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DU PARTI COMMUNISTE

Dans le document Td corrigé Lettres de la prison pdf (Page 29-35)

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Au second congrès de l'Internationale communiste, lorsqu'on discuta de la ques-tion italienne, Lénine déclara que parmi les groupes existant dans le parti socialiste, celui dont les positions fondamentales coïncidaient avec les positions de l'Interna-tionale était le groupe de L'Ordine nuovo; dans les thèses du congrès, la plate-forme politique rédigée par Gramsci, approuvée par la section socialiste turinoise et intitulée Pour une rénovation du Parti socialiste, fut recommandée comme le document de-vant constituer la base de discussion du prochain congrès du parti. Tous les problèmes inhérents à la. création en Italie d'un Parti communiste sont indiqués dans cette plate-forme d'une manière intelligible, concrète, ferme, qui ne laisse subsister aucun doute.

Mais le mouvement de L'Ordine nuovo n'était pas représenté au congrès de Moscou et ce simple fait montre qu'il y avait un défaut dans la manière dont Gramsci menait la lutte pour la création du parti. A première vue, cela pourrait être interprété comme de la timidité, de la modestie excessives se transformant ainsi que tout excès en erreur et il y aurait dans cette explication une part de vérité. Le sérieux intellectuel, la répu-gnance pour toute démagogie et toute réclame personnelle, s'unissaient chez Gramsci à une grande modestie qui l'empêcha de s'imposer tout de suite comme il aurait dû en tant que dirigeant. Mais l'erreur la plus grave consista dans le fait que L'Ordine nuovo ne posait pas nettement le problème de se constituer en fraction du parti socialiste sur une échelle nationale. Grand mouvement de masse à Turin, ses positions dans le reste du pays se limitaient à des contacts personnels non organisés. De là une certaine stéri-lité de son action par rapport à l'action des autres fractions du parti. Les réformistes avaient dans leurs mains l'appareil central de la Confédération du travail et des fédérations d'industries, les coopératives, une grande partie des municipalités et du groupe parlementaire; les centristes dirigés par Serrati avaient l'appareil du parti et le journal quotidien; les abstentionnistes avaient créé un réseau de groupes de fractions qui s'étendait à presque toute l'Italie et ils avaient de fortes bases à la direction de la Fédération de la jeunesse. Gramsci n'eut à sa complète disposition un journal quoti-dien que peu de mois avant la scission; lorsque. se fut créée une fraction communiste unifiée pour préparer le congrès de Livourne cette fraction se basa essentiellement sur

l'organisation déjà existante des abstentionnistes. Selon les directives données par Lénine il était nécessaire en Italie de concentrer le feu contre les centristes qui, tout en s'enivrant de phrases « révolutionnaires », prenaient sous leur protection les réfor-mistes et paralysaient le mouvement des masses en mettant en fait le parti au service d'une politique de collaboration avec la bourgeoisie. La scission du parti d'où sortit le Parti communiste (Livourne, 1921) fut le résultat d'une lutte particulièrement vive contre les centristes. Cette lutte exigeait l'unité de tous les groupes de gauche et Gramsci contribua puissamment à créer cette unité. Lénine, cependant, avait déjà au IIe congrès dirigé aussi sa critique contre l'extrémisme doctrinaire de Bordiga qui menaçait de faire du nouveau parti une secte isolée des masses. Tous ceux qui connaissaient la pensée de Gramsci savaient qu'il existait un désaccord profond entre lui et Bordiga. Déjà en 1917 à la conférence de Florence des groupes socialistes de gauche ce désaccord s'était manifesté. La réunion avait eu lieu après le désastre de Caporetto et Gramsci avait parlé de la nécessité de transformer le défaitisme socialiste en une lutte pour le pouvoir; il n'avait été compris de personne, même pas de Bordiga.

