Chapitre I : Introduction générale
4. Présentation de la thèse : impacts du réchauffement climatique sur la
CONSÉQUENCES POUR LES RELATIONS TRITROPHIQUES
4.1. Le cas du système tritrophique en milieu viticole : effets potentiels de la température sur l’eudémis et sur les deux niveaux trophiques adjacents
Ce travail de thèse se porte sur un insecte Lépidoptère reconnu comme l’un des
principaux ravageurs des cultures viticoles en Europe : l’eudémis de la vigne (Lobesia
botrana). Au regard des importantes pertes de production pouvant être engendrées par ce ravageur à l’état larvaire (voir la section 1.2.2. du Chapitre II ci-dessous), anticiper les conséquences du réchauffement climatique sur les populations d’eudémis et appréhender les répercussions pour l’activité viticole se révèle être un enjeu actuel majeur pour la recherche en viticulture (Castex et al., 2018; Reineke and Thiéry, 2016; Thiéry et al., 2018). Au sein des agroécosystèmes, ce phytophage est intégré dans un contexte écologique qualifié de « système tritrophique », puisqu’il implique des relations trophiques avec le niveau inférieur (la plante hôte) et le niveau supérieur (les ennemis naturels, dont la guilde de parasitoïdes). La température est donc susceptible d’agir par différentes voies sur les populations d’eudémis : une voie directe via modulation thermique des traits d’histoire de vie du ravageur, une voie indirecte
régulée par les caractéristiques de la plante hôte (effets « bottom-up ») et une voie
indirecte influencée par la virulence des ennemis naturels (effets « top-down ») (Han
et al., 2019; Reineke and Thiéry, 2016) (Fig.7). Les effets directs de la température sur la performance des chenilles et adultes d’eudémis sont les mieux renseignés, puisque les courbes de performance thermique des principales fonctions vitales permettant d’inférer la dynamique de population du ravageur (développement larvaire, survie larvaire, production en œufs des femelles) ont déjà été caractérisées (voir Gutierrez et al., 2012). Cependant, les prédictions quant à la performance future du ravageur dans un scénario de réchauffement climatique se heurtent à deux limites majeures. La première est celle d’un examen jusqu’à présent restreint à un trop faible nombre de traits d’histoire de vie du phytophage. Par exemple, les effets de la température sur les capacités de défense des chenilles face à leurs ennemis naturels, qui vont grandement conditionner la survie larvaire dans les agroécosystèmes, sont encore inconnus. Le même constat est valable pour la performance sexuelle des mâles qui, via le transfert d’un spermatophore riche en matériel spermatique et substances
CHAPITRE I : INTRODUCTION GÉNÉRALE
31
énergétiques pouvant être assimilées par la femelle et réinvesties dans sa production d’œufs, conditionnent activement dans le succès de reproduction de l’espèce (Muller, 2016). La seconde est le manque de considération portée à la variabilité thermique et son altération par le réchauffement climatique, puisque toutes les études portées sur la modulation thermique de la performance d’eudémis ont été jusqu’alors conduites avec des régimes constants. Par ailleurs, les effets indirects de la température agissant sur l’interaction du ravageur avec les deux niveaux trophiques associés n’ont jamais été étudiés. Ainsi, la manière dont la qualité de l’alimentation peut influencer la réponse d’eudémis à différentes conditions thermiques est inconnue, de même que les conséquences de la température sur l’interaction entre ce ravageur et le cortège d’insectes parasitoïdes.
Figure 7 : Les différentes voies d’action de la température sur l’eudémis (L. botrana) dans le contexte
écologique des réseaux tritrophiques. La température peut agir par voie directe (en rouge) sur un certain nombre de traits d’histoire de vie du ravageur (2ème niveau trophique), lesquels vont influencer la déprédation exercée par cet insecte sur la plante hôte (1er niveau trophique) et conditionner sa susceptibilité face à ses ennemis naturels (3ème niveau trophique). La température peut aussi agir sur l’eudémis de manière plus subtile, via deux voies indirectes. Par la voie indirecte «bottom-up » (en violet), la température va affecter la performance du ravageur via une modification d’un certain nombre de traits de la plante hôte permettant de définir sa valeur nutritive. Par la voie indirecte « top-down » (en orange), la température va moduler la pression de parasitisme exercée par les ennemis naturels (parasitoïdes) sur les populations du ravageur.
CHAPITRE I : INTRODUCTION GÉNÉRALE
32 4.2. Principaux objectifs de la thèse
L’objectif général de cette thèse est d’approfondir la compréhension des différentes voies d’action de la température sur l’eudémis dans un contexte de réchauffement climatique, en considérant la pluralité de facettes qui caractérise ce phénomène complexe. Elle conjugue un intérêt appliqué, en cherchant à affiner les capacités de
prédiction de la dynamique d’abondance future du ravageur et les potentiels dégâts
associés sur les cultures, et un intérêt plus fondamental, puisque les différents chapitres constitutifs de cette thèse vont chacun traiter une question nouvelle dans le cadre intellectuel du réchauffement climatique. Les conséquences des différentes facettes du changement climatique sur l’eudémis seront examinées via l’utilisation des méthodes d’imitation du réchauffement climatique présentées dans les sections 3.1., 3.2. et 3.3. de ce chapitre.
