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La Première guerre mondiale agit comme un révélateur à l'égard des écrivains autrichiens. Elle met en relief leur sentiment vis-à-vis de l'identité nationale, qui évolue avec le temps ; évolution qui en montre bien la fragilité, le mal fondé.

Très schématiquement, c'est d'abord la germanophilie qui l'emporte (à l'exception notable de Hofmannsthal, franchement austrophile) puis, dès la fin de la guerre, le regret de ce que tous conviennent d'appeler une boucherie inutile, une duperie, dans laquelle l'Empire est bien-sûr le grand perdant.

La guerre ... vite !

C'est avec un certain recul que beaucoup d'écrivains font un bilan de la guerre ; c'est a posteriori qu'ils sont mieux à même d'en analyser les origines. L'ébauche d'essai de Musil intitulée La fin de la guerre (ca. 1918) est édifiante à cet égard. Un argument de choc qu'il avance : "L'homme de 1914 s'ennuyait littéralement à mourir !" 105 est

étayé par un constat choquant : "Il faut également, si l'on veut savoir comment aboutir à la paix, se demander comment on a abouti à la guerre. Je crois que la réponse la plus juste est que nous en avions assez de la paix !" 106

Il développe ce point de vue en disant que : « l'Europe était en proie à une grave dépression, tout comme l'Allemagne ; la religion était morte, l'art et la science uniquement destinés à des initiés, la

philosophie réduite à une science de la connaissance, le principe de la vie de famille devenu un monstre d'ennui, les distractions rendues nécessaires avec une pointe d'excentricité pour sortir de l'ordinaire, l'ouvrier transformé en robot, les distances fondues au soleil mais sans que cette quasi-ubiquité satisfasse réellement l'individu. 107

Tous arguments usés jusqu'à la corde et revenant

perpétuellement à la bouche des amateurs de conflits, lorsqu'une période de paix se prolonge à leurs yeux un peu trop ; bref, le principe de la "bonne guerre" ...

La mort

A cet ennui, deux remèdes, deux solutions radicales : la mort et la défense acharnée de valeurs perdues.

105

Musil, R. - Essais, conférences critique, aphorismes, réflexions ; textes choisis trad. et présentés par Ph.

Jaccottet, d'après l'éd. d'A. Frisé. Paris : Seuil, 1984, p. 342

106

Ibid., p. 341

107

La mort peut être recherchée pour elle-même : c'est une

première analyse. La mort peut aussi être en liaison avec cette défense des valeurs : mourir pour elles.

La mort pour elle-même est une variante du suicide. La guerre est alors un puits dans lequel on se jette volontairement, une façon comme une autre de se dissoudre dans le néant. On retrouve là les procédés dont nous parlions dans le chapitre sur la judéité. La guerre comme une aide au suicide, une manière "polie" et conforme aux normes sociales, de disparaître.

Mais on ne s'abaissera pas à le dire crûment ; du moins n'avons nous pas relevé de citation significative de cette envie non retenue de se suicider en uniforme. Musil, dans le même texte, écrit simplement : "la cause de la guerre ... est l'absence de tout sens supérieur de la vie."

108 Musil, avons-nous vu, considérait l'ennui comme une origine

certaine du conflit. Kraus ne se placera pas seulement sur le plan des idées, il ira droit au but : "La cause de la guerre ? Qu'à Berlin, ils ont pissé sur du marbre" 109, ce qui, somme toute, revient pratiquement au

même ... Lorsque les latrines sont rudimentaires, on combat pour la survie, pas pour la gloire ou la plus-value ...

Entre gens de bonne condition, on parlera d'idéaux. Si

nombreux sont ceux qui invoquent ces idéaux comme fer de lance de la guerre, Musil (toujours a posteriori) les jugera comme une

supercherie, un prétexte à peine valable pour s'adonner au conflit ... "On peut ramener la guerre à cette formule : on meurt pour ses idéaux, parce qu'il ne vaut pas la peine de vivre pour eux. Ou bien : l'idéaliste a moins de peine à mourir qu'à vivre." 110

C'est là, nous semble-t-il, une façon très diplomatique d'avouer la recherche de la mort pour elle-même : le serpent de l'idéal se mord la queue dans une contradiction qui équivaut à son anéantissement pur et simple.