Du mouvement des Conseils, Bordiga n'avait rien compris et, bien qu'adhérant à la Me Internationale, son intention était probablement et déjà en 1920 de créer au sein de l'Internationale une fraction d'extrême gauche avec les extrémistes hollandais, alle-mands, etc., pour mener une lutte contre Lénine et contre le Parti bolchévik. Gramsci par crainte de se confondre avec les éléments de droite commis l'erreur, en marchant avec Bordiga contre les réformistes et les centristes, de ne pas se différencier de Bordiga publiquement sur les problèmes de stratégie et de tactique où une différen-ciation était nécessaire. Il ne sut pas mener, en ce moment-là, et dans les premiers temps de la vie du Parti communiste, une lutte sur deux fronts. Cette erreur coûta à notre Parti - un temps précieux et permit à Bordiga, qui profita de la fatigue, de la grande déception et du pessimisme qui s'étaient emparés d'une partie de l'avant-garde du prolétariat après la fin de l'occupation des usines par suite de la trahison des réformistes, d'imposer au Parti communiste une politique sectaire, anti-léniniste, qui réduisit sa capacité d'action politique et rendit plus facile la venue du fascisme.

Le séjour d'une année en Union soviétique, en 1922-23, permit à Gramsci de se perfectionner dans sa connaissance du bolchévisme. Il étudia alors à fond l'histoire du Parti bolchévik et de la Révolution russe, il apprit à connaître Lénine et Staline; à l'école de Lénine et de Staline, à l'école du Parti bolchévik et de l'Internationale communiste, il se durcit comme chef de parti. C'est à lui que la classe ouvrière ita-lienne doit la création de son Parti, du Parti communiste non comme une secte de doctrinaires prétentieux mais comme une partie, comme l'avant-garde de la classe ouvrière, comme un parti de masse, lié avec sa classe, capable d'en sentir et d'en interpréter les besoins, capable de la diriger dans les situations politiques les plus compliquées. C'est Gramsci qui nous a fait faire sur cette voie les premiers pas décisifs.

Il ne fut pas facile à Gramsci d'éliminer des rangs de notre Parti la forme spéciale d'opportunisme que Bordiga cachait sous sa phraséologie pseudo-radicale. Il fallut entreprendre un travail patient de rééducation individuelle des camarades qui étaient

d'ordres; il avait éloigné de manière systématique les meilleurs éléments prolétariens et il s'était entouré d'éléments petits-bourgeois sceptiques non liés à la classe ouvrière.

Ne répugnant pas à user des méthodes de la camorra napolitaine 1, il essayait d'isoler Gramsci du Parti en le présentant comme un intellectuel incapable d'action et privé des qualités d'un combattant, se moquant de ses scrupules de patient et sérieux éducateur de cadres ouvriers bolchéviks. La réalité a fait justice de ces calomnies.

Bordiga vit tranquille aujourd'hui en Italie comme une canaille trotskiste, protégé par la police et par les fascistes, haï par les ouvriers comme un traître doit être haï. Au début de la guerre contre l'Abyssinie, la presse italienne communiquait qu'il avait participé à une fête religieuse, qu'il avait été béni par le prêtre en même temps que les soldats partant pour l'Abyssinie, et qu'à la sortie de l'église il était passé sous l'arc formé par les poignards d'un détachement de miliciens fascistes qui lui rendaient les honneurs. Cela se produisait au moment où Gramsci, prisonnier de Mussolini, luttait jusqu'au dernier souffle sous le drapeau communiste.

Dans sa lutte pour chasser du Parti le sectarisme bordighien, Gramsci déploya de 1924 à 1926 une activité exceptionnelle. On peut dire que les cadres du Parti furent reconquis par lui l'un après l'autre et que tout le Parti qui, après l'avènement du fascisme, était tombé dans un état dangereux de torpeur, fut réveillé et rééduqué à travers un travail systématique de bolchévisation. C'est de cette période que sont les écrits de Gramsci consacrés à élucider les questions théoriques de la nature du Parti, de sa stratégie, de sa tactique et de son organisation, écrits dans lesquels on sent fortement l'influence exercée sur lui par les écrits de Staline. Il battit particulièrement en brèche la bestiale « théorie » bordighienne selon laquelle tout travail d'éducation idéologique et politique des membres du Parti devait être considéré comme une chose inutile (parce que dans un parti « centralisé » comme le Parti communiste la seule chose qui compterait serait d'obéir aux ordres qui viennent d'en haut !) et il entreprit un grand travail de formation des cadres.

