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3. Recueil de données

3.1. Explicitation de la démarche

3.1.1. Les modalités retenues

La constitution de ce recueil de données avait ainsi pour objectif d’éclairer et de nourrir par le terrain les explorations théoriques et premières réponses à mes hypothèses : existe-t-il une spécificité de l’outil numérique ? Cette spécificité est-elle didactique ou bien sociale ? L’élève est-il perçu comme plus autonome lorsqu’il utilise les outils numériques ? Cela influe-t-il la posture de l’enseignant dans la classe ?

Si j’ai retenu la modalité de l’entretien, c’est parce que, plus qu’une réalité objectivement observable — si tant est que cela soit possible —, ce qui m’intéressait le plus, c’était de pouvoir prendre appui sur les représentations des enseignants, sur leur vécu tel qu’ils peuvent le mettre en mots et l’analyser, pour affirmer un modèle de posture enseignante opérant dans lequel ils pourraient se reconnaître.

Pour cibler les hypothèses auxquelles je voulais répondre sans limiter les réponses formulées par les participants ou brider la libre expression de leurs ressentis, c’est un modèle d’entretien semi-directif que j’ai élaboré, avec un guide (disponible en Annexe 4, p.95) de six questions principales, déclinées en relances possibles pour approfondir les concepts clefs de mon analyse. L’ordre des questions n’a pas été systématiquement respecté pour correspondre au mieux à l’élaboration du discours réflexif de l’enseignant et l’amener à expliciter une éventuelle conceptualisation de sa pratique.

Ce discours sur l’action est, pour moi, capable de faire surgir, non seulement des actions enseignantes précises, des situations pédagogiques dans une forme de partage d’expérience avec la chercheuse (représentée en troisième personne dans les transcriptions), mais aussi de traduire la « culture » de l’enseignant interrogé, dont parlait Devauchelle, et qui transparaît dans ce partage, tout comme les opinions qui la forment, et les émotions qui découlent de la rencontre entre ces deux pôles, et qui font toute la richesse et la complexité de la posture enseignante.

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3.1.2. Biais et limites du recueil

Cette enquête de terrain a nécessairement été soumise au biais de mon contexte d’exercice. J’ai en effet fréquenté tous les enseignants que j’ai sollicités en tant que collègues dans le cadre professionnel de mon établissement, le lycée Chevrollier (Angers). Si des échanges informels autour des outils numériques avaient pu avoir lieu avec certains d’entre eux au cours de l’année, ils n’ont toutefois pas eu connaissance du sujet de cette recherche avant que je ne leur fasse une demande officielle d’entretien. Il n’en demeure pas moins vrai que l’une des possibles conséquences de ce rapport privilégié avec les professeurs interrogés serait une volonté de « faire plaisir », en abordant les usages des outils numériques en classe sous un angle positif dans les réponses apportées. Ce biais m’a parfois semblé apparent dans le traitement des données, par exemple, lorsqu’à la question « Pour toi quel impact ont les outils numériques en classe sur la communication ? », la réponse semble formulée à partir du postulat que la réaction attendue doit être positive :

Bah j’ai du mal à dire. Sur la communication ? +++ J’ai PAS forcément l’impression que ce soit tant que ça un :: comment dire ? Quelque chose qui :: + favorise la communication, finalement. + Enfin (soupir) pas plus qu’un travail bien ; mené et bien conçu sur des documents non num- enfin sur des outils non-numériques quoi. (Corpus Chevrollier, Entretien M)6

Les modalités de la pré-enquête exploratoire que j’avais menée en Master 1 (disponible en Annexe 6.1, p.97), qui visait davantage la perception de l’usage du numérique que la posture de l’enseignant, m’avaient permis de limiter en partie ce biais et de faire surgir des « inconvénients » dans ces usages et perceptions. Si l’on compare alors avec le Corpus Chevrollier, on pourrait s’étonner qu’aucun participant ne mentionne, par exemple, les usages « détournés », selon la terminologie de Devauchelle (2019 : 67), de l’outil numérique par les élèves. Pour illustration, tandis que C lamente longuement un usage peu réflexif des outils traducteurs dans les inconvénients (Corpus Pré-enquête, cf. infra p.103), L adopte une vision positive de ces mêmes outils utilisés par les élèves :