Pour cacher la honte du suicide, on le décorera, on y verra une résurrection, la vraie vie. A propos du Merle (Oeuvre pré-posthume de Musil, parue en 1936), Marie-Louise Roth écrit : "la mort que le soldat rencontre dans les tranchées devient, peu à peu, après l'angoisse, une valeur positive, parce qu'elle offre à l'individu une possibilité de

résistance, de dépassement et de libération." 111 Dans Tarabas, Roth

considère la déclaration de guerre entre l'Autriche et la Russie comme l'occasion propice à l'expiation du crime au sens large. La guerre est donc un acte purificateur. D'une victime du "théâtre" des opérations, Roth écrit: "Il a été bon soldat à la guerre, parce qu'en vérité il aspire à la mort et parce qu'à la guerre la mort est toute proche." 112

Le conscrit, angoissé par l'idée de la mort, mais obligé, par son état militaire, d'y être confronté, devra se faire une raison et se

raccrocher à cette "valeur positive" dont parlait Marie-Louise Roth. Ici, nous avons affaire à un autre type d'analyse de la mort. Le Merle parle

108

Ibid., p. 342

109

Kraus, K. - La Nuit venue ; trad. R. Lewinter. Paris : Gérard Lebovici, 1986, p. 176

110

Musil, R. - Essais, p. 342

111

Roth, Marie-Louise. - Robert Musil : l'homme au double regard. Paris : Balland, 1987, p. 248

112

Roth, Josef. - Tarabas ; trad. Michel-François Demet. Paris : Seuil, 1990 (Points Roman, R389), p.146

du soldat, du quidam enrôlé, pas nécessairement de l'intellectuel torturé pas ses problèmes identitaires, par l'absence de repères et de valeurs. Mais dans les deux cas, il y a édulcoration ou plutôt

glorification de la guerre.

Kraus est très sévère à cet égard. Il estime que le service

militaire obligatoire apparaît comme une "libération", qu'il crée un "état clair", la "possibilité, par devoir et accident, de retourner comme un héros, est plus enivrante à vivre pourtant que la certitude morte

d'avoir à vivre derrière le héros et de rester, inactif, sans défense, sur le front de l'esprit toujours ennemi." 113

Peut-être y a-t-il là un autre aspect de l'indécision, de la

lâcheté, ou encore une manifestation orphique du "mourir pour vivre", étroitement associé aux notions de faute, d'expiation et de rédemption. Dans La Mort de Georges, Beer-Hofmann raconte la parabole des

enfants d'Argos : dans le Temple où résonnent leurs prières en vue de gagner les Olympiades, une fois ablutions et sacrifices accomplis, ils meurent avant d'avoir connu ce pour quoi ils étaient venus prier. "Ils connurent ainsi la meilleure fin possible, et les dieux démontrèrent de cette façon qu'il est plus doux pour l'homme de mourir que de vivre."

114 Ainsi paraît-il naturellement plus facile de mourir pour des idéaux

que de vivre en essayant de les rendre tangibles sur le terrain...

Nationalisme et patriotisme

Dans la pièce de Hofmannsthal, intitulée Der Schwierige (1920), on assiste au retour de guerre de Hans Karl (le retour de guerre est un thème très souvent évoqué dans le roman autrichien de cette époque). Vis-à-vis du héros, la guerre n'avait rien de destructeur mais était au contraire une source de régénérescence. Wolfram Mauser fait

remarquer que : "So wie Hofmannsthal jedoch den Krieg im Stück vergegenwärtigt, ist er (der Krieg) nichts Zerstörisches, und das Verschüttetwerden Hans Karls stellt keine fatale Bedrohung seiner Existenz dar, nichts Inhumanes, sondern eine Chance, zu sich selber zu finden, seine Bestimmung zu erkennen, die Würde des Menschen zu erfahren." 115

On ne saurait trop insister sur ce côté éminemment purificateur de la guerre. Ici, la notion de souillure, d'imperfection, de négation, est associée au multiple, au décomposé, au flou. C'est contre ces concepts du "pluriel" que la purification de la guerre doit agir en profondeur. Nous verrons comment retrouver là le concept d'identité nationale autrichienne ; comment, pour "remédier" à sa pluralité, l'Autriche de 1914 va se jeter dans le principe lourdement simplificateur et

unificateur de l'Anschluß.

