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2. Cadre théorique

2.4. Pour une modélisation praxéologique des relations pédagogiques

2.4.1. Premier éclairage des hypothèses par le cadre théorique

2.4.1.1. De la spécificité des outils numériques

Arrivée au terme de mon état des lieux sur les recherches et modélisations de la posture enseignante confrontée à l’outil numérique, je reprends à présent ma première question de recherche, dans laquelle je m’interrogeais sur l’existence d’une spécificité de l’outil numérique, afin de faire le bilan des réponses que j’ai pu y apporter.

Pour entreprendre ma recherche, je faisais tout d’abord l’hypothèse qu’il n’existait pas de spécificité des outils numériques au sein de la catégorie de médiation instrumentale. C’est aussi du fait de ce postulat de non-spécificité que j’ai fait le choix de ne pas donner dans ce mémoire de définition de « l’outil numérique » autre que celle de médiation technique, en y opposant, par exemple, une longue liste de dispositifs. Je ne m’intéresse pas ici à l’implémentation de tel ou tel dispositif au sein de la classe, mais plutôt à une possible modélisation commune à tous ces outils, qui s’appuiera sur des constantes didactiques et pédagogiques que l’on peut dégager à la croisée des assertions de la recherche et des perceptions des enseignants sur le terrain.

Or cette hypothèse de travail semble validée par la recherche, qui met bel et bien l’accent sur la scénarisation didactique et le rôle de l’enseignant, prépondérant dans la création du cadre d’apprentissage. Si l’on force le trait dans ce sens en montant le curseur de l’introduction des outils numériques jusqu’au terme d’innovation pédagogique, il apparaît évident que l’innovation ne viendra pas de la simple introduction d’une tablette dans la salle de classe. Elle ne peut venir que d’une conception renouvelée des conflits cognitifs opposés aux élèves et incarnés dans un usage collaboratif et problématisant de l’outil. De manière presque provocatrice, dans L’école devant les écrans, Geneviève Jacquinot affirmait déjà en 1985 que « les nouvelles technologies servent avant tout à réactualiser les modèles pédagogiques les plus archaïques » (Jacquinot, citée dans Devauchelle, 2016 : 68), en parlant d’une colonisation des technologies par les pratiques habituelles des

33 enseignants. En s’inscrivant à sa suite, Devauchelle affirme que du tableau noir l’enseignant est passé au rétro- puis au vidéoprojecteur, et au Tableau Blanc Interactif (qui servirait dans 80% des cas uniquement dans sa fonction de vidéoprojecteur) sans véritablement changer sa posture face à l’outil. Jean Houssaye va lui aussi dans ce sens dans son ouvrage La Pédagogie traditionnelle :

Quand les professeurs exploitent les moyens technologiques, c’est pour mettre en œuvre les artefacts pédagogiques qu’ils dominent le mieux, pour illustrer leurs propos, ce qui n’est pas forcément adapté aux artefacts didactiques possibles et souhaitables pour leur discipline. Donc les nouvelles technologies, elles aussi, renforcent la pédagogie classique reconnue. (2014 : 50)

Cette non-spécificité de la technologie, telle qu’elle est ici interprétée, pourrait même aller jusqu’à la mauvaise posture de l’enseignant qui n’utiliserait pas de manière adéquate les ressources qu’il met à disposition de ses élèves, ou de l’imposture d’un usage contraint pour se conformer aux attentes sociales et professionnelles de l’incontournable technologie. C’est ce qu’affirmait en tout cas Devauchelle dans l’exemple que nous citions plus haut. Mais ce n’est pas ce qui m’intéresse ici. En entreprenant cette recherche je ne souhaite pas porter de jugement sur les pratiques enseignantes, mais les comprendre afin de me les approprier et d’informer ma propre pratique de cette réflexivité didactique que permet la mise à distance du terrain par la recherche.

Au sein de cette première hypothèse de non-spécificité vérifiée par mes lectures, j’émettais tout de même une réserve concernant la modification de l’espace social de la classe qui aurait pu être propre à l’utilisation du numérique. Cet impact spécifique des outils numériques sur la classe en tant qu’espace social semble, lui, à nuancer. S’il est certain que les didacticiens présentent les outils numériques comme de formidables leviers pour développer une pédagogie de projet collaborative ancrée dans le co-agir et la communication entre pairs, une fois modélisée, j’ai pu constater que la place d’autrui dans la relation pédagogique n’est pas toujours aussi centrale. 2.4.1.2. Outils numériques et autonomie de l’élève

Ma seconde question de recherche portait sur la question de l’autonomie d’apprentissage de l’élève lors de l’utilisation d’outils numériques. En me fondant sur le postulat que tout usage des outils numériques devait être lié à une forte didactisation des contenus pédagogique (curseur de la médiation didactique proche

34 des savoirs sur le schéma de Puren, figure 4), je faisais l’hypothèse que la posture de l’enseignant en apparence effacée pouvait paradoxalement être plus transmissive en se cachant derrière la « boîte-ordinateur », comme l’appelle Serres. Derrière l’écran il y a toujours quelqu’un, disait Lombard. L’enseignant dans sa posture de concepteur didactique peut ainsi imposer un cheminement de résolution des problèmes balisé, étayer au point de révéler. Et c’est d’ailleurs ce contre quoi nous mettent en garde les didacticiens des langues-cultures comme Michèle Catroux ou Christian Puren, en recommandant une conception des scénarios didactiques qui offrent véritablement à l’élève la place centrale dans le processus apprentissage, où il pourra résoudre seul — ou en collaboration — les conflits cognitifs qui se présentent à lui, et mettre à l’épreuve ses connaissances et compétences dans un agir social.

L’idée d’une autonomisation de l’apprenant par un travail de métacognition qui doit entourer une utilisation en toute conscience de l’outil numérique semble donc se confirmer. Et elle détermine également la posture envisagée par l’enseignant lors de la didactisation des contenus.