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Après un an de formation en Master FA, Mary est portée par une dynamique nouvelle. Elle est plus en confiance et croit en sa possible réussite.

Elle comprend mieux ce qu’on attend d’elle, elle a compris le workflow. Elle a également comblé ses lacunes en termes de prise de parole, elle se sent plus confiante vis-à-vis de cela, et ce grâce à la formation et plus spécifiquement aux cours qui l’ont amenée à travailler cette compétence.

« Au début de ma formation, je n'osais pas parler en public, la pudeur, la peur de raconter des bêtises. Le cours de Monsieur Dupont, m’aide énormément pour l’oral. Les profs, qui nous font parler en classe, cela m’a beaucoup aidée à prendre confiance en moi et à me rendre compte que je savais m’exprimer oralement. » (Mary, 527-530)

Elle pense même ré-augmenter son taux d’activité professionnelle. Elle a déjà achevé un « gros » travail et se sent plus confortable avec ce qui l’attend désormais. Elle doit cependant prolonger son cursus d’une année en sus de ce qu’elle avait projeté suite à une incompréhension concernant les inscriptions aux cours.

2. Michelle

Michelle immigre en Suisse il y a plus de vingt ans afin de poursuivre ses études. Pendant sa précédente formation universitaire, elle rencontre le père de ses deux enfants, et décide de rester en Suisse. Elle se voit par la suite contrainte d’abandonner ses études, à la suite d’une difficulté personnelle. Cette précédente reprise s’inscrit dans l’essence même de son arrivée en Suisse. Elle était le moyen de perfectionner son français. Elle suit plus tard une formation continue professionnelle en ingénierie de la formation, toujours en Suisse.

Sa reprise d’études en Master Sciences de l’éducation Formation des adultes débute en 2017, vingt ans plus tard. Portée par un sentiment d’inachevé, mais aussi par le sentiment, en tant qu’immigrée, de ne pas avoir sa place dans la société Suisse, du fait de ne pas avoir pu finir ses études universitaires.

Sa reprise d’études semble être liée à des problèmes identitaires. L’ennui au travail fait aussi partie de sa décision de reprise d’études, elle ne ressent plus la même motivation qu’à ses débuts. Elle rompt avec son fiancé et annule son mariage deux semaines avant sa reprise d’études.

Pour reprendre ses études, elle doit effectuer des aménagements dans sa vie professionnelle et personnelle. Depuis juin 2019, à la suite d’une restructuration dans son organisation, Michelle craint pour son emploi. De nombreux licenciements sont venus affecter son organisation et cette situation incertaine la pousse à questionner la poursuite de son Master en sciences de l’éducation au sein de l’Université de Genève. À l’heure actuelle, la question reste toujours ouverte et la situation sanitaire que nous avons rencontrée ne tend pas à réduire ces incertitudes.

Michelle se narre comme priorisant ses vies plurielles, plaçant en première position ses enfants, suivi de son travail. Sa reprise universitaire n’est ainsi pas du tout une priorité. La sécurité financière nécessaire à l’éducation et au bien-être de ses enfants passant avant le reste. Elle sacrifie beaucoup de sa vie sociale afin de permettre sa reprise. Elle ne sait pour l’instant pas ce qu’elle va faire après le MAFA, et elle ne veut pas se projeter. Michelle compte terminer ses études au plus tard en Septembre 2020.

Le parcours de Michelle peut également se penser en termes épisodiques. Il se pense dans une temporalité plus éloignée que l’entrée en MAFA. En effet, la décision de reprise universitaire de Michelle s’inscrit dans un contexte biographique large. Il débute bien avant le début de la formation, dès son arrivée en Suisse, lors de sa première inscription au sein d’une université suisse, il y a vingt ans. En effet, c’est d’ailleurs la trace significative choisie par Michelle. Cette dernière est une photo de sa première carte étudiante suisse. La décision de reprise de Michelle s’inscrivant dans un

sentiment d’inachevé, en rapport avec l’interruption de cette première formation, à son arrivée en Suisse.

Épisode 1 : Avant l’entrée en formation.

→ Besoin d’émancipation

Michelle quitte son pays dans une dynamique émancipatoire. Elle désire autre chose et sa migration s’inscrit dans le désir d’un projet personnel plus grand que celui qui lui est proposé si elle reste dans son pays. Elle arrive ainsi en Suisse pour se former, obtenir un diplôme et apprendre le français. Elle rencontre finalement le père de ses enfants et décide alors de rester. Son organisation familiale change rapidement et marque une rupture dans son parcours universitaire. Elle relègue alors la formation au second plan et est contrainte de l’interrompre pour se concentrer sur sa santé et son rôle de mère au foyer.

Quelques années plus tard, alors que ses enfants ont grandi et qu’elle a quitté son premier mari, elle ressent à nouveau cet écart entre la vie qu’elle mène et celle à laquelle elle aspire.

