1.11 Op´ erateurs de H dans H ; notion d’adjoint
1.11.1 Pr´ eliminaires sur les op´ erateurs lin´ eaires continus de H dans H 42
Soit T : H −→ H une application K-lin´eaire du K-espace de Hilbert H dans lui-mˆeme42. Dire que T est continue (pour la topologie d’espace norm´e d´efinie par la normek k d´erivant du produit scalaire) ´equivaut `a dire qu’il existe une constante C telle que
∀h∈H , khk ≤1 =⇒ kT(h)k ≤C . On pose dans ce cas
kTk:= sup
{h∈H;khk≤1}kT(h)k= sup
{h∈H;khk=1}kT(h)k. (1.31) Comme pour les formes lin´eaires, dans de nombreux probl`emes pratiques, on ne dispose de la description de l’action d’un op´erateur que sur un sous-espace vectoriel
42. On dit aussi unop´erateur lin´eaire continu deH dansH.
1.11 Op´erateurs deH dans H; notion d’adjoint 43 dense dans H (et non explicitement sur H) ; un exemple important est celui d’un espace de Hilbert s´eparable o`u l’on dispose d’une base hilbertienne (ek)k∈Z (ou d’un
frame engendrant un sous-espace dense V) et o`u l’on ne connaˆıt l’action de T que par le biais desT(ek),k ∈Z. On ne connaˆıt donc a priori que l’action deT sur les combinaisons lin´eaires finies des vecteurs (ek)k∈Z :
T XN
k=−N
λkek
:=
XN k=−N
λkT(ek), N ∈N∗.
Une question naturelle se pose : celle de prolonger sans ambig¨uit´e T `a l’espace de Hilbert tout entier (en un op´erateur K-lin´eaire continu bien sˆur) de mani`ere `a pouvoir vraiment travailler avec un op´erateur K lin´eaire continu de H dans lui-mˆeme. Le petit lemme de prolongement suivant, anodin `a premi`ere vue, est en fait tr`es important du point de vue pratique :
Lemme 1.2 (Lemme de prolongement des op´erateurs) Soit V un K -sous-espace dense (mais attention, pas n´ecessairement ferm´e, c’est tout le probl`eme !) de H et T une application K-lin´eaire de V dans H. Une condition n´ecessaire et suffisante pour que l’on puisse prolonger T de mani`ere unique en un op´erateur K -lin´eaire continu de H dans lui-mˆeme est qu’il existe une constante positive C telle que
∀v ∈V , kT(v)k ≤Ckvk.
Preuve.SiT se prolonge deV `aHen un op´erateur lin´eaire continu, on peut prendre C = kTk et l’in´egalit´e kT(h)k ≤ Ckhk est satisfaite pour tout h dans H, donc a fortiori pour tout v dans V. Pour la r´eciproque, on approche un ´el´ement arbitraire hdeH par une suite (vn)n≥0 d’´el´ements deV (V est dense, c’est donc possible). On remarque que, puisque
kT(vn)−T(vm)k=kT(vn−vm)k ≤Ckvn−vmk, ∀m, n∈N,
la suite (T(vn))n≥0 est de Cauchy comme la suite convergente (vn)n≥0; elle converge donc et l’on peut poser
T(h) := lim
n→+∞T(vn)
apr`es avoir remarqu´e que cette limite ne d´ependait pas en fait de la suite (vn)n≥0 choisie pour approcher h. L’action de T est ainsi prolong´ee `a H tout entier et le nouvel op´erateurT :H −→H d´efini ainsi prolonge l’action de T surV, est unique et continu car on a bien sˆur
∀h∈H , kT(h)k ≤Ckhk.
Le r´esultat repose donc sur la compl´etude de H en place de celle deK utilis´ee pour le lemme 1.1. ♦
Exemple d’application 1.11 (th`eme d’exercice). Voici un exemple d’application important de ce lemme de prolongement dans un K-espace de Hilbert s´eparable o`u l’on dispose d’une base hilbertienne (ek)k∈Z. On se donne l’action d’un op´erateur lin´eaireT en se la donnant uniquement sur les vecteursek de la base hilbertienne. On veille simplement `a ce que l’action deT ne d´et´eriore pas trop l’orthogonalit´e, au sens suivant : il existe une suite (τk)k∈Zde nombres positifs telle que
kτk1:=X
k∈Z
τk <∞
et
∀k, l∈Z, |hT(ek), T(el)i| ≤τk−l
(on parle alors pour la famille (T(ek))k de famille presque orthogonale). Alors, si N est un entier positif non nul et (λk)Nk=−N des scalaires, on a, du fait du th´eor`eme de Pythagore, l’in´egalit´e de Cauchy-Schwarz (1.9) et l’invariance par translation de la mesure de comptage surZ. On voit qu’il existe une constanteC=p
kτk1 telle que, pour touthdans le sous-espace vectoriel engendr´e par les ek,k∈Z, on aitkT(h)k ≤Ckhk. Le lemme de prolongement s’applique donc et l’action deT se prolonge bien en celle d’un op´erateur lin´eaire continu deH dans lui-mˆeme.
