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Premier chapitre : Paganisme et néo-paganisme : présentation et définition

La Nouvelle Droite, depuis la seconde moitié des années soixante-dix, se revendique d’un paganisme indo-européen et de ses valeurs, auquel renvoie l’acronyme G.R.E.C.E., mais ne se considère pas comme faisant partie d’un groupe païen ethnique précis, même si certains de ses membres adhèrent à des groupes néo-païens, à des ordres magiques ou à des monothéismes. Ainsi, le manifeste du G.R.E.C.E., paru en 2000, affirme que « Le GRECE n’est pas un mouvement religieux. Si bon nombre de ses adhérents et de ses dirigeants éprouvent des affinités philosophiques ou esthétiques avec le paganisme européen, celui-ci ne forme pas pour autant une condition nécessaire d’adhésion au GRECE. Notre association est attachée à une conception ouverte de la laïcité, permettant à toutes les convictions religieuses

de s’exprimer, dans la limite des lois communes à tous1. »

En France, l’un des lieux communs d’une certaine politologie est l’amalgame fait entre droite radicale et paganisme. Or, selon Massimo Introvigne, il existe un paganisme marqué à gauche : « […] pour certains (notamment aux Etats-Unis) la Wicca liée au féminisme et à l’écologie (avec des figures très connues comme Starhawk) fait partie d’une façon

incontournable d’une tradition politique libérale et de gauche2. » Ce néo-paganisme de gauche

se retrouve fréquemment en Europe où il attire des alternatifs ou des écologistes. Toutefois, le néo-paganisme européen est largement situé à droite, notamment dans l’extrême droite. Christopher Gérard a bien vu le risque d’amalgame entre le paganisme revendiqué par certains néo-nazis et le sien : « Le paganisme que je tente de défendre et d’illustrer, par exemple dans ma revue d’études polythéistes Antaïos, est aux antipodes d’une douteuse exaltation de je ne

sais quelle barbarie, de je ne sais quel culte de la force brutale3. » Cependant, un démarquage

1 GRECE, Manifeste pour une renaissance européenne., op. cit., p. 15.

2 M. Introvigne, « Expressions païennes. Le renouveau des expressions païennes », art. cit., p. 13.

public comme celui-ci ne signifie pas pour autant une absence de positionnement à droite : les néo-nazis sont des indésirables y compris pour certaines tendances des droites radicales.

Section I/Définition des notions de paganisme et de néo-paganisme

Le paganisme est défini de la façon suivante par le Petit Larousse : « Du latin paganus paysan. Se dit surtout, par opposition à chrétien, des peuples polythéistes ou de ce qui se rapporte à ses peuples ou à leurs dieux. Paganisme, nom donné par les chrétiens des premiers siècles au polythéisme gréco-romain, auquel les habitants des campagnes restèrent longtemps fidèles. Nom donné ensuite par les chrétiens à l’état d’une population qui n’a pas été évangélisée ». L’historien Pierre Chuvin enrichit cette définition d’un aspect ethnique, les païens, les pagani, étant les « gens de l’endroit » et les chrétiens, les alieni, les « gens d’ailleurs »1.

Le néo-paganisme se fonde sur un refus des valeurs et des dogmes des religions issues de la Bible. La principale composante cultuelle de ce néo-paganisme est une conception panthéiste (la Divinité est identifiée au monde) et/ou polythéiste (qui admet une pluralité de dieux) de la religion. Celui-ci se manifeste principalement par la réapparition, en Europe dans notre cas, de cultes consacrés aux divinités préchrétiennes mais aussi par des tentatives d’élaboration, conscientes ou non tel le postmodernisme définit par le sociologue Michel Maffesoli, de formes de sociabilités et de pensées totalement étrangères aux dogmes judéo- chrétiens. Dans un numéro récent, 1999, de la Revue de l’Université de Bruxelles, il décrit la postmodernité de la sorte : « Si l’on essaie de définir une telle ambiance, on peut la rapprocher d’un paganisme éternel. Paganisme s’employant à empoigner la vie, à empoigner ce qu’elle offre, ce qui se présente. Exubérance païenne s’attachant à user des jouissances du présent, menant une vie audacieuse, hardie, une vie traversée par la fraîcheur de l’instant en ce que ce dernier a de provisoire, de précaire et donc d’intense ». Maffesoli annonce le retour du Destin, « la négation même du fondement philosophique de l’Occident moderne : le libre arbitre, la décision de l’individu ou des groupes sociaux agissant de concert pour faire l’histoire. Le grand

fantasme de l’universalité en étant la conséquence2. »