Einheit, Gemeinsamkeit, Zusammengehörigkeit : telles sont les trois valeurs mises en exergue par Der Schwierige pour déduire "aus dem Zufälligen und Unreinen : das Notwendige, das Bleibende und das Gültige." 116

113

Kraus, K. - La Nuit venue, pp. 129-130

114

Beer-Hofmann, Richard. - La Mort de Georges ; trad. Jacques Le Rider. Paris : Ed. Complexe, 1990, p. 143

115

Mauser, Wolfram. - "Österreich und das österreischiche in Hofmannsthals Der Schwierige", in : Recherches germaniques, 1982, N°12, p. 116

116

Le hasardeux et l'impur : ce sont les apanages de la civilisation autrichienne décadente aux yeux des germanophiles ; qu'ils soient aryens ou juifs. Mais la germanophilie est une attitude extrême en- deçà de laquelle on relève malgré tout des nuances. Celles-ci ne sont pas simples à percevoir. Elles naviguent entre une neutralité de bon ton et une austrophilie totale.

Il faut admettre au départ que l'Autriche n'a pas eu son Fichte. En 1919, Musil avait noté : "Pour que notre peuple, au prochain jour de l'utopie, soit bien armé, nous devons l'y préparer. Nous devons assurer le fait que nous n'avons pas écrit pour lui de Discours à la nation allemande. Que nous le laissons en plan dans son malheur." 117

Laissé en plan, l'Autrichien ne l'était que trop au début du siècle par rapport à son identité nationale.

Aussi le patriotisme était-il un sentiment difficile à définir, en équilibre instable entre Heimat et Vaterland.

A ce propos, l'analyse que fait Richard Miklin de ces deux notions chez Schnitzler met l'accent sur l'évolution très lente de l'idée que se fait cet écrivain de la patrie autrichienne, typique de l'instabilité constatée chez les uns et les autres.

Le dialogue Leo Golowski - Bermann, au chapitre 3 de Vienne au crépuscule expose les idées de l'auteur dans ce domaine. Il

développe la différence entre Vaterland et Heimat.

Le premier est "eine Fiktion, ein Begriff der Politik, schwebend, veränderlich, nicht zu fassen. Etwas Reales bedeutete nur die Heimat, nicht das Vaterland ... und so war Heimatsgefühl auch

Heimatsrecht." 118.

Schnitzler a une tendance au Heimatsgefühl mais pas au Patriotismus. Il aime la "Sprache, die mein Vater sprach." 119

Souvenons-nous au passage de l'importance qu'attache Kraus à cet argument. L'auteur du Junge Medardus avoue : "Je n'aime pas ma patrie parce qu'elle est ma patrie mais parce que je la trouve belle. J'ai le sens de la terre natale, mais pas du patriotisme." 120

Le patriotisme de Schnitzler, en tant que tel, s'éveille aux premiers jours de la guerre ; il est convaincu que ni l'Autriche, ni l'Allemagne n'en sont responsables. Elles l'auraient considérée comme

117

Musil, R. - Journaux ; trad. Ph. Jaccottet, d'après l'éd. allemande d'A. Frisé. Paris : Seuil, 1982, 2 vol. t.II, p. 29

118

Schnitzler, A. - Die erzählenden Schriften, Bd. 2,

Frankfurt : S. Fischer, 1961, p. 719 ; trad. R. Dumont (Vienne au crépuscule ; Stock, 1985), pp. 95-96

119

Schnitzler, A. - Aphorismen und Betrachtungen ; éd.

Robert O. Weiss. Frankfurt : S. Fischer, 1967, p. 231, cit. p. Miklin, Richard. - "Heimatliebe und Patriotismus : Arthur Schnitzlers Einstellung zu Osterreich-Ungarn im Ersten

Weltkrieg", in : Modern austrian literature, 1986, vol. 19, N° 3-4, spéc., p. 198

120

Schnitzler, A. - Relations et solitude : aphorismes ; trad. Pierre Deshusses. Paris-Marseille : Rivages, 1988 (Petite Bibliothèque Rivages), p. 64

une Verteidigungskrieg, à l'inverse des Alliés. Il insiste sur l'union de la Monarchie avec l'Allemagne.

Plusieurs citations extraites de son Tagebuch et de sa

correspondance démontrent que, petit à petit, "aus dem Heimatsgefühl war Patriotismus geworden." 121

Mais peu à peu, il se rend compte que ses opinions

propagandistes sont "récupérées", notamment après les premières représentations de Der junge Medardus. Il veut se positionner

clairement par rapport à cette méprise, disant qu'il ne perd de vue ni "Urteil, Gerechtigkeit und Dankbarkeit." Dans cette rétractation, il utilise le mot Heimat et non Vaterland pour n'être pas soupçonné de "trahison", mais seulement pour exprimer une opinion sur le Heimat, plus neutre, plus subjectif. Cela ne l'empêche pas d'être attaqué par les antisémites. L'action toujours plus intense de ceux-ci contribue à modérer les premières flammes patriotiques de Schnitzler.