Par exemple, siH=L2C(T) et si
ek :θ7−→eikθ, k∈Z,
on d´efinit un op´erateur lin´eaire continu deH dans lui-mˆeme en posant T(ek) :θ7−→ak(θ)eikθ, ∀k∈Z,
o`u ak d´esigne (pour tout k∈Z) une fonctionC∞ 2π-p´eriodique43, avec la contrainte qu’il existe une constante absolueK≥0 telle que
∀k∈Z, kakk∞+ka0kk∞+ka00kk∞≤K .
On voit en effet (en faisant deux int´egrations par parties successives) que, si tel est le cas, il existe bien une constanteC telle que, pour tout couple d’entiers (m, n) avecm6=n,
|hT(ek), T(el)i|= 1 ce qui assure l’existence d’une suite (τk)k∈Z telle que
|hT(ek), T(el)i| ≤τk−l, ∀k, l∈Z
(la s´erie de Riemann [1/k2]k≥1´etant convergente). La possibilit´e de prolongerT en un op´erateur lin´eaire continu `a l’espace L2C(R/2πZ) tout entier entre donc bien dans le cadre de l’exemple.
43. Il s’agit concr`etement d’un m´ecanisme demodulation de l’amplitude, dans la mesure o`u l’on remplace l’amplitude constante ´egale `a 1 de θ 7−→ eikθ par l’amplitude modul´ee (de fa¸con douce)θ7−→ak(θ).
1.11 Op´erateurs deH dans H; notion d’adjoint 45
1.11.2 La notion d’op´ erateur adjoint
La notion importante que nous attacherons dans ce cours `a un op´erateur K -lin´eaire continuT :H −→H sera celle d’op´erateur adjoint.
Soit T un tel op´erateurK-lin´eaire continuT :H −→H. Pour tout h fix´e dans H, l’application
x∈H 7−→ hT(x), hi
est une K-forme lin´eaire continue sur H. Il existe donc (d’apr`es le th´eor`eme de dualit´e 1.2) , un unique ´el´ement T∗(h) tel que
hT(x), hi=hx , T∗(h)i, ∀x∈H . (1.32) Si l’on remplace h par λ1h1+λ2h2 avech1, h2 ∈H, λ1, λ2 ∈K, on constate que
hT(x), λ1h1+λ2h2i = λ1hT(x), h1i+λ2hT(x), h2i
= λ1hx , T∗(h1)i+λ2hx , T∗(h2)i
= D
x , λ1T∗(h1) +λ2T∗(h2) E
, ce qui montre que l’application
h7−→T∗(h)
d´efinie suivant (1.32) est bienK-lin´eaire. La relation d´efinissant compl`etement cette application K-lin´eaire T∗ :H−→H, soit
∀x∈H , ∀h∈H , hT(x), hi=hx , T∗(h)i (1.33) est dite formule d’adjonction. Cette formule d’adjonction se lit aussi
∀x∈H , ∀h∈H , hT∗(x), hi = hh , T∗(x)i
= hT(h), xi
= hx , T(h)i, on constate que (T∗)∗ =T.
Sih est de norme 1, on a, pour tout x dans H,
|hx , T∗(h)i|=|hT(x), hi| ≤ kT(x)k × khk ≤ kTk × kxk,
ce qui montre (en prenant x = T∗(h)) que kT∗(h)k ≤ kTk, donc que T∗ est une applicationK-lin´eaire continue deH dansH (comme T), aveckT∗k ≤ kTk. Comme (T∗)∗ =T, on a aussi l’in´egalit´e inverse
k(T∗)∗k=kTk ≤ kT∗k.
Tout ce que nous venons de faire se r´esume en la proposition-d´efinition suivante : Proposition 1.14 Soit H un K-espace de Hilbert (K =R ou C) et T :H −→H une application K-lin´eaire continue de H dans lui-mˆeme (on dit aussi un op´erateur K-lin´eaire continu de H dans H). La formule d’adjonction (1.33)
∀x∈H , ∀h∈H , hT(x), hi=hx , T∗(h)i
permet de d´efinir sans ´equivoque un autre op´erateur K-lin´eaire continu de H dans lui-mˆeme, dit adjoint de T. Les op´erateurs T et T∗ sont tels que kTk = kT∗k et l’op´eration de prise d’adjoint T 7−→ T∗ est une involution isom´etrique antilin´eaire du K-espace vectoriel LK(H, H) des op´erateurs K-linaires continus de H dans H (´equip´e de la norme d’op´erateur continu d´efinie par (1.31) `a partir de la norme k k d´erivant du produit scalaire sur H).
