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LE PREMIER BOLCHÉVIK ITALIEN

Dans le document Td corrigé Lettres de la prison pdf (Page 35-38)

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Avec la mort de Gramsci disparaît le premier bolchévik du mouvement ouvrier italien.

Physiquement faible, durement touché par la nature dans son organisme, il possé-dait une incomparable trempe de combattant. Toute son existence fut soumise à sa volonté de fer. Il irradiait autour de lui l'énergie, la sérénité, l'optimisme; il savait s'imposer la plus sévère discipline de travail mais il était capable de jouir de la vie sous tous ses aspects. En tant qu'homme il était un païen ennemi de toute hypocrisie;

il fustigea impitoyablement toute imposture, tout sentimentalisme, toute afféterie. Il se servait d'une manière inégalable de l'arme du rire et de la moquerie pour mettre à nu la vanité et la duplicité de ceux qui prêchent au-peuple une certaine morale dans l'intérêt de la classe dominante. Il connaissait profondément la vie du peuple italien et ses mœurs, les légendes et les histoires qui ont été créées par le peuple et da-us lesquelles le peuple a exprimé sous une forme simple, naïve, intuitive, ses besoins, ses aspirations, ses rêves de liberté et de justice, sa haine contre les classes possé-dantes. De ce contact intime avec le peuple, il tirait des éléments inépuisables et toujours nouveaux de polémique et de combat contre toute forme d'oppression des masses non seulement sur le plan économico-politique mais aussi sur le plan de la vie intellectuelle et morale. Les grands Italiens qui ont combattu - à commencer par Giovanni Boccaccio et Bruno et jusqu'à Giuseppe Giusti et Garibaldi - pour libérer le peuple des chaînes de l'hypocrisie, du servilisme et de la bigoterie, qu'une tradition séculaire de domination de l'église catholique et de l'étranger ont imposés, trouvaient en lui un successeur et un continuateur. Il était l'ennemi obstiné de la fausse éloquen-ce et du clinquant qui gâtent une si grande partie de la littérature et de la culture italiennes, qui ont étouffé chez les écrivains italiens les sources fraîches de l'inspira-tion populaire. Il connaissait plusieurs langues étrangères, il avait étudié particulière-ment la langue russe et il pouvait lire Lénine et Staline dans le texte. Il avait étudié et il connaissait à fond l'histoire du mouvement ouvrier dans les grands pays capitalistes.

Il était internationaliste mais avant tout, ainsi que doit l'être tout internationaliste, il

était un véritable fils de notre peuple au service duquel il mettait son expérience des choses internationales et ses capacités de combattant.

Formé à l'école du marxisme et du léninisme, au sérieux intellectuel, il haïssait la légèreté, l'absence du sens de la responsabilité, la vanité, l'ignorance et la présomp-tion; de tous ces défauts il voyait une illustration classique dans la manière dont les chefs réformistes et centristes avaient faussé et perverti la doctrine marxiste pour mettre la classe ouvrière dans le sillage de la bourgeoisie. Dans le Parti, tout en aidant tous les camarades à s'améliorer et en prêtant l'oreille à toute critique, à toute sug-gestion même si elle venait du plus modeste ouvrier, il était extrêmement exigent surtout avec les camarades préposés au travail d'organisation et d'agitation. Il voulait que les cadres du Parti fussent vraiment les meilleurs combattants et il contrôlait leur travail jusque dans les plus petits détails.

Arraché au travail révolutionnaire actif, jeté en prison, il ne pouvait pas ne pas continuer à combattre. Même en prison, pendant dix années, son existence fut une lutte continuelle, non seulement contre ses odieux argousins, pour défendre sa propre existence, mais aussi pour pouvoir diriger les camarades avec lesquels il pouvait avoir quelque contact, pour poursuivre au cours de leurs échanges son oeuvre d'éducateur, pour participer même de sa prison à la formation des cadres du Parti et à la solution des problèmes nouveaux que posait la situation italienne.