Le premier objectif, développé dans le Chapitre III, est d’inspecter les effets
d’une augmentation de température moyenne sur la performance larvaire de L.
botrana, avec une attention principalement centrée sur les traits défensifs impliqués dans la résistance des chenilles face aux parasitoïdes larvaires. L’étude réalisée dans ce chapitre a eu recours à un design expérimental faisant intervenir des régimes constants de différentes températures moyennes, et dont la comparaison s’est révélée informative dans le but de caractériser les réponses des différents traits défensifs des chenilles (développement, morphologie, comportements, immunité) à une augmentation de température moyenne. Ce chapitre attestera non seulement de la grande sensibilité à la température pour la plupart des traits défensifs examinés, mais
également d’une forme de variabilité dans les réponses thermiques des différents
traits, suggérant des conséquences complexes en termes d’évolution de la vulnérabilité de l’hôte face aux parasitoïdes dans un contexte de changement climatique.
Un niveau de réalisme climatique supplémentaire est incorporé dans le Chapitre
IV, qui, grâce au recours à la modélisation climatique, s’intéresse à la réponse
d’eudémis à des changements réalistes de température moyenne et d’amplitude des fluctuations journalières survenant à une échelle spatiale relativement fine (échelle locale). En outre, ce chapitre sera constitué par trois études distinctes. La première est exclusivement portée sur la performance larvaire du ravageur, intégrant une batterie
CHAPITRE I : INTRODUCTION GÉNÉRALE
33
de mesures sur les traits défensifs et budgets énergétiques des chenilles. Elle confirmera, en système fluctuant, la diversité de réponses thermiques mise en exergue avec des régimes constants dans le Chapitre III, et discutera les différences de réponses des traits observées entre systèmes constant et fluctuant. Parallèlement à cette première étude, la seconde étude s’est focalisée sur la performance des adultes, en particulier le potentiel reproducteur de chaque sexe considéré indépendamment. Ainsi, l’originalité de cette étude réside dans sa capacité à évaluer la sensibilité à la température des traits sexuels de chaque partenaire. Les résultats de cette étude plaideront, une fois de plus, en faveur de la considération de la performance sexuelle
du mâle en tant que composante intégrante du succès de reproduction de l’espèce.
Combinés à ceux obtenus sur la performance larvaire, ces résultats sur la reproduction des adultes permettront de dresser des conclusions intégratives quant aux conséquences du réchauffement climatique sur la performance individuelle et la dynamique des populations d’eudémis. Enfin, la troisième étude du Chapitre IV s’est
centrée sur modulation thermique de l’interaction entre les œufs de L. botrana et un
parasitoïde oophage (Trichogramma cacoeciae). La question novatrice alors adressée
est de savoir si les conditions thermiques connues par une génération parentale d’hôtes pouvaient influencer la résultante de l’interaction entre les œufs pondus par cette génération et le parasitoïde. L’étude suggérera que de tels effets thermiques
parentaux se révèlent être un facteur clé de modulation de l’interaction
hôte-parasitoïde, et soulignera l’importance du rôle joué par la plasticité phénotypique
transgénérationnelle pour le devenir d’une interaction hôte-parasitoïde dans le
contexte du réchauffement climatique.
Le Chapitre V se concentrera sur la réponse des chenilles d’eudémis à une
autre facette du changement climatique : l’occurrence d’un événement thermique
extrême comme une vague de chaleur. L’étude développée dans ce chapitre vise à
approfondir la compréhension des mécanismes potentiellement mis en jeu dans la réponse individuelle et permettant de mitiger les conséquences néfastes de la vague
de chaleur en termes de performance. Plus particulièrement, elle explore l’existence
de mécanismes compensatoires dépendant de l’alimentation, en cherchant à
déterminer si la qualité de la nourriture disponible après la vague de chaleur peut
influencer l’éventuelle capacité des chenilles à contrebalancer les effets négatifs
CHAPITRE I : INTRODUCTION GÉNÉRALE
34
qualité de l’alimentation est un facteur déterminant dans la réponse individuelle à la vague de la chaleur, mais que cette influence est placée sous la dépendance du timing d’occurrence de la vague de chaleur durant l’ontogénie de l’insecte, et donc du stade larvaire affecté. Ainsi, cette étude suggérera que les conséquences des vagues de chaleur sur les populations d’insectes sont contingentes au contexte écologique dans lequel ces événements thermiques extrêmes se produisent.
Ces chapitres seront suivis d’une discussion générale, qui se déclinera en un premier volet appliqué cherchant à résumer les différents effets potentiels du réchauffement climatique sur les individus et populations d’eudémis dans le contexte des relations tritrophiques, et un second volet dans lequel seront avancées des pistes de réflexion potentiellement intéressantes pour une compréhension plus approfondie de la réponse des insectes ravageurs au changement climatique.
35