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Conclusion : l'énigme autrichienne

II. L'ETRE AUTRICHIEN FACE AU LANGAGE

A une nécessité dans le monde correspond une règle arbitraire dans le langage.

L.Wittgenstein, Les Cours de Cambridge (i)

Débarrasse-toi toujours de l'objet privé en prenant comme hypothèse qu'il change constamment, mais que tu ne le remarques pas parce que ta mémoire te trahit constamment.

(i) Wittgenstein, L. – Les Cours de Cambridge (1930-1932) ; ed. Desmond Lee, trad. Elisabeth Rigal. Mauvezin : TransEurop Repress (T.E.R.), 1988 (TER bilingue), p. 66

(ii) Wittgenstein, L. – Remarques sur la philosophie de la

psychologie ; trad. Gérard Granel. Mauvezin : TransEurop Repress (T.E.R.), 1989 (TER bilingue), p. 203

C

HAPITRE

I : Arguments philosophiques

et mythologiques

Cet homme-là n'est pas moi... je suis celui qui a sa place ailleurs

(Hofmannsthal,, Conte de la femme voilée [42])

Une étude des problèmes de l'identité autrichienne a pu faire ressortir deux thèmes :

- l'Autriche-Hongrie, état contradictoire, à la fois nécessaire et voué à la désintégration

- la judéité, communauté de personnes typique de cet Etat, substrat économique, artistique et intellectuel de l'Empire,

indispensable et capitale, mais aussi vouée à l'anéantissement (antisémitisme et jüdischer Selbsthaß)

Ces deux situations reflètent une image exprimée par Musil dans ses Essais : un élément endogène auto-multiplicateur, dont la neutralisation est à la fois nécessaire et impossible, justification de l'existence de l'organisme, bien que celui-ci doive impérativement lutter contre lui (la tumeur maligne). Cela nous ramène à une image évoquée par Heinrich Eduard Jacob à propos de Zweig : "Lui, si profondément empreint de la théorie de Tolstoï selon laquelle on ne surmonte le mal “qu'en ne lui résistant pas”". 43

Nous voudrions maintenant retrouver les sources de cet état de conscience dans une philosophie qui relie les pré-socratiques à

Wittgenstein, en passant par Schopenhauer, Mach et Weininger. Stefan Zweig nous y introduira à travers son essai intitulé Le Combat avec le démon, dans lequel il évoque les destinées de Hölderlin, Kleist et Nietzsche.

Ces trois figures ont notablement inspiré son idéologie, comme celles de Roth et de Hofmannsthal et, de manière plus subtile celles de Musil, Schnitzler et Broch.

Le Combat avec le démon nous servira de lien avec

Schopenhauer et, plus loin, avec Empédocle (dont Kleist, comme tant d'autres, a célébré la mort), ainsi qu'avec l'Orphisme.

La perte d'Eurydice par le Poète nous conduit, par certains détours que nous analyserons, à Wittgenstein, notamment à sa notion de "couche limite de la langue". Ce jeu de mots évoque à son tour la mécanique des fluides et la relativité qu'étudia Mach, dont les dérives en psychologie servirent de sujet de thèse au doctorant Musil.

La "couche limite", quant à elle, nous ramène peu ou prou à la notion de frontière, tant d'Autriche-Hongrie que de la judaïté qui s'y épanouit.

42 Hofmannsthal, Hugo von. - Andréas et autres récits ; trad. Eugène Badoux et Magda Michel. Paris : Gallimard, 1970, p.202

43 Zweig, S. - L'Amour inquiet. Correspondance (1912-1942) ; trad. Jacques Legrand. Paris : Des Femmes, 1987

La langue, elle, est le flux vital de la destinée juive, le Logos, la Langue unique et babélisée. Langue torturée, anéantie par la Lettre de Lord Chandos, écartelée dans la forêt d'oxymorons qui peuplent la Mort de Virgile.

L'écartèlement d'Orphée par les Ménades, c'est le morcellement du Même, le propre de la répétition ennuyeuse au sens où l'entend Schopenhauer, la ventilation du Même dans le temps, qui crée des tranches successives de présent ennuyeux. Quant aux Ménades, elles représentent ce sexe honni par un Weininger hyper-névrosé, dont le suicide est la seule planche de salut. Le salut dans la mort volontaire, voilà une image fréquente chez les auteurs ici étudiés.

