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On peut penser que Thomas Bernhard se doutait que cette interdiction serait transgressée ou contournée. À ma connaissance, le Théâtre Phönix de Linz est le seul à avoir véritablement

bravé l’interdiction, les autres tentatives étant plutôt des tentatives de contournement de

l’interdiction. Le théâtre Phönix est un petit théâtre alternatif, « off », qui s’est installé dans

l’ancien cinéma Phönix la saison précédente. Pour sa deuxième saison, il programme la pièce

Les Célèbres, en septembre 1990. La pièce, créée en 1976 au Theater an der Wien à Vienne,

est une satire du Festival de Salzbourg. Dans la pièce, les personnages, des artistes, se

débar-rassent de leurs modèles, des marionnettes qui ont pour nom Richard Mayr, Richard Tauber,

Lotte Lehmann, Alexander Moissi, Helene Thimig, Max Reinhardt, Arturo Toscanini, Elly

Ney et Samuel Fischer. De la même manière, le théâtre Phönix s’affranchit du testament de

Thomas Bernhard, mais également du style de mise en scène privilégié par Claus Peymann.

La pièce sert davantage de matériau pour un spectacle qui repose davantage sur les images.

L’exécuteur testamentaire, le demi-frère de Thomas Bernhard, Peter Fabjan proteste

violem-ment. La maison d’édition Suhrkamp, détentrice des droits de représentation, entame une

ac-tion en référé. Le tribunal de Linz interdit la première. Mais le théâtre Phönix joue quand

même, la première a bien lieu le 13 septembre 1990. Cependant, devant la menace de

nou-velles sanctions, il doit renoncer à d’autres représentations. Le théâtre présente cependant une

nouvelle version de son spectacle, muette, expurgée du texte de Thomas Bernhard. La

pre-mière de cette nouvelle version muette a lieu le 19 septembre 1990.

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1.2.2. Contournementparl’Est:lamiseenscèned’ÉlisabethIIàBratislava

Le Festival de Vienne avait conclu avec le Schiller-Theater de Berlin un contrat pour des

re-présentations d’ÉlisabethII. Il s’agit de l’avant-dernière pièce de Thomas Bernhard. La pièce

se passe à Vienne, dans l’appartement d’Herrenstein, sur le Ring. Les invités du personnage

525 cf. Hans Höller, p. 14-18.

526 Je remercie Silke Dörner, la dramaturge du théâtre Phönix de Linz pour avoir mis à ma disposition tout un dossier sur cette mise en scène : coupures de presses, programme, captation audiovisuelle.

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principal attendent le passage de la reine sur le balcon, un balcon qui s’effondre au passage de

la reine. Thomas Bernhard voulait que la pièce soit jouée au Burgtheater, mais le projet ne

voit pas le jour. La pièce est finalement créée juste après la mort de Thomas Bernhard, en

1989, au Schiller-Theater de Berlin

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. Mais avec l’interdiction, une représentation de cette

mise en scène à Vienne n’est pas possible. Il faut donc trouver une solution pour contourner le

testament. La solution trouvée est de passer la frontière, ainsi quatre représentations ont lieu

l’été 1990 à Bratislava. Des transports affrétés spécialement amènent le public viennois de

Vienne au lieu du spectacle.

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L’ouverture récente du rideau de fer rend possible cette

entre-prise. La pièce Élisabeth II ne sera jouée au Burgtheater qu’en 2002, avec Gert Voss dans le

rôle principal.

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1.2.3. Contournementparl’Ouest:lamiseenscènedeMaîtresurlecoldu Bren­

ner

Plus à l’Ouest, le théâtre « Provinz » d’Innsbruck va jouer la pièce Über allen Gipfeln ist Ruh

(Maître) sur le col du Brenner, à la frontière italienne, dans le no man’s land entre les deux

postes-frontière, dans une tente. Il s’agit d’un théâtre « off » comme le théâtre Phönix. La

mise en scène est d’Elmar Drexler, les acteurs sont en partie issus du Landestheater

d’Innsbruck. Des trains spéciaux sont affrétés depuis Innsbruck, dans le train le spectacle

commence déjà, avec des lectures de critiques avant le passage de la frontière, et de textes de

Thomas Bernhard après le passage de la frontière. La production part ensuite en tournée dans

le Sud-Tyrol. La mise en scène est une coproduction avec le Theater im Pub à Bruneck, au

Sud-Tyrol. Il s’agissait également pour le metteur en scène de faire une collaboration entre

Tyrol autrichien et Sud-Tyrol italien.

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La pièce avait été créée en 1982 au festival de

Lud-wigsburg, dans une mise en scène d’Alfred Kirchner. La création autrichienne aura lieu en

2002 au Theater in der Josefstadt.

