales particulières que nous citons, mais peut fort bien apparaître, tout aussi régulièrement, derrière d’autre bases palatales :

Reis XXIII, 21 Espiez é vééz tuz les repostailles u il se tapist ; puis a mei returnez é chose certeine m’anunciéz que jo en vienge ensemble od vus, kar ja seit iço qu’il se esfundre en terre, jo l’esquerrai od tut l’ost de Juda.

Dans tous ces cas, qu’elle soit universelle ou particulière à quelques bases, l’absence du /j/ graphique peut assez simplement s’expliquer comme la transcription logique d’une particularité phonétique dialectale en synchronie. La perspective de notre étude diachronique n’est pas du tout dialectologique, aussi, sans entrer dans la reconnaissance détaillée de sous-systèmes morphologiques à l’intérieur de l’ensemble général que nous cherchons à dessiner, nous contenterons-nous de relever que M. K. Pope confirme bien cette hypothèse dialectale lorsqu’elle note :

Early shift of ‘ie to je in the western region. Laisses in the Epistres de St. Estienne and in the Roland, in which the diphthong ie is admitted in assonance with e, indicate that the shift of stress in this diphthong had already taken place in these poems in the early twelth century and this shift appears to have been quickly followed by the reduction of je to e, at least after the consonants ts, dz, l and n <palatales> (...) In the more southern part of the western region the reduction may have been hastened by the influence of the Poitevin dialect, in which e was not diphthongised to ie, and this would account

146 Même forme dans les vers 361 et 629.

147

La forme issé, également privée de marque graphique du /j/, apparaît quelques vers plus haut.

148

La même forme apparaît aussi en II, 3 et XII, 20.

for the early spellings of the suffix -ier noted by Drevin in documents of Maine and Britanny (...) in the Orléanais the reduction appears to have been accomplished by the end of the thirteen century.150

Nous reviendrons sur cette réduction mécanique de /je/ à /e/, qui n’est pas restée sans incidence sur la distribution et le statut sémiologique du formant. Nous semble importante ici l’idée que ce phénomène a pu être très précoce dans certaines zones dialectales, ce qui permettrait d’interpréter les graphies en effet régulières de La Chanson de Roland (que cite M. K. Pope) comme des graphies parfaitement phonétiques. L’idée aussi que la réduction a pu se produire d’abord derrière certaines base palatales en fonction de leur consonne finale, ce qui rendrait compte des distributions étonnantes mais régulières (à l’intérieur d’un même texte) observables dans des textes comme Li quatre livre des Reis ou Le Roman de Renart.

Cette interprétation par la réduction phonétique dialectale précoce du formant convient bien à ces cas où l’orthographe paraît relativement régulière, pour une forme donnée. Nous avons relevé dans la synchronie d’ancien français d’autres cas, moins réguliers, où, dans le même texte, une même forme peut être transcrite par deux formes différentes, l’une engageant et l’autre excluant la marque gaphique du formant :

Besant 349, Mielz li vausist, ceo sachez bien, / Que il eüst esté un chien, / Car il n’eüst rien a respondre / Quant l’en nus vendra tuz somondre, / Quant tutes almes revendront / A lurs cors, que eus reprendront.

Besant 1471 Si com li or sor tuz metals / Est plus chier e plus precïos / E plus riche e plus gracïos, / Ausi orgoil, bien le sachiez, / Est sor toz les autres pecchiez / Plus mordant e plus decevable / Et plus familier au dïable, / Car, quant Deu out crié les angles, / Les poestez et les archanges, / Un en i out de tel biauté / Qu’il ne volt a la Maiesté / Obeïr, si com il deveit, / Por la biauté que il aveit.

Villehardouin 68 Nos vos proions por Dieu que vos l’otroiez et que vos le façois et que voz en viegnés avec nos.

Manuscrits B, C, D et E du même texte : faciez

Toutes ces occurrences sont extraites de textes du début du XIIIe siècle. Pour rendre compte de ces graphies plus tardives, l’hypothèse d’une particularité phonétique dialectale ne suffit plus, même si elle n’est pas à exclure s’agissant de la zone géographique d’où proviennent les différents manuscrits. Il faut encore expliquer cette diversité des réalisations graphiques d’une réalité phonétique unique, à une époque où l’on rencontre encore, et alors qu’on rencontrera toujours plus tard un marquage régulier du formant :

Tristan 67 Sire cevaliers, le passage laissiés, se vous a moi ne vous volés combatre ! Dole 1402 - Tesiez, fet il, ne dites mes !

Robin 477 Et sachiés que bien apartient / Que fachons autres festeletes.

Des données apparemment aussi contradictoires nous obligent à reconnaître au moins trois ordres différents de complexité. L’un tient à l’évolution du système en diachronie : s’agissant notamment de ces dernières occurrences relevées dans la synchronie d’ancien français, il est probable que le point de vue synchronique général, qui fige faussement l’état de la langue, n’a plus de valeur explicative suffisante. L’autre tient à la diversité (dialectale) de la chronologie des évolutions. Enfin, les codes orthographiques, dans la mesure où ils sont rarement immédiatement phonétiques, gênent parfois l’interprétation autant qu’ils la permettent. Devant ces difficultés, nombreuses, mais bien identifiées, nous ne renoncerons pas à cerner l’intelligibilité du système. La première est sans doute, in abstracto, la plus facile à lever : bien des travaux théoriques de morphologie historique peuvent nous y aider. Dès lors, nous quittons le point de vue strictement synchronique pour tenter de comprendre le sens de l’évolution diachronique générale du système