Dans ce même domaine de la névrose, nous ne manquerons pas d'entrevoir des symptômes de schizophrénie à travers les angoisses de Lord Chandos : double, reflet, image ; frontières encore et toujours... Couple, faux couple, faux jumeaux, Ulrich-Agathe, autre état.

Roman inachevé, inachevable, l'Homme sans qualités, car il vaut mieux sans doute ne pas l'achever. Tel autre Poème, l'Enéide, peut-il voir le jour ? Sa publication n'équivaut-elle pas à son arrêt de mort ? Grave question qui hantera le Virgile de Broch jusqu'à son dernier souffle.

Ces perspectives sembleraient mettre en évidence deux traits essentiels de notre propos :

- la séparation de fait (représentation platonicienne) - la perpétuelle volonté vaine d'unir (orphisme)

avec leurs corollaires : absence d'espace dans l'espace, de temps dans le temps, de vie dans la vie, et surtout de mots dans le Poème.

Sur cela se greffe la problématique de la faute. Nous avions évoqué l'image musilienne de la tumeur maligne ; nous retrouvons une autre image, due cette fois à Empédocle : l'individu doit être châtié du fait qu'il est "tombé dans le multiple".

L'Agrigentin lui-même se disait "vagabond, exilé des dieux...". Fuite à cause du multiple, exil..., autant d'idées qui traversent les oeuvres autrichiennes, soit directement dans la fiction des romans, soit de manière plus subtile dans la linguistique, la philosophie ou la psychanalyse, et enfin dans l'histoire politique et sociale de l'Empire.

Si l'on veut bien se pencher sur la fiction des romans, il apparaît que le thème de l'exil, de la fuite, se manifeste à maintes reprises à travers deux images : celle du voyage mythique, auquel est associé le "temps des gares", et celle du travail, autre exutoire qui revêt chez certains un aspect rédempteur, expiatoire, profondément moral, mais dont l'absence de terme génère l'idée (et parfois l'acte) de suicide. Avant de conclure précisément sur celui de Zweig, évoquons en marge quelques exemples.

On avance sans savoir vers où, mais on avance :

Ainsi tout est plein de polarité et de double sens, écrit Broch, et le voyage mythique vers l'embouchure du fleuve peut devenir en même temps une "mauvaise descente", un abandon des zones du "Sur-Moi", un glissement dans le "Ça" (das Gleitende), l'abandon de soi-même aux filets les plus anonymes qui soient et précisément pour cela à

pour l'homme, pour sa rage de se défaire des qualités humaines qui lui ont été conférées afin que, libéré de la pudeur, il puisse retomber à la condition originelle, par une rechute dans l'état de première enfance. 44

Nous croyons voir une bonne illustration de ce voyage mythique dans la vision qu'avait Henri Bermann dans le livret de son opéra. Ainsi lisons-nous dans le roman de Schnitzler, si justement intitulé Der Weg ins Freie, l'histoire d'un condamné embarqué pour son dernier voyage à bord d'un fabuleux navire. Il lui est révélé que la durée de la traversée peut être éphémère ou friser l'éternité. Qu'il a droit de s'y adonner à tous les plaisirs de la chair : il est en fort élégante

compagnie et les mets les plus délicats sont à sa disposition, sans épuisement possible. Il est amené à perdre les notions de temps comme d'espace. Bref, toutes les conditions du voyage mythique que Broch décrit chez Hofmannsthal sont réunies. Mais au bout du fleuve, l'embouchure attend, inévitable ... Schnitzler y substitue une île, dont la finalité est la même.

Ainsi s'adresse au condamné l'incarnation du Destin :

Demain ... ou dans deux, dans sept jours ou dans un an ou dans dix, ou plus tard encore, ce navire s'approchera d'une île; là au bord de la rive, sur un rocher, se dresse un portique de marbre. La mort vous y attend. La mort. Votre meurtrier est avec vous sur le bateau. Mais seul celui qui est destiné à être votre bourreau le sait. Personne à bord ne le connaît. Bien plus, personne ne soupçonne que vous êtes voué à la mort. Ceci, gardez-le soigneusement pour vous, car si vous laissiez paraître d'une façon quelconque que vous connaissez votre sort, vous serez mis à mort sur l'heure ! 45

Fuite en avant, orphisme, mort fatale ... A l'image un peu passéiste du navire s'ajoute celle du train. Le symbole de la gare est très fréquent chez les écrivains autrichiens. C'est une image de la fuite que l'on retrouve dans les récits, aussi bien de fiction

qu'autobiographiques.