Peu à peu, la différence entre Heimat et Vaterland va

s'estomper. Car pendant les premiers temps de la guerre, déjà, on faisait peu cas des blessés juifs et on allait jusqu'à souhaiter qu'ils combattent en première ligne, que ce conflit contribue à leur extinction progressive : "ist dieses Land zu retten ?" "Was geht uns dies Land an ?" 122

La différence évoquée s'estompe mais, cependant, ne disparaît pas tout-à-fait. A l'annonce du conflit austro-italien, en Mai 1915,

Schnitzler montre qu'il a abandonné toute attache avec ce Vaterland des diplomates et des monarques qui poussent à une guerre inutile. Il se montre au contraire enraciné dans le Heimat, à l'instar du poète Sylvester Thorn, héros de la pièce qu'il intitula : Der Gang zum Weiher :

Jetzt war's die Heimat erst, die mich umgab - Der Erdenfleck, der mir gehört, so wie

Ich ihm, wer immer hin als Fürst beherrsche 123

D'où son écartèlement entre ses racines et leur apparence aux yeux du monde, son sentimentalisme par rapport au pays de sa jeunesse et son dégoût par rapport à ce qu'en font ses responsables politiques.

Le 1er Novembre 1918, il refusera de participer à un conseil national juif "als österr. Staatsbürger jüdischer Race [sic] zur

deutschen Kultur mich bekennend." 124

A la fin de la guerre, il dit n'être pas effondré par la chute de la Monarchie, car si le Vaterland a éclaté, le Heimat subsiste toujours, il n'y a pas eu "Zerstörung des Gefühls der Zugehörigkeit zu Sprachraum und Landschaft.".

Il fait une allusion marquée à l'"unsäglichen Schwierigkeit des Dazugehörens und doch nicht ganz Dazugehörens." 125 Il se pose

121

Miklin, R. - Heimatliebe und Patriotismus, p. 200

122

Schnitzler, A. - Tagebuch 1913-1916 ; éd. W. Welzig. Wien: Öster. Akad. der Wissenschaften, 1983, p. 127

123

Schnitzler, A. - Die dramatischen Werke. Frankfurt : S. Fischer, 1962, Bd. 2, p. 770

124

Schnitzler, A. - Tagebuch 1917-1919 ; éd. W. Welzig. Wien: Öster. Akad. der Wissenschaften, 1985, p. 196

d'ailleurs la question : "Wer hat zu entscheiden, wohin ich gehöre ? Ich allein." 126. Ce que les menées antisémites puis nazies contrediront

brutalement par la suite.

Le 15 Novembre 1880, il avait écrit, sous forme de dialogue, un essai intitulé Über den Patriotismus. Le narrateur principal, celui qui est mis en avant et qui, dans la psychologie du lecteur, est susceptible de refléter la pensée de l'auteur, est patriote. En fait, Schnitzler se dissimule sous les traits du protagoniste (Baldwin) qui est, lui,

antimilitariste et dévalorise le concept de patriotisme. Il agit ainsi par prudence à l'égard d'une censure toujours très forte (cette façon de faire n'est pas sans rappeler celle de Roth). Son essai décrit

prudemment les événements français de l'époque et en particulier l'appel au réarmement de Gambetta à Cherbourg. Il a publié ce volume à Münich (et non en Autriche) où ce discours, comme dans toute

l'Allemagne, devait avoir un retentissement certain. Là encore, on assiste à une dérobade, mais c'est aussi une manière efficace

d'"enfoncer le clou". Le narrateur, ainsi que l'explique A. Clive Roberts, "elaborates about the cosmopolitan who “recognizes his own

weaknesses” (his inability to truly love all of mankind) and ends up trying to bring happiness at least to the country in which he was born." 127 Cet argument du narrateur "is a seriously stated version of

Schnitzler's cynical attack on patriotism in his earlier diary entry." 128

A la fin, on ne sait plus très bien si Baldwin est vraiment contre le patriotisme. Le discours est plus ou moins contradictoire. Schnitzler utilise une "veiling technique". Il use notamment de l'ambiguïté du terme "Egoismus", fondement des dérèglements occasionnés par le patriotisme. Il peut à la fois se rapporter au "Ich" dont la force est le nerf de la guerre, mais aussi à ce vice égoïste qu'est le chauvinisme.

