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Deuxième chapitre : Les paganismes à contenu religieux/rituel Les néo-païens de droite, sont généralement attirés par deux formes précises de

paganisme : le paganisme germano-scandinave ou odinisme et le celtisme et sa variante, le druidisme. Ces formes de paganisme possèdent en effet un aspect ethnique très prononcé permettant un discours ethno-différentialiste, voire identitaire. D’ailleurs le paganisme germano-scandinave est très souvent stigmatisé pour ses dérives supposées ou réelles.

Section I/L’odinisme ou religion germano-scandinave

Le paganisme nordique (ou odinisme ou paganisme germano-scandinave) est l’un des paganismes qui attire le plus les néo-païens de la Nouvelle Droite. Nous pouvons comprendre cela aisément : l’archétype du guerrier européen fascine depuis l’époque romantique. Des odinistes définissent le domaine germano-scandinave allant de la Scandinavie à la France (de population franque et burgonde, présence viking en Normandie) et du monde germanique aux îles britanniques, en passant par le Benelux (avec les Frisons). Cependant nous rencontrons des partisans de cette religion partout où sont présents des Anglo-Saxons : Australie, Etats- Unis, Canada… Le terme odinisme, le plus répandu parmi les adeptes de cette ancienne religion, est en concurrence avec divers synonymes tels que wotanisme (dans le domaine germanique), irminisme, nordisme (en égard à l’espace géographique d’épanouissement), tradition nordique, Asatru (littéralement Foi des Ases), runisme (mettant l’accent sur les runes), etc….

A/Une caractéristique de l’odinisme : la magie runique

Certains de ces groupes odinistes pratiquent une forme de « magie » tirées des runes. Les runes ont une place importante dans le renouveau de la spiritualité germano-scandinave, à l’exception notable de l’église païenne islandaise. En effet, les pratiques de l’Asatru sont plus portées vers les sagas, islandaises justement. Cette absence d’intérêt des islandais pour les runes peut s’expliquer par le fait que cette pratique est inexistante dans la tradition islandaise.

Pour beaucoup d’odinistes, « Les runes, clés vers les dieux, sont une richesse

incomparable de la Tradition nordique, de par la sagesse et les mystères qu’elles renferment1. »

La renaissance de la pratique occultiste et/ou cultuelle des runes est à chercher chez groupes aryosophes et völkischer austro-allemands de la fin du XIXe siècle, notamment chez l’Autrichien Guido von List. Ces premiers runologues étaient pour la plupart issus de sociétés occultistes. Le système runique qu’ils utilisaient, à 18 runes, n’avait rien de traditionnel, mais reprenait certains enseignements de groupes occultistes de l’époque. A ce titre, Régis Boyer se

montre d’une extrême méfiance vis-à-vis de cette utilisation, supposée, des runes2. Le goût

pour les runes est consécutif à un intérêt romantique pour le passé germanique ayant remis à la mode l’étude de leur passé, en l’occurrence l’Antiquité germano-scandinave, dans cette ère géographique.

Les runes sont apparues au premier siècle de notre ère dans le domaine germanique, plus précisément en Germanie du Sud, et se sont diffusées par la suite dans le monde germano-

scandinave. Régis Boyer pense que cet alphabet date du IIIe/IVe de notre ère3. Les

universitaires se perdent en théories sur les origines des runes. Il existe trois grandes théories : premièrement l’hypothèse gréco-latine, deuxièmement l’hypothèse étrusco-nord italique,

soutenu par Régis Boyer4, et enfin l’hypothèse indigène germano-scandinave. Selon des auteurs

odinistes tels que Nigel Pennick et Freya Aswynn le système runique « est en partie indigène

(germanique) et en partie nord italique5. » Le plus ancien des alphabets runiques est appelé

« Futhark », du nom de ses six premières lettres.

La magie runique, réinventée voire inventée, consiste, principalement, en des pratiques divinatoires. Les runes sont écrites ou gravées sur de petits galets mais elles peuvent être écrites (ou gravées) sur des dés ou des bâtons. Il existe même des cartes runiques. La pratique divinatoire se fait par tirage et selon un cérémoniel. Selon Nigel Pennick, le tirage doit s’effectuer à l’extérieur face au soleil. Les runes sont jetées « […] sur un linge blanc,

correspondant idéalement aux mesure du lecteur de runes6. » L’interprétation semble dépendre

du jeteur : l’auteur décrit douze façons de tirer les runes7.

1 A. d’Apremont, « L’Odinisme, un shintoïsme occidental ? », L’Originel, n°5, printemps 1996, p. 40. 2 R. Boyer, « Univers du double », in J. Servier (dir.), Dictionnaire critique de l’ésotérisme, op. cit., p. 1336. 3 R. Boyer, Au nom du viking. Entretiens avec Jean-Noël Robert, op. cit., p. 189.