Ainsi, dans le même roman de Schnitzler, avons-nous une illustration bien représentative de ce symbole :

Surgissant lentement de la pénombre, un convoi déroula ses anneaux dans la gare. Une lumière rouge se balançait comme par magie, de ci, de là, au-dessus du sol, semblait se trouver à des lieues de distance, et était soudain toute proche. Au-dehors, les rails luisants qui se perdaient dans un lointain invisible poursuivaient leur route vers des lieux proches ou éloignés, dans la nuit, dans le matin, dans le jour suivant, dans l'inconnu. 46

On imagine bien les Somnambules embarqués dans un tel convoi. Aussi Broch reprend-il cette image : le voyageur est pris d'un doute sur le "bon vouloir de la locomotive qui pourrait bien manquer la route", il entreprend vainement de déchiffrer les plaques de

destination, car "ce ne sont que des mots", il est angoissé par "ce quai si vaste et si désolé". Bref, "ce quai démesurément long, ces plaques couvertes de mots et les sifflements de la locomotive et les voies d'acier

44 Broch, H. - Création littéraire et connaissance ; trad. A. Kohn. Paris : Gallimard, 1985 (Tel ; 91), p. 169

45 Schnitzler, A. - Vienne au crépuscule ; trad. R. Dumont. Paris : Stock, 1985 (Nouveau cabinet cosmopolite), p.233

étincelant, foisonnement d'oeuvres humaines, elles toutes enfants de la stérilité." 47

De même, dans les Irresponsables : "Ne valait-il pas mieux prendre son billet et renoncer à l'unité que l'on ne pouvait jamais

atteindre, jamais réaliser ? Ne valait-il pas mieux retourner à ce monde infini aux sens multiples, sans liens et sans rapports, où se croisaient toutes les routes et tous les rails ? C'est en ce point qu'était la

décision, on pouvait encore tenter sa chance et fuir." 48

On voit encore ici le problème de l'indécision et le dilemme qui suit : décider, c'est une manière de se mettre à mort. C'est se retourner comme Orphée, tout faire disparaître, mais faire disparaître ce qu'on a jamais vu, seulement senti ou imaginé ; "Il fut absorbé par le

roulement du train avec tant de douceur, se confondit avec tant de légèreté dans le bruissement des arbres, que les événements du passé et ceux à venir s'unirent. Leur unité, laissant derrière elle un sillage à peine sonore, plonge dans une éternité où le sourire de la vie s'égale à celui de la mort." 49 Unité, confusion, camouflage, abolition du temps, mort ... Quel gouffre !

Dans La Marche de Radetzky, Roth exprime aussi cette fascination de la gare. Toujours dans une tonalité biblique, Luc

Spielmann en a fait l'analyse au chapitre 11 du roman. Trotta va voir son fils qui sert dans les marches de l'Empire, "lointain territoire de la couronne" où les hommes sont mutés "en raison de graves

manquements aux devoirs de leur charge", comme Adam et Eve hors d'Eden. Il prend le train qui, comme dans d'autres passages, "sert de navette entre l'au-delà et le monde réel". 50

L'aspect biblique ou dantesque de l'image des gares n'affecte pas que le roman. Zweig a aussi des souvenirs ferroviaires ...

Lorsqu'éclata la Première Guerre mondiale, il était en Belgique : il décrit son parcours en train, de retour vers l'Autriche, gare après gare, avec la précision d'une Descente aux Enfers 51. A la fin du conflit, Zweig revient de Suisse en Autriche et passe par la fameuse gare frontière tyrolienne de Buchs, porte de la désolation et de la misère. Il y croise un train "propre" qui paraît luxueux à côté des vieux wagons réquisitionnés : il emmène Karl et Zita en exil ; Zweig, lui, rentrait "dans une autre Autriche, dans un autre monde." 52

La gare n'est qu'un portail parmi d'autres vers l'arrière-monde. A défaut de pouvoir fuir (soit parce que c'est impossible, soit parce qu'il est conscient de la vanité de la fuite), l'individu va trouver refuge dans une prison. Celle du narcissisme ou celle d'un idéalisme au-dessus de toute contingence.