Clive Roberts cite à nouveau l'exemple de la censure a posteriori de Der Ruf des Lebens où Schnitzler réfute les motifs de celle-ci, en admettant que les propos du soldat pacifiste Albrecht "might be seen as anti-war (unkriegerisch) but not as unpatriotic or anti-Austrian." 129

La scène incriminée est d'ailleurs suivie (comme dans Über den

Patriotismus) d'une contestation en règle de ce qui vient d'être dit, par mesure de protection. Le pro-germanisme (au sens politique) de

Schnitzler pendant la Première Guerre n'a duré que quelques

semaines. Il devint rapidement pacifiste à travers des écrits consignés dans un recueil intitulé Und einmal wird der Friede wiederkommen dont le contenu sera publié en 1939 par le fils de l'auteur, puis en 1967 sous le titre Aphorismen und Betrachtungen.

Grâce à Zweig, il connut Rolland, qui l'encouragea dans cette voie.

Par rapport à notre problème d'identité nationale, ce qui nous semble le plus frappant dans les analyses de l'attitude de Schnitzler,

125

Anders, Günther. - Besuch im Hades. München : C.H. Beck, 1979, p. 20

126

Schnitzler, A. - Tagebuch 1917-1919, p. 204

127

Clive Roberts, A. - "On the origins and development of Athur Schnitzler's polemical critique of patriotism,

militarism and war", in : Modern austrian literature, 1986, vol. 19, N°3-4, p. 216

128 Ibid. 129

c'est avant tout cette difficulté du "Dazugehörens und doch nicht ganz Dazugehörens", expressions typiques de l'incertitude du Juif

autrichien.

L'attitude de Hofmannsthal est une première étape vers plus d'assurance, une manière de résoudre cet imbroglio de la crise

identitaire. Une dégradation de cette incertitude, si tant est qu'on en vienne à considérer l'incertitude totale comme une position idéale, source de richesse esthétique et morale, par opposition à la

germanophilie inconditionnelle, simplificatrice à outrance, et donc pauvre ...

Dans son essai intitulé Oui à l'Autriche et (prudemment ?) sous- titré Pensées pour l'instant présent (1914), Hofmannsthal analyse (et cela, on l'a vu n'est pas nouveau ...) la crise et les difficultés comme sources de bien-être, de régénération. 1914 serait une "réédition" de 1863, point de départ du thérésianisme et du joséphisme. "Bien des choses de l'Autriche de 1830 et 1860 sont encore là ... mais les mélanges sont différents, les possibilités sont autres ..." 130.

Hofmannsthal est convaincu que les choses vont changer et que cette guerre -défensive- est bénéfique pour l'Autriche. Le renouveau qu'elle laisse présager est tout entier entre les mains de l'armée, symbole d'unité politique et morale, "manifestation la plus intense de la vie politique qui ait été réalisée dans ce double empire." 131 contrairement

à toutes les manifestations politiques des 25 ou 30 dernières années. "Le respect des partis l'un pour l'autre est la base de toute vraie politique." 132 Le malaise survient lorsque l'un reconnaît la puissance

de l'autre, lorsqu'on en a peur, mais sans vouloir en convenir

vraiment. Hofmannsthal dit que ce fut trop longtemps le cas mais que la guerre fait table rase, tel "un immense phénomène météorologique"

133 Hofmannsthal paraît très optimiste : feinte ou réalité ? Pour lui,

l'atmosphère a "quelque chose qui n'est pas complètement, purement européen, mais ... colonial, au sens élevé du terme" 134 à l'instar de

l'armée d'Eugène de Savoie qui, après avoir libéré Vienne, "s'enfonça vers l'Orient et le Midi - armée non seulement de soldats mais de conquistadores et de conquérants de l'avenir." "Un Etat comme celui- ci, voulu par les puissances suprêmes, ne se dérobe pas à sa destinée.

135

Hofmannsthal, à certains égards, reprend le "Nach Osten !" des Prussiens au compte de l'Autriche. Nous verrons plus loin qu'il voit une vocation charismatique dans le destin de l'Empire, voulu par Dieu pour sauver l'Occident. Ce fanatisme de salon nous semble une forme mal déguisée de fuite en avant qui permet à beaucoup de "profiter" de cette occasion unique que leur offre la perspective d'une guerre, pour foncer aveuglément dans le paysage du non-être et résoudre des problèmes non seulement individuels mais aussi collectifs au niveau de leur communauté d'origine.

Dans Der Schwieriege, Hofmannsthal, disions-nous, mettait en