• Aucun résultat trouvé

La première a finalement lieu le 4 novembre 1988. Avant de rendre compte du déroulement de la première, Unseld note à nouveau son journal à la date du 4 novembre le scandale

provo-qué par la pièce. Ce sont des extraits de versions précédentes qui ont été cités dans la presse et

qui attisent la polémique. La Kronenzeitung demande que la pièce soit interdite et que

Pey-mann quitte l’Autriche. Les journaux les plus importants citent des extraits de la pièce tirés de

versions antérieures. L’éditeur entame des poursuites contre Basta et la Kronenzeitung. Cette

polémique provoque des manifestations et des contre-manifestations. On dépose du fumier

devant le Burgtheater, les gens font la queue pour avoir des places pour cette première tant

attendue. La représentation a lieu sous protection policière. Le matin même, le texte de la

pièce est livré dans les librairies viennoises et les partisans et les opposants peuvent enfin

connaître le texte de la pièce. Peymann doit se défendre de l’accusation du parlement selon

laquelle il ne donne des places qu’aux sympathisants, pour éviter les tumultes. Il est vrai que

Peymann avait dénoncé les hommes politiques comme des parasites qui profitent de billets

gratuits (« Freikartenschnorrer »)

519

.

Unseld commente ensuite le déroulement de la première. Il remarque d’abord que la première

scène, où Anneliese Römer joue la gouvernante, est faible théâtralement. Et la première tirade

contre Vienne et l’Autriche est accompagnée par un concert de sifflets. Mais à ce concert de

sifflets répond un torrent d’applaudissements encore plus fort. Unseld souligne au contraire

que la deuxième scène est bien composée et que le décor d’Herrmann est joliment dessiné, ce

517 Siegfried Unseld : Chronik, 27. Oktober 1988. In: Thomas Bernhard-Siegfried Unseld. Der Briefwechsel, p. 801

518Thomas Bernhard-Siegfried Unseld. Der Briefwechsel, p. 798. Au sujet du scandale Heldenplatz, voir la do-cumentation éditée par le Burgtheater, qui reproduit nombre de coupures de journaux de l’époque : Heldenplatz: eine Dokumentation. Herausgegeben von: Burgtheater Wien. 1989, 295 p.

519 Siegfried Unseld : Chronik, 4. November 1988. In: Thomas Bernhard-Siegfried Unseld. Der Briefwechsel, p. 803-804

190

qui, dans le duel entre protestations et approbations, contribue au triomphe de Bernhard et de

Peymann. Finalement, la première aura duré cinq heures au lieu de deux heures et demie

pré-vues initialement, à cause des nombreuses interruptions. À la fin c’est un triomphe pour

Pey-mann et Bernhard. Tout le monde est soulagé. Il y a des discussions à la pause et à la fin de la

pièce, mais les réactions sont plus apaisées. Les acteurs et le metteur en scène Claus Peymann

ont droit à une ovation. Unseld souligne surtout que pour la première fois et de manière

tota-lement surprenante, Thomas Bernhard est monté sur scène. Pour Bernhard, rapporte Unseld,

c’était un moment émouvant. Et il conclut en affirmant qu’à cet instant, Thomas Bernhard est

devenu le représentant d’un pays. Et les journaux du dimanche et du lundi n’abordent qu’un

sujet : le « théâtre mondial viennois » (« Wiener Welttheater ») du duo Bernhard-Peymann.

C’est aussi un triomphe pour Wolfgang Gasser, qui joue le frère du professeur Schuster

520

.