Le néo-paganisme peut donc être défini comme la tentative de réinvention du paganisme antique, mais les néo-païens soutiennent qu’il n’a jamais disparu, ou la réapparition

1 P. Chuvin, Les derniers païens, Paris, Belles Lettres, 1991.

2 M. Maffesoli, « De Dieu à la déité postmoderne », Revue de l’Université de Bruxelles, « Où va Dieu », Bruxelles, Complexe, 1999, p. 301 et p. 304.

inconsciente, de celui-ci dans les sociétés européennes devenues monothéistes. Le néo- paganisme repose sur une ambiguïté : il se fonde sur une conception individualiste et moderne (il apparaît au XVIIIe, avec un essor aux XIX-XXe siècles) du paganisme par opposition au paganisme originel de l’Europe fondé, quant à lui, sur le respect des coutumes et des traditions : reproduction conformiste des pratiques religieuses de son groupe et de ses ancêtres. Toutefois, une partie des néo-païens, de droite comme de gauche, tente de structurer leur néo- paganisme à partir des doctrines traditionalistes énoncées par René Guénon et Julius Evola. Mais certains païens refusent le risque de sclérose du paganisme ainsi réinventé : « Le polythéisme des Grecs, écrit Christopher Gérard, repose donc sur les coutumes ancestrales, auxquelles le citoyen adhère sous peine de ne pas être totalement lui-même. [...] Grâce [aux poètes et aux Devins], la Tradition évolue, s’enrichit d’apports neufs, oracles ou poèmes. La Tradition est donc la synthèse d’une connaissance naturelle du divin et du souvenir des inspirations successives : en elle rien de figé. Voici donc comment celle-ci se développe, échappe à la sclérose, revit à chaque génération. C’est en ce sens que le paganisme est

éternellement jeune et renaissant1. »

Les néo-droitiers le définissent comme un refus du dualisme et comme le recours à une philosophie non chrétienne, voire pré-chrétienne, et panthéiste. D’autres éléments viennent cette définition succincte, comme un goût pour l’érotisme, la sensualité et une mode de vie non matérialiste et communautaire. Le paganisme néo-droitier est aussi très empreint, dans certains courants et à certaines époques, de prométhéisme et de volontarisme s’appuyant sur une souveraineté du politique sur l’économisme, calqué sur la tripartition fonctionnelle des Indo- Européens : « il exclut, écrivait Jacques Marlaud en 1986, la conception dualiste du monde et la morale monothéiste biblique ; il implique une éthique volontariste et une religion surhumaniste ; il restaure la souveraineté politique et spirituelle à sa place dominante, face aux prétentions des vues économistes et militaristes ; il promet la différenciation des types humains et délimite, en les sacralisant, leurs domaines respectifs ; il apporte aux Européens une unité sur le plan le plus élevé, celui de la spiritualité, et une spécificité historique ; finalement, il offre la seule alternative intellectuelle – ses potentialités sont loin d’avoir été exploitées- qui pose un défi révolutionnaire aux modèles de civilisation prépondérants à l’heure actuelle, tous viciés

par l’égalitarisme2. » Guillaume Faye donne à cette définition un aspect plus sociologique,

visiblement influencé par Michel Maffesoli : « En Europe, le Paganisme - qui fut, de manière protéiforme, son ancienne religion- est présent de multiples manières : un Paganisme

1 C. Gérard, Parcours païen, op. cit., pp. 30-31.

‘‘folklorique’’ (sans connotation péjorative), surtout celto-scandinave, qui ne s’accompagne d’aucune croyance envers des dieux personnifiés mais relève d’un panthéisme traditionaliste et ethniste ; on trouve aussi, surtout avec le recul massif du culte catholique, le retour à un Paganisme populaire diffus, dont la célébration en hausse des cycles saisonniers et des solstices, ainsi que la reprise de la fête celtique des morts (Halloween) –dont il existe

évidemment comme pour Noël une récupération commerciale- sont de bons exemples1. »