Zweig écrit : "Ne dilapidons pas le meilleur de nos forces en nous cognant la tête contre les murs de la prison. Il vaut mieux la conserver et, à l'instar de Cervantès, écrire de bons livres dans une

47 Broch, Hermann. - Les Somnambules ; trad. P. Flachat et A. Kohn. - Paris : Gallimard, 1982, 2 vol. (L'imaginaire), I, p. 333

48 Broch, H. - Les Irresponsables ; trad. A.R. Picard. Paris: Gallimard, 1989 (Du monde entier), p. 76

49 Ibid. p. 82

50 Spielmann, Luc. - Le Tragique dans le Radetzkymarsch de Joseph Roth. - Th. 3è cycle, Etudes germaniques, Univ. de Rennes II, Dir. J.-L. Bandet, 1979, p. 183

51 Zweig, S. - Le Monde d'hier : souvenirs d'un européen ; trad. de J.-P. Zimmermann. Paris : Belfond, 1987, p.261-262

prison invisible." 53 Comme il est rassurant de trouver refuge entre quatre murs ! Le suicide fait peur, le monde extérieur vous traque, alors on supplie les "autorités" de vous incarcérer, en un lieu qui n'en est pas un, pour une durée indéterminée, seul avec soi-même, oublié de tous. C'est un peu, dans l'univers de Musil, le conte du tailleur : "On ne peut tout de même pas tous se suicider (...) M. le Juge, faites- moi emprisonner pour toujours. J'en serais vraiment heureux." 54

Le travail est une autre prison. Ça et là dans ses Journaux, Musil y fait souvent allusion comme seule activité valable au milieu du chaos. Kraus aussi était un bourreau de travail, unique exutoire lui permettant de survivre. En dépit des contacts fréquents auxquels ses nombreuses conférences l'ont amené, on a souvent noté l'obscurité des rapports de Kraus avec le monde extérieur : l'extrême réserve qu'il affiche vis-à-vis de ses lecteurs (bien qu'il ait répondu très

régulièrement au courrier) ou plutôt le fait qu'il n'ait pas réellement créé de liens amicaux avec son entourage, est partiellement motivé par le fait qu'il se refusait consciemment tout type de rapport pédagogique avec lui ; un peu comme si, conscient du caractère personnel de cet exutoire, il ne tenait pas à l'affubler d'un apparat pédagogique qu'il se serait senti obligé d'infliger à autrui.

Le travail est un exutoire qui érige des parois étanches autour de l'individu. Ecoutons encore Zweig : "Oublie, me disais-je. Sauve-toi, réfugie-toi dans ton fourré le plus intime, dans ton travail, là où tu n'es plus que ton propre moi respirant, non pas un citoyen de l'état, non pas l'objet de ce jeu infernal." 55

Mais l'oubli définitif, c'est le Veronal qui le lui conféra. Un

puissant "narcotique" : vocable qui fait songer à "narcissique". Certains voient d'ailleurs l'étymologie de ce terme dans "narkè", y associant l'idée de mort.56 On retiendra celle du sommeil éternel, en évoquant les propos de Klaus Mann, suite à sa rencontre avec Zweig en 1941, soit quelques mois avant son suicide. Klaus Mann l'avait abordé à

l'occasion d'un cocktail ; Zweig recouvra ses esprits "comme un somnambule qui entend son nom." 57 Voilà une observation que Broch aurait appréciée ...

Nous avons souvent insisté sur le lien marqué de "nos"

écrivains avec la philosophie de la Séparation. Les thèmes du suicide et de la rédemption sont souvent associés, le premier générant - dans l'esprit de ceux qui le commettent - la seconde. Peut-être serait-il bon d'analyser le rapport entre Pari (au sens pascalien) et Décisionnisme. Parier qu'après le suicide on aura décroché le Salut ?

53 Zweig, S. - Lettre à Schickelé, citée par Prater, in : Stefan Zweig, p. 242

54 Musil, R. - G.W. (Rohwolt), t. II, p. 627, trad. A. Brignone, in : Robert Musil (Cahier de l'Herne), p. 44

55 Zweig, S. - Le Monde d'hier, p. 497

56 Hadot, Pierre. - "Le Mythe de Narcisse et son interprétation par Plotkin", in : Nouvelle Revue de Psychanalyse, Paris, 1976, N°13, Narcisse, p. 84, cit. p. Le Rider in : Modernité viennoise et crises de l'identité, p. 89

57 Mann, Klaus. - Der Wendepunkt, 1960, p. 431, cit. p. Prater, in : Stefan Zweig, p. 307

Juliet Spering 58 insiste sur la valeur précaire du sacrifice de soi chez Hofmannsthal. Celui-ci peut être approuvé dans le cadre d'un système de valeurs bien défini, jusqu'à ce que ce système s'écroule, cède la place à un autre... Ainsi que le rappelle Karl Mannheim dans Ideology and utopia : "The fact that we speak about social and cultural life in terms of values is itself an attitude peculiar to our time." 59 Les sacrifiés de Hofmannsthal ne sont pas ceux de Brecht !

