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4.3 Eléments majeurs

4.3.1 Présentation des données

Cette section présente les résultats des analyses en éléments majeurs pour les roches

totales aphyriques et porphyriques, le verre magmatique et les matrices des roches les

plus porphyriques. Je propose ici de présenter les résultats en fonction des abondances

de phénocristaux présents dans ces roches, afin de mieux identifier la systématique

chi-mique liée uniquement au processus de cristallisation de celle liée à l’accumulation des

cristaux. Dans les diagrammes qui suivent, nous avons donc reporté pour certains

échan-tillons (N=16) leurs compositions en roche totale et celles des matrices correspondantes.

FIGURE4.16 –Diagramme Total Alkali versus Silica (TAS) d’après Le Bas et al. (1986) pour les laves

de l’île de la Possession. Les symboles traduisent la quantité de phénocristaux observés et mesurés dans les

roches. La courbe noire représente la séparation entre le domaine tholéiitique et le domaine alcalin. Points

cerclés de rouge = échantillons présentant des figures de mélanges magmatiques.

La figure 4.16 présente nos échantillons dans le diagramme TAS qui reporte la somme

des alcalins majeurs (Na

2

O+K

2

O) en fonction des teneurs en SiO

2

dans ces roches. Au

premier ordre, nous observons que l’alcalinité des roches est inversement corrélée à

l’abon-dance des phénocristaux dans les roches. Les roches les plus porphyriques sont

caracté-risées par des compositions sub-alcalines et les roches les moins porphyriques (roches

ayant < 10 % de phénocristaux, roches aphyriques, verres et matrices) par des

composi-tions alcalines. Cette relation peut s’expliquer par un effet de dilution des éléments

alca-lins provoqué par l’accumulation de phénocristaux pauvres en Na

2

O et K

2

O (i.e Olivine et

Clinopyroxène). A titre d’exemple, l’ensemble des matrices correspondant aux roches les

plus porphyriques et sub-alcalines montrent une composition alcaline identique à celles

des autres roches aphyriques (fig. annexe F.1). Il apparait donc évident que la présence

de roches sub-alcalines sur l’île de la Possession n’est qu’un artefact lié à l’accumulation

de phénocristaux d’olivines et de clinopyroxènes. Nous pouvons donc qualifier à partir

des diagrammes de la figure 4.17 l’effet de l’accumulation de ces phases minérales sur les

concentrations des autres oxydes. L’accumulation d’un mélange de phénocristaux

d’oli-vines et de clinopyroxènes sera définie sur la figure 4.17 par les alignements des roches

contenant plus de 10 % de ces phénocristaux (c.à.d. points gris et blancs), et le processus

de cristallisation fractionnée par les alignements des roches contenant moins de 10 % de

cristaux (c.à.d. points noirs). Parmi ces effets, nous noterons une augmentation importante

et conjointe du Mg# et du rapport CaO/Al

2

O

3

(fig. 4.17, j). Si l’augmentation du premier

est à attribuer aux deux phases olivine et clinopyroxène, l’augmentation du second (c.à.d.

CaO/Al

2

O

3

) est la conséquence directe de l’accumulation des clinopyroxènes, dont le

rap-port moyen CaO/Al

2

O

3

est de∼5,5±2,2.

Afin de décrire qualitativement la systématique des éléments majeurs durant le

pro-cessus de cristallisation, nous devons utiliser les compositions des roches les moins

por-phyriques. Cette catégorie comprend le verre magmatique (c.à.d. POS09-050), 14 roches

aphyriques, 17 roches porphyriques ayant moins de 10 % de cristaux, ainsi que 16

ma-trices des roches les plus porphyriques. Notons que toutes les compositions en roche totale

correspondant à ces matrices ont un pourcentage en phénocristaux supérieur à 10 %, et

la classification que nous avons choisi d’utiliser dans la figure 4.17 ne nous permet pas

d’identifier les compositions en roche totale des matrices associées. La figure annexe F.1

permet de voir cette différence. En effet, ces dernières ont été analysées dans le but de

s’affranchir des effets principaux de l’accumulation dans ces roches. Par ailleurs, ces

ma-trices et roches peu porphyriques suivent les mêmes tendances que celles définies par les

roches aphyriques et le verre dans les diagrammes de variations des éléments majeurs

selon celles du Mg# (fig. F.1).