4 Ibid., p. 192 : « Alors, l’époque actuelle, derrière le Danois A. Baeksted et le Français Lucien Musset –pour ma part je me rallie à cette école-là-, considère que ce sont les alphabets illyriens, vénétien qui sont au point de départ des runes ».

5 F. Aswynn, Hommes, Runes et Dieux. Les feuilles d’Yggdrasil [1990], trad. Anne-Laure et Arnaud d’Apremont, Paris/Combronde, Claire Vigne Editrice/Editions de janvier, 1996, p. 44.

6 N. Pennick, Runes. Comment interpréter les runes, trad. Agnès Rothé, Natalija Benjovski et Arnaud d’Apremont, Cologne, Könnemann, 1999, p. 160.

Toutefois la magie runique ne se résume pas uniquement aux pratiques divinatoires. Selon Freya Aswynn, mais nous aurions pu citer n’importe quel odiniste, les runes s’inscrivent dans une conception occultiste de la religion germano-scandinave : « une compréhension complète et en profondeur des runes allant bien au-delà du pur niveau de la prédiction de l’avenir ou même de la divination authentique, et la capacité de décoder les motifs des runes et la séquence logique du Futhark, nous autorisent à voir que les runes incorporent un système de pensée ésotérique profond. De plus quand les runes sont intégrées dans la mythologie nordique et que les connexions appropriées sont correctement comprises, un système d’initiation cohérent et consistant commence à émerger. […] les runes ont été fixées et établies sous une forme particulière comme un code pour préserver la connaissance ancestrale des peuples de

l’Europe du Nord1. »

Le pouvoir d’attraction des runes, ainsi que la tendance à l’interprétation magique de celles-ci, proviendraient, selon Régis Boyer, de l’étymologie de ce mot : « Je dois à la justice de noter que le mot rứna en vieux norois signifie ‘‘rune’’ au sens que nous en train d’étudier, le caractère d’écriture, mais il a une autre acception, celle de secret, de mystère chuchoté. Bien entendu, il n’est pas exclu qu’à l’origine ce second sens ait engendré le premier puisque, encore une fois, qui détient les secrets d’une écriture peut être considéré ipso facto comme

possesseur d’un pouvoir sacré2. »

B/L’odinisme en Europe

1/Les précurseurs : le néo-paganisme germanique

L’Allemagne de Guillaume II se singularise, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, par une prolifération d’initiatives non-conformistes telles que les communautés à la

campagne (Les Artamannen dont fit partie Himmler3), les «Wandervögel », les foyers de

pédagogie active, le naturisme, le végétarisme et le néo-paganisme germanique. Selon

Massimo Introvigne4, « […] le retour du paganisme dans l’Allemagne fin de siècle ne passe pas

que par l’ariosophie ; dans le milieu de Wagner, et dans plusieurs milieux littéraires, on trouve des expériences de renaissance néo-païenne qui exerceront une influence importante sur Carl

1 F. Aswynn, Hommes, Runes et Dieux., op. cit., p. 34.

2 R. Boyer, Au nom du viking. Entretiens avec Jean-Noël Robert, op. cit., p. 197. 3 G. Knopp (dir.), Les SS. Un avertissement pour l’histoire, op. cit., pp. 124-127. 4 M. Introvigne, « Expressions païennes », art. cit., p. 13.

Gustav Jung, et dont les orientations politiques ne sont pas nécessairement de droite et

pourraient, le cas échéant, réserver des surprises […]1. »

Des écrivains comme Friedrich Nietzsche exercent une influence considérable sur les mouvements de jeunesse, qui antisocialistes autant qu’antibourgeois et antichrétiens, préparent et préfigurent bien des aspects de l’Allemagne de l’après Première Guerre mondiale. Il pense que l’Allemagne est en voie de manquer à sa destinée, en manquant à l’idéalisme allemand. Nietzsche proteste aussi contre l’hégémonie de la Prusse et contre l’abus de la discipline prussienne. Il reproche aussi à la grande bourgeoisie de n’avoir pas constitué d’élite véritable, de manquer de tout dévouement à l’Etat et d’user de son influence politique en vue du seul profit matériel et d’un bonheur médiocre.