La pièce Place des Héros (Heldenplatz) vient donc conclure le dialogue de Thomas Bernhard

avec le Burgtheater. Trois pièces de Thomas Bernhard ont donc été créées au Burgtheater,

deux dans la grande salle du Burgtheater (La Société de chasse en 1974 et Place des Héros en

1988) et un dans la petite salle de l’Akademietheater (Le Président en 1975). À ces créations,

il faut ajouter les reprises du Faiseur de théâtre et de Déjeuner chez Wittgenstein en 1986,

respectivement au Burgtheater et à l’Akademietheater. L’Akademietheater accueille

égale-ment une mise en scène de Simplement compliqué avec Bernhard Minetti en 1988. Et il faut

également noter que la création des Célèbres au Theater an der Wien en 1976 était une

repré-sentation du Burgtheater. La pièce Élisabeth II bien qu’écrite pour le Burgtheater, a été créée

à Berlin en 1989, et mise en scène au Burgtheater seulement en 2002.

Le Burgtheater, théâtre impérial puis théâtre national, par son histoire et par sa position au

centre de Vienne, en face de la Hofburg, apparaît comme un symbole politique. Thomas

Bernhard, dans son écriture, joue sur ces symboles. La Société de chasse, avec son général,

son prince et sa princesse et ses ministres, semble faire référence aux structures de pouvoir de

l’Empire austro-hongrois, tandis que Le Président, comme le montre la genèse de la pièce,

semble faire référence au président de la République autrichienne ou à celui du Conseil

natio-nal, le parlement autrichien. Dans Place des Héros, c’est l’Anschluss qui est évoqué à travers

cette place, où Hitler a fait son discours en 1938. Les personnages de la pièce, à cause de leur

appartement qui donne directement sur la place, ne peuvent échapper à ce souvenir. Les

ti-rades contre l’Autriche, prononcées dans Place des Héros et dans une moindre mesure dans

520 Siegfried Unseld : Chronik, 4. November 1988. In: Thomas Bernhard-Siegfried Unseld. Der Briefwechsel, p. 804-805.

191

Élisabeth II, ont forcément un retentissement bien différent prononcé dans le Burgtheater,

théâtre national autrichien, financé par le Bund, l’État fédéral.

Sur les 18 grandes pièces qu’a écrites Thomas Bernhard, 17 ont donc été montées de son

vi-vant, lui permettant d’exercer un certain contrôle sur les mises en scène. Il a obtenu pour la

plupart de ses pièces des mises en scène modèle, avec le metteur en scène qu’il souhaitait

(Claus Peymann) et l’acteur qu’il souhaitait (Bernhard Minetti) ou les acteurs souhaités (Ilse

Ritter, Kirsten Dene, et Gert Voss) dans les théâtres qu’il souhaitait (Festival de Salzbourg ou

Burgtheater). Avant de s’intéresser aux conditions de la réception du théâtre de Thomas

Bernhard en France et à l’analyse comparée des créations germanophones et des mises en

scènes françaises, on doit se demander dans quelle mesure les choses ont changé après la mort

de Thomas Bernhard : les mises en scène de Claus Peymann servent-elles toujours de modèle

ou ont-elles été détrônées par d’autres mises en scène plus récentes ?

193

Chapitre3 :AprèslamortdeThomas Bernhard

.

Presque toutes les pièces de Thomas Bernhard ont été créées de son vivant. Seule son

avant-dernière pièce, Élisabeth II, a été créée après sa mort. Thomas Bernhard a cherché à obtenir

des mises en scène modèles, qui soient la réalisation parfaite de l’œuvre. Ces mises en scène

modèles ont souvent été immortalisées par la télévision. Après la mort de Thomas Bernhard,

ces mises en scène continuent de faire référence. Il y a plusieurs explications à cela. C’est

d’abord parce que Thomas Bernhard a cherché à contrôler le devenir de ses pièces même

après sa mort. En interdisant par testament toute représentation de ses pièces en Autriche, il

consacre le statut de modèle des mises en scène de Peymann et empêche de nouvelles mises

en scène. De plus, Claus Peymann a obtenu l’autorisation de pouvoir continuer à jouer les

œuvres de Bernhard qui étaient déjà au répertoire du Burgtheater. Après la levée de

l’interdiction, Claus Peymann continue de veiller sur l’œuvre de Thomas Bernhard, en