Pour que le parti vive et qu'il soit en contact avec les masses, écrivait-il, il faut que chaque membre du Parti soit un élément politique actif, qu'il soit un dirigeant. Justement parce que le Parti est fortement centralisé, il est nécessaire de procéder à une vaste oeuvre de propagande et d'agitation dans ses rangs, il est nécessaire que le Parti, d'une manière systématique, éduque ses membres et qu'il en élève le niveau idéologique. Centralisation veut particulièrement dire que, dans quelque situation qu'il s'agisse, même dans un état de siège renforcé, même quand les organismes dirigeants ne pourraient plus fonctionner pour une période déterminée et seraient mis dans la situation de ne plus avoir de liaison avec l'ensemble du Parti, tous les membres du Parti, chacun dans son milieu, soient placés dans la possibilité

1 Association secrète de malfaiteurs qui avait ses statuts, son code pénal, sa hiérarchie, ses rites et qui bénéficiait de très hautes complicités dans l'appareil d'État du royaume de Naples. En 1860, elle fut utilisée comme police officielle pour venir à bout des mouvements révolutionnaires qui suivirent l'entrée des garibaldiens dans la ville. (N. du T.)

de s'orienter, de savoir tirer de la réalité les éléments pour établir une directive afin que la classe ouvrière ne se décourage pas mais qu'elle se sente toujours dirigée et capable de continuer à lutter. La préparation idéologique de masse est par conséquent une nécessité de la lutte révolutionnaire, une des conditions indispensables de la victoire.

Les meilleurs cadres du Parti communiste italien, les héroïques combattants que le fascisme a jetés par milliers dans les bagnes, les hommes de fer qui n'ont pas plié devant les menaces, les persécutions, les tortures et la mort, ont été formés au bolché-visme par Antoine Gramsci.

Mais ce qui non seulement convainquit tout le Parti mais l'enthousiasma et l'entraîna, en donnant un coup mortel au sectarisme doctrinaire et à l'opportunisme impuissant de Bordiga ce fut l'action que Gramsci développa comme chef de parti à son retour en Italie durant la crise Mattéoti. Les conditions de la lutte étaient fort difficiles parce que le Parti, dans son ensemble, habitué par Bordiga à penser que la victoire du fascisme était chose impossible et que le fascisme n'était « nullement différent » de la démocratie bourgeoise, s'était découragé sous les coups durs de la réalité. D'autre part, le fascisme traversait de grandes difficultés parce qu'il n'avait pas encore réussi à s'emparer et à disposer complètement de l'appareil d'État et que les masses petites-bourgeoises, déçues et lésées dans leurs intérêts par la politique faite par Mussolini en faveur de la grande bourgeoisie industrielle, étaient mécontentes, murmuraient, commençaient à en avoir assez du nouveau régime et plus ou moins ouvertement prenaient position contre lui. Étant donné l'absence d'une activité politique intense du prolétariat, les divers groupes de la population travailleuse ne trouvaient pas de point de ralliement et de direction révolutionnaire à leur lutte et tombaient d'autant plus facilement sous l'influence des partis démocrates antifascistes.

La réalisation de l'hégémonie du prolétariat réclamait non seulement la reprise de combativité des ouvriers industriels mais réclamait aussi une action politique qui convaincrait les masses travailleuses et à travers leur propre expérience que seule la classe ouvrière était en mesure de mener une lutte conséquente contre le bloc des forces réactionnaires qui constituait la base de la dictature fasciste. La tactique intelli-gente et hardie du Parti communiste après l'assassinat de Matteotti fut dictée par Gramsci dans ses moindres détails. C'est ainsi que tous les groupes de l'opposition démocratique abandonnèrent les travaux du Parlement tout de suite après le crime.

Gramsci proposa que tous les groupes intervinssent à l'assemblée pour appeler le pays à la grève générale afin de chasser le fascisme du pouvoir. Cette proposition fut repoussée avec horreur par les chefs démocrates qui voulaient renverser le fascisme en chômant les travaux parlementaires et en faisant une campagne de presse. Gramsci proposa aussi la constitution d'un « anti-parlement », la grève de l'impôt des paysans et, enfin, le retour des communistes dans l'enceinte parlementaire pour dénoncer de la tribune de la Chambre les crimes du fascisme et l'impuissance démontrée des démocrates et libéraux antifascistes.

dictature fasciste, facilitait le détachement de vastes couches de travailleurs des partis démocratiques et de la social-démocratie, jetait les bases de l'alliance entre le prolétariat et les paysans, faisait sortir lé Parti de son isolement et le poussait sur le chemin de la transformation en un parti de masse.

