provo-qué par la pièce. Ce sont des extraits de versions précédentes qui ont été cités dans la presse et
qui attisent la polémique. La Kronenzeitung demande que la pièce soit interdite et que
Pey-mann quitte l’Autriche. Les journaux les plus importants citent des extraits de la pièce tirés de
versions antérieures. L’éditeur entame des poursuites contre Basta et la Kronenzeitung. Cette
polémique provoque des manifestations et des contre-manifestations. On dépose du fumier
devant le Burgtheater, les gens font la queue pour avoir des places pour cette première tant
attendue. La représentation a lieu sous protection policière. Le matin même, le texte de la
pièce est livré dans les librairies viennoises et les partisans et les opposants peuvent enfin
connaître le texte de la pièce. Peymann doit se défendre de l’accusation du parlement selon
laquelle il ne donne des places qu’aux sympathisants, pour éviter les tumultes. Il est vrai que
Peymann avait dénoncé les hommes politiques comme des parasites qui profitent de billets
gratuits (« Freikartenschnorrer »)
519.
Unseld commente ensuite le déroulement de la première. Il remarque d’abord que la première
scène, où Anneliese Römer joue la gouvernante, est faible théâtralement. Et la première tirade
contre Vienne et l’Autriche est accompagnée par un concert de sifflets. Mais à ce concert de
sifflets répond un torrent d’applaudissements encore plus fort. Unseld souligne au contraire
que la deuxième scène est bien composée et que le décor d’Herrmann est joliment dessiné, ce
517 Siegfried Unseld : Chronik, 27. Oktober 1988. In: Thomas Bernhard-Siegfried Unseld. Der Briefwechsel, p. 801
518Thomas Bernhard-Siegfried Unseld. Der Briefwechsel, p. 798. Au sujet du scandale Heldenplatz, voir la do-cumentation éditée par le Burgtheater, qui reproduit nombre de coupures de journaux de l’époque : Heldenplatz: eine Dokumentation. Herausgegeben von: Burgtheater Wien. 1989, 295 p.
519 Siegfried Unseld : Chronik, 4. November 1988. In: Thomas Bernhard-Siegfried Unseld. Der Briefwechsel, p. 803-804
190
qui, dans le duel entre protestations et approbations, contribue au triomphe de Bernhard et de
Peymann. Finalement, la première aura duré cinq heures au lieu de deux heures et demie
pré-vues initialement, à cause des nombreuses interruptions. À la fin c’est un triomphe pour
Pey-mann et Bernhard. Tout le monde est soulagé. Il y a des discussions à la pause et à la fin de la
pièce, mais les réactions sont plus apaisées. Les acteurs et le metteur en scène Claus Peymann
ont droit à une ovation. Unseld souligne surtout que pour la première fois et de manière
tota-lement surprenante, Thomas Bernhard est monté sur scène. Pour Bernhard, rapporte Unseld,
c’était un moment émouvant. Et il conclut en affirmant qu’à cet instant, Thomas Bernhard est
devenu le représentant d’un pays. Et les journaux du dimanche et du lundi n’abordent qu’un
sujet : le « théâtre mondial viennois » (« Wiener Welttheater ») du duo Bernhard-Peymann.
C’est aussi un triomphe pour Wolfgang Gasser, qui joue le frère du professeur Schuster
520.
La pièce Place des Héros (Heldenplatz) vient donc conclure le dialogue de Thomas Bernhard
avec le Burgtheater. Trois pièces de Thomas Bernhard ont donc été créées au Burgtheater,
deux dans la grande salle du Burgtheater (La Société de chasse en 1974 et Place des Héros en
1988) et un dans la petite salle de l’Akademietheater (Le Président en 1975). À ces créations,
il faut ajouter les reprises du Faiseur de théâtre et de Déjeuner chez Wittgenstein en 1986,
respectivement au Burgtheater et à l’Akademietheater. L’Akademietheater accueille
égale-ment une mise en scène de Simplement compliqué avec Bernhard Minetti en 1988. Et il faut
également noter que la création des Célèbres au Theater an der Wien en 1976 était une
repré-sentation du Burgtheater. La pièce Élisabeth II bien qu’écrite pour le Burgtheater, a été créée
à Berlin en 1989, et mise en scène au Burgtheater seulement en 2002.