Aujourd’hui encore, l’expression « indo-européen » est utilisé comme synonyme de

« païen »2 sous la plume de certains néo-droitiers, lui conférant implicitement une connotation

raciale. En effet, le courant identitaire, völkisch, de la Nouvelle Droite, insiste fortement sur sept points : la pureté à la fois ethnique et physique, le culte du corps (mens sana in corpore

sano)3, permettant l’eugénisme ; la beauté esthétique et physique qui découlent du point

précédent ; la noblesse ; l’honnêteté ; la fertilité ; l’indépendance, l’Indo-Européen étant, selon ce courant, de nature individualiste ; enfin, le refus du matérialisme et du consumérisme. Ainsi, avalisant l’aspect ethnique, Jean Haudry écrit que « Chacune [des] religions [païennes] appartient en propre à la communauté ethnique et linguistique correspondante, qui, bien loin de chercher à convertir les étrangers, garde jalousement pour ses membres les bienfaits de sa religion4. »

Le néo-paganisme néo-droitier repose aussi largement sur une philosophie non dualiste à l’opposé du christianisme. Cette conception est largement partagée par toutes les tendances païennes actuelles, à l’exception peut-être des « pagano-chrétiens » celtisants, adeptes d’une convergence entre le druidisme et le christianisme. Le dualisme chrétien peut être défini comme la distinction fondamentale de deux êtres, un être créé, imparfait, et un être incréé parfait, Dieu. De fait, l’ontologie païenne refuse cette distinction où la matière est séparée de l’esprit, l’âme du corps, le bien du mal, le vrai du beau, la nature de la culture, et globalement, l’humain de la biosphère, même s’il existe déjà des courants ascétiques et des formes de dualisme, notamment dans l’œuvre de Platon (vers 427-vers 348/347 av. J.C.). Ce refus du dualisme est une constante des néo-païens de droite comme de gauche. Mais, le dualisme est une création d’une religion païenne, le manichéisme, de l’ère indo-européenne, indo-persanne pour être précis, et non une invention du christianisme. Il a, d’ailleurs, probablement influencé le judaïsme, le christianisme et l’islam. Ce manichéisme est une radicalisation du zoroastrisme qui fut persécuté à la fois par les mages et par les chrétiens.

1 « Les Titans et les Dieux. Entretien avec Guillaume Faye », art. cit., p. 119.

2 J. Haudry, « Aux sources indo-européennes de notre paganisme », in Païens !, op. cit., p. 69. 3 B. Favrit, Présence païenne, Paris, L’Aencre, 1996, pp. 32-33.

Toutefois, Pierre Vial conteste, dès 1985, cette vision tranchée du dualisme chrétien dans un article consacré à « La vraie religion de l’Europe » et dans lequel il écrit que « […]dans l’Eglise des premiers siècles [se met en place] une idéologie qui recueille d’ailleurs et intègre les éléments incontestablement dualistes présents dans l’œuvre de certains penseurs grecs. Parménide, Pythagore, Platon surtout, ont en quelques sorte préparé le terrain au christianisme, ce qui permettra à certains Pères de l’Eglise d’affirmer que ces philosophes, bien

qu’ayant vécu plusieurs siècles avant le Christ, étaient en somme chrétiens sans le savoir1. » Il

constate aussi que « l’Eglise va développer un dualisme qu’on peut qualifier de mitigé », les

populations européennes étant, selon lui rétives à un dualisme tranché2. Ce dualisme, par contre

se retrouvera chez certaines hérésies chrétiennes, qui se veulent un retour au christianisme originel, les bogomiles et les cathares par exemple.

A/Une vision cyclique du temps

Les néo-païens, dans leur ensemble, insistent sur le fait que le christianisme, avec l’idée de parousie, a coupé l’homme des cycles de la nature, le paganisme étant une religion cosmique respectueuse des cycles de l’univers, des jours, des saisons. La conception cyclique est une vision pessimiste, tragique, du monde car fondée sur l’idée d’un déclin inexorable,

comme a pu le soutenir Oswald Spengler3. Les prémices de la pensée cyclique sont à chercher

chez les théoriciens de la Révolution Conservatrice allemande et chez leurs ancêtres romantiques mais surtout chez Friedrich Nietzsche qui a exprimé dans Ainsi parlait

Zarathoustra une pensée qui, à la fois, résume bien la conception cyclique du temps chère aux

néo-païens et leur sert de référence :

« Tout s’en va, tout revient, la roue de l’existence tourne éternellement. Tout meurt, tout refleurit, le cycle de l’existence se poursuit éternellement.

Tout se brise, tout s’assemble à nouveau ; éternellement se bâtit le même édifice de l’existence. Tout se sépare, tout se salue de nouveau ; l’anneau de l’existence se reste éternellement fidèle à lui-même.