1.2.4. Contournementparlalangue:SimplementcompliquéenfrançaisauLycée

françaisdeVienne

En mai 1996 ont lieu à Vienne, au Studio Molière, trois représentations de la pièce

Simple-ment compliqué en français. Il s’agit de la mise en scène de Jacques Rosner, avec Serge

527 Thomas Bernhard, Élisabeth II., cahier-programme (Berlin : Staatliche Schauspielbühnen, 1989)

528Joëlle Stolz, « Thomas Bernhard déplace Vienne à Bratislava », Libération, 30 mai1990.

529 Bernhard, Thomas. Élisabeth II., livre-programme, (Vienne : Burgtheater, 2002).

530 Voir les deux articles parus dans Die Presse : « Thomas Bernhard –an der Brennergrenze », Die Presse, 23

septembre 1995 ; « Zu Thomas Bernhard auf den Brennerpass ». Die Presse. 14 octobre 1995.

Voir également : Ursula Philadelphy « Nationalhumor für das Niemandsland », Der Standard, 14 octobre 1995.

Ainsi que l’entretien avec le metteur en scène: Ursula Philadelphy, « Mission in die allerletzte Provinz », Der Standard, 10 octobre 1995.

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lin dans le rôle du vieil acteur. La tournée est organisée par l’Institut français de Vienne et par

le Lycée français de Vienne. Exceptionnellement, Peter Fabjan donne son accord.

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On peut

voir là un prélude à la levée de l’interdiction. D’un autre côté, cette mise en scène en français

jouit d’une sorte d’extraterritorialité, et respecte en un sens l’esprit du testament de Thomas

Bernhard, qui ne veut rien à voir à faire avec l’Etat autrichien.

1.3. Lalevéedel’interdiction.

En 1998 est créée une Fondation privée Thomas Bernhard, qui lève l’interdiction, à partir de

la saison 1998-1999

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. Pour sa treizième et dernière saison au Burgtheater, Claus Peymann

peut à nouveau mettre au programme Thomas Bernhard. Il faut cependant dire que le

Burg-theater n’était pas totalement privé de Thomas Bernhard. Claus Peymann a obtenu le droit de

continuer à jouer les quatre spectacles qui étaient au répertoire du Burgtheater : les trois

pièces Le Faiseur de théâtre, Ritter Dene Voss, Heldenplatz, et les dramuscules sous le titre

Le Déjeuner allemand. En 1996, il joue le dramuscule « Hermann Beil et Claus Peymann sur

la Sulzwiese ». En effet, dans cette représentation, Beil et Peymann jouent leur propre rôle. Le

spectacle est présenté comme une « surprise » à l’occasion de la 100

e

représentation du

Fai-seur de Théâtre, et le public est mis devant le fait accompli.

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L’interdiction contribue donc à

renforcer le statut des mises en scène de Claus Peymann comme mises en scène modèles.

La saison 1998-1999 est marquée par deux productions de Thomas Bernhard. En septembre

1998, pour l’ouverture de la saison, Philipp Tiedemann, l’élève de Peymann, met en scène les

trois dramuscules réunis sous le titre Claus Peymann va sacheter un pantalon et va manger

avec moi.

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Le spectacle est d’abord gardé secret, sous le nom « Première n°205 ». Martin

Schwab joue le rôle de Claus Peymann. Kirsten Dene joue le rôle de Mademoiselle Schneider,

sa secrétaire, ainsi que les rôles de Bernhard et de Beil. Les trois petites pièces, qui évoquent

le départ de Claus Peymann de Bochum et son arrivée au Burgtheater à Vienne, se prêtent

bien pour fêter la dernière saison de Peymann à la tête du Burgtheater et son départ pour

Ber-lin où il dirigera le Theater am Schiffbauerdamm, le BerBer-liner Ensemble. Après l’élève, c’est le

maître, Claus Peymann, qui en janvier 1999, met en scène Avant la retraite.

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Il faut

cepen-dant noter que cette mise en scène n’est pas une nouvelle mise en scène, mais une reprise de

sa mise en scène à Stuttgart en 1979. Vingt ans après, il reprend la pièce avec les mêmes

531« Come back », Profil, n° 27, 1996, p. 85.

532 cf. Jean-Marie Winkler : « Thomas Bernhard, dix ans après », in Thomas Bernhard, sous la direction de Pierre Chabert et de Barbara Hutt (Paris : Minerve, 2002).

533« Claus Peymann als Wiener-Schnitzel-Beiβer », Die Presse, 7 octobre 1996.

534 Thomas Bernhard, Claus Peymann kauft sich eine Hose und geht mit mir essen. Drei Dramolette, cahier pro-gramme n° 205 (Vienne : Burgtheater, 1998).

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teurs : Traugott Buhre, Kirsten Dene et Eleonore Zetsche, et un décor identique, recréé par