III. Matériel et méthodes
1. Présentation des espèces étudiées
1.1. Description générale
Les élodées (du grec helôdês, qui signifie «des marais») sont des Phanérogames, de
l’ordre des hydrocharitales, de la famille des Hydrocharitacées, du genre Elodea. Ce sont en
Europe, des hydrophytes submergées vivaces, dioïques, généralement unisexuées
(Lambinon et al., 1993), alors que la Flore Laurentienne indique que ces deux espèces
peuvent être monoïque au Quebec.
Elles ont des tiges grêles pouvant atteindre plusieurs mètres, munies de petites
feuilles sessiles, minces, verticillées par trois (Figure 5). En période de floraison, de petites
fleurs blanches, comptant trois pétales et trois sépales identiques (Figure 6), éclosent à la
surface de l'eau, reliées à la plante par un fin pédoncule.
Pour passer la saison hivernale, des bourgeons terminaux hivernent au fond de l'eau,
sous le sédiment, puis produisent de nouvelles tiges au printemps. Cependant, il arrive dans
les climats plus doux que les élodées résistent à la mauvaise saison et se comportent
comme des plantes vivaces.
Figure 5: Vue d’ensemble d’E. nuttallii
Un long brin ramifié. Des feuilles verticillées par 3. La même morphologie générale est retrouvée pour l’ensemble des élodées. Les différences entre les espèces se situant au niveau de la forme des feuilles, et de leur dimension.
Figure 6: Photo de fleur d’ E. nuttallii. (Source anonyme)
Actuellement, trois espèces d’élodées, E. callitrichoides Caspary, E. canadensis
Michaux et E. nuttallii St. John, toutes natives soit d’Amérique du Nord (tempérée), soit
d’Amérique du Sud (au Sud-Est et le long de la cordillère des Andes, de l’Equateur au Chili),
sont fortement implantée dans d’autres régions du globe (Europe, Asie et Australie) (Cook &
Urmi-König, 1985). Ces espèces ont toutes trois été introduites en Europe aux XIX
èmeet
XX
èmesiècles.
1.2. Elodea canadensis Michaux
E. canadensis (Figure 7a et 7b), qui servait notamment de plante médicinale aux
Iroquois, est originaire d’Amérique du Nord. Elle est l’une des plus anciennes “ pestes
végétales ” ayant colonisé le continent européen, puisqu’elle a été découverte en Irlande dès
1836, puis en France en 1845. Cette espèce a envahi, entre 1850 et 1950, une grande partie
du réseau hydrographique de l’Europe tempérée. Après cette phase de forte expansion,
l’espèce a considérablement régressé dans de nombreuses régions et semble s’être
“ intégrée dans les phytocénoses aquatiques ” (Mériaux et Géhu, 1979).
Figure 7a : Figure 7b :
Elodea canadensis vue de face. Elodea canadensis vue de dessus.
Feuilles courtes, larges, rigides, Apex bien ordonné.
arrondies à la pointe.
Historique de son introduction (« Napoléon waterlost »)
Selon Marshall (1852), l’importation de bois pour la construction du chemin de fer du
Lancestershire est à l’origine probable des premières introductions d’E. canadensis, apparue
en Angleterre dès 1840. En fait, l’histoire de cette introduction est liée aux crises
internationales. En effet, le 21 novembre 1806, Napoléon décide le blocus continental de
l’Angleterre. La flotte française n’est pas en mesure de faire le blocus des îles britaniques,
mais Napoléon peut interdire les bateaux anglais dans les ports continentaux. En 1810,
l’Angleterre, au bord de la famine et des révoltes sociales, va se tourner vers le continent
Américain. Les Etats-Unis mettront alors en place un embargo sur les Britaniques.
Les Britaniques vont donc se tourner vers le Canada pour s’approvisionner en bois et
potasse, nécessaires au fonctionnement de leurs industries, ce qui ouvrira alors un marché
lucratif aux colons de Shefford (Canada), région probable d’origine des premiers brins d’E.
canadensis apparus en Europe. Les prix augmentent alors tellement que ce sont les arbres
abbattus pour le défrichement des terres éloignées, qui serviront à fournir l’Angleterre en
bois et potasse, même s’il faut deux semaines pour aller les livrer sur le marché de Montréal
(Musée de la civilisation de Québec, communication personnelle).
Ainsi, c’est l’achat de bois originaire d’Amérique du Nord par les Anglais, pour le
fonctionnement de leur industrie, ou pour la construction de leurs infrastructures, comme le
chemin de fer dans le Leicestershire (Angleterre), qui a introduit E. canadensis sur leur île.