En effet, l’Allemagne, durant une période relativement courte allant de 1870 à 1900, connaît une industrialisation importante, avec un taux de croissance de 2,8 % entre 1870 et

19132. Cette industrialisation forcenée joue un rôle important dans l’apparition des

mouvements «alternatifs» et néo-païens, une synthèse s’effectuant même entre les alternatifs et les nationalistes. L'Allemagne, ne pouvant faire face à une natalité élevée devient une terre d’émigration. Un à deux millions d’allemands vont quitter le pays entre 1870 et 1890 puis cette nation devient à son tour une terre d’immigration pour les Polonais, Autrichiens et Italiens. Ces transformations ont lieu aussi dans le reste de l'Europe Occidentale, mais, en Allemagne, elles se déroulent à un rythme particulièrement rapide qui inquiète une partie de la population. Durant la période 1870-1913, la population passe de 41 millions à 67 millions d’habitants. En 1913, un tiers des habitants a moins de quinze ans.

A cette époque, sous l’impulsion de l’industrialisation, une partie de la population rurale émigre vers les villes, grossissant les rangs d’un sous-prolétariat, accélérant ainsi l’urbanisation. Cette ville, née de la modernisation de la société est la cible des premiers groupes alternatifs et païens (qui sont souvent étroitement liés). En effet, l’industrialisation importante et rapide de la dernière moitié du XIXe siècle et premier quart du XXe siècle modifie en profondeur la morphologie des villes et leurs compositions sociologiques. Des quartiers ouvriers insalubres apparaissent, en même temps que la part d’ouvriers dans celle-ci augmente fortement. Un sous-prolétariat se développe : mendiants, vagabonds ou marginaux. C’est à cette époque que se développe le mouvement hygiéniste qui se préoccupe de la misère physique et morale de ce sous-prolétariat mais aussi de l’hygiène raciale. La ville est alors considérée comme l’inspiratrice des vices dont l’alcoolisme et la prostitution.

1 Ibid., p.13

Cette transformation inquiète les Allemands et certains se réfugient dans des sociétés, des associations développant un discours à la fois de refus et sécurisant. En effet, cette évolution ne reste pas sans conséquences pour la société car de nombreux intellectuels dont Nietzsche dénoncent la violence de l’industrialisation et de l’urbanisation, la création brutale d’une société matérialiste et technicienne, l’atomisation des ruraux dans les masses urbaines, la rupture avec toutes les valeurs traditionnelles et la «morale de troupeau».

Tous ces mouvements, groupes, associations, ligues, etc. sont une violente critique des Lumières (« Aufklärung ») et de l’évolution de la société. Les thèses communes sont une critique de la société et de l’urbanisation. Cette dernière est considérée comme une agression contre la nature et contre l’homme. C’est de cette époque que datent les premières plaintes

contre la pollution de l’air et de l’eau1. Le végétarisme est, d’ailleurs, mis à l’honneur tout

comme le naturisme revitalisant (les « bains de lumières ») et les médecines douces (traditionnelles ?) par ces premiers alternatifs. A l’origine, les mouvements de réforme sont apolitiques mais la tendance raciste est toutefois représentée, comme le montre cet extrait de

L’enfance d’un magicien2 de Hermann Hesse, décrivant un congrès alternatif : « Les naturistes

ne formaient qu’une minorité, et les costumes inspirés par l’Ancien Testament et les vêtements exotiques frappaient par leur singularité ; en revanche, on voyait pas mal de têtes savantes et respectables, et beaucoup de jeunes artistes [...]

Un élégant Viennois monta le premier à la tribune pour exprimer le vœu que les représentants des multiples formations n’insistent pas sur leurs différences, mais recherchent ce qui leur était commun et nouent entre eux des liens d’amitié. Puis, en dehors de tout esprit de parti, il parla des nouveaux mouvements religieux qui se dessinaient à cette époque et de leur relation avec la paix mondiale. Un théosophe anglais grisonnant lui succéda, qui recommandait sa croyance comme synthèse universelle de toutes les vérités isolées mises en lumière par chacune des grandes religions. Il fut relayé par un théoricien raciste qui le remercia ironiquement pour sa leçon, mais stigmatisa l’idée d’une religion supranationale et universelle qu’il dénonçait comme une dangereuse utopie, étant donné le besoin primordial et le droit de chaque nation de posséder sa propre croyance, formée et nuancée selon son génie particulier ».

L’utilisation de la presse, de publications et de conférences permet une vulgarisation de ces idéaux alternatifs et völkisch. C’est le cas, par exemple, de la revue Hammer (« marteau ») publiée depuis 1902 par le vieux théoricien raciste et antimoderne Theodor Fritsch, grand

1 L. Dupeux, « La version ‘‘Völkisch’’ de la première ‘‘alternative’’ 1890-1933 » in La Révolution conservatrice

dans l’Allemagne de Weimar, op. cit., p. 187.

2 H. Hesse, L’enfance d’un magicien, « L’homme qui voulait changer le monde », trad. Edmond Beaujon,Paris, Calmann-Levy, 1975, pp. 240-241.