« C’est-à-dire, que par rapport à mes aspirations naturelles, par rapport à comment ma vie de femme doit être, c’est un peu du « rêver » si tu veux au niveau identitaire. Idéalement, je suis (sic) très loin par rapport à ma vie réelle. » (Michelle, 274-276)

Elle fait la rencontre d’un homme, aisé, qui l’encourage à reprendre ses études et ainsi répondre au sentiment d’inachevé qu’elle éprouve face à son précédent abandon universitaire. C’est dans ce sens que s’inscrit sa reprise universitaire en MAFA à l’Université de Genève. Cependant, quelques semaines avant sa reprise, elle décide de quitter ce nouveau fiancé et se voit alors seule dans sa reprise.

→ Désir d’intégration

Dès son arrivée en Suisse, Michelle est confrontée au choc culturel. Elle mentionne ainsi que sa reprise d’étude s’inscrit dans un processus d’intégration.

→ Sentiment d’utilité et sens perçu dans le domaine professionnel

La décision de reprise de Michelle s’inscrit également dans une perte d’utilité et de sens dans son domaine professionnel. Elle s’ennuie dans son travail.

L’entrée en formation de Michelle est possible grâce à sa connaissance du système de passerelle universitaire, qu’elle obtient dans sa formation continue précédente en ingénierie de la formation.

Elle entame alors les démarches pour s’inscrire en Master à l’Université de Genève. La réponse est favorable. Elle trouve alors un arrangement avec son organisation professionnelle qui finance sa reprise d’étude contractuellement. Ils lui dégagent 40 % de son taux de présence professionnelle pour se rendre à l’université tout en lui versant l’entièreté de son salaire (100%). La compensation de cette perte est contractualisée : Michelle doit transférer ses nouvelles compétences acquises en formation dans son activité professionnelle et s’engage à ne pas quitter son poste pour une durée de trois après la fin de sa formation.

Michelle formule à trois reprises une demande à son organisation afin de réduire son taux d’activité.

Elle considère que sa reprise nécessite cette réduction, pour un meilleur confort et l’optimisation de sa reprise. Ces demandes sont à chaque fois refusées. Elle se soumet alors à l’offre initiale proposée.

Épisode 2 : L’entrée en formation.

Michelle débute sa formation en conciliant études et nouvelles responsabilités professionnelles. Elle devient vite une personne ressource dans sa structure professionnelle et est d’autant plus sollicitée qu’elle symbolise les nouvelles compétences que son cursus universitaire implique. Elle atteint rapidement un taux d’activité cumulé avoisinant les 130 % (40 % de temps accordé à l’université, 60 % de présence sur son lieu de travail et 20 à 30 % d’heures supplémentaires en télétravail pour pallier ses absences). Elle compartimente alors sa vie, le samedi est consacré à ses enfants. Cette

journée représente un point de focus pour Michelle. Elle abat une quantité de travail démesurée en gardant à l’esprit cette journée, qui marque la fin de sa semaine, dans une pensée très cartésienne.

Épisode 3 : La première année de reprise.

Michelle séquence donc sa vie pour rendre sa reprise possible. Elle s’appuie sur une organisation de son temps très stricte. Elle utilise les temps consacrer à ses déplacements pour garder du lien, pour communiquer : avec ses enfants, ses amis. Elle mentionne ressentir un conflit identitaire mettant en comparaison la vie qu’elle mène et celle à laquelle elle aspire en tant que femme. Elle met alors des stratégies en place, que nous développerons lors de notre analyse.

« On peut au moyen par exemple de cette organisation, au moyen des (sic) petites astuces comme utiliser une heure quarante-cinq minutes de trajet pour faire des téléphones, pour discuter ou pour féliciter pour les anniversaires les gens. » (Michelle, 276-279)

1ère rupture

Malgré toutes les stratégies qu’elle met en place pour allier vie professionnelle, vie universitaire et vie personnelle (familiale), elle mentionne prioriser ses enfants. Elle explicite ainsi que l’université ne doit en rien abîmer sa relation avec ces derniers et que si elle devenait un obstacle trop important à cette relation, elle interromprait sa formation.

« Cela veut dire que je ne veux pas « tuer la relation avec mes enfants » pour un objectif universitaire qui en soi pallie mes problèmes identitaires au sein du milieu professionnel où je suis. » (Michelle, 288-290)

La relation avec ses enfants est toutefois affectée. Elle possède moins de temps pour les activités qu’elle partage habituellement avec eux (jouer aux cartes, partir en week-end, passer du temps ensemble) et pour avoir une vie sociale soutenue (inviter des gens à dîner). Elle ressent à l’égard de ce changement de la culpabilité. Ses enfants remarquent ces changements et lui notifient.