1 P. Vial, « La vraie religion de l’Europe », Eléments n°56, hiver 1985, p. 46. 2 Ibid., p. 46.

3 Cf. G. Merlio, « Le pessimisme d’Oswald Spengler : d’une idée féconde à une idée dangereuse », in J-M Paul (dir.), Pessimisme. Idée féconde, idée dangereuse, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1992, pp. 193-205.

A chaque instant commence l’existence ; autour de chaque Ici se déploie la sphère Là-

Bas. Le centre est partout. Le sentier de l’éternité est tortueux4. »

Selon Jérémie Benoit, cette conception, « […] est aussi l’affirmation de la complète opposition du philosophe [Nietzsche] à la linéarité du temps issue de la pensée des Lumières fondée sur les notions de progrès et de perfectibilité de l’homme allant vers un but non

désigné2. » Pour les néo-droitiers, cette conception cyclique du temps est avant tout autochtone

à l’Europe : « Elle apparaît commune à toute l’antiquité européenne préchrétienne. Elle est induite par l’observation du monde-comme-il-est : spectacle d’un certain nombre d’alternances (les saisons), d’enchaînements (les générations), de répétitions-dans-la-différence et de différences-dans-la-répétition (on ne se baigne jamais deux fois dans la même eau ; le soleil se lève chaque matin et, en même temps, ce n’est jamais exactement même soleil). Elle repose sur l’intuition d’une harmonie possible reposant sur la régularité des cycles et la conciliation des contraires. […] Dans cette conception, l’histoire n’a ni début, ni fin. Elle est tout simplement le théâtre d’un certain de répétitions analogiques, qu’il faut, selon les écoles prendre plus ou

moins au pied de la lettre3. » De fait, les néo-droitiers, notamment le courant « folkiste »,

insistent sur le fait que le cycle des saisons a été de tous temps célébré en Europe par de

grandes festivités collectives : solstices, équinoxes, fêtes des moissons, etc.4

Toutefois Alain de Benoist, se démarque de la conception cyclique du temps, linéaire par son schéma inexorable, immuable et répétitif, en y ajoutant un aspect sphérique : « Dans un célèbre passage d’Ainsi parlait Zarathoustra, Nietzsche substitue à cette conception cyclique de l’histoire une conception résolument sphérique – le ‘‘cercle’’ subsiste, mais la ‘‘ligne’’ disparaît -, équivalant à une affirmation radicale du non-sens de l’histoire et à une rupture aussi bien avec la nécessité inhérente à la conception linéaire qu’avec la nécessité inhérente à toute spéculation mécanique sur les ‘‘âges de l’humanité’’ (de Hésiode à Guénon).On voit tout de suite en quoi le cercle et la sphère se ressemblent et diffèrent : la sphère possède une dimension

supplémentaire, elle peut à tout moment rouler dans tous les sens5. »

Cependant, malgré le rôle d’Alain de Benoist comme théoricien de la Nouvelle Droite, les néo-païens gravitant dans la nébuleuse de la Nouvelle Droite, continue de s’inscrire, à la suite de René Guénon et de Julius Evola, dans la conception traditionnelle des cycles temporels. Ainsi, chez Jérémie Benoit, la notion de « cercle devient alors le symbole du soleil,

4 F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra [1883], III, « Le convalescent », 2, trad. J. Le Rider, Paris, Robert Laffont, Bouquins, t. 2, 1993, p. 456.

2 J. Benoit, « La notion de cycle », art. cit., p. 79.

3 A. de Benoist, « Fondements nominalistes d’une attitude devant la vie », Les idées à l’endroit, op. cit., p. 37. 4 P. Vial et J. Mabire, Les solstices. Histoire et actualité, Paris, Le Labyrinthe, 1991.

le Grand Midi, le substitut du voyage de l’esprit vers la libération complète, la lumière, de l’esprit qui du pôle négatif, assimilée au non-être ou au chaos, remonte lentement pour s’épanouir à nouveau. Il est donc l’image idéale de la réalisation cyclique de l’univers, tant sur

le plan strictement humain que sur celui du cosmos1. »