Non seulement le Parti mais aussi la classe ouvrière était secouée par cette énergique action politique; une nouvelle période de son activité s'ouvrait qui fut brève mais extrêmement intéressante parce qu'elle fut caractérisée par l'influence croissante des communistes qui se réalisa malgré la lutte acharnée menée contre eux par les social-démocrates et malgré les persécutions fascistes. Les origines du prestige dont notre Parti jouit auprès des masse italiennes doivent être recherchées à cette époque.

Instruit par l'expérience de 1919 et de 1920 lorsque la juste analyse des problèmes de la révolution prolétarienne par les communistes turinois n'avait pas suffi à leur donner la direction du mouvement révolutionnaire, Gramsci se préoccupait d'organiser le rayonnement et l'influence du Parti non seulement en élaborant les mots d'ordre con-venant aux besoins des masses, mais aussi en développant une action systématique en direction des divers groupements politiques qui avaient une base parmi les travail-leurs, surtout ceux des campagnes, en favorisant dans leur sein des courants d'oppo-sition qui s'orienteraient vers l'alliance avec la classe ouvrière.

C'est à cette période que se situe le travail accompli avec succès pour amener les syndicats catholiques à se rapprocher des syndicats confédéraux et les éléments de gauche des organisations paysannes catholique à accepter le principe révolutionnaire de l'alliance entre ouvriers et paysans. L'influence réactionnaire du Vatican reçut ainsi un premier coup sérieux. C'est dans cette période que le Parti communiste, sur l'initiative de Gramsci, fait sienne une des revendications fondamentales des masses paysannes du Midi en reconnaissant comme juste la lutte des populations méridio-nales pour un régime autonome de gouvernement qui briserait les chaînes que l'État bourgeois fait peser sur elles. Le problème du droit des minorités nationales oppri-mées à. disposer d'elles-mêmes, le problème sarde, sont posés et discutés par le Parti communiste. Toutes les questions brûlantes de la vie de notre pays trouvent dans la propagande et dans l'action politique de Gramsci une réponse, une solution.

De cette manière la lutte contre le fascisme sort du courant des protestations et des manifestations verbales, elle devient une lutte réelle pour mobiliser de manière effec-tive contre les groupes les plus réactionnaires de la bourgeoisie toutes les couches de la population travailleuse, en empêchant en même temps que ces couches ne tombent et ne restent sous l'influence des libéraux et des démocrates bourgeois après avoir été arrachées à l'influence des chefs réactionnaires de la social-démocratie. La parole essentielle de l'action de Gramsci est la parole « unité » - unité de toute la classe ouvrière, unité du Nord et du Midi. unité du peuple tout entier. Comme à Turin en 1920, Gramsci devient sur le plan national l'homme vers lequel se tournent les

regards des masses et de tous les éléments progressistes du pays. Les vieux libéraux murmurent : « Attention à Gramsci -cet homme est le seul révolutionnaire qui ait jamais existé en Italie. » Mussolini répond à l'action du Parti communiste et des masses en accentuant la terreur, en préparant la liquidation, des derniers restes de libertés démocratiques et l'instauration de la dictature totalitaire.

Dans les derniers mois avant son arrestation, et déjà avant le congrès de Lyon au cours duquel Bordiga fut battu politiquement et Gramsci reconnu à une très grande majorité comme le chef du Parti, Gramsci nous disait la nécessité de pénétrer dans les organisations fascistes de masse pour exploiter toutes les possibilités de travail et de lutte légale dans le but de maintenir les contacts avec )es masses et d'organiser les luttes des ouvriers et des paysans, Nous commîmes l'erreur de ne pas apprécier à leur juste valeur ses indications et cela freina, après le passage à l'illégalité complète, le développement de notre travail et de notre influence.

Il fut arrêté alors qu'il était dans le plein de son activité politique et le Partit souffrit profondément de sa perte.

LE PREMIER BOLCHÉVIK

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