Même lorsque ses forces étaient déjà épuisées et que les bourreaux fascistes s'acharnaient contre lui pour essayer d'exténuer J'esprit après avoir excédé le corps, il ne se départit jamais du calme et de la dignité d'un révolutionnaire, il fut un exemple pour tous les camarades. A une époque où ses conditions physiques laissaient plus gravement à désirer qu'à l'accoutumée, on lui fit savoir qu'il pourrait être libéré s'il adressait directement à Mussolini une demande de grâce. La réponse de Gramsci fut :

« Ce qu'on me propose est un suicide; je n'ai nullement l'intention de me sui-cider. »

Cette fière parole du chef mourant passa de bouche en bouche dans les cachots et dans les prisons; elle ranima les courages, renforça la confiance et affermit la haine contre les argousins fascistes.

Tant qu'il eut la possibilité de rencontrer des camarades aux heures de « prome-nade », il consacra ces heures à l'étude collective et ainsi la prison devenait une école du Parti; les camarades apprenaient les principes du léninisme; ils apprenaient à analyser les forces et les conditions de la révolution prolétarienne en Italie; ils se fortifiaient dans la connaissance des solutions à donner aux problèmes de la politique et de l'organisation du Parti.

Lorsque les barrières que l'on dressait autour de lui devinrent toujours plus impé-nétrables, des communications brèves, faites de termes énergiques et précis,

orientè-tance du travail dans les organisations fascistes de masse. En 1930, ayant appris qu'un camarade incarcéré risquait de tomber sous l'influence du trotskisme et n'ayant plus la possibilité de mener de longues discussions, il lançait dans les cachots le mot d'ordre fort significatif : « Trotski est la putain du fascisme. »

Dans les derniers temps il avait pu recevoir quelques indications sur les décisions du VIIe congrès de l'Internationale. Toute sa pensée fut orientée vers la recherche des formes de réalisation du front populaire antifasciste en Italie. Il nous recommandait de ne pas nous détacher du pays et des masses, d'étudier à fond les conséquences que le fascisme avait eu sur les diverses couches de la population et dans les différentes régions, tout cela afin de pouvoir trouver et répandre les mots d'ordre qui nous permettraient de nous lier aux masses du pays tout entier. Son idée fondamentale était que quinze années de dictature fasciste ayant désorganisé la classe ouvrière, il n'est pas possible que la lutte de classe contre la bourgeoisie réactionnaire se développe à nouveau sur les positions que le prolétariat avait atteint dans l'immédiate après-guerre. Une période de lutte pour les libertés démocratiques est indispensable; la classe ouvrière doit se trouver à la tête de cette lutte. Dans les dernières semaines de sa vie, la nouvelle de la lutte héroïque du peuple espagnol contre le fascisme est certainement arrivée jusqu'à lui. Peut-être a-t-il su qu'en Espagne, dans le bataillon qui porte le nom de Giuseppe Garibaldi, les meilleurs fils du peuple italien, commu-nistes, socialistes, démocrates, anarchistes, unis dans les rangs de l'armée populaire de la République espagnole, ont infligé à Guadalajara la première et sérieuse défaite au fascisme italien et à Mussolini. Si cette nouvelle est arrivée jusqu'à lui il lui a certainement souri et son agonie s'est illuminée d'un rayon d'espérance.

Sur le chemin qu'il a tracé, sous le drapeau qu'il a tenu dans ses mains jusqu'au dernier moment, sous le drapeau invincible de Marx-Engels-Lénine-Staline, l'avant-garde de la classe ouvrière italienne, le Parti communiste qu'il a créé et dirigé dans la lutte, iront de l'avant sans faiblir, ils appliqueront ses enseignements jusqu'au bout, jusqu'à la victoire définitive, sur les forces de la réaction et de la barbarie, de la cause de la liberté et de la paix, de la cause de l'émancipation politique et sociale des travailleurs, de la cause du socialisme.

Paris, mai-juin 1937.

PALMIRO TOGLIATTI.

LETTRES DE

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