→ Périodes d’évaluations universitaires

Ces difficultés à concilier vie familiale et vie universitaire se ressentent fortement en périodes d’examens. Michelle énonce n’avoir pas la force de débattre avec ses enfants de son manque de temps et des changements que sa reprise implique sur les moments passés ensemble. Elle explique ainsi anticiper les périodes d’évaluations universitaires en signifiant à ses enfants que pendant ses périodes elle sera « en pilotage automatique ».

« Je pense que j’ai toujours anticipé cela en disant par exemple que du 2 au 14 janvier, sachez que je suis sur pilote automatique. » (Michelle, 322-323)

Elle compense ces périodes en mettant en place des projets avec ses enfants, des voyages par exemple.

Elle s’appuie sur cette perspective de temps passé ensemble pour pallier son absence en période d’évaluations. Cela dit, elle s’évertue à rester présente au maximum pour eux dans ces périodes, privilégiant les repas en famille au sommeil. Elle travaille ainsi sur ses examens la nuit, réduisant drastiquement le temps consacré à son repos.

« Oui, pour les évaluations. Après, c’est clair, je prends beaucoup sur les heures de la nuit, donc tu ne dors pas, enfin tu dors très peu. […] Mais je vais rester présente le soir au souper ou après le souper. » (Michelle, 331-344)

→ les autres étudiants

Elle investit son énergie dans le travail universitaire de deux façons : Si elle ne trouve pas de sens spécifique au travail demandé pour transférer dans son domaine professionnel, elle se contente du minimum demandé. Cependant, si elle y voit une utilité personnelle et/ou professionnelle, elle creuse davantage la question, investit plus de temps à compléter les enseignements dispensés.

Elle compare sa méthodologie de travail avec celles des étudiants en formation initiale. Au premier abord, elle n’adhère pas avec leur méthodologie qui est trop éloignée de la sienne. Cela dit, elle mentionne avoir fait état de la réussite de ces étudiants et d’avoir en cela repenser ses méthodes de travail. Elle raconte y voir une nouvelle façon de travailler, qui pourrait lui être bénéfique, tant au niveau universitaire que professionnel. Elle s’appuie également sur la méthodologie scientifique de son fils pour repenser sa propre méthode de travail, axée davantage sur la rationalité « pour ne pas partir dans les méandres de la science, mais juste pour saisir ce qui est utile, applicable dans l’immédiat, ici et maintenant par rapport aux objectifs demandés. » (Michelle, 422-424).

Elle fait également mention des travaux de groupe imposés par les enseignants universitaires, qui perturbent son organisation. Elle considère ainsi que le temps accordé à ces travaux s’en voit rallongé, contrainte de se plier au travail en groupe.

Elle stipule cela dit se tourner vers ses co-apprenants universitaires pour solliciter leurs expériences vécues avant d’inscrire certains cours. Elle évalue ainsi la charge de travail et les contenus de formation des enseignements dispensés avant de choisir ses cours.

« Il m’est arrivé de poser des questions : comment c’était le cours que tu as déjà fait l’année passée ? C’était pour prendre la température ou un avis. » (Michelle, 465-466) 2ème rupture

En juin de sa première année, Michelle traverse la plus grosse épreuve de son parcours. Son engagement en formation est grandement menacé. Elle envisage d’interrompre son cursus. La raison de cette rupture est plurifactorielle. Tout d’abord, son emploi semble menacé. Une grosse restructuration organisationnelle entraîne 48 licenciements en 6 mois. Elle a peur de perdre son emploi. Cette difficulté tombe dans une période personnelle délicate. Ses enfants ont besoin d’elle.

Cette période est un réel obstacle à la poursuite de sa formation. Elle s’évertue à continuer de fournir le travail demandé, tant professionnel qu’universitaire. Elle décide également de faire profil bas au sein de son organisation, elle est moins présente physiquement, comme pour essayer de ne pas rappeler son statut particulier (employée en reprise d’études).

Cette période marque une diminution de son investissement universitaire. La qualité de ses travaux s’en voit affectée. Elle se rapproche davantage de ses enfants et une nouvelle dynamique d’entre-aide s’opère au sein du foyer. Son plus jeune garçon aide le plus grand, dans des petites tâches facilitant le rendu de ses travaux universitaires.

La situation ne se résout que partiellement. Petit à petit, elle comprend que ses compétences lui assurent une sorte de pérennité au sein de son entreprise. La menace n’est plus aussi pressante mais reste toujours présente. Elle prend du recul et se rassure en valorisant ses compétences personnelles et professionnelles. Elle pense pouvoir survivre à un éventuel licenciement et pouvoir retrouver rapidement un travail, si cela était nécessaire.

Dans cette période délicate elle ressent le besoin d’être écoutée. Elle se tourne vers une enseignante qui se montre à l’écoute et l’encourage à persévérer. Cela lui fait du bien. Michelle décrit sa reprise comme une tâche à accomplir, à assumer. L’université fait désormais partie de ses vies plurielles.

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