Le Burgtheater, théâtre impérial puis théâtre national, par son histoire et par sa position au
centre de Vienne, en face de la Hofburg, apparaît comme un symbole politique. Thomas
Bernhard, dans son écriture, joue sur ces symboles. La Société de chasse, avec son général,
son prince et sa princesse et ses ministres, semble faire référence aux structures de pouvoir de
l’Empire austro-hongrois, tandis que Le Président, comme le montre la genèse de la pièce,
semble faire référence au président de la République autrichienne ou à celui du Conseil
natio-nal, le parlement autrichien. Dans Place des Héros, c’est l’Anschluss qui est évoqué à travers
cette place, où Hitler a fait son discours en 1938. Les personnages de la pièce, à cause de leur
appartement qui donne directement sur la place, ne peuvent échapper à ce souvenir. Les
ti-rades contre l’Autriche, prononcées dans Place des Héros et dans une moindre mesure dans
520 Siegfried Unseld : Chronik, 4. November 1988. In: Thomas Bernhard-Siegfried Unseld. Der Briefwechsel, p. 804-805.
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Élisabeth II, ont forcément un retentissement bien différent prononcé dans le Burgtheater,
théâtre national autrichien, financé par le Bund, l’État fédéral.
Sur les 18 grandes pièces qu’a écrites Thomas Bernhard, 17 ont donc été montées de son
vi-vant, lui permettant d’exercer un certain contrôle sur les mises en scène. Il a obtenu pour la
plupart de ses pièces des mises en scène modèle, avec le metteur en scène qu’il souhaitait
(Claus Peymann) et l’acteur qu’il souhaitait (Bernhard Minetti) ou les acteurs souhaités (Ilse
Ritter, Kirsten Dene, et Gert Voss) dans les théâtres qu’il souhaitait (Festival de Salzbourg ou
Burgtheater). Avant de s’intéresser aux conditions de la réception du théâtre de Thomas
Bernhard en France et à l’analyse comparée des créations germanophones et des mises en
scènes françaises, on doit se demander dans quelle mesure les choses ont changé après la mort
de Thomas Bernhard : les mises en scène de Claus Peymann servent-elles toujours de modèle
ou ont-elles été détrônées par d’autres mises en scène plus récentes ?
193
Chapitre3 :AprèslamortdeThomas Bernhard
.
Presque toutes les pièces de Thomas Bernhard ont été créées de son vivant. Seule son
avant-dernière pièce, Élisabeth II, a été créée après sa mort. Thomas Bernhard a cherché à obtenir
des mises en scène modèles, qui soient la réalisation parfaite de l’œuvre. Ces mises en scène
modèles ont souvent été immortalisées par la télévision. Après la mort de Thomas Bernhard,
ces mises en scène continuent de faire référence. Il y a plusieurs explications à cela. C’est
d’abord parce que Thomas Bernhard a cherché à contrôler le devenir de ses pièces même
après sa mort. En interdisant par testament toute représentation de ses pièces en Autriche, il
consacre le statut de modèle des mises en scène de Peymann et empêche de nouvelles mises
en scène. De plus, Claus Peymann a obtenu l’autorisation de pouvoir continuer à jouer les
œuvres de Bernhard qui étaient déjà au répertoire du Burgtheater. Après la levée de
l’interdiction, Claus Peymann continue de veiller sur l’œuvre de Thomas Bernhard, en
Dans le document
Les mises en scène du théâtre de Thomas Bernhard en Allemagne, en Autriche et en France. Comparaison et interprétation.
(Page 190-194)