En effet, depuis le lieu de coupe, ce bois était transporté par flottaison sur les
rivières jusqu’au port maritime. Ainsi, de nombreux brins d’élodées ont pu être transportés et
chargés fortuitement sur les bateaux, puis expédiés en Angleterre avec le bois (Marshall,
1852). L’humidité de cette cargaison permis ainsi à E. canadensis de franchir une importante
barrière géographique et de s’établir dans de nouveaux milieux très éloignés de son aire
d’origine. Par la suite, cette espèce a envahi une grande partie du réseau hydrographique de
l’Europe tempérée avec l’aide des botanistes et des jardins botaniques (Cook et Urmi-Konig,
1985). Après une phase de régression généralisée en Europe, on signale actuellement de
nouvelles explosions ponctuelles d’ E. canadensis sur certains sites, comme le Lac de Plaine
(Vosges) depuis 2003, ou encore en Suède (Larson & Willem, 2007), en Finlande (Huotarie,
communication personnelle).
1.3. Elodea nuttallii St John
E. nuttallii (Figure 8a et 8b), également native d’Amérique du Nord, a été récoltée
pour la première fois en Belgique en 1939, puis aux Pays-Bas, dans les Iles britanniques, en
Autriche, en Suisse et en Allemagne où elle est classé dans le top 10 des espèces
aquatiques les plus fréquentes (Wolff, 1980 ; Cook et Urmi-König, 1985 ; Simpson, 1984 ;
Tremp, 2001 ; Demierre & Perfette, 2002 ; Klingenstein, comm. personnelle). En France, elle
a été observée d'abord en Alsace dans les années 1950 (Sell, 1959). Sa présence a ensuite
été signalée au cours des années 1970 dans les départements de la Moselle, de la Meuse,
des Ardennes, du Nord, du Pas de Calais (Thiébaut et al., 1997), en même temps qu’elle
poursuivait sa progression en Alsace. Elle a été découverte plus récemment (en 1995) en
Bretagne (Haury, communication personnelle) ainsi que sur le réseau hydrographique du
Rhône (dans un ancien bras de tressage en amont de Lyon), où elle a depuis envahi
plusieurs sites (Barrat-Segretain, 2001), tout comme en Belgique où elle connaît une forte
phase de prolifération depuis 2003 (Verniers, communication personnelle). La grande
phénoplasticité d’E. nuttallii rend sa détermination difficile en l’absence de fleurs (Simpson,
1988). Des confusions sont possibles avec E. canadensis, notamment aux Etats-Unis
(Lawrence, 1976 ; Cook et Urmi-König, 1985).
Figure 8a : Elodea nuttallii vue de face. Figure 8b :
Feuilles allongées, recourbées vers le bas, Elodea nuttallii vue de dessus
rigides et pointues. Apex bien ordonné.
1.4. Elodea callitrichoides Caspary et Elodea ernstiae St John
La troisième espèce présente dans les rivières alsaciennes, E. callitrichoides,
originaire d’Amérique du Sud (Argentine), a encore une présence anecdotique sur le
territoire français. Elle a été découverte en Angleterre en 1948 (Simpson, 1984), puis en
France, en Alsace, en 1959 (Sell, 1959).
Cependant, en se basant sur la longueur, largeur, le nombre de feuilles par verticille
et le nombre chromosomique, cette espèce a été renommée E. ernstiae St. John par Sell
(1967).
Toutefois, nombreuses sont les flores qui mettent encore en synonymie E. ernstiae St
John (Figure 9a et 9b) et E. callitrichoïdes Caspary (Brisse et Kerguélen, 1994). Et de
récentes expériences en biologie moléculaire, sur du matériel d’herbier de Belgique, ont mis
en évidence des confusions entre E. nuttallii et E. callitrichoïdes, ce qui a conduit à
l’élimination d’E. callitrichoïdes de la flore de Belgique (Vanderpoorten et al., 2000).
Par ailleurs, il est actuellement difficile de différencier morphologiquement E. ernstiae
de E. nuttallii sur certains sites alsaciens, en l’absence de fleurs d’E. nuttallii. Cela laisse la
question ouverte quant à la détermination d’E. ernstiae en Alsace.
Figure 9a : Figure 9b :
Elodea ernstiae vue de face. Elodea ernstiae vue de dessus.
Feuilles très longues, souples. Apex dit en pinceau, sans ordre
visible.
Dans le document
Phénoplasticité, polymorphisme génétique, gestion conservatoire du genre Elodea
(Page 79-84)