Bah je trouve les élèves assez débrouillards sur tout ce qui est outil de TRADUCTION, d’ailleurs ils m’ont fait découvrir souvent des outils de traduction qui sont pas mal, que je connaissais pas. (Corpus Chevrollier, Entretien L)

45 Cependant, ce recueil n’a pas pour vocation de valider ou invalider l’utilisation des outils numériques par les enseignants ou les élèves, mais bien de me permettre de prendre appui sur des vécus et des opinions qui se sont développés autour de ces usages, afin d’éclairer mes hypothèses de travail sur la posture de l’enseignant modifiée par ces outils. Par conséquent, je juge que le biais, tel que je l’identifie ici, est acceptable, et ne mettra pas en cause la garantie d’une objectivité scientifique dans le traitement de ces données.

Après avoir un temps envisagé de me concentrer sur le cas des enseignants d’espagnol, j’ai finalement pris le parti de solliciter mes pairs professeurs-stagiaires (J et JP), ainsi que des professeurs plus chevronnés, dans les deux autres langues enseignées au sein du lycée (A et J en anglais, JP et M allemand), pour étudier de possibles similitudes et différences disciplinaires au sein d’une même génération d’enseignants, issus de la même formation (le Master MEEF des INSPE de l’Université de Nantes), mais également les différences d’usages, de perceptions et d’analyses entre générations.

3.1.3. Constitution et analyse du recueil

J’ai réalisé sept entretiens individuels d’une quinzaine de minutes à distance, qui constituent le Corpus Chevrollier (disponible dans son intégralité en Annexe 6.2, p.109). Pour six des sept entretiens, ils ont été réalisés en visioconférence, mais pour plus d’objectivité, et tenant compte des limites de mon statut de chercheuse peu aguerrie, les indices posturaux physiques ne seront pas signalés dans les transcriptions et analyses du corpus.

Pour la transcription de ces entretiens saisis dans le vif de l’oral, j’ai adopté les normes proposées par Francine Cicurel (reportées en Annexe 5, p.96) en y ajoutant cependant une ponctuation qui, pour moi, a facilité la lecture et le traitement des données.

Dans une première partie, après un traitement quantitatif des entretiens qui me permettra d’établir une typologie des activités et outils cités par les enseignants, ainsi que leur fréquence d’apparition dans les cours de langue-culture, j’établirai un premier état des lieux sur le rapport entre outils numériques et posture enseignante.

46 Je mettrai tout d’abord en évidence les objectifs de ces pratiques, tels qu’ils sont exposés par les professeurs grâce à un traitement lexical. Je dresserai ensuite un rapide comparatif, générationnel et disciplinaire. Je terminerai enfin par un bilan du sens que je donne à ces choix pédagogiques dans le cadre de cette recherche intervention, en m’appuyant sur le cadre théorique préalablement établi.

Dans un deuxième temps, je proposerai une analyse quantitative portant cette fois sur la perception qu’ont les enseignants de leur propre pratique, grâce à une grille de lecture conçue en amont des entretiens (disponible en Annexe 8, p.146). Je confronterai cette fois les réponses du terrain aux hypothèses que j’avais avancées pour démarrer cette recherche, et ainsi ébaucher les contours d’une posture enseignante médiatisée telle qu’elle est décrite par les acteurs eux-mêmes.

Enfin, j’approfondirai d’abord cette analyse à la lumière du cadre théorique exploré, en m’intéressant de manière plus qualitative aux enjeux posturaux qui sous- tendent les témoignages recueillis. Puis je terminerai mon exploration du champ par la confrontation du modèle de sablier des relations pédagogiques proposé, aux exemples de terrain et retours réflexifs proposés par les participants.

3.2. Les outils numériques en classe de langue-culture au lycée