Il y a une prépondérance de l'individu dans la décision du sacrifice, même lorsque ce dernier est collectif.

Seul l'individu a un destin, celui du non-spectaculaire, du non- collectif, du caché : Einzeln, qui signifie aussi Vereinzelung.

L'accomplissement a lieu dans la dissimulation aux yeux du monde, dans la mort. Par exemple, l'accomplissement de l'amour. De même que la mort de Tristan et Isolde n'est pas celle du commun des mortels, mais celle de fidèles - au sens religieux du terme - qui préfèrent le définitif au provisoire, l'achevé à l'inachevé. L'entrée de Maria au couvent (dans Andreas), sa sanctification, représentent une immolation qui surpasse le monde visible et son aspiration fallacieuse à la Vie. Cette extinction de soi est un prélude à la mort naturelle.

Reconnaissance de la fausseté dans l'apparence, de la vérité dans la représentation : avec Wagner, nous appréhendons ici Nietzsche et Schopenhauer.

Fréquente aussi est la thématique de l'Ich-Auspaltung (surtout dans Andreas) qui, selon Juliet Spering, engendre celle d'"einander ergänzender Personen, die keine eigentliche Antinomie bilden".60

Le suicide, comme auto-élimination, mais aussi comme

résurrection (voie mystique), vers une nouvelle vie, un autre soi (cf. le jeu de la connaissance face au doute vis-à-vis de l'au-delà, le pari du suicide, l'association pari/connaissance, le pari supposant un étalon associé à la re-Connaissance) et une décision ; le suicide, d'autre part, ne concernant que la personne qui le commet, qui imagine la suite sans pouvoir faire le lien, sans pouvoir la vivre (cf. la tendance

grotesque dénoncée notamment par Adolf Loos, des riches Viennois qui mettent en scène leurs propres obsèques).

Il va sans dire que ces réflexions se compliquent si l'on considère le cas du suicide "à deux" pour s'aimer pleinement dans l'autre monde. Et que dire du suicide "à deux" des couples comme celui de Stefan Zweig et de tous ses compatriotes qui eurent la même attitude dans les années quarante ? Y a-t-il coexistence fortuite de deux suicides qui frappent seulement par leur simultanéité ? Quelles sont les parts du "trivial" et du "mystique" ?

Le suicide du héros de Hofmannsthal n'est pas aussi "idéal" que celui de Tristan et Isolde. Hofmannsthal n'anime pas ses héros de la même assurance. Il les crée sceptiques et les "souille" de la tache du crime (Frevel) vis-à-vis de la société. Tristan et Isolde au contraire disparaissent hors de la société, dans un monde purement fictif...

58 Spering, Juliet - "Das Selbstopfer als mystischer Weg ins Schicksal : Gedanken zu Hofmannsthals Fragmenten Andreas und Timon der Redner", in : Hofmannsthal Forschungen, 7 [1983], p. 123-144

59 Mannheim, Karl. - Ideology and utopia. London : Kegan, 1936, p. 73

Parmi les syndromes du suicide, Erwin Ringel 61 note le caractère irremplaçable de la chose ou de l'être perdus. [Dans ce

dernier cas, c'est évoquer d'une certaine manière l'androgynie : l'amour a pu contribuer à sa reconstitution ; la séparation (LA Séparation)

ramène à l'état originel dans lequel on aspire à la reconstitution. Mais puisque l'élément-frère ou soeur a physiquement disparu, seul le suicide résoud le problème.]. Ringel prend pour exemple Toni, l’amie d'Otto, dans Das Verdächtnis. Toni perd Otto dans un accident de cheval. Celui-ci révèle, avant de mourir, à ses parents, l'existence jusqu'alors inconnue d'eux, de sa fiancée Toni et de leur enfant. Ce