On remarque de plus (toujours grˆace `a la caract´erisation de l’adjointvia la formule d’adjonction (1.33)) que siT1 et T2 sont deux op´erateursK-lin´eaires continus de H dans lui-mˆeme,
(T2 ◦T1)∗ =T1∗◦T2∗.
En particulier, si un op´erateur lin´eaire continuT :H −→H admet un inverse aussi lin´eaire continu T−1 :H −→H, on a n´ecessairement (T−1)∗ = (T∗)−1.
Exemple 1.12 : le cas de la dimension finie.SiH =RnouH =Cnsont ´equip´es d’un produit scalaireh, i(pas n´ecessairement le produit scalaire canonique), la notion d’adjoint rejoint celle que l’on connaˆıt en alg`ebre. SiM est la matrice de l’op´erateurT exprim´ee dans une base orthonorm´ee de Rn ou Cn (relativement au produit scalaireh,i), la matrice de l’adjoint T∗ (relativement `a la structure hilbertienne attach´ee au choix du produit scalaire) exprim´ee dans cette mˆeme base est exactement la matriceM∗, c’est-`a-dire la transconjugu´ee de la matriceM (on transpose et on conjugue les coefficients).
Exemple 1.13 : les shifts.Si H =lK2(Z), l’op´erateur (xk)k∈Z7−→(xk−1)k∈Z (ditshiftd’un pas vers la droite) a pour adjoint l’op´erateur (xk)k∈Z 7−→ (xk+1)k∈Z (dit shift d’un pas vers la gauche).
Exemple 1.14 : le cas d’une projection orthogonale sur un sous-espace ferm´e.SiV est un sous-espace ferm´e deH, l’op´erateur ProjV (qui est continu de norme 1 puisquekProjVxk ≤ kxk avec ´egalit´e si et seulement si x∈V) a pour adjoint
(ProjV)∗= ProjV car on a, pour toutx, hdansH,
hx ,ProjV(h)i = hProjV(x),ProjV(h)i
= hProjV(x), hi.
L’op´erateur ProjV est un exemple d’op´erateurauto-adjoint. La norme d’op´erateur d’une projection orthogonale PV sur un sous-espace ferm´eV est ´egale `a 1 carPV(x) =x pour x∈ V et d’autre partkPV(x)k ≤ kxk pour toutxdansH.
La proposition suivante nous sera utile car elle relie noyau et image d’un op´erateur lin´eaire continu T au noyau et image de son adjoint T∗.
Proposition 1.15 Soit H un K-espace de Hilbert et T un op´erateur K-lin´eaire continu de H dans lui-mˆeme. On a les relations :
KerT = (ImT∗)⊥ KerT∗ = (ImT)⊥
H = KerT ⊕⊥ ImT∗
= KerT∗ ⊥⊕ImT (1.34)
1.11 Op´erateurs deH dans H; notion d’adjoint 47 Preuve. Si h est dans le noyau deT, on a
∀x∈H , hT(h), xi= 0. En utilisant la formule d’adjonction (1.33), il vient donc
∀x∈H , hh , T∗(x)i= 0,
ce qui signifie queh est orthogonal au sous-espace ImT∗. Comme le produit scalaire est continu sur H ×H, h est aussi orthogonal au sous-espace ferm´e ImT∗, ce qui prouve bien l’inclusion
KerT ⊂(ImT∗)⊥.
Prenons maintenant h orthogonal `a ImT∗; pour montrer queT(h) = 0, il suffit de montrer que pour tout x∈H,
hT(h), xi= 0. Mais, toujours d’apr`es la formule d’adjonction (1.33)
hT(h), xi=hh , T∗(x)i= 0 puisque h⊥T∗(x). On a donc bien aussi l’autre inclusion
(ImT∗)⊥ ⊂KerT
(on peut passer `a gauche `a l’adh´erence car l’on sait que KerT est ferm´e). Les for-mules des premi`ere et troisi`eme lignes de (1.34) sont donc prouv´ees (pour celle de la troisi`eme ligne, on applique le th´eor`eme de projection orthogonale). En rempla¸cant T par T∗ et en utilisant l’involutivit´e de la prise d’adjoint (T∗)∗ =T, on en d´eduit les formules des seconde et quatri`eme lignes. ♦