B/Un antichristianisme structurateur

Les néo-païens de la Nouvelle Droite développent tous un discours anti-chrétien, malgré les propos d’apaisement d’un Pierre Vial, d’un Guillaume Faye ou d’un Alain de Benoist affirmant que le paganisme n’est pas du « Christianisme en sens contraire » car « Il

n’est pas constitutivement antichrétien, mais a-chrétien2. » Toutefois, certains reconnaissent, à

l’instar de Christopher Gérard, que « L’antichristianisme virulent a été une étape nécessaire de [son] évolution, et parfaitement justifiée. [Il] reste un antichrétien convaincu, mais nullement un fanatique, ce qui ne serait pas très païen, ni surtout intelligent. Au fil du temps, on devient plus a-chrétien qu’antichrétien : la théologie du Crucifié est incompatible avec nos mythes ; tout simplement, elle ne parle pas à notre âme et le Christ, pour nous, n’est qu’un prophète

proche-oriental3. »

Tous les néo-païens, toutes tendances idéologiques confondues, insistent sur la violence du christianisme, et de l’islam, vis-à-vis des religions païennes. « […] les monothéismes abrahamiques, constate Jean Vertemont, sont aussi caractérisés par une manipulation collective de la violence comme l’a montré René Girard dans toute son œuvre, en particulier dans La

Violence et le Sacré, ce qui conduit toujours à des totalitarismes4. » Christopher Gérard qualifie

même Yahvé de « Grand Despote5 ». De fait, l’origine de ce discours est à chercher chez Alain

de Benoist qui, depuis la fin des années soixante-dix, traque dans le christianisme les manifestations d’une intolérance violente : « Or il ne faut pas oublier non plus […], qu’entre le Paganisme et le Christianisme, il y a quand même eu des flots de sang. Je ne dis pas cela par souci excessif de la commémoration, ni pour opposer des martyrs à d’autres martyrs. Je le dis seulement pour rappeler l’importance de l’enjeu que représentait pour le Christianisme l’éradication du monde païen. Que cette éradication ait été imparfaite, qu’elle n’ait été acquise qu’au prix d’une dénaturation relative de ce qu’était l’élan chrétien des origines, ne change rien

1 J. Benoit, « La notion de cycle », op. cit., p. 80.

2 « Penser le Paganisme. Entretien avec Alain de Benoist », art. cit., p. 16. 3 C. Gérard, Parcours païen, op. cit., pp. 55-56..

4 « Mythes et Dieux des Indo-Européens. Entretien avec Jean Vertemont », art. cit., p. 17. 5 C. Gérard, Antaïos, n°11, hiver 1996, p. 192.

au fond des choses1. » Cependant, la Nouvelle Droite ne fait que reprendre une longue tradition

de procès contre le christianisme depuis l’empereur Julien (331-363) et Celse (IIe siècle ap. J.C.), en passant par Nicolas Machiavel (1469-1527), Ludwig Feuerbach (1804-1872), Nietzsche et Spengler. Elle s’inscrit aussi dans le courant de pensée défendant la thèse de l’assassinat de l’Empire romain par le christianisme d’Edwards Gibbon (1737-1994) et d’Ernest Renan.

Les néo-droitiers s’appuient sur des travaux universitaires pour élaborer leur discours sur l’attitude intolérante et sectaire du christianisme, citant notamment l’Américain Ramsay

McMullen2 et Louis Rougier3, pour qui le triomphe du christianisme passe par l’anéantissement

des anciennes élites et leur remplacement par une nouvelle choisie parmi des paysans ou d’anciens soldats sans formation intellectuelle, provoquant une régression intellectuelle au

profit de la superstition et des dogmes chrétiens4.

Le christianisme est accusé par les néo-païens d’être responsable de tous les maux : du désenchantement du monde, en tant que religion de sortie de religion, reprenant ainsi la thèse

de Marcel Gauchet5, de l’utopie égalitariste (surtout chez les néo-droitiers spenglériens) et de

l’universalisme uniformisateur destructeur de culture. Il est aussi tenu pour responsable de la disparition du paganisme antique, de l’anthropocentrisme et de la persécution des sorcières (surtout chez les wiccans), même s’il a dû composer avec le paganisme antique, devenant de

fait un « pagano-christianisme6 ». En effet, selon la Nouvelle Droite, le christianisme aurait été

un vecteur de la modernité honnie, notamment de la sécularisation, de l’individualisme, des droits de l’homme et du communisme. Cette thèse est largement tributaire de la Révolution

conservatrice allemande, en particulier du courant völkisch7. Pourtant, l’Eglise catholique, n’a

jamais cessé de s’opposer à toutes les formes de modernité. Aux yeux du Vatican, la Réforme