Dans la figure 4.16, ce groupe d’échantillons les moins porphyriques (c.à.d. points

noirs) nous renseigne sur l’alcalinité de la suite magmatique de la Possession, qui semble

être sous-saturée en silice. Le calcul des normes CIPW sur ces échantillons indique entre

0 et 17 % de néphéline normative sur les laves ayant un Mg# inférieur à 0,5, traduisant

FIGURE4.17 –Diagrammes de variations en Mg# en fonction des compositions en éléments majeurs

des roches étudiées. Les flèches représentent les vecteurs d’évolution associés à la cristallisation de chaque

phase minérale composant les laves de la Possession. Les points cerclés en rouge représentent les

échan-tillons présentant des figures de mélanges magmatiques, et le chiffre précise le numéro de l’échantillon

correspondant (c.à.d. POS09 ou POS10-XXX).

nettement le caractère sous-saturé de nos échantillons les plus évolués. Ce dernier

résul-tat est tout à fait compatible avec l’étude de Gunn et al. (1972) (c.à.d. 1-10 % néphéline

normative, cf. section 4.1.1), bien que nous n’avons pas accès à la pétrographie des

échan-tillons et à leur pourcentage d’accumulation de phénocristaux. Les tendances définies par

ces échantillons (< 10 % de phénocristaux) dans la figure 4.17 peuvent donc être utilisées

pour qualifier au premier ordre la séquence de cristallisation des laves de la Possession.

Lorsque le processus de cristallisation s’opère, le Mg# décroit de façon continue. Dans

la figure 4.17 (b), la décroissance brutale du FeOt au-delà du rapport Mg#∼0,4 (c.à.d.

Mg#≤0,4) indique la précipitation d’une phase minérale riche en FeOt. La diminution

conjointe du TiO

2

à partir du même Mg# nous renseigne sur la nature de la phase minérale

cristallisée, qui est vraisemblablement de la titanomagnétite. Dans la section précédente,

nous avions observé des titanomagnétites en inclusion dans des diopsides en équilibre

avec des liquides ayant des Mg# de 0,42 et 0,55 (cf. section 4.2.2.4). Ces titanomagnétites

semblent donc précipiter plutôt à partir d’un Mg#∼ 0,55, mais seule leur précipitation

massive à des Mg#≤ 0,4 influence fortement les compositions chimiques des magmas

(c.à.d. décroissances de FeO et TiO

2

). De la même façon, il est possible d’identifer

l’ap-parition du clinopyroxène dès que nous observons une décroissance du CaO. La figure

4.17 (d) semble donc nous indiquer que le clinopyroxène est une phase qui est à

satura-tion dans l’ensemble de la séquence. La même conclusion peut être faite à partir de la

figure 4.17 (j). L’évolution de l’Al

2

O

3

peut nous renseigner quant à elle sur l’apparition

du plagioclase dans la séquence de cristallisation. Bien que nous observons dans la figure

4.17 (e) une légère décroissance des teneurs en Al

2

O

3

au-delà d’un rapport Mg#∼ 0,3,

il nous est impossible à partir de ces seules tendances de mettre clairement en évidence

l’apparition de cette dernière phase. Cependant, l’étude pétrographique des lames minces

nous révèle que le plagioclase est présent dans toutes les mésostases de nos échantillons

(cf. section 4.2.2.3) et serait logiquement à saturation avec ces magmas pour des Mg#

assez élevés (c.à.d.∼0,6). Ces dernières remarques nous indiquent donc que le

plagio-clase ne joue par un rôle important sur l’évolution des teneurs en Al

2

O

3

, cette phase étant

probablement en abondance modale trop faible par rapport aux autres phases minérales.

Enfin, l’étude de l’évolution du P

2

O

5

au cours de la cristallisation peut être utilisée pour

diagnostiquer la précipitation des apatites, qui en principe intervient en fin de course de

cristallisation (c.à.d. Mg# ≤ 0,2 ou SiO

2

55 %, Watson, 1979; Harrison and

Wat-son, 1984; Piccoli and Candela, 2002). L’analyse de la figure 4.17 (g) semble indiquer

que l’apatite cristallise de façon assez précoce dans les magmas dont la composition est

proche d’un Mg#∼ 0,4. Ce résultat est assez surprenant car, classiquement, les apatites

sont à saturation avec des magmas présentant des Mg# ≤ 0,3 et des concentrations en

P

2

O

5

≥2 % (Watson, 1979; Piccoli and Candela, 2002). Cette caractéristique peut être

due à des conditions spécifiques aux magmas de l’île de la Possession, qui favoriseraient

l’apparition précoce d’apatites. Cependant, il est plus probable que ce soit le résultat de

mélanges magmatiques entre des liquides primaires riches en P

2

O

5

et des liquides très

dif-férenciés (c.à.d. Mg#≤ 0,2) à saturation avec l’apatite. L’observation des lames minces

des 5 échantillons montrant des faibles teneurs en P

2

O

5

(Mg#≤0,4) révèle cependant de

rares microcristaux d’apatites apparents, ce qui nous suffit à penser que la première

hypo-thèse est probablement la meilleure.

Dans le diagramme 4.17 (h), nous observons pour un Mg# donné (c.à.d. 0,6) une forte

variabilité des teneurs en K

2

O d’un facteur∼8. Une telle variabilité ne peut pas être

ex-pliquée par un processus de cristallisation fractionnée et fait donc appel à la présence

d’hétérogénéités chimiques dans les magmas de l’île de la Possession. L’origine de cette

hétérogénéité reste cependant à localiser. Est-ce dans la source de ces magmas ? Ou bien

est-ce le résultat de mélanges magmatiques (magmas primitifs pauvres en K

2

O mélangés

aux magmas différenciés riches en K

2

O) qui génère ces hétérogénéités ? La localisation

dans la figure 4.17 de l’échantillon POS09-80 (point cerclé de rouge) montrant de tels

mélanges magmatiques à l’échelle macroscopique nous suggère une fois de plus que ces

processus de mélanges magmatiques affectent probablement de façon significative les

compositions en éléments majeurs (et majeurs incompatibles) des laves de la Possession.

L’identification des processus de mélanges magmatiques ainsi que la présence des

phénocristaux en abondance dans ces échantillons indique l’existence d’une chambre

magmatique (ou de plusieurs) dont la durée de vie est suffisante pour permettre :

1. aux liquides de cristalliser des phénocristaux de tailles centimétriques et d’évoluer

vers des compositions extrêmement différenciées,

2. une coexistence des liquides différenciés et primitifs pour permettre les mélanges

magmatiques suggérés ci-dessus.

Sur la base des résultats de nos travaux de géochronologie et celle de nos observations

de terrain, qui nous ont permis d’établir une stratigraphie relative de l’empilement des

coulées de laves, nous n’avons mis en évidence aucune tendance temporelle de

l’évolu-tion des magmas de l’île de la Possession (cf. secl’évolu-tion 3.4.2.4). Les liquides primaires et

différenciés sont présents et coexistent tout du long de l’activité volcanique de l’île. Ce

résultat diffère de l’étude de Chevallier et al. (1983) qui propose notamment une séquence

pétrologique inversée pour le second cycle magmatique (c.à.d. laves de moins en moins

différenciées dans le temps, phases III et IV, Chevallier, 1980; Chevallier et al., 1983).

Ces études montrent également que les produits magmatiques de la dernière phase

volca-nique (5 - 10 ka, Chevallier et al., 1983) sont plus sous-saturés en silice et plus alcalins

que les laves des phases précédentes (cf. section 4.1.1). L’appartenance de chaque

échan-tillon de notre étude aux différentes phases volcaniques définies selon Chevallier (1980)

est reportée dans le tableau annexe F.1.

FIGURE 4.18 –Diagramme TAS d’après Le Bas et al. (1986) pour les laves de l’étude classées selon

leur appartenance à la phase V (ronds blancs) ou aux phases précédentes (ronds gris), et comparées à celles

des études antérieures (ronds noirs, Bellair, 1963; Gunn et al., 1972; Chevallier et al., 1983; Verwoerd et al.,

1990).

La figure 4.18 présente dans le diagramme TAS les compositions de nos échantillons

présentant moins de 10 % de phénocristaux qui appartiennent à la dernière phase

volca-nique (ronds blancs) et aux autres phases (ronds gris) définies par Chevallier et al. (1983).

Ces compositions sont comparées à celles des études antérieures (ronds noirs, Bellair,

1963; Gunn et al., 1972; Chevallier et al., 1983; Verwoerd et al., 1990), dont nous n’avons

pas systématiquement les proportions minérales. Nous avons ainsi reporté dans la figure

4.18 les roches des études précédentes peu à pas porphyriques pour éviter au maximum

tout effet d’accumulation de cristaux. Les sept laves de notre étude qui appartiennent à la

phase volcanique V sont plus alcalines que les laves des autres phases volcaniques, mais

ne sont pas plus sous-saturées en silice que ces dernières. Nous observons également que

cette dernière phase volcanique présente autant de produits différenciés (SiO

2

> 52 %)

que les autres phases présentes sur l’île. Nous ne constatons donc pas exactement la

re-lation « compositions en SiO

2

- temps » des laves proposée par Chevallier et al. (1983).

Par ailleurs, deux des roches de notre collection où nous avons identifié des mélanges

magmatiques (fig. 4.18, ronds aux contours épais) n’appartiennent pas à la même phase

volcanique, démontrant ainsi que ces processus de mélanges ont pu se produire tout au

long de l’histoire éruptive de ce strato-volcan. Il n’existe donc aucune systématique entre

la composition chimique en éléments majeurs des laves de cette île et leur période

d’érup-tion.

En résumé, les données pétrographiques et compositions en éléments majeurs des

roches de l’île de la Possession sont, au premier ordre, fortement influencées par divers

processus crustaux. Nous avons d’abord montré l’influence des processus d’accumulation

de phénocristaux sur les compositions chimiques des roches puis décrit qualitativement

les courses de cristallisation non affectées par ce processus. Nous avons identifié la

pré-sence de mélanges magmatiques qui opèrent au cours de toute l’histoire volcanique de

l’île et de façon conjointe au processus de cristallisation, générant des hétérogénéités

pé-trographiques et chimiques dans nos échantillons. Nous notons cependant que la part entre

les effets de source et les effets de mélanges magmatiques sur les éléments les plus

incom-patibles reste à étudier et quantifier.

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